Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BUGEAUD DE LA PICONNERIE (Thomas-Robert), maréchal de France, duc d'Isly

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 4p. 1394).

BUGEAUD DE LA PICONNERIE (Thomas-Robert), maréchal de France, duc d'Isly, né à Limoges en 1784, mort du choléra, à Paris, en 1849. Il entra à vingt ans comme grenadier dans les vélites de la garde impériale, fut nommé caporal à Austerlitz et sous-lieutenant l'année suivante. Après avoir fait les campagnes de Prusse et de Pologne, il passa en Espagne, et y gagna le grade de colonel. Pendant les Cent-Jours, n'ayant sous ses ordres que 1,700 hommes, il tint tête à 10,000 Autrichiens et les mit en fuite après dix heures de combat. En 1815, il fut licencié par les Bourbons, qu'il avait chantés cependant en 1814 ; il se retira alors dans ses propriétés d'Excideuil et s'occupa d'agriculture. Remis en activité après la révolution de Juillet, il fut bientôt nommé maréchal de camp ; puis il entra à la Chambre des députés, où il se fit une réputation particulière par ses excentricités et ses trivialités de langage, par ses provocations envers les membres de l'opposition, en même temps qu'il affectait un dévouement sans bornes à la nouvelle monarchie, qui lui donna la triste mission de garder la duchesse de Berry à la citadelle de Blaye et de surveiller toutes les péripéties de sa grossesse, afin de donner une publicité scandaleuse à l'accouchement de cette malheureuse princesse. Une allusion à cette misérable affaire ayant été faite à la Chambre par le député Dulong, Bugeaud le provoqua en duel et le tua (1834). L'irritation causée par cet événement était à peine calmée, qu'il l'aviva de nouveau par sa répression impitoyable de l'insurrection d'avril 1834. Il a depuis repoussé la responsabilité des massacres de la rue Transnonnain ; mais il est certain que son ordre du jour aux soldats était d'une violence extrême. C'était là le fond de sa nature : bon administrateur, brave soldat, excellent général, un de ces hommes rares qui savent garder au milieu d'une armée en ligne ce sang-froid qui gagne les batailles, Bugeaud faisait presque oublier ces qualités par ses manières cassantes, sa jactance et l'emportement de son zèle gouvernemental. Sa véritable gloire est la part qu'il a prise à la consolidation de nos conquêtes en Afrique, de 1836 à 1847. On lui reprocha cependant le traité de la Tafna, qui reconnaissait en principe l'indépendance de l'émir Abd-el-Kader. Gouverneur de l'Algérie depuis 1840, il introduisit d'importantes modifications dans les manœuvres et dans la tactique, poursuivit vigoureusement les Arabes, étendit nos possessions, fit de louables efforts pour la colonisation, et gagna sur les Marocains la célèbre bataille d'Isly (14 juillet 1844), qui lui valut le titre de duc. Il avait reçu le bâton de maréchal l'année précédente. Le 24 février 1848, on lui donna le commandement de l'armée de Paris, mais il ne put sauver la monarchie, malgré ses vanteries habituelles, et ses quatre hommes et son caporal, locution digne du capitaine Fracasse, et qui a eu le privilége de passer en proverbe. Il se hâta d'offrir son épée à la République quelques jours après sa proclamation. Le président Louis-Napoléon le nomma général en chef de l'armée des Alpes, et le département de la Charente-inférieure l'envoya à l'Assemblée législative. Mais son rôle actif était fini ; il n'attira plus l'attention sur lui que par ces discours publics dont il avait la manie, et qui étaient loin d'ajouter à sa réputation. C'est ainsi qu'oubliant son échec de Février, il se fit fort devant les magistrats de Lyon d'écraser la démagogie, ne fût-il suivi que des quatre hommes et du caporal auxquels nous avons fait allusion plus haut.

Le maréchal Bugeaud avait pris pour devise: Ense et aratro (par l'épée et par la charrue), belle devise, qui, cependant, à l'époque où nous vivons, n'est vraie, n'est morale que dans sa dernière partie. On lui a élevé une statue à Alger et une autre à Limoges. On a de lui plusieurs écrits militaires, parmi lesquels nous citerons : Aperçus sur quelques détails sur la guerre, avec des planches explicatives ; Récit de la bataille d'Isly, publié en 1845 dans la Revue des Deux-Mondes ; Instructions pratiques du maréchal Bugeaud pour les troupes en campagne, etc. Il publia aussi des brochures contre le socialisme et sur les moyens de rendre florissante notre colonie africaine. Enfin, les archives de la guerre conservent de lui quelques manuscrits qui peuvent intéresser les militaires, et sa vie a été écrite par P. Christian, A. Besancenez, et Arthur Ponroy. On peut se procurer tous les ouvrages du maréchal et ceux dont il a été l'objet à la librairie militaire de Leneveu, à Paris.