Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BARRY (Melchisédech), fameux opérateur du Pont-Neuf

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 269).

BARRY (Melchisédech), fameux opérateur du Pont-Neuf, né vers 1574, mort à Amiens vers 1654, brillait à Paris dans la première moitié, et même dès les premières années du XVIIe siècle. Il se tenait sur la place Dauphine et s’intitulait pompeusement médecin chimique, par opposition aux galéniques de la Faculté. Indépendamment de leur singe, de leur Marocain et du masque italien dont ils s’affublaient, les charlatans, qui aimaient à se donner une physionomie étrangère afin d’exciter plus fortement la curiosité de la foule, se choisissaient des femmes qui pussent compléter la physionomie exotique de la troupe. Barry eut tour à tour des compagnes italienne, anglaise, flamande, etc.. Ses courses en tout pays le mettaient à même de satisfaire largement son goût pour la variété. Entre autres excursions, Barry fit plusieurs fois le voyage de Rome. La première fois qu’il s’y rendit, la peste y exerçait de grands ravages, et les cardinaux mêmes prenaient la fuite. Notre médecin chimique alla trouver le pape et lui vanta avec tant d’éloquence la vertu de son antidote, qu’il le détermina à rester, ainsi que les hauts personnages qui se disposaient à abandonner la ville. Puis, sans perdre de temps, il fit élever un splendide théâtre sur la place Navone, et travailla si bien avec ses remèdes, qu’en moins de quinze jours la maladie fut arrêtée. L’opérateur se vit comblé d’honneurs et de biens. Le pape lui fit présent d’une médaille d’or, frappée en son honneur et portant, avec son effigie, l’inscription suivante ; Innocentius Decimus Barrido, Urbis sanatori, anno salutis m dc xliv. Barry rentra en France avec deux belles Romaines, les signore Morini et Colombina, qui ne purent se séparer de lui. Il arriva un jour à la célèbre foire de Guibray, suivi de sa troupe, troupe admirable, qui s’était récemment augmentée d’un Trivelin, fils naturel qu’il avait eu d’une Égyptienne. Ce Trivelin était un beau garçon qui, le premier, dansa sur la corde sans balancier. La foule, attirée par les riches décorations que Barry avait rapportées de Venise, l’excellence et la réputation de ses remèdes, la variété de ses pièces italiennes, jouées par de bons acteurs, affluait autour de lui et achetait son remède souverain. Mais il faillit, dans cette ville, mourir empoisonné publiquement par la Morini, qui était jalouse et se croyait moins aimée que la Colombina. Sa marchandise, employée à propos, le sauva. Voyant son coup manqué, la Morini corrompit le Trivelin et l’amena à profiter de la confiance de son père pour lui voler tout ce qu’il avait d’or et d’argent et fuir de Guibray. Barry descendit à Rouen, alors désolé par le pourpre, et délivra la ville de cette maladie. Puis il alla courir le royaume et les pays étrangers, sans rien changer de son genre de vie, quoiqu’il fût septuagénaire. Ce fut à Amiens qu’il termina son existence aventureuse. Un sauteur, qu’il avait amené de Portugal, le vola de concert avec Colombina ; puis tous deux se sauvèrent en Hollande. Son esprit succomba à ce coup, qui brisa en même temps un corps ruiné par quatre-vingts ans de travaux et de plaisirs. « Le grand Barry, le favori des princes, le vainqueur de la mort, s’en fut mourir à l’hôpital, où, dit M. Fournel, touché enfin de la grâce, il pleura amèrement ses fautes et eut la fin la plus édifiante. » Il est vrai que le vieillard était fou, ce qui nuit à l’effet du tableau. Dancourt, en 1702, a mis en scène ce contemporain de Mondor, de Tabarin et de l’Orviétan, sous ce titre : l’Opérateur Barry ; dans le prologue de cette comédie, l’auteur fait dire à son héros : « Il y a quatre-vingt-treize ans, je faisais un bruit de diable à Paris ». Ce qui reporte à 1609 l’époque dont il est question. Il existe en outre une Histoire de Barry, Filandre et Alison, publiée à la suite du Voyage de Guibray (1704), curieux et rarissime petit livre qui fait comme la suite naturelle du Roman comique. Cette Histoire de Barry est racontée par la propre fille de l’habile médecin chimique, dans le plus grand détail. L’auteur des spectacles populaires a esquissé cette physionomie, que les Biographies soi-disant générales et les dictionnaires de toutes sortes ont oubliée. Nous ne pouvions, nous, laisser dans l’oubli un nom qui fit tant de bruit autrefois, et qui revient souvent encore sous la plume des chroniqueurs du vieux Paris.