Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Atlantide

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 3p. 864-865).

ATLANTIDE, île fabuleuse, sur laquelle différents auteurs de l’antiquité nous ont laissé des récits légendaires, qui ont servi, dans ces derniers temps, de base à plusieurs hypothèses. L’auteur qui s’est étendu le plus longuement sur l’existence de cette contrée disparue est Platon. Il résulte de deux fragments importants de son Critias et de son Timëe, vraisemblablement empruntés à des sources égyptiennes, comme en convient Platon lui-même, qu’à une époque excessivement reculée, les Grecs eurent à résister à une invasion terrible, dirigée contre eux par un peuple sorti de la mer Atlantique, d’une lie plus étendue que la Libye et l’Asie réunies, dont une des extrémités s’avançait non loin des colonnes d’Hercule, c’est-à-dire du.détroit de Gibraltar actuel. Cette lie disparut subitement dans un terrible cataclysme, et fut entièrement engloutie dans les Bots en une nuit et un jour. Ce récit se trouve corroboré par les détails que l’on rencontre dans différents autres écrivains de l’antiquité grecque et latine, comme Homère, Hésiode, Euripide, Strabon, Pline, Elien, Tertullien, etc. Plusieurs savants, en présence de cette tradition assez précise, ont esquivé le problème sans le résoudre, et ont voulu y voir tout simplement une pure allégorie faisant allusion à quelques faits mythologiques. Mais plusieurs coïncidences remarquables nous font bien voir que la légende grecque devait avoir pour point de départ un événement authentique. Nous savons en effet que, dès la plus haute antiquité, les peuples habitant les côtes de la Méditerranée, Carthaginois, Phéniciens, Grecs même, avaient poussé leurs excursions commerciales dans certaines contrées situées au delà des colonnes d’Hercule, qu’on retrouve sous les noms d’îles Fortunées, Iles Elysiennes, terre des Hespérides, etc., et qu’on a voulu identifier, peut-être non sans raison, avec les Canaries, Madère, les Açores. M. de Rienzi résume ainsi la description que Platon nous donne de l’Atlantide et de ses habitants : C’était une des plus belles contrées de l’univers ; l’or brillait dans ses temples ; ses forêts donnaient une grande quantité de bois de construction ; les descendants de Neptune y régnèrent, de père en fils, pendant l’espace de neuf mille ans (qu’Eudoxe réduit à neuf mille mois) ; ils vivaient sobres, vertueux et religieux ; mais plus tard, au lieu de cultiver leurs champs, de se livrer au commerce, de suivre les lois et de respecter les dieux, ils étendirent leur domination, subjuguèrent les îles voisines, toute l’Afrique jusqu’à l’Égypte, et l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie. Enfin, Jupiter châtia cette nation impie et guerrière de la manière que nous avons rapportée plus haut.

Plusieurs hypothèses, avons-nous déjà dit, ont été émises pour expliquer l’existence de cet immense continent submergé par un déluge subit. Ainsi Oviédo, un des premiers, a voulu rattacher l'Atlantide à l'Amérique, opinion que nous examinerons plus en détail tout à l’heure, et l’a identifiée avec le pays des Amazones, situé dans l'Amérique méridionale. Rudbek a cru y reconnaître la Scandinavie. Latreille a essayé de placer l’Atlantide dans la Perse actuelle. De Baer, un des auteurs qui ont traité le plus longuement la question, veut absolument reconnaître dans les habitants de l’Atlantide les douze tribus juives ; le cataclysme répondrait à l’anéantissement de Gomorrhe et de Sodome. Bailly avait déjà, en 1779, dans ses lettres sur l’Atlantide, placé cette contrée sur le plateau de la Mongolie, et établi tout un système de migration ethnique dérivant de cette hypothèse. Mais l’opinion la plus généralement accréditée est celle qui veut voir dans l’Atlantide une partie de l’Amérique ; parmi les auteurs qui ont adopté et défendu cette hypothèse, en y introduisant quelques différences peu importantes, nous citerons Buache, qui, suivant la chaîne de bas-fonds qui s’étend du Cap de Bonne-Espérance au Brésil, crut y voir la trace de l’Atlantide.. Buffon voulut également rattacher l’Atlantide à l’Amérique. Mac-Culloch assimile l’Atlantide aux Antilles, et suppose que les différentes petites îles semées dans cette direction, entre l’Amérique, et l’ancien monde, sont les pointes émergeantes du continent englouti. De Paw croit que l’Amérique n’est autre que l’Atlantide submergée à une époque reculée, puis abandonnée de nouveau par les eaux. Une circonstance qui militerait en faveur de ces dernières opinions, c’est l’existence aux îles Canaries d’un peuple, les Guanches, aujourd’hui disparu, mais vivant encore lors de l’arrivée des Espagnols, lequel avait des usages analogues a ceux des Égyptiens et de différents peuples d’Amérique, et dont la langue présentait quelques affinités de lexique et de grammaire avec les idiomes de ces nations. Un auteur beaucoup plus ingénieux que critique, et qui appartient à cette école d’érudition douteuse représentée par Court de Gébelin, Fabre d’Olivet, prétend, dans son histoire du genre humain, que les deux races primitives qu’il reconnaît dans l’humanité, les Sudéens et les Boréens, se donnèrent différents surnoms qui depuis sont devenus génériques. Les habitants de l’Europe, dit-il, ayant appris que les Sudéens se donnaient à eux-mêmes le titre d’Atlantos, c’est-à-dire les maîtres de l’univers (de atla, le maître, l’ancien, le père, et de lant-land, l’étendue universelle, la terre), prirent celui de Celtes, c’est-à-dire les héros, et sachant en outre qu’à cause de la couleur blanche de leur peau, on leur donnait le nom injurieux de Prythes, ils désignèrent leurs ennemis par le nom expressif de Pelasks (Pelasges), c’est-à-dire peaux tannées ou peaux noires. — Bien entendu que nous ne soumettons ces hypothèses à nos lecteurs qu’à titre de simples curiosités sans grande valeur scientifique.

Quant à l’explication du terrible cataclysme qui fit disparaître cette contrée, voici, d’après M. de Rienzi, l’opinion de Tournefort et de Bory de Saint-Vincent, : Tournefort, s’appuyant sur un passage de Diodore de Sicile, suppose que le Pont-Euxin était d’abord sans communication avec la mer de Grèce, etqu’ayant reçu pendant des siècles les eaux des plus grands fleuves d’Europe et d’Asie, il s’ouvrit un passage dans le Bosphore par la Méditerranée, qui n’était alors qu’un grand lac ; que la Méditerranée à son tour, après avoir submergé des parties de terre, fit irruption aux colonnes d’Hercule, maintenant le détroit de Gibraltar, et submergea l’Atlantide qui se trouvait en face. M. Bory de Saint-Vincent, s’appuyant sur la remarque déjà faite que l’intérieur de l’Afrique n’est que le lit d’un immense lac anciennement desséché, peut-être du lac Trytonide, que les anciens mêmes ne connaissaient plus, et qui, selon Diodore, disparut par la rupture de terres qui le firent s’écouler dans l’Océan, ce qui a pu amener la submersion de l’Atlantide, M. Bory de Saint-Vincent, disons-nous, admet, en conséquence, que l’Atlantide se composait des lies Açores a son extrémité septentrionale, de Madère à sa partie orientale, et des îles qui l’entourent, des Canaries au nord de Madère ; enfin, des îles du Cap-Vert à son extrémité méridionale. M. de Rienzi ajoute : Diodore parle d’un lac des Hespérides mis & sec par un tremblement de terre, et alors les régions du mont Atlas, autrefois entourées d’une double Méditerranée, auraient formé l’Ile Atlantide. Quant au Sahara, que les Arabes nomment la mer sans eau (bahr bitâ ma), quoique le niveau en soit encore imparfaitement connu, la nature géologique du terrain annonce qu’il n’a pu être couvert par l’Océan qu’à une époque antérieure aux temps historiques.

On voit que la diversité même des solutions proposées prouve surabondamment que le problème est loin encore d’être résolu. Cependant, quelques faits restent désormais acquis à la science dans cette importante question, et devront servir de point de départ à des investigations ultérieures. Ainsi, il est maintenant parfaitement hors de doute que c’est à l’O. de l’Europe, et non pas à l’E., comme le voulaient Bailly et Baer, qu’il faut rechercher l’Atlantide ; que le nom d’océan Atlantique, donné aujourd’hui à la mer qui sépare l’Amérique de l’Europe et de l’Afrique, suffit à indiquer la position générale qu’occupait l’Atlantide ; que c’est par conséquent dans cette direction qu’il faut la chercher. Espérons que la philologie et l’ethnographie, qui, s’appuyant l’une sur l’autre, possèdent aujourd’hui de si puissants moyens d’action, nous apporteront des éléments nouveaux pour trouver le mot de cette énigme. Des fouilles dirigées par des


archéologues, et des sondages exécutés par des hommes spéciaux seraient aussi indispensables pour contrôler les inductions qu’on tirera du témoignage des écrivains anciens et des rapprochements philologiques, historiques, anthropologiques, etc.