Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHAMP DE MARS à Rome

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 889-890).

CHAMP DE MARS à Rome, nom sous lequel on désigne une vaste plaine située au bord du Tibre et au pied des sept collines de la ville éternelle. Cette plaine n’est guère moins célèbre que le Forum lui-même. À l’origine de la fondation de Rome, le champ de Mars était une vaste prairie embrassant tout l’intervalle qui s’étend du Tibre au Capitole et au Quirinal, et séparant du fleuve la ville, qui était étagée sur sept collines, et qui ne descendait pas dans la plaine. Ces prairies étaient consacrées au dieu Mars ; on y élevait des chevaux et on y exerçait déjà la jeunesse romaine au métier des armes. Tarquin le Superbe s’empara de ce terrain, qui appartenait au domaine public, et le fit cultiver à son profit. Lors de l’expulsion des rois, les consuls remirent la ville en jouissance de cette propriété, qui était la sienne. Au moment où eut lieu cette restitution, de magnifiques gerbes de blé couvraient toute l’étendue du champ de Mars ; le peuple, ne voulant pas toucher à ces grains qu’il regardait comme impurs, jeta toutes les gerbes dans le Tibre. La tradition rapporte qu’elles s’arrêtèrent non loin de là, au milieu du fleuve, et formèrent le premier noyau d’un atterrissement qui devait être l’île du Tibre, île aujourd’hui considérable et très-peuplée. Dès ce jour, le champ de Mars fit partie intégrante de la ville, quoique situé hors des murs. Il ne fut guère moins fréquenté que le Forum, et, comme lui, joua un rôle dans presque tous les actes de la vie privée et publique des Romains. C’était là que se tenaient les comices, qu’avaient lieu les élections ; c’était là que les jeunes gens et les hommes faits venaient s’exercer soit à la milice, soit aux jeux gymnastiques ; là, ils s’étudiaient à manier toutes sortes d’armes, à dompter des coursiers, à les monter sans prendre d’élan, tantôt sans armes, tantôt une épée à la main ; ils s’y exerçaient également au saut, à la course, à la lutte, à l’escrime et à la palestre ; puis, tout couverts de sueur, d’huile et de poussière, à la suite de ces jeux guerriers auxquels ils se livraient sous un soleil ardent, ils se jetaient dans le Tibre, qu’ils traversaient à la nage, et venaient ensuite recommencer leurs jeux. Ce fut l’habitude quotidienne de ces exercices violents qui aguerrit les Romains, au point que dans leurs expéditions ils pouvaient endurer toutes les fatigues, résister à tous les climats et triompher de leurs ennemis, aussi bien par la force que par la souplesse ou par l’agilité. C’était une honte et une marque d’infamie pour un jeune Romain que de rester étranger à ces jeux, où les guerriers les plus éprouvés sentaient le besoin de venir se retremper eux-mêmes. Plus d’une fois on vit Marius, qui avait été sept fois consul, descendre dans l’arène, malgré son embonpoint excessif, et disputer le prix de la palestre avec les jeunes gens.

À mesure que la cité s’agrandit, que la république prit de l’accroissement, le champ de Mars s’accrut et s’embellit. La culture en disparut peu à peu, des promenades s’y dessinèrent, des monuments magnifiques y furent élevés, et, au commencement de l’empire, le champ de Mars fut un des quartiers les plus beaux de Rome, un de ceux qui donnaient le mieux l’idée de la grandeur et de la puissance romaine. Tout en restant hors de la ville, il en était, pour ainsi dire, un point central. Parmi les principaux monuments qui l’ornaient, il faut citer le théâtre Marcellus, dont les auteurs anciens nous ont laissé de si pompeuses descriptions ; le cirque Flaminien, théâtre essentiellement démocratique et populaire ; la villa Publica, somptueux édifice tout resplendissant de marbres et de dorures, destiné à donner l’hospitalité aux ambassadeurs étrangers ; le mausolée d’Auguste, grosse tour ronde à trois étages concentriques, dont le diamètre allait en décroissant de la base au sommet. Le retrait laissé par chaque étage était rempli de terre et planté d’arbres verts, dont le sombre feuillage contrastait avec le marbre blanc des murailles ; le Diribitorium, immense construction où l’on faisait la paye des soldats ; les septa Julia, portiques en marbre de 5, 000 pieds de long, supportés par des centaines de colonnes, que César avait fait bâtir pour remplacer les septa en bois qui servaient autrefois aux élections. Ces nouvelles septa étaient en marbre ; mais les élections n’existaient plus, ayant disparu avec la liberté. Enfin, un des plus beaux ornements du champ de Mars était le fameux Panthéon, qu’on voit encore à Rome, mais dont on ne peut deviner l’effet, enterré qu’il est au milieu de vieilles et noires masures. Ajoutons à cela des bois sacrés, formant des promenades ; des obélisques en granit oriental, surtout le fameux Gnomon, obélisque d’un seul morceau de granit rouge de 73 pieds de hauteur, sur le sommet duquel se trouvait un cadran solaire. On comprend qu’un endroit semblable soit devenu un lieu de promenade ; on disait : « Allons au champ, comme nous disons : « Allons au bois, » et les Romains de l’empire se promenaient en curieux et en flâneurs, là où leurs pères avaient lutté et combattu en hommes et en citoyens. Le sol du champ de Mars était sacré et il n’était pas permis d’y bâtir. Ce ne fut qu’à l’époque des invasions étrangères que la ville commença à descendre des hauteurs dans la plaine. Les barbares en furent cause ; le jour où ils coupèrent les aqueducs, ils privèrent les Romains de l’eau qu’ils recevaient du dehors, et par là les forcèrent à quitter les hauteurs et à se presser autour du Tibre. Rome moderne occupe juste l’emplacement de l’ancien champ de Mars.