Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHASTELARD (Pierre DE BOSCOSEL DE), poëte français

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1062).

CHASTELARD (Pierre DE BOSCOSEL DE) poëte français, né en Dauphiné en 1540, mort en Angleterre en 1564. La vie de ce jeune seigneur se réduit à une histoire d'amour poétique et émouvante ; elle fit du bruit à cette époque, autant à cause de son issue tragique que de l'illustre origine de celui qui en fut le héros : Pierre de Boscosel de Chastelard n'était rien moins que le petit-fils du chevalier Bayard, car il avait pour mère Jeanne, fille naturelle du preux dauphinois. Le sang d'un héros coulait donc dans les veines de notre personnage, qu'une passion funeste entraîna à sa perte.

Chastelard fut placé par ses parents, sans doute en qualité de page ou de servant d'armes, dans la maison de Montmorency, ce qui lui donna accès à la cour de François II, où il eut occasion de voir la belle Marie Stuart. Il en devint subitement amoureux, au point d'en perdre la raison et tout sentiment de retenue et de prudence. Pierre cultivait la poésie avec quelque succès ; c'est dire qu'il se hâte de célébrer la beauté de la princesse. Celle-ci accueillit fort bien cet hommage enthousiaste, s'y montra sensible, et accorda, dit-on, plusieurs entretiens particuliers au jeune troubadour. Après la mort de François II, Marie Stuart étant partie pour l'écosse (1561), Boscosel figura dans l'escorte des gentilshommes qui accompagnèrent l'ex-reine. Il fallut ensuite retourner en France, mais il revint blessé au cœur. Pendant une année entière, il languit et soupira, Enfin, en 1563, il profita des troubles qui survinrent pour repasser le détroit et se rendre en écosse, Marie l'accueillit comme un ami dévoué, et sembla ainsi encourager les tendres sentiments du jeune seigneur français. Soit légèreté, soit manège de coquetterie, la reine avait pour son poursuivant des manières qui, dit Knox, cité par Mignet, « ne convenaient pas à une honnête femme. » Elle lui parlait avec un abandon tout particulier, et s'appuyait familièrement sur son épaule. C'était plus qu'il ne fallait pour exalter jusqu'au délire une âme passionnée. Le sire de Chastelard se crut aimé, et, un soir, il se cacha sous le lit de la reine ; celle-ci l'y ayant découvert lui signifia de ne plus paraître devant elle. Pierre, au lieu d'obéir, suivit secrètement Marie, s'attacha à ses pas, et, arrivé dans le comté de Fife, il commit une nouvelle imprudence. La princesse, profondément irritée, ordonna à ses gens de poignarder l'audacieux. On parvint à l'apaiser, mais on s'empara de Chastelard, qui fut livré à la justice comme coupable de lèse-majesté. Deux jours après, le descendant du chevalier sans peur et sans reproche était condamné à mort. Il marcha au supplice avec courage, en récitant l'épître de Ronsard sur la mort. Arrivé au lieu de l'exécution, il se tourna vers la reine, puis, levant les yeux au ciel, s'écria : « Ô cruelle dame ! » Il reçut le coup fatal en murmurant le nom de Marie. Ceci se passait en 1564, et Boscosel n'avait pas plus de vingt-cinq ans ! L'avenir, on le sait, devait faire cruellement expier à la reine d’Écosse la dureté qu'elle montra en cette circonstance.

Tous les cœurs sensibles s'émurent à la nouvelle de ce châtiment, et on rechercha avec empressement les vers du malheureux amant. On ne trouva qu'une seule pièce que nous a conservée Le Laboureur, dans ses Additions aux Mémoires de Castelnau. Le pauvre Chastelard n'avait qu'une corde à son luth, la corde de l'amour. Nous ne reproduisons que le début et la fin de cette pièce :

      Adieu, prez, monts et plaines,
       Rochers, forêts et bois,
       Ruisseaux, fleuves, fontaines,
       Où perdre je m'en vois ;
       D'une plainte incertaine
       De sanglots toute pleine,
          Je veux chanter
       La misérable peine
       Qui me fait lamenter.
      . . . . . . . . . . . . .
       Ces buissons et ces arbres
       Qui sont autour de moy,
       Ces rochers et ces marbres
       Sçavent bien mon esmoy ;
       Bref, rien de la nature
       N'ignore la blessure,
           Fors seulement
       Toy, qui prends nourriture
       En mon cruel tourment.