Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Ami des Lois (L’), comédie en cinq actes et en vers, de Jean-Louis Laya

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 273).

Ami des Lois (L’), comédie en cinq actes et en vers, de Jean-Louis Laya, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Nation, le 2 janvier 1793. Cette pièce, toute politique, obtint un succès immense, et l’empressement avec lequel le public se porta à la première représentation fut tel, qu’un nombre considérable de curieux auxquels il avait été impossible de pénétrer dans la salle, passèrent à la porte toute la nuit et la journée du lendemain pour assister à la deuxième représentation. L’auteur, rappelé par le public, dut paraître sur la scène. Son œuvre reflétait trop exactement les passions de l’époque pour ne pas froisser vivement les uns et réjouir les autres. À chaque représentation, la rivalité des deux partis se dessinait de plus en plus, et le tumulte allait croissant. Une lutte s’engagea bientôt au sujet de l’Ami des Lois entre la Convention et la Commune. Celle-ci, sur la réquisition d’Hébert, prit un arrêté qui interdisait l’ouvrage. Le lendemain, la foule se porte encore au Théâtre-Français. Les comédiens font demander des instructions à Chambon, maire de Paris, qui accourt au théâtre. Laya, de son côté, se rend à la Convention. C’était le 12 janvier ; toutes les préoccupations étaient pour le procès du roi. Vergniaud présidait. Laya demande par un billet à paraître à la barre ; il est admis ; mais à peine est-il entré qu’il se voit forcé de sortir. Vergniaud lit une seconde fois le billet de Laya, et demande le vote ; l’assemblée passe à l’ordre du jour. Au même moment arrive une lettre de Chambon. Le maire écrit du théâtre même, au milieu de la foule qui le retient et demande la pièce ; il peint le désordre qui règne dans la salle et aux alentours. L’Assemblée, sur la proposition de Kersaint, adopte un ordre du jour motivé qui, transmis à Chambon, est lu par lui au public, après quoi la pièce est jouée. La Commune est indignée de voir un de ses arrêtés cassé par la Convention ; elle mande Chambon, lui reproche d’avoir manqué à ses devoirs. Cependant le procès de Louis XVI se poursuivait. Entre autres mesures de police, la Commune ordonne la clôture des spectacles. Le conseil exécutif provisoire casse l’arrêt de la Commune ; mais, en même temps, il enjoint aux théâtres d’éviter la représentation des pièces qui, jusqu’à ce jour, ont occasionné des troubles, et qui pourraient les renouveler. On trouvait ainsi un moyen détourné de frapper l’Ami des Lois et de revenir sur le décret de la Convention. Celle-ci interrompt le jugement du roi pour discuter la décision du conseil exécutif. L’ancien maire de Paris, Pétion, s’élève contre les prétentions du conseil ; il ne comprend pas la censure préventive ; il admet seulement que l’on réprime des désordres, que l’on agisse sur des faits et non sur des hypothèses.. Guadet l’appuie. Dubois de Crancé dit qu’une foule d’aristocrates se rendent à Paris, désertant les drapeaux de Condé, et qu’il ne faut point leur fournir de lieu de rassemblement. Il « ne juge point l’Ami des Lois ; les principes sont bons, mais le but de l’auteur est perfide. À la dernière représentation de cette pièce, ajoute-t-il, il n’y avait que des valets de ci-devant. » Enfin Danton traduit en ces termes les impatiences de la Montagne : « Je l’avouerai, citoyens, je croyais qu’il était d’autres objets que la comédie qui dussent nous occuper (Quelques voix : Il s’agit de la liberté !). Oui, il s’agit de la liberté ; il s’agit de la tragédie que vous devez donner aux nations ; il s’agit de faire tomber sous la hache des lois la tête d’un tyran ; il ne s’agit pas de misérables comédies… » Pétion réplique que le pouvoir exécutif a violé la plus sainte des lois, la liberté. « C’est, dit-il, c’est toujours en interdisant vaguement ce qui pourrait occasionner du trouble, qu’on a, sous l’ancien régime, enchaîné toutes les espèces de liberté. La loi met les pièces de théâtre sous la responsabilité des auteurs et des acteurs ; voilà la vraie, la seule responsabilité… Où commence la responsabilité ? Ce n’est pas sur des suppositions ; c’est lorsqu’il y a un acte, un fait, que le pouvoir municipal intervient. Alors il y a exercice de la police, et sans doute il est libre au magistrat de suspendre la représentation d’une pièce qui occasionne des troubles qu’on ne peut arrêter autrement….. » Enfin l’arrêt du conseil exécutif fut cassé, et, le 30 mars, la Commune triompha de l’Ami des Lois, en suspendant les représentations de la comédie de Laya, qui lui paraissait de nature à corrompre l’esprit républicain.

L’Ami des Lois avait eu du retentissement non-seulement à Paris, mais encore dans les départements. Les royalistes y avaient vu l’occasion d’une manifestation publique contre les gouvernants d’alors. C’était une protestation contre ce que l’auteur appelait les anarchistes. Ainsi il disait :

Patriotes ? eh ! qui ? ces poltrons intrépides,
Du fond d’un cabinet prêchant les homicides,
Ces Solons nés d’hier, enfants réformateurs.
Qui, rédigeant en lois leurs rêves destructeurs,
Pour se le partager voudraient mettre à la gêne
Cet immense pays rétréci comme Athène.
Ah ! ne confondez pas le cœur si différent
Du libre citoyen, de l’esclave tyran.
L’un n’est point patriote, et vise à le paraître ;
L’autre tout bonnement se contente de l’être.

Et plus loin :

Que tous ces charlatans, populaires larrons,
Et de patriotisme insolents fanfarons,
Purgent de leur aspect cette terre affranchie.
Guerre, guerre éternelle aux faiseurs d’anarchie !
Royalistes tyrans, tyrans républicains.
Tombes devant les lois, voilà vos souverains !

Tout cela n’est pas très-fort. L’Ami des Lois était en effet une comédie médiocre, très-médiocrement écrite. C’était l’opinion de l’auteur lui-même, qui, en parlant de son œuvre, disait à vingt-cinq ans de distance : « Ce n’était pas un bon ouvrage, mais c’était une bonne action. » Était-ce réellement une bonne action ? Ici la réponse dépend surtout du point de vue auquel on se place pour juger les hommes et les choses de la Révolution. En protestant contre le régicide, en bravant certains personnages tout-puissants, Laya faisait, nous le voulons bien, un acte de courage ; voilà tout ce qu’il est permis de lui accorder aujourd’hui.