Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BOURBON (musée), fameux musée de Naples

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 1112-1113).

BOURBON (musée), fameux musée de Naples, appelé aussi musée Bourbon, ou Gli Studj, et qui occupe le premier rang parmi les collections de chefs-d’œuvre antiques. L’édifice qui renferme ces collections fut bâti par le duc d’Ossuna, qui y établit ses écuries ; depuis, il subit diverses destinations. Le nombre des richesses artistiques qu’il renferme est incalculable, et, chaque jour, les fouilles exécutées à Herculanum et à Pompéi viennent l’accroître. Sa collection de marbres antiques est remarquable, même auprès de celles du Capitole et du Vatican. Parmi les morceaux les plus rares, il faut citer : la Flore Farnese, l’Apollon citharède, le beau vase de Scalpion représentant la Naissance de Bacchus, chef-d’œuvre qui servit longtemps aux mariniers de Gaëte à attacher leurs barques ; la fameuse Vénus Callipyge; le groupe si renommé du Taureau Farnèse ; puis l’Hercule Farnèse, que Michel-Ange ne voulut jamais restaurer, trouvant que ce serait un sacrilège de toucher à un pareil chef-d’œuvre. Quant aux bustes d’empereurs et d’autres personnages, ils abondent et apportent de précieux documents à l’iconographie. La galerie des bronzes du musée de Naples est sans rivale dans le monde entier, et presque tous ceux qu’elle renferme sont des chefs-d’œuvre inimitables. Parmi les plus remarquables, il faut citer : les Danseuses, qui décoraient le proscenium du théâtre d’Herculanum ; une Femme dansant, regardée comme la perle de la galerie ; une Femme ivre, d’une perfection désespérante, et un buste de Sénèque, où revit tout entier le précepteur de Néron. Les peintures antiques, au nombre du 1,600 environ, n’ont pas seulement excité la curiosité des antiquaires, mais aussi l’admiration des artistes, qui sont venus souvent s’inspirer à leur aspect, et y chercher le secret du la beauté du dessin et du style, du goût exquis dans la composition. La plupart de ces fresques ont été reconnues pour être des copies des grands maîtres de l’antiquité. Parmi les plus célèbres, il faut citer les Danseuses de Pompéi ; Briséis enlevée à Achille ; Thésée tuant le Centaure, peinture monochrome, qui a servi de modèle à Canova pour composer son groupe, et enfin le Sacrifice d’Iphigénie, si connu par l’ingénieuse idée du peintre, qui, ne sachant de quelle expression animer la figure d’Agamemnon, le représenta la tête voilée. Une des collections les plus curieuses que renferme le musée Bourbon est sans contredit celle des verres antiques ; c’est la plus importante que l’on connaisse, et elle ne renferme pas moins de 4,000 pièces. L’habileté des anciens dans cette industrie était bien plus grande qu’on ne l’avait cru jusqu’ici : ils savaient assouplir le verre, le colorer et même l’unir à l’argent. Les bijoux faux ne datent pas d’aujourd’hui, et, chez les anciens comme chez nous, on savait imiter les pierres précieuses avec du verre ; l’anecdote arrivée à l’empereur Gallien montre bien que l’usage en était assez fréquent. On sait qu’un marchand de verroteries, ayant vendu des pierres fausses à l’impératrice, Gallien le condamna à être mangé par les bêtes. Quand le malheureux marchand fut au milieu de l’amphithéâtre, au lieu de voir s’avancer contre lui un lion ou un tigre, il vit un chapon, ce qui fit éclater de rire toute l’assemblée : « Il a trompé, on le trompe, dit l’empereur, qui s’était contenté de se venger par une plaisanterie. Des verres de fenêtres, trouvés dans la villa de Diomède, à Pompéi, prouvent que les anciens l’employaient aux mêmes usages que nous. La pièce la plus remarquable de cette collection est une amphore de verre bleu, couverte d’émail blanc, sur le fond duquel se détachent de charmants bas-reliefs. La collection des vases italo-grecs est aussi unique dans son genre ; elle comprend 3,300 pièces, parmi lesquelles trois magnifiques vases do Nole se recommandent à la curiosité et à l’admiration ; le vase dit de Cassandre, et celui de l’Incendie de Troie, sont surtout remarquables par la beauté de leurs peintures. À côté des vases grecs s’étend la salle des papyrus, qui contient 3,000 petits rouleaux noirs, de 2 à 4 pouces de long sur 24 à 30 lignes de diamètre. Ils sont tellement carbonisés qu’on les prit d’abord pour des morceaux de charbon et qu’on les dédaigna ; ce ne fut que plus tard qu’on s’aperçut qu’ils renfermaient des manuscrits. À force de soins et de patience, on est parvenu à en dérouler un certain nombre sans qu’ils tombassent en poussière. Les gemmes, les bijoux antiques abondent aussi, et, dans cette collection des camées, la pièce la plus curieuse est la célèbre tazza Farnèse, en sardoine orientale. C’est un monument unique pour la grandeur de la pierre et la perfection du travail. C’est le seul camée connu qui présente une grande composition sur chaque face. Les bijoux et ornements de dames, qui abondent, prouvent que la coquetterie des Romaines ne le cédait en rien à celle de nos contemporaines, et que leurs joailliers avaient plus de goût que les nôtres. On s’initie à la vie, aux mœurs, aux usages des anciens, en parcourant la curieuse salle des petits bronzes, qui contient les ustensiles de tout genre dont ils se servaient. Tout se trouve là : fourneaux économiques, baignoires, lits de table, pèse-liqueurs, bouilloires à thé, instruments de chirurgie semblables aux nôtres, objets de toilette, billets de spectacle en ivoire, jusqu’à des cymbales, des trompettes et des clarinettes. À part quelques légères différences de forme, tous ces objets ressemblent à ceux dont nous nous servons ; la seule chose qui les distingue, c’est l’élégance et le fini de leur travail ; les plus vils instruments de cuisine offrent des ornements qu’on ne trouverait pas toujours dans nos objets de luxe. L’amour du beau se trahissait ainsi jusque dans les moindres détails. Une salle à part contient le musée pornographique, réunion de peintures et de bronzes obscènes. On a cent fois raison de s’élever contre des œuvres de ce genre, quelque parfaite qu’en soit la forme ; mais on n’a pas moins tort de condamner toute une civilisation sur les spécimens dus à quelques imaginations licencieuses et dépravées. Ceux qui rejettent la faute de ces libertés coupables sur le paganisme oublient trop facilement que le christianisme ne les a pas ignorées. Au temps du pieux moyen âge, les pâtisseries servies sur la table des seigneurs et des évêques n’avaient pas une forme moins indécente que celle des bronzes de Pompéi ; François Ier, dans sa cour, plutôt dépravée qu’élégante, se servait de vases à boire dont le modèle se trouve au musée pornographique.

Nous n’avons donné qu’une faible idée des richesses immenses accumulées dans le musée Bourbon, richesses qui le placent au premier rang, au point de vue artistique et historique. La galerie de tableaux modernes qu’il renferme ne pourrait lutter contre celles des autres villes d’Italie, malgré quelques toiles de grands maîtres ; la bibliothèque du musée contient environ 200,000 volumes et 3,000 manuscrits. Les plus curieux parmi ces derniers sont : la Bible, annotée de la main d’Alphonse Ier d’Aragon ; la seconde partie des Lettres de saint Jérôme, et un Office de la sainte Vierge, écrit de la main de Monterchi, avec miniatures par Giulio Clovio. Vasari prétend que Giulio mit neuf ans à illustrer ce manuscrit, et qu’il n’y a pas de somme capable de le payer. Pendant tout le règne des Bourbons, la librairie fut peu florissante à Naples, malgré les impôts énormes dont étaient frappés les livres étrangers, d’après ce singulier raisonnement que, s’ils étaient mauvais, il fallait les écarter, et que, s’ils étaient bons, on ne pouvait les payer trop cher. On a publié, il y a quelques années, chez Firmin Billot, le Musée Bourbon, traduit de l’italien, contenant la gravure au trait de toutes les œuvres qui composent cette magnifique galerie. C’est une œuvre splendide, mais peu répandue, en raison de son prix élevé, et peut-être aussi à cause de la reproduction des objets qui composent le musée pornographique, ce qui ne permet pas de laisser ce livre s’égarer dans toutes les mains.