Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DUQUESNE (Abraham, marquis), lieutenant général des armées navales et l’un des plus grands hommes de mer que la France ait produits

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1423-1424).

DUQUESNE (Abraham, marquis), lieutenant général des armées navales et l’un des plus grands hommes de mer que la France ait produits, né à Dieppe en 1610, mort à Paris le 2 février 1688. Destiné, dès sa plus tendre jeunesse, à la carrière maritime, Duquesne s’embarqua, fort jeune encore, comme capitaine à bord d’un bâtiment de guerre de 200 tonneaux, le Neptune, qui devait faire partie de l’armée navale que l’archevêque de Bordeaux rassembla dans l’Océan en 1635. La première occasion que le jeune capitaine trouva de faire remarquer sa valeur et son habileté fut la reprise des îles de Lérins, Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, sur les Espagnols. L’archevêque de Bordeaux, qui commandait cette expédition avec le comte d’Harcourt, distingua tout particulièrement Duquesne et le signala tout de suite à Richelieu comme l’un de ses meilleurs capitaines. Pendant le siège de Sainte-Marguerite, notre héros apprit la mort de son père, qui avait reçu, dans un combat contre les Espagnols, des blessures mortelles : il voua, dès ce jour, à cette nation une haine implacable. L’année suivante, 1638, le capitaine Duquesne fut chargé, avec le chevalier Paul, d’aller relever et sauver plusieurs bâtiments français échoués sous le canon de Saint-Sébastien, et qu’on était sur le point d’incendier pour ne pas les abandonner à l’ennemi. Duquesne et le chevalier Paul se tirèrent avec le plus grand honneur de cette mission difficile et ramenèrent les bâtiments français. Peu après, le 22 août 1638, à la bataille navale de Gattari, Duquesne décida la victoire en allant incendier avec un brûlot le vaisseau amiral espagnol. En 1639, il seconda activement les nouvelles opérations de l’archevêque de Bordeaux sur les côtes de Biscaye et eut une part glorieuse à la prise de Laredo et de Santona. À cette dernière affaire, il eut la mâchoire broyée par une mousquetade en allant attaquer un gros galion avec quelques chaloupes armées. Il était à peine rétabli de cette cruelle blessure qu’il passait, en 1641, avec l’archevêque de Bordeaux, dans la Méditerranée. Détaché avec quatre autres capitaines, il alla enlever de haute lutte, sous le canon de Rosas, cinq vaisseaux espagnols, qu’il ramena prisonniers. Au blocus de Tarragone, il reçut une nouvelle blessure et se signala surtout dans la retraite qui suivit le blocus. En 1643, Duquesne accompagna le nouveau grand maître de la navigation, Armand de Maillé-Brézé, dans ses expéditions navales sur les côtes d’Espagne, et se couvrit de gloire dans les combats livrés sur les parages du cap de Gata et à la hauteur de Carthagène ; il fut encore blessé dans le premier. L’année suivante, voyant la marine négligée en France depuis la mort de Richelieu, arrivée à la fin de l’année 1642, Duquesne obtint d’aller prendre momentanément du service en Suède, alors en guerre navale avec le Danemark. Il fut parfaitement accueilli par la reine Christine, qui le nomma successivement major général, puis vice-amiral ; il assista en cette qualité à la bataille navale livrée par Nicolas Flemming et Torstenson, en 1644, contre le vieux roi Christian IV de Danemark. Il prit aussi une part des plus glorieuses à la bataille livrée à la hauteur de l’île de Fremeren, le 24 octobre suivant, par l’amiral Wrangel contre l’amiral danois Prosmond. La paix s’étant conclue peu après entre la Suède et le Danemark, Duquesne revint en France. En 1645, il contribua à un nouveau blocus de Tarragone et à la reddition de Rosas. En 1646, il fit partie de l’armée navale envoyée contre les côtes d’Italie, et fut blessé à la bataille de Télamone, où mourut glorieusement Brézé. En 1647, Duquesne fut envoyé avec deux frégates en Suède pour y acheter quatre vaisseaux. La même année, notre marin, capitaine de vaisseau dès 1643, fut nommé chef d’escadre de Dunkerque ou de la Flandre française. En 1653, la marine était tombée si bas en France que, lorsqu’on eut besoin de bloquer la Gironde pour empêcher les communications entre les Bordelais soulevés par le parti de Condé et les Espagnols qui se mêlaient aux guerres civiles de la Fronde, on ne put réunir qu’une vingtaine de petits bâtiments, sous les ordres du duc de Vendôme, grand maître de la navigation, et l’on fut obligé de s’adresser à Duquesne pour venir renforcer cette flottille avec quelques navires armés à ses frais. Chemin faisant pour aller se joindre au duc de Vendôme, il fut rencontré par une escadre anglaise, dont le commandant le somma insolemment de baisser son pavillon devant le sien. « Le pavillon français, répondit fièrement Duquesne, ne sera pas déshonoré tant que je l’aurai à ma garde : le canon en décidera. » Le canon en décida, et, après un combat meurtrier, les Anglais, bien que supérieurs en forces, durent prendre la fuite. Duquesne alla se rétablir à Brest, puis il reprit sa route pour Bordeaux. En arrivant à l’embouchure de la Gironde, il rencontra une escadre espagnole, composée de trois frégates et de quelques autres petits bâtiments, qui venait prêter appui aux insurgés : il entra dans le fleuve en dépit d’elle, opéra sa jonction avec le duc de Vendôme, et contribua beaucoup ainsi à la soumission de Bordeaux et de la Guyenne. Anne d’Autriche, à la suite de cette campagne, donna à Duquesne l’île et le château d’Indret, en Bretagne, en attendant qu’on pût le rembourser des dépenses qu’il avait faites en équipant à ses propres frais sa petite escadre. La paix des Pyrénées, signée le 7 novembre 1659, vint suspendre le cours des exploits de Duquesne. Colbert ayant profité de cette paix pour reprendre les traditions de Richelieu et rendre une marine h la France, celle-ci put mettre en ligne une armée navale capable de lutter contre la marine hollandaise, lorsque la guerre vint à éclater entre les deux puissances. Le 7 juin 1672, à la bataille navale de Southwood, Duquesne faisait partie de l’escadre blanche du vice-amiral Jean d’Estrées et prenait part au combat qu’elle soutint contre l’avant-garde hollandaise, commandée par Bankaërt. Il assista encore, cette même année 1672, aux deux batailles navales livrées dans les parages des Provinces-Unies par les Anglais et les Français, placés sous les ordres du prince Rupert, de l’amiral Spragg et de Jean d’Estrées, aux Hollandais commandés par Ruyter, Corneille Tromp et Bankaërt. L’Angleterre avant fait sa paix particulière avec la Hollande, la France resta seule en présence de sa redoutable ennemie, fortifiée de l’alliance de l’Allemagne, de l’Espagne et des Deux-Siciles. Sur ces entrefaites, Messine s’étant insurgée contre les Espagnols avec une partie de la Sicile, Louis XIV résolut de soutenir l’insurrection. En conséquence, Duquesne, qui venait d’être nommé lieutenant général des armées navales, appareilla de Toulon, le 29 janvier 1675, avec une escadre de huit vaisseaux de guerre, pour se rendre en Sicile ; il avait à bord le duc de Vivonne, général des galères de France, nommé vice-roi de Sicile ; un convoi de blé suivait l’escadre. Le 11 février, en vue des côtes siciliennes, Duquesne et Vivonne furent attaqués par une flotte espagnole de vingt vaisseaux de guerre et dix-sept galères, commandée par Melchior de la Cueva. Duquesne soutint avec la plus grande vigueur l’attaque de son redoutable adversaire, donna le temps au chevalier de Valbelle d’arriver de Messine avec un renfort important, puis, prenant l’offensive à son tour, il mit en fuite la flotte espagnole, la poursuivit jusque dans le golfe de Naples, et entra triomphalement dans le port de Messine avec le convoi. Peu après, Duquesne partit avec Vivonne pour aller attaquer par mer la ville d’Agosta, qui se rendit au bout de quelques jours. Ensuite Duquesne, avec la majeure partie de la flotte de la Méditerranée, fut envoyé en France par le vice-roi pour en ramener des vivres, qui manquaient à Messine, des munitions et des renforts. À Toulon, Duquesne apprit que Ruyter, le grand Ruyter, venait d’entrer dans la Méditerranée pour y opérer de concert avec l’année navale espagnole : il reçut peu après le commandement en chef d’une flotte considérable pour aller se mesurer avec le redoutable amiral hollandais, le vainqueur de Black, de Monk et des plus fameux amiraux anglais : Duquesne avait alors soixante-quatre ans. Il appareilla de Toulon le 17 décembre 1675, avec sa flotte composée de vingt vaisseaux et de six brûlots, et cingla vers Messine. Ruyter n’eut pas plus tôt appris son départ qu’il vint à toutes voiles au-devant de lui. Quelques jours auparavant, un capitaine de commerce anglais ayant rencontré, du côté de Melazzo, à 8 lieues de Messine, l’illustre amiral général des Provinces-Unies, lui avait demandé ce qu’il faisait dans ces parages : à quoi Ruyter avait répondu : « J’attends le brave Duquesne. » Les deux flottes se rencontrèrent le 7 janvier 1676, à la hauteur des îles Lipari, entre l’île de Salino et celle de Stromboli. Elles passèrent toute la journée à s’observer et à manœuvrer ; la nuit qui suivit, elles cherchèrent à se gagner le vent. Le lendemain, 8 janvier, dès le point du jour, Duquesne, qui avait su se ménager l’avantage du vent, força de voiles pour se rapprocher de Ruyter, qui était à deux lieues de lui. L’armée française était divisée en trois escadres : l’avant-garde, commandée par Preuilly d’Humières ; l’arrière-garde, commandée par Gabaret l’aîné, et le corps de bataille, commandé par Duquesne lui-même. Duquesne montait le vaisseau le Saint-Esprit et avait pour matelots le chevalier de Valbelle, montant le Pompeux, et Tourville, montant le Sceptre. L’armée hollandaise, forte de vingt-quatre vaisseaux de guerre, de deux flûtes et de quatre brûlots, était également divisée en trois escadres : l’avant-garde, commandée par Verschoor ; l’arrière-garde, par de Haan, et le corps de bataille, par Ruyter lui-même. La flotte française arriva sur l’ennemi avec un ordre merveilleux, auquel Ruyter rendit lui-même plus tard justice. À neuf heures du matin, l’avant-garde française engagea le feu, qui ne tarda pas à s’étendre aux deux flottes tout entières. Le combat dura jusqu’à quatre heures et demie avec des chances diverses. Chacun des deux amiraux s’attribua la victoire, qui doit être accordée, en somme, à Duquesne, car l’armée hollandaise, qui était venue lui barrer le passage, était si maltraitée qu’elle ne put l’empêcher d’arriver à Messine, où il fit son entrée triomphale le lendemain matin. Dans le courant de la bataille, la Concorde, que montait Ruyter, et le Saint-Esprit, le vaisseau de Duquesne, s’étaient trouvés en présence, et Ruyter, après une mêlée si meurtrière que plus tard il avoua ne s’être jamais trouvé à si chaude affaire, Ruyter avait cédé devant Duquesne. Mais la bataille des Iles Lipari ou de Stromboli n’était que le prélude d’une plus considérable encore et plus glorieuse à la fois pour Duquesne. Cet héroïque marin, après s’être réparé et renforcé, sortit du port de Messine, à la fois pour favoriser l’arrivée de nouveaux convois que l’on attendait de France et pour s’opposer aux projets que l’on attribuait à l’ennemi sur Agosta. À la nouvelle de la sortie de Duquesne, Ruyter alla bravement au-devant de lui, avec son escadre renforcée de celle de don Francisco Freyre de la Cerda. Les deux rivaux se découvrirent l’un l’autre dès le 21 avril 1676, et, le 22, ils arrivèrent en présence, Duquesne avec trente vaisseaux de guerre et huit brûlots, Ruyter avec vingt-neuf vaisseaux, neuf galères et quatre brûlots. L’amiral français avait confié son avant-garde au chef d’escadre d’Almeiras, son arrière-garde au chef d’escadre Gabaret l’aîné, et s’était réservé pour lui-même le corps de bataille. De son côté, Ruyter s’était placé, non pas au corps de bataille, mais à l’avant-garde, plaçant les Espagnols à son corps de bataille et le vice-amiral de Haan à son arrière-garde. Ruyter arriva le premier, vers les deux heures de l’après-midi, sur la division d’Almeiras, qui soutint vigoureusement le choc. Malheureusement, un boulet de canon ayant enlevé d’Almeiras, l’indécision se mit un instant dans sa division ; elle ne tarda pas toutefois à cesser, dès que le chevalier de Valbelle fut venu prendre la place de l’infortuné chef d’escadre. À ce moment, Duquesne étant venu au secours de son avant-garde, le feu s’engagea sur toute la ligne. Le Saint-Esprit et la Concorde, les deux vaisseaux amiraux, s’étant rencontrés, une lutte meurtrière et implacable s’engagea entre eux. Pendant longtemps on ne sut de quel côté la victoire allait se décider. Enfin la Concorde, après avoir montré dans son feu un trouble inattendu, revira de bord et se mit en pleine retraite : c’est qu’un boulet venait d’emporter le devant du pied gauche et de casser les deux os de la jambe droite de Ruyter qui, en tombant, s’était en outre blessé à la tête. « Courage, mes enfants, courage ! » cria-t-il en tombant. L’avant-garde hollandaise s’étant retirée du combat dès ce moment, le corps de bataille et l’arrière-garde restèrent seuls engagés avec l’arrière-garde française. Enfin le vice-amiral de Haan, après des efforts désespérés, rallia le reste de l’armée hollandaise à la tombée de la nuit et rentra avec elle à Syracuse. Duquesne resta jusqu’au lendemain matin, tous ses fanaux allumés, sur le lieu de son triomphe ; puis il alla provoquer les ennemis dans le port où ils s’étaient réfugiés, sans les décider à en sortir. Telle fut cette grande victoire de l’Etna ou du mont Gibel, qui consacra définitivement la gloire maritime de Duquesne : Ruyter mourut sept jours après des suites de sa blessure. Le 28 mai 1676, Je vice-roi de Sicile, Vivonne, sortit de Messine avec Duquesne, toujours monté sur le Saint-Esprit, pour aller attaquer les flottes combinées de Hollande et d’Espagne jusque dans le port de Palerme, où elles étaient massées. Le 31 mai, la flotte française arriva en vue de Palerme ; le lendemain, la flotte hispano-hollandaise sortait de la ville, et le 2 juin la bataille s’engageait ; elle ne demeura pas longtemps incertaine. Bientôt douze vaisseaux hollandais et espagnols, incendiés par les brûlots de Duquesne, sautaient avec les amiraux de Haan, don Diego d’ibarra, don Francisco Freyre de la Cerda, Florès et tous ceux qui les montaient. Les Français n’eurent que des pertes relativement insignifiantes. En revenant, Duquesne rencontra la Concorde, qui ramenait en Hollande les restes mortels de son glorieux rival. Loin de s’opposer à son passage, il la salua respectueusement. Louis XIV ne voulut pas demeurer en reste ; il envoya l’ordre sur toutes les côtes de France de saluer au passage par des volées d’artillerie le vaisseau qui portait les restes du grand marin. Et pourtant Ruyter était protestant ! On peut donc trouver étrange que Louis XIV, lorsqu’il voulut récompenser dignement Duquesne de ses services, lui ait demandé d’abjurer sa religion pour le catholicisme, mettant à ce prix sa faveur et le bâton de maréchal, « Vous êtes protestant, monsieur Duquesne, » lui dit Louis XIV pour lui faire comprendre que cette qualité seule s’opposait à ce qu’il reçût cette haute distinction. « Oui, Sire, répondit le rude marin, mais mes services sont bons catholiques, » et Duquesne, dont le caractère était à la hauteur de la bravoure, refusa noblement et reçut, pour toute récompense, le domaine seigneurial du Bouchet, près d’Étampes, érigé pour lui en marquisat du Quesne par lettres du mois de février 1681. Deux ans plus tard, Duquesne fut chargé du commandement d’une escadre dans la Méditerranée, et brûla, dans le port même de Barcelone, un vaisseau espagnol de 60 canons. Peu après fut signée la paix de Nimègue, à laquelle n’avaient pas peu contribué les belles victoires navales de Duquesne. Le grand marin parut peu à la cour pendant la paix ; il n’était pas né pour être courtisan. En 1682, il fut chargé d’aller réprimer les pirates barbaresques jusque dans Alger, leur principal repaire. Il appareilla de Toulon le 12 juillet, et fut joint aux îles Baléares par cinq galiotes à bombes que Petit-Renan amenait lui-même du Havre et de Dunkerque. Peu après, il rallia des bâtiments qui croisaient sur les côtes d’Afrique, sous la conduite de Tourville et de Léry. En arrivant devant Alger, la flotte française se trouva composée de onze vaisseaux de guerre, cinq galiotes à bombes, quinze galères et quelques flûtes et tartanes. Le 21 août, on commença à bombarder la ville sans grand succès ; mais, le 30, le bombardement recommença avec un succès complet ; il fut renouvelé encore, et avec le même succès, dans la nuit du 4 au 5 septembre ; mais la saison devenant menaçante, Duquesne retourna hiverner à Toulon. Au mois de juin de l’année suivante, il reparut devant Alger avec son fils aîné, Henri Duquesne, et l’un de ses neveux, Duquesne-Mosnier. Il prit, cette fois, si bien ses dispositions, et les galiotes à bombes causèrent un si épouvantable dégât dans la ville d’Alger que la population tout entière se souleva et força le dey à implorer la clémence du vainqueur. Avant d’entrer dans aucun accommodement, Duquesne exigea qu’on lui rendît tous les chrétiens français, et même ceux des autres nations qui avaient été pris sur des navires portant pavillon de France. On lui en amena d’abord cent quarante-deux, au nombre desquels était un capitaine de la marine royale nommé de Beaujeu ; Duquesne ayant dit qu’il savait qu’il y en avait davantage dans Alger, et qu’il n’accordait que cinq jours pour les avoir, on lui en amena encore cinq cent quarante-six, et ce fut alors seulement qu’il consentit à entendre parler de traité. La paix semblait être conclue quand, le dey Baba-Hassan ayant été tué dans une nouvelle insurrection et remplacé par Mezzo-Morto, tout fut remis en question. La flotte française recommença le bombardement, qui continua, à diverses reprises, jusqu’au 18 août 1683. Duquesne revint alors à Toulon, se proposant de reprendre la partie l’année suivante ; mais Mezzo-Morto préféra se soumettre et implorer la paix. On la lui accorda, à la condition qu’il enverrait à Versailles un ambassadeur pour solliciter le pardon de Louis XIV, ce qui fut fait. L’année suivante, Duquesne fut chargé d’aller bombarder la ville de Gênes, pour la châtier d’avoir préféré l’alliance du roi Charles II d’Espagne à celle du roi. Duquesne appareilla de Toulon, emmenant à son bord le nouveau ministre de la marine, le marquis de Seignelay, et arriva devant Gênes le 17 mai 1684. Le bombardement commença dès le lendemain. Il dura tout d’abord trois jours et fit de grands ravages ; puis, après quelques pourparlers sans résultats satisfaisants, il fut repris avec une nouvelle activité et accompagné d’un feu terrible de tous les vaisseaux et d’un double débarquement de matelots, conduits d’un côté par le chef d’escadre d’Amfreville, qui fut blessé grièvement, et d’autre côté par le jeune duc de Mortemart, fils de Vivonne, accompagné de Tourville et de Léry, habile et brave marin, qui trouva dans cette affaire une mort glorieuse. Le principal faubourg de Gênes fut pris et entièrement ruiné. La ville elle-même allait être dévorée par les flammes quand le vent, venant à souffler, la sauva de l’anéantissement. Cependant le feu de la flotte n’était point interrompu ; il dura jusqu’à ce qu’il ne restât plus une seule bombe aux Français. On en avait lancé jusqu’à douze mille. Duquesne, après cette terrible exécution, renvoya ses galiotes, fit déposer Seignelay à Toulon et cingla vers les côtes de Catalogne, laissant à Tourville le soin de bloquer le port de Gênes avec une petite escadre, en attendant que l’on revînt bientôt bombarder de nouveau la malheureuse ville. Mais, avant qu’on eût eu encore une fois besoin de recourir à cette cruelle extrémité, les Gênois firent leur entière soumission, et, sur l’ordre de Louis XIV. on vit leur doge en personne, accompagné de quatre sénateurs, venir au pied du trône de France implorer le pardon royal. On sait à ce propos que quelqu’un ayant demandé au doge ce qu’il trouvait de plus surprenant dans le merveilleux palais de Versailles, celui-ci lui répondit : « C’est de m’y voir ! » L’expédition contre Gênes fut la dernière de Duquesne. Il y avait soixante ans qu’il servait son pays : il pouvait donc se flatter d’avoir conquis le droit de finir sa glorieuse vie dans le repos. Malheureusement, la révocation de l’édit de Nantes, en frappant d’exil les protestants de France, affligea l’âme de l’illustre vieillard. Ses enfants furent privés des emplois qu’ils occupaient dans l’armée et forcés de quitter la France. Lui seul, de tous les protestants français, fut excepté de la commune proscription et conserva son grade et ses honneurs. Néanmoins, Duquesne ne put supporter longtemps l’exil de ses coreligionnaires et de ses enfants. Il mourut à Paris le 2 février 1688, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Ses dernières paroles furent pour faire jurer à son fils aîné de ne pas servir contre son pays. On ne montra pas pour la dépouille mortelle du vainqueur de Ruyter le respect qu’on avait témoigné pour ses vieux jours : une sépulture honorable lui fut refusée ; on n’accorda même pas ses restes à son fils aîné, Henri Duquesne, qui s’était retiré en Suisse et qui les réclamait avec instance. Henri Duquesne protesta contre une telle injure, d’abord par une inscription qu’il fit placer dans l’église d’Aubonne, au canton de Vaud ; ensuite par un cénotaphe qui fut érigé sur les frontières de Genève, et sur lequel on lisait ces mots :

DUQUESNE FILS À SON PÈRE.

Ce tombeau attend les restes de Duquesne.
    Son nom est connu sur toutes les mers.
Passant, si tu demandes pourquoi les Hollandais
Ont élevé un monument à Ruyter vaincu
        Et pourquoi les Français
Ont refusé une sépulture au vainqueur de Ruyter,

Ce qui est dû de respect et de crainte à un monarque
  Dont s’étend au loin la puissance
       M’interdit toute réponse.

De tardives réparations ont été faites à la mémoire de l’héroïque marin. Louis XVI ordonna que son portrait fût placé dans les appartements royaux. Enfin, en 1844, la ville de Dieppe éleva dans son sein à l’illustre héros qu’elle avait vu naître une statue de bronze, dont l’inauguration se fit le 23 septembre 1844, au milieu de fêtes brillantes. Le nom de Duquesne, donné en 1810 au vaisseau-école de Toulon, est resté, depuis cette époque, celui d’un des bâtiments de la flotte ; c’est aujourd’hui un vaisseau à hélice de 80 canons. Une partie de la correspondance de Duquesne a été publiée par M. de Monmerqué, à la suite des Mémoires de Villette ; l’autre est entre les mains de ses héritiers.

— Bibliogr. Consultez les ouvrages suivants : Éloge historique d’Abraham Duquêne, par Dagues de Clairfontaine (Paris, 1766, in-8°) ; Éloge d’Abraham Duquesne, par P. Marquez (Toulouse, 1766, in-8°J ; Vie du marquis Du Quesne, par Richer (Paris, 1783, 1817, 1835, in-12 ; 5e édit., Troyes, 1834, in-12) ; Esquisse de la vie de Du Quesne, par P.-J. Féret (Dieppe, 1844, in-16, portr.) ; Vie de Duquesne, par un officier de marine (Rouen, 1853, in-18 ; plusieurs fois réimprimé en 1 vol. in-12) ; Vie de Duquesne, édition revue par René d’Isle (Limoges, 1859, in-18) ; Eliacim Jourdain, Une lettre autographe de Duquesne (Dieppe, 1862, in-8° ; extrait de la Revue de la Normandie) ; Notice biographique et généalogique sur Duquesne et sa famille (Paris, 1864, gr. in-8° ; extrait du Nobiliaire de Normandie, de M. de Magny). Consultez encore : Hennequin, Biographie maritime ; Eugène Sue, Histoire de la marine française ; F. Chassériau, Précis historique de la marine française ; L. Guérin, Histoire maritime de la France ; le même, les Marins illustres de la France.

Duquesne (portraits de). Le musée de Versailles possède un portrait de Duquesne peint par un artiste inconnu du XVIIe siècle. Le célèbre marin est représenté en buste, revêtu de son armure de guerre, et ayant une grande perruque à la Louis XIV. Ce portrait a été gravé par le pantographe Gavard. Un autre portrait, exécuté à l’aquarelle, figure dans la collection iconographique du cabinet des estampes, à la Bibliothèque impériale ; il porte en marge cette inscription : « Le Grand Du Quesne, copié d’après un tableau appartenant à un de ses parents de la ville de Dieppe. » Ce portrait, dont l’attitude et l’arrangement rappellent le style de Rigaud, nous montre Duquesne appuyant une main sur son bâton de commandement et cachant l’autre sous un grand manteau rouge jeté par-dessus sa cuirasse. Le visage, de trois quarts, est intelligent et plein de feu.

Les portraits de Duquesne gravés et lithographies sont nombreux. Un des plus anciens est celui qui a été dessiné par Habert, d’après nature (ad vivum faciebat) ; il est peu expressif et d’une exécution très-médiocre. Le meilleur est celui qu’a gravé Edelinck : Duquesne y est représenté enbuste, de trois quarts, avec une cuirasse, une cravate dont les bouts flottants sont bordés de guipure, et une grande perruque. On ne voit pas les mains. Le nez, aquilin, est très-busqué. La moustache et la mouche sont fines. Les traits ont une certaine rudesse, mais la physionomie est spirituelle et souriante. Ce portrait a été reproduit plus ou moins exactement par une foule de graveurs, notamment par Robert de Launay (en contre-partie), par Ridé (en couleur, 1787), par Voyez l’aîné, par Finquet, par Alph. Boilly (1822), par F.-L. Couché, par Desrochers, par Landon (au trait), etc. La gravure de ce dernier indique que le portrait d’après lequel elle a été exécutée a été peint par H. Rigaud ; nous ne savons sur quoi repose cette attribution ; ce qui est certain, c’est que Landon n’a fait que donner le trait de 1 estampe d’Edelinck. La gravure de Ficquet, qui reproduit également cette estampe, porte la mention : Petiieau pinx. Hesse, A. Maurin, Féret ont fait d’assez médiocres lithographies d’après la gravure d’Edelinck. Il y a encore des portraits gravés par N. Ponce (d’après C.-P. Marillier), par Pierron, pur Fr. Hubert, par Pollet (d’après Raflet), etc. Sur ces derniers portraits, le nom est tantôt écrit Du Quesne, tantôt Duquesne.

Nous connaissons trois statues de Duquesne : l’une, en marbre, de 4 mètres de hauteur, sculptée par Roguier, décore la cour d’entrée du palais de Versailles ; elle représente Duquesne, debout, la main droite appuyée sur un obusier et tenant un plan, la gauche montrant a. l’horizon la ville d’Alger, que le célèbre marin ordonne k son escadre de bombarder ; la seconde des trois statues a été sculptée par Dantan aîné (1842). pour

DUQU

la ville de Dieppe, patrie de Duquesne ; la troisième, sculptée par De Bay père, décore la Bourse de Nantes. La statue de Roguier a été gravée au trait par Frémy, par Pigeot et par Réveil. Celle de Dantan aîné a été lithographiée par Hazé.