Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BEAUJEU (Dellijocus), ville de France (Rhône)
BEAUJEU (Dellijocus), ville de France (Rhône), ch.-l. de cant., arrond. et à 22 kil. N.-O. de Villefranche, sur l’Ardière, pop. aggl. 3,099 hab. — pop. tot. 3,993 hab. Papeteries, fabriques de tonneaux, chapeaux, tanneries, récolte de vins rouges estimés. Beaujeu, la plus ancienne ville du Beaujolais, dont elle était la capitale, possède plusieurs maisons curieuses, une entre autres dont le portail gothique, à la fois élégant et simple, est surmonté d’un écusson que soutiennent deux moines ailés. L’église Saint-Nicolas, construction du XIIIe siècle, offre un singulier mélange des styles roman et ogival. Mais ce que cette ville présente de plus intéressant, ce sont les ruines imposantes de son ancien château fort, qui fut la résidence des sires de Beaujeu. Ce château existait déjà en 523, lors de la première conquête de la Bourgogne par les Francs. Quatre tours carrées, réunies par d’épaisses murailles, avaient d’abord formé son enceinte ; posées sur un monticule escarpé, elles étaient à l’abri de toute attaque. Hugues de Beaujeu, ayant été aux croisades, fut frappé des magnificences de l’architecture orientale, et, de retour dans son manoir, il fit abattre trois des antiques tours, et sur leur emplacement s’élevèrent six tours rondes, construites à la mode de l’Orient, n’ayant aucune ouverture sur la campagne, et se terminant par des dômes élevés. Au commencement du XIVe siècle, ce château fut assiégé par le sire de Blamont, et ce siège fut la cause de l’illustration qui s’attacha au château de Beaujeu. La châtelaine, Marie de Beaujeu, sur le point d’épouser le sire de Pontaillier, était dans son château lors de l’attaque, qui n’avait d’autre but que celui de livrer Marie au sire de Blamont ; elle allait succomber lorsque son amant, Guy de Pontaillier, arriva à son secours ; un moment elle reprit courage, mais elle vit son sauveur tomber baigné dans son sang, et Erard de Blamont sur le point de la saisir ; éperdue, elle gravit l’escalier qui conduit à la plate-forme, l’autre la poursuit d’étage en étage, elle arrive à la plate-forme, s’élance sur le parapet et se précipite dans le vide.
Au commencement du XIIe siècle, ce château fut occupé par Humbert IV, qui se rendit célèbre par les étranges immunités dont il gratifia ses sujets. Ce châtelain, peu sensible aux charmes du sexe aimable, accorda aux maris le droit de battre leurs femmes, jusqu’à effusion de sang, pourvu toutefois que la mort ne s’en suivît pas.
Le château de Beaujeu ne se recommande, dit l’auteur des Mystères des vieux châteaux de France, ni par les sièges qu’il a soutenus, ni par les guerriers qui lui ont rendu visite, mais seulement par un fait singulier, merveilleux et dramatique, dont l’une de ses châtelaines, la comtesse de Monteval, fut l’héroïne, et qui eut, au moment de sa réalisation, le plus grand retentissement en Europe : La comtesse étant morte fut enterrée dans le caveau de sa famille ; le fossoyeur, poussé par la misère, eut la déplorable pensée de tenter de déterrer le cadavre, pour s’emparer des bagues que la comtesse portait aux doigts. Ne pouvant les arracher, il se préparait à faire l’amputation d’un doigt lorsqu’un cri de douleur se fit entendre ; la comtesse n’était qu’en léthargie. Elle revint complètement à la vie, et cet événement devint la légende du château de Beaujeu, qui devait appartenir à une reine de France. Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, épousa Anne de France, fille de Louis XI, et, en 1483, Anne devint régente de France. Elle visita souvent l’antique château dont elle portait le nom. Elle se plut avec son mari à enrichir cette propriété d’appartements nouveaux et de jardins magnifiques ; c’est dans cette résidence, dit M. Bouché de Cluny, qu’elle venait se délasser des soins du gouvernement, et c’est là aussi qu’elle passa les instants les plus doux, les plus heureux de sa vie. Le château de Beaujeu ayant, lors de la Révolution, été déclaré propriété nationale, fut acheté par un spéculateur qui le fit démolir pour en vendre les matériaux. Aujourd’hui, on n’en voit plus que quelques ruines éparses, et des troupeaux de bœufs et de brebis viennent brouter l’herbe des champs à l’endroit où les grands seigneurs de la cour venaient présenter leurs hommages à la régente de France.