Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Chansons de Hugues Guérin, dit Gaultier Garguille

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 929).

Chansons de Hugues Guérin, dit Gaultier Garguille, publiées en 1634. Lors de la publication de ses chansons, l’auteur se défendit de toute vanité littéraire : la crainte qu’on ne fît passer sous son nom des compositions ordurières l’a seule engagé, dit-il, à se faire imprimer. Si le ton général de ses chansons est, en effet, très-leste, si les expressions affectent parfois une crudité cynique, Gaultier Garguille a le talent d’écarter les mots orduriers ; sa plaisanterie est, d’ordinaire, aussi convenable dans la forme qu’elle l’est peu dans le fond. En voici une preuve qu’il est inutile de commenter :

S’il y a quelqu’un aussi
Qui ait besoin de lunettes,
Je lui en réserve icy
Une paire de bien faittes.
Qu’il vienne les essayer,
Quitte pour n’en rien payer.
L’un après l’autre venez
Y apporter votre nez.

Gaultier Garguille n’attachait pas grand prix à ces enfants de sa muse, car il disait :

En bouffonnant j’ay fait ces vers,
    En bouffonnant je te les donne.
    Ce n’est qu’une rime bouffonne.
Mais j’ay mis aujourd’hui mon esprit à l’envers.

Ces chansons se recommandent cependant par plus d’un mérite, et leur auteur a bien gagné ses lettres de naturalisation dans le pays des joyeux drôles ou dans l’abbaye de Thélème. « Sa joie et sa gaieté, dit M. Demogeot, sont confites en rire et en bons mots. » On sent le gai compère ami des belles, de la bouteille, de la table et du joyeux savoir, comme il nous l’apprend lui-même :

Jamais n’eschet d’occasion
Que Gaultier Garguille n’empoigne,
Car c’est l’artisan mieux appris
Qui fut jamais mis en besoigne,
Au grand attelier de Cypris.

Et quelle verve dans le couplet suivant !

Dans le fond d’une écurie,
Un gros cocher amoureux
Peignit d’un ton langoureux
L’excès de sa forte envie :
Morgue ! si je la tenais.
Comme je l’étrille, trille.
Morgue ! si je la tenais,
Comme je l’étrillerais !

Parfois une leçon de morale se cache sous le rire. Filles, méfiez-vous des garçons ; ils sont tous volages ; écoutez Toinette :

Robin, si j’eusse bien pensé
Que tu fusses si tost lassé,
Je fusse encore pucelle, da !
Dame, ne vous déplaise, da,
Dame, ne vous déplaise !

Puis à côté vient se placer le couplet badin et le leste propos :

Moi, je voudrais bien estre
      Femme d’un menuisier ;
Ils ne font rien que cheviller
  Et fouiller dans la cassette
         Verduron, durette.

De nos jours, de pareilles chansons sembleraient hasardées ; mais il faut se reporter par la pensée à l’époque de Gaultier Garguille, et se souvenir que les seigneurs de la cour se pressaient pour entendre ses ponts-neufs, comme ils se disputèrent les places aux pièces de Molière. Le succès de ces chants s’explique surtout parce qu’ils protestaient alors au nom de la vieille gaieté gauloise contre le faux goût prétentieux et lourd qui envahissait le théâtre avec les tragi-comédies et le monde avec le précieuses.

Ces chansons, spirituelles et plaisantes, offrent presque tous les thèmes sur lesquels ont été brodés, de nos jours, les couplets que les écoliers se répètent en cachette. Elles ont été fort souvent imitées, comme le constate Wolf dans ses Chansons récréatives ; mais les pastiches qu’elles ont fait naître ont perdu leur saveur et sont tombés dans la grossièreté, à l’exception de quelques-uns, comme celui que cite M. Champfleury dans son Réalisme. On comprend que la pruderie de ce temps hypocrite ne nous permette pas de faire déguster à nos lecteurs le sel de certains couplets de Gaultier Garguille, digne précurseur de Collé et de Vadé.