Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CAMPAN (Jeanne-Louise-Henriette GENET, dame), célèbre éducatrice

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 1p. 224).

CAMPAN (Jeanne-Louise-Henriette Genet, dame), célèbre éducatrice, née à Paris le 6 octobre 1752, morte à Mantes le 16 mars 1822. Fille d’un premier commis aux affaires étrangères, qui, durant les loisirs que lui laissaient les devoirs de sa charge, s’adonnait avec quelque succès à l’étude des lettres, elle eut pour premier précepteur son père ; mais celui-ci appela bientôt à son aide Albanèse pour apprendre le chant à sa fille, Goldoni pour lui enseigner l’italien, et, pour la lecture, Rochon de Chabannes, Duclos, Barthe, Marmontel lui-même,

À quatorze ans, Henriette Genêt était un petit prodige d’intelligence, et ses maîtres le dirent tant qu’elle obtint la charge de lectrice de Mesdames Victoire, Sophie et Louise, filles de Louis XV, et bientôt, en 1775, celle de femme de chambre de Marie-Antoinette d’Autriche, épouse du dauphin.

Il faut lire dans les mémoires de Mme Campan, car ce n’est pas le lieu de transcrire, quoique pleines d’intérêt et de charme, les pages où elle raconte son départ de chez son père et sa présentation à la cour. Il y a des larmes dans ses yeux, certes, des regrets, mais des sourires aussi, de la joie, la joie de mettre pour la première fois et à quinze ans une robe à queue, des paniers. Elle est éblouie à Versailles : « Tout cet appareil, dit-elle, produisit un tel effet sur mes sens que je pouvais à peine me soutenir lorsqu’on m’introduisit chez les princesses. »

C’est chez Mesdames, où elle aimait à se retirer loin du bruit de l’orgie et du contact des maîtresses du roi, que Marie-Antoinette rencontra Henriette Genêt. « Souvent, raconte cette dernière, la dauphine la pria de l’accompagner sur la harpe pour chanter les airs de Grétry. » Elle voulait qu’elle n’interrompît point sa lecture quand elle entrait ; elle apprécia ses talents, elle aima son caractère et voulut elle-même la marier à M. Campan, fils du secrétaire intime de la reine. Louis XV la dota d’une pension de 5,000 livres.

Quoique toujours attachée à Mesdames comme lectrice, mais femme de chambre de la dauphine, dès lors et pendant vingt ans, elle ne quitta point Marie-Antoinette et montra le dévouement le plus absolu à la famille royale au milieu des orages de la Révolution. Au 10 août, lors de l’envahissement des Tuileries, elle courut de grands dangers, ne put obtenir de partager la captivité de la reine, et se retira à Coubertin, dans la vallée de Chevreuse,

Mais le 9 thermidor, qui venait de la sauver de l’échafaud devant lequel déjà elle inclinait sa tête, ne lui rendit pas ce que la Révolution lui avait fait perdre. La misère menaçait de frapper à la porte de Mme Campan, et d’autant plus grande, inexorable, que près d’elle la jeune femme avait sa mère, âgée de soixante et dix ans, les filles de sa sœur Mme Augière, qui s’était donné la mort dans les prisons de la Terreur, son mari malade, son fils âgé de neuf ans. « Il fallait vivre, dit-elle, et je n’avais plus rien au monde qu’un assignat de 500 francs. J’avais signé pour 30,000 francs de dettes pour mon mari. Je choisis Saint-Germain pour y établir une pension : cette ville ne me rappelait pas, comme Versailles, et les temps heureux et les premiers malheurs de la France ; elle m’éloignait de Paris, où s’étaient passés nos terribles désastres et où résidaient des gens que je ne voulais pas connaître. Je pris avec moi une religieuse de l’Enfant-Jésus pour donner la garantie non douteuse de mes principes religieux (le Directoire fit fermer la chapelle que Mme Campan avait cru pouvoir ouvrir dans son pensionnat). Je n’avais pas le moyen de faire imprimer mes prospectus : j’en écrivis cent et les envoyai aux gens de ma connaissance qui avaient survécu à nos affreuses crises. »

« Au bout d’un an, j’avais soixante élèves, bientôt après cent. Je rachetai des meubles ; je payai mes dettes. J’étais heureuse d’avoir retrouvé cette ressource si éloignée de toute intrigue. » (Extrait d’un mémoire dont Napoléon, pendant les Cent-Jours, a ordonné le dépôt aux archives des relations étrangères.)

Un jour, Mme de Beauharnais vint remettre à ses soins sa fille Hortense et sa nièce Émilie, et un an après environ, lorsque Bonaparte voulut fonder pour les filles de ses soldats la maison d’éducation d’Écouen, c’est à Mme Campan, dont il avait su apprécier les hautes qualités, et à M. de Lacépède, grand chancelier de la Légion d’honneur, qu’il en confia l’organisation et la direction.

On raconte que Napoléon disait un jour à Mme Campan : « Les anciens systèmes d’éducation ne valent rien ; que manque-t-il aux jeunes personnes, pour être bien élevées en France ? — Des mères, répondit Mme Campan. — Le mot est juste, reprit Napoléon. Eh bien ! madame, que les Français vous aient l’obligation d’avoir élevé des mères pour leurs enfants. »

« Créer des mères, » ces mots sont à la fois bien doux, bien profonds ; ils résument le but de l’éducation des femmes, ils sont tout un système et le seul vrai.

Le retour des Bourbons fut pour elle la source des chagrins les plus amers. Calomniée, desservie, pour les faveurs qu’elle avait reçues du gouvernement impérial, on alla plus loin encore : on l’accusa d’ingratitude, de perfidie même envers la famille royale : « Elle, dit M. de Lally, en faveur de qui Marie-Antoinette a écrit en 1792 une disposition de volonté dernière si honorable pour le dévouement de la sujette et pour la bonté de la souveraine ; à qui Louis XVI, dans la cellule des Feuillants, le 10 août 1792, a confié les papiers les plus secrets, les plus périlleux, pour qui il a détaché deux mèches de ses cheveux, lui en donnant une pour elle, une autre pour sa sœur, tandis que la reine, jetant alternativement ses bras autour de leur cou, disait : « Malheureuses femmes, vous ne l’êtes qu’à cause de moi, je le suis plus que vous. »

Mme Campan vit supprimer l’établissement d’Écouen et alla ensevelir sa douleur dans la retraite, à Mantes, près d’une de ses anciennes élèves, Mlle Crouzet, devenue la femme d’un médecin de mérite, M. Maignes. C’est entre les bras de ses amis, restés fidèles à sa mauvaise fortune, que, le 16 mars 1822, elle mourut d’une maladie de poitrine et d’un cancer au sein. Elle a laissé des nouvelles et des comédies à l’usage de la jeunesse, des ouvrages médiocres sur l’éducation, et des Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette (1822) qu’on lit avec un vif intérêt et qui sont écrits d’un style nature). On a publié sa Correspondance avec la reine Hortense (1835).