Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BEAUHARNAIS (Eugénie-Hortense DE), reine de Hollande, connue sous le nom de la reine Hortense

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 2p. 435-436).

BEAUHARNAIS (Eugénie-Hortense de), reine de Hollande, connue sous le nom de la reine Hortense, née à Paris en 1783, morte à Arenenberg, en 1837. Fille d’Alexandre de Beauharnais et de Joséphine Tascher de la Pagerie, que devait épouser Napoléon, elle fut emmenée, à l’âge de quatre ans, à la Martinique, d’où elle revint en 1790. La jeune Hortense avait onze ans lorsque son père monta sur l’échafaud. Sa mère fut jetée en prison, et elle-même gardée à vue dans l’hôtel de Salm avec son frère Eugène. Lorsque l’horizon se fut éclairci et que Joséphine, sans prévoir sa future grandeur, eut, malgré les conseils de ses amis, épousé en secondes noces (1796) le général Bonaparte, connu seulement par le siège de Toulon et la journée du 13 vendémiaire, Hortense fut mise en pension chez Mme Campan. Elle en sortit à dix-sept ans, et, deux ans plus tard, le 13 janvier 1802, le premier consul lui fit épouser son frère Louis. Ni l’un ni l’autre des deux époux n’avait désiré cette union ; mais elle servait la politique de Napoléon : il fallut obéir. Cette union fut néanmoins promptement féconde, car Hortense de Beauharnais mit au monde, le 10 octobre 1802, un fils, Napoléon-Charles, et le 10 octobre 1804, un second fils, Napoléon-Louis. En 1806, elle partit pour aller rejoindre son mari placé sur le trône de Hollande, et, l’année suivante, elle perdit son fils aîné, enlevé par le croup. Frappée au cœur, elle alla passer quelque temps au village d’Arrens, dans la vallée d’Azan, au milieu des Pyrénées, puis retourna à Paris, à son hôtel de la rue Cérutti. Là, entourée d’artistes et de littérateurs, elle demandait des distractions à la peinture et à la musique. Tantôt elle dessinait des fleurs et des paysages, tantôt elle chantait des romances, dont elle se plaisait à composer l’accompagnement. Une de ces romances est devenue un chant national de nos jours, c’est le fameux air : Partant pour la Syrie, dont M. Laborde avait versifié les paroles. C’est à la reine Hortense qu’est due l’idée ingénieuse de faire placer avant chaque romance un dessin qui se rapporte au sujet Elle aimait encore à cultiver des fleurs de ses propres mains. Le 20 avril 1808, elle mit au monde, à Paris, un troisième fils, Charles-Louis-Napoléon, qui devait être un jour Napoléon III.

Lors du divorce de Napoléon avec Joséphine, qui n’aurait peut-être pas eu lieu si la mort du fils aîné d’Hortense n’eût pas déconcerté les projets de l’empereur, qui voulait l’adopter, cette princesse plaida, mais inutilement, la cause de sa mère avec l’éloquence du cœur. Elle dut se faire violence, dévorer ses larmes, et, comme les autres reines de sa famille, soutenir, aux cérémonies du mariage, le manteau de la nouvelle impératrice. S’autorisant de l’exemple de l’empereur, elle lui demanda la permission de divorcer, ce qui lui fut refusé. La simple séparation de corps lui fut même interdite. Obligée d’aller partager avec son mari le poids de la couronne de Hollande, la reine Hortense ne dissimula pas sa préférence pour les Français et ne fut pas étrangère, dit-on, à l’acceptation, par le roi Louis, du traité qui cédait à l’empereur une province hollandaise. Lors de l’abdication de son mari, elle gouverna quelque temps comme régente, jusqu’à la réunion de la Hollande à l’empire. Comme compensation, l’empereur l’autorisa alors à se séparer du roi Louis, à garder ses deux enfants, et lui assura un douaire de 2 millions de revenu. Devenue reine honoraire, elle se fixa alors à Paris, et son salon fut bientôt le rendez-vous de la bonne société et de toutes les illustrations. Mais elle préférait à l’éclat du monde l’amitié sincère d’une de ses amies de pension, Adèle Augulê, sœur cadette de la maréchale Ney, qu’elle eut la douleur de voir se noyer dans un précipice à Aix, en Savoie, sans pouvoir lui porter secours.

La reine Hortense se mêla cependant encore une fois de politique. Lors de l’invasion de la France par les alliés, elle fit de courageux efforts pour empêcher le départ de l’impératrice pour Blois ; puis, après avoir rendu visite à sa mère, à Évreux, elle rejoignit Marie-Louise, prisonnière à Rambouillet, et ne la quitta que lors de son départ pour Vienne, bien qu’elle n’eût pas à se louer de sa réception. Elle retourna alors à la Malmaison, où les souverains alliés, outre une pension de 400,000 fr., lui formèrent un duché de tous les biens environnant la terre de Saint-Leu, duché qui devait lui donner un revenu à peu près égal (30 mai 1814). Deux jours auparavant, Hortense avait recueilli le dernier soupir de sa mère, dont elle fit déposer les restes dans l’église de Rueil. Après être allée se reposer de ses fatigues et de ses douleurs aux eaux de Plombières et de Bade, où sa cousine, la grande-duchesse Stéphanie, la reine de Bavière, Caroline, et l’impératrice de Russie Élisabeth, la traitèrent en reine, Hortense revint à Saint-Leu. On l’accusa d’y conspirer, à cause de la société de mécontents qu’elle recevait, et ces mécontents l’accusèrent à leur tour d’être portée pour la Restauration, qui lui témoignait un grand intérêt. C’est à ce moment que le tribunal de la Seine la condamna à rendre au roi Louis, son fils aîné, Napoléon-Louis, arrêt que les Cent-Jours lui permirent d’éluder. L’Empereur l’accusa, à son retour, d’avoir pactisé avec ses ennemis, puis lui rendit justice et même, à sa prière, il accorda à la duchesse douairière d’Orléans une pension de 200,000 fr. avec la permission de rester à Paris. Après Waterloo, Hortense accueillit avec un respect pieux Napoléon à la Malmaison et le soigna comme une fille dévouée. Elle le força même à accepter un collier de 800,000 fr., en échange duquel Napoléon lui donna sur le trésor une délégation qui n’eut aucun effet. Lorsqu’il fut parti, elle retourna à Paris, d’où on lui intima l’ordre de sortir dans les deux heures. Suivie de ses deux enfants, elle résida successivement à Aix en Savoie, où elle avait fondé un hôpital, à Constance et à Thurgovie. Là, elle se mit à écrire ses mémoires, tout en surveillant avec les soins d’une mère digne de ce nom l’éducation de son second fils, auquel elle enseignait elle-même les beaux-arts. Le château d’Arenenberg, sur les bords du lac de Constance, lui ayant plu, elle l’acheta (1817), et, tandis qu’on l’embellissait, elle passa l’hiver à Augsbourg, où son frère Eugène vint la voir. Elle quitta cette résidence à la mort de ce dernier, en 1824, et, autorisée par le pape Léon XII à habiter l’Italie, elle passait l’hiver à Rome et l’été à Arenenberg.

Lorsque éclata la révolution de 1830, elle fit tous ses efforts pour empêcher ses fils de se compromettre dans l’insurrection italienne ; mais l’aîné partit malgré elle, et fut emporté par la rougeole à Forli, l’année suivante, le 17 mars 1831, sans qu’elle pût recueillir son dernier soupir. Pour sauver le fils qui lui restait, elle se rendit à Paris avec un passe-port anglais et obtint une audience du roi Louis-Philippe, qui ne put que lui donner un vague espoir. Hortense retourna à Arenenberg, après un séjour de trois mois en Angleterre, et vécut tranquille jusqu’à la tentative de Louis-Napoléon à Strasbourg, le 3 octobre 1835. L’amour maternel l’entraîna de nouveau à Paris, pour solliciter la grâce de son fils. Le sort du prince était déjà décidé ; elle en reçut la nouvelle, avec l’ordre de quitter la France. Le gouvernement la faisait prier en même temps d’engager son fils à rester dix ans aux États-Unis. La déportation du prince Louis acheva de détruire la santé d’Hortense, si cruellement éprouvée. Elle lui écrivit le 3 avril de venir lui fermer les yeux. Quittant aussitôt l’Amérique, Louis-Napoléon arriva à temps en Suisse pour recevoir son dernier soupir, le 5 octobre 1837. Selon son désir, la reine Hortense fut inhumée à Rueil, près de sa mère. Son fils, pendant sa détention au fort de Ham, fit élever à sa mémoire un monument funèbre, inauguré le 20 avril 1848.

La reine Hortense était une femme pleine de bonté de cœur. L’adversité, en mûrissant sa raison, la rendit plus respectable aux yeux de tous, et l’on fut obligé de reconnaître qu’en la jugeant d’après les apparences, on s’était montré trop sévère à son égard ; si d’ailleurs elle a eu des torts, elle les a cruellement expiés et noblement rachetés par son dévouement à l’empereur, qui l’avait rendue malheureuse en la forçant à contracter un hymen vers lequel elle ne se sentait pas attirée, et par son amour maternel, toujours prêt à tout sacrifier au bonheur de ses enfants. Aujourd’hui, que les passions se sont éteintes ou tout au moins assoupies, la reine Hortense occupe avec l’impératrice Joséphine, sa mère, une grande place dans le cœur reconnaissant de tous les Français et surtout des Françaises.