Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BONAPARTE (Marie-Pauline), seconde sœur de Napoléon Ier

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 952).

BONAPARTE (Marie-Pauline), seconde sœur de Napoléon Ier, née à Ajaccio le 20 septembre 1780, suivit en 1793 sa famille à Marseille, où le conventionnel Fréron demanda sa main, qui lui fut refusée. Le général Duphot, assassiné à Rome dans une émeute, le 29 décembre 1797, ainsi que Junot, qui en était passionnément épris, ne furent pas plus heureux. Elle aimait le général Leclerc, qu’elle épousa à Milan en 1801 ; mais leur bonheur fut de courte dorée. Le général, après avoir soumis le Portugal, fut chargé par le premier consul, l’année même de son mariage, de faire rentrer sous la domination française l’Île de Saint-Domingue, où il fut envoyé avec le titre de capitaine général. Pauline, à peine relevée de couches, s’embarqua à Brest avec son enfant et son mari, au mois de décembre. L’expédition avait été menée à bonne fin ; la conquête était presque achevée, lorsque les noirs, auxquels s’adjoignit un terrible auxiliaire, la fièvre jaune, se révoltèrent. Le général voulut faire embarquer sa femme et son fils, mais elle adressa cette noble réponse aux dames de la ville qui la pressaient de partir:« Vous pouvez pleurer, vous; vous n’êtes pas, comme moi, sœur de Bonaparte. Je ne m’embarquerai qu’avec mon mari ou je mourrai. » On voulait la sauver de force, lorsqu’un aide de camp arriva annonçant la compression de la révolte : « Je savais bien, dit-elle sans s’émouvoir, que je ne m’embarquerais pas ; retournons à la résidence. » Mais le vainqueur, atteint de la fièvre jaune, dut partir pour l’île de la Tortue, où il expira, le 2 novembre 1802, entre les bras de sa femme, qui ramena en France sa dépouille mortelle. Leur fils mourut deux ans après.

Le 28 août 1803, Napoléon maria sa sœur avec le prince Camille Borghèse, le chef d’une des plus illustres familles de Rome, mais d’une déplorable faiblesse de caractère. Cédant à des insinuations malveillantes, il ne tarda pas à se séparer de sa femme, et se retira à Florence jusqu’en juillet 1807, époque où Napoléon, après la paix de Tilsitt, l’établit à Turin avec le titre de gouverneur général des départements français au delà des Alpes. Nommée duchesse de Guastalla, Pauline, abandonnée de son mari, habita tantôt la France, tantôt l’Italie, dans un magnifique château à Neuilly, ou à la fameuse villa Borghèse, dont son époux lui avait laissé la jouissance. En 1810, la princesse Pauline, ayant manqué publiquement à l’impératrice Marie-Louise à Bruxelles, fut éloignée de la cour par son frère, encore plus affligé qu’irrité. L’abdication de Napoléon, en 1814, fit partir la princesse de Nice pour Rome, et de là pour l’Île d’Elbe, où, avec Mme  Laetitia, elle adoucit par sa présence les douleurs de l’exil de son frère. C’est à ses instances que Murat dut son pardon, et le prince Lucien sa réconciliation avec l’empereur déchu. Pendant les Cent-Jours, la princesse Pauline séjourna à Naples, puis à Rome, d’où elle envoya tous ses bijoux à l’empereur, dont les finances étaient épuisées. Ils furent trouvés à Waterloo dans une des voitures de Napoléon ; les alliés s’en emparèrent, et on ignore qui, parmi eux, se les est appropriés.

Malgré les bontés du pape, reconnaissant des soins que la princesse avait eus pour lui lors de sa captivité en France, elle se disposait à rejoindre sa famille à Paris, lorsque Napoléon, vaincu, fut relégué sur le rocher de Saint-Hélène. Elle tomba dans une maladie de langueur, qu’activa encore la nouvelle de la mort de Napoléon, que les puissances coalisées n’avaient pas voulu l’autoriser à aller soutenir de son amitié dans son triste exil. Le 9 juin 1825 elle expira à Florence entre les bras de son mari, avec lequel elle s’était réconciliée depuis sa maladie. Sa dépouille mortelle fut inhumée à Rome en l’église Sainte-Marie-Majeure, dans la chapelle de la famille Borghèse. Le prince acquitta généreusement tous les legs qu’elle avait faits à son lit de mort, sans réfléchir à l’insuffisance de sa fortune. Elle ne lui laissait point d’enfants.

La princesse Pauline se faisait remarquer par une inépuisable bienfaisance. Une partie de sa fortune passa entre les mains des malheureux ou fut employée à l’établissement de maisons de charité pour l’éducation des orphelins. Elle était passionnée pour les arts et les lettres, aimait le luxe et les plaisirs, et sa prodigalité avait tellement épuisé ses ressources que, après la chute de l’Empire, sans la bienfaisance de son mari, dont elle s’était rapprochée, elle aurait risqué de justifier les prédictions de sa mère en mourant à l’hôpital.

Sa statue a été sculptée par le célèbre Canova. Ce chef-d’œuvre est aujourd’hui la propriété de la reine d’Angleterre. Lord Gadwor en possède une copie sous la forme d’une nymphe couchée sur une peau de lion, exécutée par Canova lui-même. V. l’art. suivant.

Bonaparte Borghèse (statue en marbre de la princesse Pauline), un des chefs-d’œuvre de Canova ; villa Borghèse, à Rome. La belle Pauline Bonaparte, princesse Borghèse, sœur de Napoléon Ier, est représentée sous l’image de Vénus Victorieuse, tenant à la main la pomme d’or, prix de sa victoire. Elle est étendue sur un lit, la tête relevée. Le bras droit, dont le coude s’appuie sur deux coussins superposés, vient rejoindre le derrière de la tête par l’extrémité des doigts. La coiffure, retenue par un ruban, tient le milieu entre celle des Vénus antiques et celle des dames françaises de l’époque. Une légère draperie couvre la partie inférieure du corps, moins une des jambes, et fait valoir adroitement, par le contraste, la beauté du nu dans la partie supérieure. Le torse, délicatement modelé, a une flexibilité de forme et de contours des plus séduisantes. « Ce qu’on doit admirer dans cette statue, a dit M. Quatremère de Quincy, c’est le succès avec lequel Canova sut, grâce aussi à son modèle, produire la fidélité de la ressemblance, exigée par la nature du portrait dans la tête, et l’idéal dans le développement des formes du corps; le tout dans un tel accord que ce qu’il y a de vérité positive et de vérité imaginative, loin de se combattre, se prête un mutuel agrément. » Cette gracieuse statue, exposée pendant un certain temps au palais Borghèse, obtint un véritable triomphe et attira un concours considérable d’amateurs, tant de Rome que de l’étranger. Le jour ne suffisant pas à leur admiration, ils obtinrent de pouvoir la considérer la nuit, à la lumière des flambeaux, qui, comme l’on sait, accuse et fait découvrir les plus légères nuances du travail, et en accuse aussi les moindres négligences. On fut enfin obligé d’établir une enceinte, au moyen d’une barrière, pour protéger la belle Vénus contre la foule qui ne cessait de se presser à l’entour.