Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BART (Jean)

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 272-273).

BART (Jean), né à Dunkerque le 21 octobre 1650, mort le 27 avril 1702. Cet illustre marin, dont le souvenir est resté si vivant dans la mémoire du peuple, et des gens de mer, et qui est devenu un type, une personnification, comme Bayard pour la chevalerie, n’était pas précisément fils d’un pêcheur, comme on l’a répété, mais appartenait à une famille de marins dunkerquois dont plusieurs membres étaient parvenus à des grades supérieurs. On a même prétendu qu’un de ses arrière-grands-oncles, passé en Allemagne dans le XIIIe siècle, se serait élevé à la dignité de grand maître de l’ordre Teutonique ; mais c’est là une tradition fort douteuse. Il est peu de héros auxquels on n’ait fait ainsi, après coup, une généalogie plus ou moins fabuleuse. Cornil Bart, le père de Jean, fut un de ces vaillants corsaires comme Dunkerque en a fourni un si grand nombre dans toutes nos guerres maritimes. Embarqué dès l’âge de douze ans, Jean Bart devint, quelques années plus tard, second maître à bord d’un brigantin qui portait le nom peu épique de Cochon gras, et qui avait pour mission de croiser dans la Manche et de surveiller les mouvements des Anglais. Vers 1666, il alla servir dans la marine hollandaise sous l’illustre Ruyter, prit part aux guerres contre les Anglais et revint à Dunkerque avec le grade de second lieutenant, au moment où la guerre éclatait entre la Hollande et la France (1672). Ce fut alors qu’il commença sa carrière de corsaire, d’abord comme second, puis comme capitaine, et pendant six années, jusqu’au traité de Nimègue (1678), ses courses audacieuses contre les vaisseaux hollandais, ses exploits et ses prises se multiplièrent à l’infini ; sa renommée se répandit jusqu’à la cour.

Sur la recommandation de Vauban, le hardi corsaire, dont le nom était déjà la terreur des armateurs ennemis, fut nommé par Louis XIV lieutenant de vaisseau dans la marine royale (8 janvier 1679). Il servit en cette qualité jusqu’en 1681, époque où Colbert lui fit donner le commandement de deux frégates pour aller croiser contre les pirates de Salé. Cette campagne fut assez brillante, et il ramena 150 Maures prisonniers, parmi lesquels le fils du gouverneur de Salé et d’autres personnages importants. Lorsque la guerre se ralluma entre Espagne et la France (1683), il fit de brillantes croisières dans la Méditerranée, fut nommé, en 1686, capitaine de frégate, et commença dès lors à jouer un rôle éclatant dans l’universelle conflagration de l’Europe. Ce fut lui qui inspira l’idée neuve de réunir des corsaires en escadre, d’en former une division de course composée de frégates légères, d’une marche supérieure, armée d’un équipage nombreux et aguerri, pouvant se subdiviser, s’éparpiller ou se fondre en un seul corps, suivant les circonstances et les besoins, et destinée à ruiner le commerce ennemi, harceler les escadres, les attaquer de front dans l’occasion, pouvant jouer, en un mot, le double rôle d’une flotte légère et d’une armée de ligne.

À cette époque, sa renommée était si bien consacrée, que lorsqu’il s’agissait de quelque expédition aventureuse et téméraire, on en chargeait de préférence l’intrépide marin. C’est ainsi qu’au commencement de 1689, il fut chargé de transporter un chargement de poudre et autres munitions, de Calais à Brest, à travers les croiseurs anglais et hollandais. Il naviguait de conserve avec Forbin, et ils eurent sur leur route de sanglants combats à soutenir ; mais ils remplirent heureusement leur mission. C’est pendant un de ces combats qu’ayant vu son fils (un enfant de dix ans) pâlir aux premières volées du canon, le rude marin le fit attacher au grand mât et l’y laissa jusqu’à la fin de l’action. Ce trait ne semble-t-il pas emprunté à quelque épopée des guerriers barbares ? Cependant Jean Bart n’était point l’homme farouche et inculte que nous représente la tradition populaire. Mais en cette circonstance (si elle est exactement rapportée), outre la fierté de race et le désir d’endurcir son fils aux terribles émotions du métier, peut-être voulait-il agir sur son équipage, l’exalter par un exemple de dévouement au devoir militaire et d’effrayante abnégation. L’enfant devint vice-amiral.

Dans une nouvelle expédition avec Forbin, tous deux furent faits prisonniers dans la Manche, après un furieux combat contre deux vaisseaux anglais, et conduits blessés à Plymouth. Douze jours après, par une nuit de brouillard, ils s’évadèrent de leur prison, se jetèrent dans une yole norvégienne dérobée dans le port, et s’enfuirent avec un autre compagnon et deux mousses. Jean Bart rama presque sans se reposer pendant deux jours et demi, tandis que Forbin, dont les blessures saignaient encore, tenait le gouvernail. Enfin, les hardis fugitifs abordèrent sur la côte de Bretagne, à quelques lieues de Saint-Malo, après avoir fait 56 kil. en moins de quarante-huit heures. Au reste, la résistance héroïque qu’ils avaient faite avant de se rendre avait permis aux bâtiments marchands qu’ils escortaient de gagner le large et d’échapper aux Anglais. Tous deux furent nommés capitaines de vaisseau :

Jean Bart reprit presque aussitôt la mer, à la tête de plusieurs frégates, et ne tarda pas à tirer une ample vengeance de sa mésaventure, par de nombreuses prises et de nouveaux succès sur les vaisseaux ennemis. En 1690, il commandait la frégate l’Alcyon, qui faisait partie de l’armée navale sous les ordres de Tourville, et il prit part aux opérations qui eurent lieu dans la Manche l’année suivante. Ce fut au retour de cette campagne qu’il renouvela la proposition du projet qu’il avait déjà soumis, de créer une escadre du Nord destinée à détruire le commerce des Hollandais dans le Nord et dans la mer Baltique. Cette fois, on accueillit sa proposition, et lui-même fut chargé de surveiller l’exécution de l’armement. Les préparatifs achevés, il s’agissait de sortir de Dunkerque. La rade était bloquée depuis plusieurs mois par 35 ou 40 navires anglais et hollandais. Jean Bart, qui n’avait que 7 frégates et 1 brûlot, passa à travers la flotte ennemie (juillet 1692), enleva le lendemain 4 navires anglais richement chargés, brûla, quelques jours plus tard, 80 bâtiments marchands, fit une descente en Angleterre, près de Newcastle, détruisit 200 maisons et revint à Dunkerque chargé de prises. Il en repartit bientôt avec 3 vaisseaux de son escadre, courut sur les mers du Nord, dispersa une flotte hollandaise et rentra bientôt, traînant à sa suite 16 navires chargés de grains et autres marchandises. Mandé à la cour avec Forbin, qui servait sous lui, il y parut simple et familier comme à son bord, et fut, pour les femmelettes de l’Œil-de-bœuf, un objet de curiosité et quelquefois de raillerie. « Allons voir, disait-on, le chevalier de Forbin qui mène l’Ours. » Le bon et héroïque marin, un peu rude peut-être dans sa forte bonhomie plébéienne, n’était point cependant, nous le répétons, le personnage trivial et grossièrement burlesque des récits traditionnels. Qui ne connaît toutes les sottes anecdotes dont on a surchargé l’histoire de l’illustre marin : Jean Bart fumant sa pipe dans les appartements du roi, jurant et sacrant, bousculant les plus grands seigneurs, brusquant le roi lui-même (Louis XIV !), tirant son sabre chez le payeur royal et menaçant de le couper en morceaux s’il ne le paye en or, tutoyant les ministres, imaginant de faire doubler ses culottes en drap d’argent pour faire l’élégant, et mille autres contes absurdes qu’il serait oiseux de rappeler ? Ni Saint-Sîmon, ni les Mémoires de Forbin, ni le Mercure, ni aucun auteur contemporain ne disent un mot de ces plates bouffonneries de caserne, qui ne commencèrent à être enregistrées par les écrivains que plus de soixante ans après la mort de Jean Bart, et qui, à cette époque même, furent réfutées par le Mercure (numéro du 17 janvier 1781). C’est surtout Richer, dans sa Vie de Jean Bart, travail qui contient cependant des parties estimables, c’est Richer, disons-nous, qui contribua le plus à accréditer ces historiettes, qu’il accepta sans discernement. À l’exception du sobriquet de l’Ours, Forbin n’en mentionne aucune. Cependant, on remarquera qu’il est généralement assez malveillant pour son ancien commandant ; il a pour lui des dédains de gentilhomme ; il déprécie ses actions autant qu’il le peut et il essaye même de s’en attribuer en partie le mérite ; il tourne en ridicule sa simplicité, ses manières communes, et il n’eût certes pas manqué de s’égayer de ces excentricités, si elles eussent eu quelque réalité. Il est tout à fait certain que ce sont là de pures légendes. Les actions audacieuses de Jean Bart avaient frappé vivement l’imagination populaire et devinrent le thème inépuisable de merveilleux récits, tandis que lui-même se transformait en un type de fantaisie, personnification grotesque du loup de mer, comme La Ramée était celle du soldat. Ces formations de mythes populaires sont fort communes ; mais que penser des historiens qui les adoptent sans examen ? Et que penser aussi de M. Eug. Sue, qui dit à ce sujet dans son Histoire de la Marine : « Si ces anecdotes ne sont pas authentiques, elles méritent de l’être ? » Qu’y gagnerait la mémoire du héros ? C’est montrer vraiment un peu trop de partialité pour les fictions.

Jean Bart était, nous l’avons dit, un homme simple, aux allures un peu populaires ; mais les deux portraits authentiques qu’on a de lui ne donnent nullement l’idée d’un matelot brutal et farouche, ni d’un matamore théâtral. Il était de forte carrure, assez haut de taille, bien fait de corps, avec une physionomie ouverte, les traits accusés, les yeux bleus, les cheveux blonds, le type flamand, suivant Forbin, qui le jugeait en rival et en homme de cour, il était très-timide, parlait peu et dans un français mélangé de nombreuses locutions flamandes. Il est vraisemblable, en effet, que lui, qui n’avait point quitté la mer, devait se trouver plus à l’aise à son bord que dans les salons de Versailles, sous les yeux de mille courtisans. Mais comment supposer que cet homme, un peu gauche et timide, et qui, d’ailleurs, était rompu à la sévère discipline militaire, au respect de la hiérarchie, qui avait servi sous Ruyter et Tourville, qui s’était souvent trouvé en contact avec des hommes de la haute société, avec des fonctionnaires aux mœurs élégantes et polies, qui était allié par son second mariage aux premières familles de Dunkerque ; comment supposer qu’un tel homme ait jamais eu ou ait conservé les formes d’une manière de goujat de taverne, qu’il ait fumé au nez d’un roi comme Louis XIV, donné des coups de poing aux grands officiers de la couronne, et commis toutes les excentricités que l’on connaît et dont la moindre l’eût certainement conduit à la Bastille ? Ces anecdotes ont en elles-mêmes un caractère antihistorique qui suffirait déjà à les faire rejeter. En outre, répétons-le, elles ne sont attestées par aucun des contemporains, et on n’en trouve les premières traces imprimées que près de quatre-vingts ans après la mort du héros dunkerquois. M. Vanderest, de Dunkerque, les a réfutées en détail dans son Histoire de Jean Bart, ouvrage un peu prolixe, mais plein de recherches sérieuses, composé sur des pièces authentiques, et qui a été adopté, en 1841, pour les écoles de la marine.

On a répété aussi, sur la foi de Forbin, que Jean Bart ne savait ni lire ni écrire, qu’il avait seulement appris à griffonner son nom. Eug. Sue prétend que sa signature est informe, illisible, évidemment tracée de routine et à grand’peine. Sans doute, il est probable que son instruction première ne fut pas fort étendue, puisque, dès l’âge de douze ans, on le voit presque constamment en mer. Mais comment admettre qu’un capitaine aussi expérimenté, qui a commandé en chef, qui a conduit des flottes, et qui, nécessairement, avait les connaissances mathématiques et nautiques requises pour cela, comment admettre qu’il fût resté dans une ignorance aussi complète ? Il n’est personne qui ne sache que la marine exige un ensemble de connaissances positives qu’aucune routine ne peut remplacer. Quoi ! un chef d’escadre capable de diriger une flotte à travers les mers, d’exécuter les calculs journaliers de sa marche, d’aborder sûrement à un rivage fixé d’avance ; un homme possédant forcément des notions précises d’astronomie, de mathématiques, de géographie, etc., et qui avait sous ses ordres des officiers nobles du premier mérite, un tel homme n’aurait pas su lire ! Une pareille supposition est tellement absurde, qu’il ne semble pas nécessaire de la réfuter. On possède, aux archives de la Marine, plusieurs lettres ou dépêches de Jean Bart ; ces pièces sont simplement signées de lui, comme la plupart des dépêches des généraux, ambassadeurs ou autres personnages accablés d’affaires nombreuses ; mais ces signatures, bien loin d’être informes, évidemment tracées de routine, sont, au contraire, très-lisibles, écrites avec précision et fermeté, et ayant une forme trop caractérisée pour qu’il soit raisonnable de supposer que celui qui les a tracées ne savait pas écrire. La même fermeté calligraphique se remarque encore dans les autres signatures de l’illustre marin qu’on a pu observer sur divers registres officiels de Dunkerque et à d’autres endroits. Il est donc à peu près certain, et c’est ici l’opinion d’hommes fort compétents, que la prétendue ignorance absolue de Jean Bart doit être mise au rang des fables. En outre, il est positif qu’il parlait plusieurs langues, et notamment l’anglais.

En 1693, Louis XIV, voulant réparer le désastre naval de la Hogue, donna à Tourville le commandement d’une nouvelle flotte, dont Jean Bart faisait partie avec le commandement du vaisseau le Glorieux. Il prit part à la brillante journée de Lagos et détruisit, pour son compte, 6 bâtiments ennemis de 24 à 50 canons. Il reçut ensuite l’ordre de se rendre à Dunkerque pour prendre le commandement de 6 frégates, afin d’aller chercher à Vlecker 100 navires chargés de blé. Il remplit heureusement sa mission et amena la flotte à Dunkerque, après un terrible combat contre les escadres anglaises et hollandaises qui lui fermaient la mer et qui déjà s’étaient emparées de la flotte. Cette expédition mémorable, dont le souvenir fut conservé par une médaille, rendit un grand service à la France, car le blé était alors fort rare et d’une cherté inouïe. Il tomba de 30 livres à 3 livres le boisseau.

Dans la même année, il prit encore 3 frégates anglaises et des transports chargés de munitions. En octobre 1694, Louis XIV accorda à Jean Bart des lettres de noblesse, la croix de Saint-Louis et le droit de porter une fleur de lis d’or dans ses armoiries.

C’est vers cette époque qu’il faillit, dit-on, prendre en mer le roi Guillaume d’Orange, qui retournait de Hollande en Angleterre. Ce fait est attesté par la Gazette de la Haye du 18 novembre 1694. On comprend aisément quelles eussent été les conséquences d’une telle capture, qui, probablement, aurait ramené Jacques II sur le trône d’Angleterre et peut-être mis fin à la guerre.

En 1696, l’expédition d’Angleterre rêvée par Louis XIV ayant avorté, Jean Bart reçut l’ordre d’aller croiser avec son escadre dans la mer du Nord. Bloqué dans la rade de Dunkerque par 14 vaisseaux anglo-bataves, il n’en traversa pas moins cette flotte avec 9 vaisseaux et 6 frégates, rencontra au nord du Texel la flotte marchande hollandaise de la Baltique escortée par 6 frégates dont il s’empara après un combat fort vif ; 40 vaisseaux marchands environ tombèrent également en son pouvoir. Mais bientôt, une flotte de 13 vaisseaux de guerre ennemis arrivant à pleines voiles, il brûla ses prises à la vue de l’ennemi, et, quand elles furent entièrement consumées, se retira lentement en ordre de combat sans qu’on osât l’attaquer. La hardiesse et l’habileté de ses manœuvres en cette occasion ont été justement admirées. Cette retraite de lion devant des forces plus que doubles répond suffisamment à ceux qui ont dit, après Forbin, que le vaillant corsaire n’était propre qu’aux coups d’audace, aux actions hardies, et qu’il n’entendait rien aux grandes opérations navales. On peut rappeler encore que c’est avec des escadres qu’il accomplit ses actions les plus glorieuses et qu’il montra souvent autant de prudente habileté dans la combinaison de ses plans que d’héroïsme aventureux dans leur exécution. Il ne sera pas sans intérêt de reproduire à ce sujet les réflexions suivantes du comte de Circourt : « Ce n’est plus ici l’ignorant capitaine de corsaire que M. de Forbin a prétendu et d’autres après lui ; c’est au contraire un sage, prudent et très-judicieux chef d’escadre. Il faut lire ses dépêches, ainsi que celles de M. Vergier, commissaire général de l’escadre, pour comprendre le calme, la maturité, la ténacité de ses résolutions, la foudroyante énergie de son exécution et l’entraînement qu’il exerçait sur des hommes tels que M. de Saint-Pol de Renneville, la Pinaudière, d’Oroignes et autres gens de naissance, de capacité et de coup d’œil, capables de critique, et qui auraient dû être portés à en faire si Jean Bart, homme de la bourgeoisie, n’avait pas été un marin d’un talent supérieur en même temps que d’une bravoure éclatante. » (Cité dans l’ouvrage de M. Vanderest.)

Jean Bart termina cette brillante campagne en passant au travers de 33 vaisseaux qui lui barraient la route des ports de France. Louis XIV le récompensa de ses nouveaux services par le grade de chef d’escadre. On raconte à ce sujet que ce fut le roi lui-même qui lui annonça sa nomination par ces mots : « Jean Bart, je vous ai fait chef d’escadre ; » et que l’intrépide marin aurait répondu : « Sire, vous avez bien fait. » Si cette réponse est exacte, on doit la considérer comme la parole d’un homme qui a la conscience de sa force et des nouveaux services qu’il pourra rendre ; peut-être aussi comme une revanche du mot que le roi lui avait dit l’année précédente, qui avait été moins féconde en prises et en succès : « Jean Bart, vous avez été moins heureux cette campagne que les précédentes. » Reproche cruellement injuste, adressé à un tel homme, et qui peint bien les exigences aveugles et insatiables de la puissance absolue. Jean Bart, malgré sa modestie, en avait été intérieurement choqué, car il le rappela dans la dépêche où il annonçait au comte de Toulouse, amiral de France, ses succès de la campagne de 1696.

L’année suivante, il fut chargé de conduire à Dantzig le prince de Conti, qui allait tenter de se mettre en possession de la couronne de Pologne. Il fallait passer sur une mer couverte d’ennemis ; seul, il fut jugé capable de remplir cette mission périlleuse et presque impossible. Il mit à la voile le 6 septembre. Vers l’embouchure de la Meuse, il rencontra 9 gros vaisseaux, auxquels il échappa. Le danger passé, le prince lui dit : « Attaqués, nous étions pris. — Jamais, répondit Jean Bart ; nous aurions tous sauté : mon fils était à la sainte-barbe avec ordre de mettre le feu au premier signal. » Le prince épouvanté répliqua : « Le remède est pire que le mal ; je vous défends de vous en servir tant que je serai sur votre vaisseau. »

Arrivé à Dantzig, le prudent Conti ne sut ou ne put entreprendre rien de sérieux. Il fallut le ramener en France. Chemin faisant, Jean Bart enleva 5 vaisseaux, qu’il laissa en dépôt au roi de Danemark.

Cette même année (1697), fut signée la paix de Ryswick, et Jean Bart se reposa pour la première fois de sa vie. Le glorieux marin vivait à Dunkerque, au milieu de sa famille, avec une simplicité plébéienne, lorsque éclata la guerre de la succession d’Espagne. Chargé du commandement d’une escadre, il en pressait l’armement avec tant d’activité qu’il contracta une pleurésie et mourut le 27 avril 1702, au moment où la France aurait eu le plus grand besoin de ses services. Il n’avait que cinquante-deux ans. Sa perte fut vivement sentie, non-seulement par la nation, mais, ce qui est plus rare, par le monde officiel, par la cour et par le roi lui-même, qui fit une pension de 2, 000 liv. à la veuve de l’illustre marin. De tant de prises qu’il avait faites, de tant de millions qu’il avait rapportés à l’État, l’honnête et grand marin n’avait rien gardé pour lui-même, car il ne laissa qu’une fortune médiocre à sa famille. Peu de temps après sa mort, on sentit mieux encore quel homme la France avait perdu, au moment où elle s’engageait dans cette terrible guerre qui la mit au bord de l’abîme. Un officier de grand mérite, M. de Pontis, illustré par sa fameuse expédition de Carthagène, succéda à Jean Bart dans le commandement de l’escadre de Dunkerque ; mais bloqué par plusieurs navires anglais et hollandais, il n’osa sortir et resta, pendant toute la campagne, tristement confiné dans le port. « Ah ! disaient les Dunkerquois, on voit bien que le pauvre M. Bart n’est plus là ! »

Quatre ou cinq fois, en effet, l’audacieux capitaine avait exécuté cette manœuvre étonnante, avec quelques vaisseaux et quoiqu’il fût bloqué par 30 et 40 navires ennemis. Un épisode inouï peut-être dans les annales de la marine, c’est que, dans la campagne de 1696, avec 7 frégates légères, il obligea les Anglais et les Hollandais à conserver en mer pendant cinq mois 52 vaisseaux divisés en trois escadres.

En 1845, Dunkerque a érigé à son illustre enfant une statue, œuvre de David d’Angers.

Marié deux fois, Jean Bart eut treize enfants, dont six seulement lui survécurent. Son fils aîné, François-Cornil Bart, né à Dunkerque en 1677, suivit son père, pour ainsi dire, au sortir du berceau, prit une part brillante aux guerres maritimes de son temps, fut nommé vice-amiral en 1753 et mourut deux ans plus tard, âgé de 78 ans. Il eut lui-même deux fils, dont l’un, Gaspard-François Bart, entra dans le génie, devint chef de brigade et mourut en 1782 ; l’autre, Philippe-François Bart, servit dans la marine, s’éleva au grade de chef d’escadre et mourut en 1784. C’était le dernier descendant mâle, en ligne directe, de Jean Bart.

Un frère du héros dunkerquois, Gaspard Bart, qui fut lui-même un brave capitaine de corsaire, eut un fils Pierre-Jean Bart, né à Dunkerque en 1712, qui servit avec quelque éclat dans la marine et eut les deux jambes emportées par un boulet en 1759, en se défendant contre 3 frégates anglaises. Le dernier rejeton des Bart est mort lieutenant de vaisseau en 1843, à l’île Bourbon. Les filles ou nièces de Jean Bart ont eu de nombreux enfants et petits-enfants ; mais nous croyons que le nom même de Bart est éteint.

Bart (Jean), statue en bronze, par David d’Angers, inaugurée à Dunkerque, en 1844. Le célèbre marin est debout, la tête tournée vers la droite, agitant son épée d’une main, comme pour diriger ses matelots à l’abordage, et tenant un pistolet dans son autre main qui est baissée. Il a son habit serré par une large ceinture, à laquelle est accroché un second pistolet. Il est coiffé d’un vaste chapeau à plume, et chaussé de grandes bottes à chaudron. Un de ses pieds est posé sur un agrès de navire, et, derrière lui, est une coulevrine. Cette statue, d’une tournure fière et énergique, a été lithographiée par M. E. Marc.