Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DUBOIS-CRANCÉ (Edmond-Louis-Alexis), constituant, conventionnel, général et ministre

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1315).

DUBOIS-CRANCÉ (Edmond-Louis-Alexis), constituant, conventionnel, général et ministre, né à Charleville en 1747, mort à Réthel en 1814. Avant la Révolution, et même encore en 1789, il signait de Crancé de Balham, du nom d’une propriété, comme nous l’avons vu dans une lettre écrite de sa main, datée du 6 août 1789. Il servit dans les mousquetaires, devint lieutenant des maréchaux de France, et fut élu, en 1789, député du tiers état de Vitry-le-François. Il se prononça énergiquement pour la cause de la Révolution, et prit l’initiative de la plupart des réformes introduites dans notre régime militaire. Il appuya fortement l’organisation des gardes nationales et demanda que tous les citoyens en fissent partie, à l’exception des mendiants et des vagabonds. Nommé secrétaire de l’Assemblée en novembre 1789, il combattit l’ancien système de recrutement et présenta le 12 décembre, au nom du comité militaire, un rapport où se trouve la première idée de la conscription, qui ne devait être admise que plus tard, et dont l’empire fit un si déplorable abus, grâce à des modifications qui en ont altéré le caractère national. Il se prononçait avec énergie contre le remplacement militaire et en caractérisait ainsi les effets : « 11 faut que chaque homme, dès que la patrie sera en danger, soit prêt à marcher. Si vous tolérez une fois les remplacements, tout est perdu ; de proche en proche, tous les riches voudront se soustraire au service personnel, et les pauvres resteront seuls chargés de cette fonction si noble pour un peuple libre. Alors le métier des armes retombera dans son avilissement, le despotisme en profitera, et vous redeviendrez esclaves... Si la nation s’endort, son sommeil sera celui de la mort. » Ce fut lui qui fit consacrer légalement ce noble principe, admis déjà chez nous, que tout esclave qui toucherait le sot de la France serait libre de droit.

Dubois-Crancé vota constamment avec l’extrême gauche, fut nommé maréchal de camp après la session, mais refusa de servir sous les ordres de La Fayette, et préféra rester dans la garde nationale comme simple grenadier.

Nommé député des Ardennes à la Convention nationale, il prit place à la Montagne, vota la mort du roi sans appel ni sursis, présenta quelques jours plus tard un rapport sur l’organisation des armées de la République, fit amalgamer les troupes de ligne avec les volontaires et adopter un mode d’avancement qui permit aux sous-officiers capables de s’élever en peu de temps aux premiers grades. Il joua un rôle actif dans la lutte de la Montagne contre les girondins, puis fut envoyé à l’armée des Alpes au mois d’août 1793, avec la mission de réduire Lyon révolté. Il déploya beaucoup d’activité, commença les opérations du siège avec Kellermann et les poussa avec la plus grande vigueur ; mais l’opiniâtreté de la résistance ayant prolongé les travaux de l’attaque, il fut accusé de modérantisme, de tiédeur, remplacé par Couthon, et même frappé d’un mandat d’arrêt par le comité de Salut public. Tout était d ailleurs à peu près terminé, et Couthon n’eut plus, pour ainsi dire, qu’à entrer triomphalement dans la ville.

De retour à Paris, Dubois-Crancé se justifia facilement des faits controuvés ou faux dont on l’accusait, fit rendre un décret en faveur de la famille du chevalier de La Barre, fut exclu un peu plus tard des jacobins par l’influence de Robespierre et se joignit à ceux qui l’écrasèrent au 9 thermidor. Il proposa ensuite que le renouvellement du comité de Salut public eût lieu tous les mois par quart, et se lança, comme tant d’autres, dans la réaction thermidorienne, lui qui voulait précédemment qu’on n’admît aux jacobins que des hommes ayant fait leurs preuves dans la Révolution et qui pourraient répondre d’une manière satisfaisante à cette question singulière : « Qu’as-tu fait pour être pendu si la contre-révolution triomphait ? »

Rentré lui-même dans la puissante société, dès lors épurée des robespierristes, il prononça un discours apologétique de sa conduite, attaqua Maignet à la Convention, pour l’incendie de Bédouin, accusa Jean Debry de fédéralisme, provoqua la mise en liberté de beaucoup de prisonniers, fut, en un mot, un des auxiliaires les plus ardents des Tallien et des Fréron dans leur implacable guerre contre les débris du parti montagnard. Mais c’était chez lui affaire de passion, de tempérament, de circonstance ; au fond, il était d’un républicanisme sincère, et quand il eut vu les progrès du royalisme, il se retourna avec la plus grande énergie contre ces éternels ennemis. À la veille de l’insurrection royaliste de vendémiaire, il provoqua d’énergiques mesures de défense, entra dans la commission des Cinq et fit accueillir par la Convention les patriotes qui s’offraient pour la défendre, et que les réactionnaires prétendaient flétrir de l’éternelle accusation de terrorisme.

Après la session conventionnelle, Dubois-Crancé fut réélu au conseil des Cinq-Cents et demeura fidèle à ses principes républicains. Sorti du conseil avant le 18 fructidor, il fut appelé aux fonctions d’inspecteur général de l’infanterie, puis au ministère de la guerre en 1799, en remplacement de Bernadotte. Sa courageuse opposition au coup d’État du 18 brumaire lui valut une honorable disgrâce. Il rentra dès lors dans la vie privée et vécut dans la retraite et l’obscurité pendant tout le Consulat et l’Empire, avec la dignité fière qui convenait à l’un des fondateurs de la République.

Dubois-Crancé avait une taille élevée et la physionomie la plus imposante. David l’a placé sur le premier plan dans sa magnifique esquisse du Jeu de paume. II est un de ceux qui, avec Carnot, ont émis le plus d’idées sur l’organisation militaire qui convient à une démocratie, et aujourd’hui, après nos désastres récents, il ne serait pas sans utilité de remettre en lumière ce qu’ont voulu à cet égard et ce qu’ont exécuté les pères de la Révolution et de la société moderne.

Voici les titres des principaux opuscules de Dubois-Crancé : Observations sur la constitution militaire ou Bases de travail proposées au comité militaire (1789, in-8o) ; Examen du mémoire du premier ministre des finances, lu à l’Assemblée nationale le 6 mars 1790 (in-8°) ; Lettre ou Compte rendu des travaux, des dangers et des obstacles à l’Assemblée nationale (1790, in-8o) ; Tableau des persécutions que Barère a fait éprouver à Dubois-Crancé pendant quinze mois (1795, in-8o) ; Réplique de Dubois-Crancé à Barère (1795) ; Dubois-Crancé aux jacobins, en rentrant dans la société : Mémoires sur la contribution foncière, suivis d’un projet de loi motivé, pour opérer la conversion de l’impôt en numéraire et en prestation en nature dans toute la République (1804, in-8o). On lui attribue aussi : Véritable portrait de nos législateurs ou Galerie des tableaux exposés à la vue du public le 5 mai 1789 jusqu’au 1er octobre 1791 (Paris, 1792, in-8o), etc. Enfin il faudrait ajouter de nombreux discours et rapports relatifs à l’organisation militaire.