Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLES IV

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1013).

CHARLES IV, né en 1604, mort en 1675, succéda au duc Henri, son oncle, en 1624. Il avait été élevé à la cour de Louis XIII. En 1631, il accueillit Gaston d’Orléans fugitif et lui donna en mariage sa sœur Marguerite. Cette conduite lui attira la colère de Richelieu, et Louis XIII lui prit Nancy et diverses autres places. Pendant le cours d’une vie fort agitée, il perdit ainsi et recouvra plusieurs fois son duché, que la paix des Pyrénées lui rendit définitivement, se mêla aux intrigues de la Fronde, à la guerre de Trente ans, comme allié de l’Autriche, gagna sur les Suédois la bataille de Nordlingen, et mourut en 1675 après avoir pris une part active à la ligue de la Hollande, de l’Espagne et de l’empereur contre Louis XIV. « Charles IV, disent les bénédictins, avec des qualités de héros, mena la vie d’un aventurier. Son inquiétude, son imprudence et son indiscrétion furent la source de ses malheurs et entraînèrent la ruine de sa maison. » Il n’eut point d’enfant de Nicole, qu’il avait épousée en 1621, lorsqu’il avait à peine dix-sept ans, et qu’il répudia en 1637 pour épouser Béatrix de Cusance, veuve du prince de Cantecroix. Ce second mariage, contracté sur l’avis du P. Cheminot, jésuite, confesseur accommodant, qui prétendait que le premier, dans son principe, était nul « par défaut de liberté, » fut cassé par le pape Urbain VIII (1639). Mais le duc n’en continua pas moins à vivre avec Béatrix. Celle-ci l’accompagnait dans ses voyages et partout où il allait guerroyer, ce qui la fit surnommer sa femme de campagne. Malgré son attachement à la princesse de Cantecroix, il devint amoureux à Paris de Marianne Pajot, qu’il voulut épouser du vivant même de sa femme de campagne : le contrat en fut passé le 18 avril 1662 ; mais le roi, on ne sait pas bien par quel motif politique ou autre, fit mettre Marianne dans un couvent, ainsi que la demoiselle de Saint-Rémi, que Charles voulut épouser peu après. Il devint ensuite amoureux, en 1663, de Mme de Ludres, chanoinesse de Poussai, qu’il eût épousée sans les oppositions de la princesse de Cantecroix. Après la mort de celle-ci, arrivée le 5 juin 1663, il épousa, le 17 juillet 1665, Louise-Marguerite, fille de Charles, comte d’Apremont-Nanteuil, dont it, n’eut point d’enfant. Il mourut dix ans après, ne laissant que très-peu de biens à sa veuve, rien à ses enfants issus de son second mariage, M. de Vaudemont et Mme de Lillebonne, et un vain titre de prétendant à Charles, son neveu, fils de son frère Nicolas-François, qui était mort à Nancy cinq ans avant lui. En 1695, quelqu’un qui ne se fit connaître que par les initiales L. D. F., fit imprimer un petit recueil de 170 pages, composé de pièces de divers auteurs et devenu de la plus grande rareté, où, entre autres choses curieuses, on trouve, d’un auteur anonyme et resté inconnu, une pièce en vers très-spirituels et bien tournés, que nous n’avons vue nulle autre part ailleurs. Elle porte pour titre : Testament de Charles IV, duc de Lorraine, et résume assez bien la vie de cet aventureux personnage. La voici ; Charles IV est censé parler lui-même dans ce plaisant testament :


TESTAMENT DE CHARLES IV, DUC DE LORRAINE.


      Sain d’esprit et de jugement.
            Et voisin de ma dernière heure,
Je donne à l’empereur, par ce mien testament,
            Le bon soir avant que je meure.
Je destine à ma veuve un fonds de bons désirs
            Dont il sera fait inventaire,
            Pour sa demeure, un monastère.
    Le célibat pour ses menus plaisirs,
            La pauvreté pour son douaire.
Je donne à Vaudemont un peu d’affliction
            Et de regret à ma personne.
            Avec ma bénédiction
            Pour madame de Lillebonne.
Je laisse à mon neveu mon nom,
Seul bien qui m’est resté de toute la Lorraine,
Si ce prince ne peut le porter, qu’il le traîne ;
            La France le trouvera bon.
            Pour acquitter ma conscience,
En maître libéral je me sens obligé
De remplir de mes gens la servile espérance :
            Je leur donne donc leur congé ;
            Qu’ils le prennent pour récompense.
            Je nomme tous mes créanciers
            Exécuteurs testamentaires,
Et consens de bon cœur qua mes frais funéraires
Se fassent aux dépens de leurs propres deniers.
            Qu’on me fasse des funérailles
            Dignes d’un prince de mon nom.
            Et qu’on embaume mes entrailles
            Avec de la poudre à canon ;
Que mon enterrement solennel et célèbre
Fasse bruit dans tous les quartiers,
Et que les plus menteurs de tous les gazetiers
            Fassent mon oraison funèbre ;
            Que, durant l’espace d’un jour.
            On m’expose sous une tente.
            Et que l’épitaphe suivante
Se lise en mon honneur sur la peau d’un tambour :

            Ci-gît un pauvre duc sans terres
            Qui fut jusqu’à ses derniers jours
            Peu fidèle dans ses amours,
            Et moins fidèle dans ses guerres.
            Il donna librement sa foi
            Tour à tour à chaque couronne.
            Et se fit une étroite loi
            De ne la garder à personne.
            Trompeur même en son testament,
            De sa femme il fit une nonne.
            Et ne donna rien que du vent
            À madame de Lillebonne.
            Il entreprit tout au hasard,
            Il se fit blanc de son épée ;
            Il fut brave comme César,
            Et malheureux comme Pompée ;
            Il se vit toujours maltraité
            Par sa faute et par son caprice ;
            On le déterra par justice.
            On l’enterra par charité.