Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLES LE TÉMÉRAIRE, fils de Philippe le Bon et d’Isabelle de Portugal

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1013).

CHARLES LE TÉMÉRAIRE, fils de Philippe le Bon et d’Isabelle de Portugal, né à Dijon en 1433, tué devant Nancy en 1477. Il porta d’abord le titre de comte de Charolais et se fit remarquer, dès l’âge de vingt ans, aux batailles de Rupelmonde et de Morbecque par ce courage bouillant et irréfléchi auquel il devait demander dans la suite toutes ses inspirations et qui justifie le surnom sous lequel il s’est rendu fameux. La lecture des romans de chevalerie et des histoires de l’antiquité exalta encore son caractère orgueilleux, dominateur et violent, et nourrit en lui cette ambition du grandiose qui fut la source de ses fautes et de ses malheurs. L’un des premiers, il entra dans la ligue du Bien publie contre Louis XI, après avoir arraché le consentement de son père (1465), combattit l’armée royale à Montthéry, se joignit aux ducs de Berry et de Bretagne pour faire le siège de Paris, et obtint des conditions avantageuses au traité de Conflans (1466). Il alla ensuite châtier les cités flamandes de Dinant et de de Liège, qui s’étaient soulevées et les réduisit après une courte et sanglante campagne. Ivre de ces succès, il conçut dès lors de ses talents militaires une si haute idée, que les plus grands revers ne purent jamais le détromper. La mort de son père (1467) mit entre ses mains le gouvernement du duché, où déjà il agissait presque en souverain. Une nouvelle révolte des Liégeois, suscitée par Louis XI, vint augmenter sa haine contre ce monarque, qui commit l’imprudence de venir le trouver à Péronne pour l’apaiser et qui ne s’en tira que par les plus humiliantes concessions. Il fut même contraint de marcher avec son puissant vassal contre la cité dont il était l’allié secret. (Pour ce qui concerne l’affaire de Péronne, v. Péronne.) Le duo traita Liège avec sa cruauté habituelle, l’inonda de sang, l’épuisa d’argent et la couvrit de ruines. Bientôt il recommença la guerre contre le roi de France, se jeta comme un torrent sur la Picardie, enleva plusieurs villes, mais échoua devant Beauvais, défendu par Jeanne Hachette (1472). À Nesles, il fit couper le poing à toute la garnison, entra à cheval dans l’église encombrée de cadavres, et se félicita, à cette vue, d’avoir avec lui de bons bouchers. Néanmoins, ces fureurs, ces emportements insensés échouèrent devant l’habileté et la froide astuce de Louis XI, qui débauchait à petit bruit les amis de son bon cousin de Bourgogne, lequel facilitait cette tâche par son orgueil hautain et par son despotisme. Le mauvais succès de cette campagne tourna d’un autre côté son ambition et son orageuse activité. Maître de vastes États, il souffrait de n’être que le vassal du roi de France et rêvait de faire ériger son duché en royaume gallo-belge. Les plus vastes projets comme les plus insensés fermentaient dans son esprit. « Il ordissoit, dit son serviteur Olivier de la Marche, plus d’entreprises que trente vies d’hommes n’eussent sçu faire. » Il convoitait la vallée du Rhin, la Suisse, la Lorraine, le Milanais, rêvait une expédition contre les Turcs, voulait reconstituer le royaume de Bourgogne et sollicitait l’empereur Frédéric pour en obtenir le titre de roi, en même temps qu’il le blessait par son humeur impérieuse et hautaine. Déçu dans son espoir, il se jeta sur l’Allemagne avec sa furie accoutumée, languit inutilement pendant dix mois au siège de Neuss (1474) et dut battre en retraite poursuivi par les impériaux. Il fut plus heureux au siège de Nancy et soumit la Lorraine, dont le jeune duc René II fit alliance avec les Suisses, travaillés par Louis XI et d’ailleurs inquiets sur les projets de leur formidable voisin. Charles tourna bientôt tous ses efforts contre eux, et, malgré leurs représentations que tout ce qu’il trouverait chez eux ne valait pas les éperons de ses chevaliers, il franchit le Jura et alla prendre Granson, où il fit pendre ou noyer les 800 hommes qui l'avaient défendue et qu’il avait reçus à composition. Cette perfide cruauté ne tarda pas à être punie. Le taureau d’Uri mugit dans la montagne, l’armée des Suisses descendit comme une avalanche et culbuta du premier choc la brillante armée du duc de Bourgogne, réduit à s’enfuir à travers les gorges du Jura (bataille de Granson, 3 mars 1476). Frémissant de colère et de honte, Charles épuise ses États, redescend bientôt en Suisse avec 30,000 hommes et vient mettre le siège devant Morat. Les confédérés, commandés par René de Lorraine, écrasèrent de nouveau et firent un si grand carnage de son armée, qu’ils purent construire un monument commémoratif des ossements des vaincus (22 juin). Ils profitèrent ensuite de la déroute des Bourguignons pour se jeter sur la Lorraine et pour y rétablir leur vaillant capitaine le duc René. En quelques semaines, Charles reforma une armée et vint mettre le siège devant Nancy, secourue par 20,000 Suisses ; affaibli par la défection d’un capitaine italien, Campo-Basso, il n’en persiste pas moins à livrer bataille, malgré l’avis de ses meilleurs officiers, est écrasé de nouveau et périt lui-même dans le combat ou dans la déroute (5 janvier 1477). Son cadavre ne fut retrouvé que quelques jours plus tard, nu, couché sur le ventre et le visage dans les glaçons d’un marais. Suivant une version, il aurait été tué par un gentilhomme lorrain qui ne l’avait point reconnu. En lui finit cette maison de Bourgogne, la plus puissante des dynasties féodales, et dont la grandeur faillit compromettre le développement de la nationalité française.

Charles le Téméraire est resté une des grandes figures du moyen âge, une de ces figures légendaires qui laissent une empreinte profonde dans l’imagination des peuples, et il a cela de commun avec dom Sébastien de Portugal et Frédéric Barberousse. Les Bourguignons ne voulaient pas croire à sa mort, et, cinquante ans encore après le drame de Nancy, on voyait des paysans qui vendaient une vache le double de son prix payable le jour où reparaîtrait le grand duc.

Charles le Téméraire, roman historique anglais, par sir Walter Scott. C’est en 1474, dans les cantons des forêts de la Suisse que commence cette histoire. Deux voyageurs, l’un déjà âgé, l’autre encore jeune, portant le costume de simples marchands anglais, après avoir quitté la ville de Lucerne, se dirigent vers Bâle. Ils sont surpris en route par un orage, égarés par l’inexpérience de leur guide, et reçoivent l’hospitalité du landamman Arnold Biederman, dans son manoir de Geierstein (nid de vautours). Le vieux marchand, qui prend le nom de Philipson, annonce à son hôte qu’il doit se rendre auprès du duc Charles le Téméraire, pour traiter avec lui d’importantes questions commerciales ; le landamman, qui doit également aller faire au duc de Bourgogne des propositions de paix de la part de la confédération helvétique, offre au vieux marchand et à son fils Arthur la protection de son escorte et son offre est acceptée. En même temps qu’il doit accomplir cette importante mission, le landamman doit ramener à son frère Albert de Geierstein sa fille Anne, dont il a pris soin depuis plusieurs années que ce dernier erre proscrit en Suisse, en Bourgogne et en Allemagne. Le jeune Arthur n’a pu voir cependant, sans en être impressionné, les charmes de cette jeune fille, dont le sort, semble-t-il, doit l’éloigner bientôt pour toujours. Quelques jours après, la petite troupe se met en marche pour Dijon, résidence habituelle du duc Charles. En chemin, les voyageurs sont arrêtés devant le château de La Ferrette, dont le gouverneur, Archibald Hagenbach, homme avide et cruel, fait arrêter les deux marchands anglais pour s’emparer des marchandises précieuses qu’il suppose en leur possession, et leur prend un magnifique collier de diamants destiné au duc de Bourgogne. Malgré leurs réclamations, le père et le fils sont plongés dans les cachots de La Ferrete ; ils vont périr victimes de la rapacité d’Hagenbach, lorsqu’ils sont délivrés par un prêtre mystérieux, l’abbé de Saint-Paul, qui n’est autre que le comte Albert de Geierstein, conduit par sa charmante fille. En même temps, les Suisses entrent dans la ville révoltée et mettent à mort le gouverneur. Le vieux marchand se sépare alors de son fils pour aller s’acquitter de sa mission auprès de Charles le Téméraire. Arrivé à Dijon, il est introduit auprès de ce prince, duquel il se fait reconnaître pour le comte d’Oxford, partisan de la maison de Lancastre dans la guerre des Deux-Roses et chargé d’une mission de confiance par la malheureuse Marguerite d’Anjou, fille du roi René et femme de Henri VI. Le comte d’Oxford engage le duc à renoncer à la guerre qu’il veut entreprendre contre les Suisses et à appuyer les droits de Marguerite d’Anjou à la couronne d’Angleterre, lui promettant, au nom de cette princesse, la succession du roi René. La perspective flatteuse de réunir la Provence à la Bourgogne dispose tout d’abord Charles le Téméraire en faveur de cette proposition, et le comte d’Oxford envoie son fils Arthur, qui est venu le rejoindre, à Marguerite d’Anjou, pour obtenir du roi René sa ratification à ce traité. Malheureusement, le duc de Bourgogne, irrité des prétentions des cantons suisses et de la liberté avec laquelle ils les formulent, les oblige à lui déclarer la guerre. Il est successivement battu par ces ennemis qu’il méprisait, à Granson et à Morat, et la mort de Marguerite d’Anjou décide le roi René à repousser toute transaction avec Charles le Téméraire vaincu et affaibli, pour soutenir les droits de son petit-fils René de Vaudemont. Le duc de Bourgogne trouve enfin la mort au siège de Nancy, où il est traîtreusement assassiné par Albert de Geierstein, chef de la Vehme-Gericht ou tribunal des liens, sorte de franc-maçonnerie politique qui avait déclaré le duc Charles hors la loi. Quelques critiques ont reproché à sir Walter Scott de s’être écarté de l’histoire dans ce dénoûment, lorsqu’il fait mourir Charles le Téméraire sous la sentence du tribunal secret : il nous semble d’abord que les romans de sir Walter Scott sont avant tout des romans et non des ouvrages purement historiques ; mais la mort du duc de Bourgogne ayant donné lieu dans le temps à plusieurs traditions, fabuleuses sans doute, le romancier avait le droit de choisir celle qui lui convenait le mieux. Le comte Albert de Geierstein meurt en accomplissant la vengeance de la Vehme, mais il a confié auparavant l’avenir de sa fille au jeune Arthur d’Oxford, et lorsque ces événements sont accomplis, ce dernier revient en Suisse, où il épouse la jeune fille et où il séjourne quelques années avec son père sous leur nom supposé de Philipson. Cependant, au bout de quelques années, la maison de Lancastre reprend son ascendant ; cette nouvelle fait sortir de leur retraite le comte d’Oxford et son fils, qui jouent de nouveau un rôle dans les affaires politiques, et, après avoir contribué au succès de la célèbre bataille de Bosworth, reprennent définitivement leur rang à la cour du roi Henri VII d’Angleterre. Telle est, en résumé, l’histoire compliquée, mais toujours intéressante, dont, avec son art habituel, sir Walter Scott a su tirer un récit attachant. À défaut de l’exactitude historique, pour laquelle nous avons fait nos réserves, il a conservé la teinte qui leur est propre aux événements, fait parler comme il convenait les personnages de son roman et laissé tomber de son merveilleux pinceau des descriptions inimitables des lieux où se passe successivement l’action. Dans le vaste cadre adopté par l’auteur, on voit se dessiner chacune de ses créations avec sa physionomie propre : le Suisse du XVe siècle, le seigneur féodal et ses vassaux, le moine, le franc-juge du fameux tribunal secret, la Vehme, les bourgeois des villes franches, les condottieri et leur chef, le troubadour, le chevalier, bref tout le vivant panorama de ce moyen âge si chaud, si pittoresque et si coloré.