Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Algésiras

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 200).
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ALGÉSIRAS, ville d’Espagne, province de Cadix, sur le détroit de Gibraltar ; 11,000 hab. Alphonse XI prit cette ville en 1344 sur les Maures, qui, dit-on, firent usage du canon, encore inconnu au reste de l’Europe. Mais cette petite ville est surtout célèbre par le brillant combat que l’amiral français Linois soutint contre l’amiral anglais Saumarez, le 6 juillet 1801. Ce succès, qui rappelait les plus grands jours de notre ancienne marine, produisit en France un enthousiasme général. Voici le récit qu’en fait M. Thiers dans son Histoire du Consulat : « Le 6 juillet 1801, vers sept heures du matin, le contre-amiral Saumarez, venant de Cadix par un vent d’ouest nord-ouest, s’achemina vers la baie d’Algésiras, doubla le cap Carnero, entra dans la baie et se porta vers la ligne d’embossage des Français. Le vent, qui n’était pas favorable à la marche des vaisseaux anglais, les sépara les uns des autres, et heureusement ne leur permit pas d’agir avec tout l’ensemble désirable. Le Vénérable, qui était en tête de la colonne, resta en arrière ; le Pompée prit sa place. Celui-ci, remontant le long de notre ligne, défila successivement sous le feu de la batterie de l’île Verte, de la frégate la Muiron, de l’Indomptable, du Desaix, du Formidable, lâchant ses bordées à chacun d’eux. Il vint prendre position à portée de fusil de notre vaisseau-amiral le Formidable, monté par Linois. Il s’engagea entre ces deux adversaires un combat acharné, presque à bout portant. Le Vénérable, éloigné d’abord du lieu de l’action, tâcha de s’en rapprocher, pour joindre ses efforts à ceux du Pompée. L’Audacieux, le troisième des vaisseaux anglais, destiné à combattre le Desaix, ne put pas arriver à sa hauteur, s’arrêta devant l’Indomptable, qui était le dernier au sud, et commença contre celui-ci une vive canonnade. Le César et le Spencer, quatrième et cinquième vaisseaux anglais, étaient l’un en arrière, l’autre entraîné au fond de la baie par le vent, qui soufflait de l’ouest à l’est. Enfin, le sixième, l’Hannibal, porté d’abord vers Gibraltar, mais parvenu après de pénibles efforts à se rapprocher d’Algésiras, manœuvra pour tourner notre vaisseau amiral, le Formidable, et se placer entre lui et la côte. Le combat entre les vaisseaux qui avaient pu se joindre était fort opiniâtre. Pour n’être pas emportés d’Algésiras vers Gibraltar, les vaisseaux anglais avaient chacun jeté une ancre. Notre vaisseau amiral, le Formidable, avait deux ennemis à combattre, le Pompée et le Vénérable, et allait en avoir trois, si l’Hannibal réussissait à prendre position entre lui et la côte. Le capitaine du Formidable, le brave Lalonde, venait d’être emporté par un boulet. La canonnade continuait avec une extrême vivacité, aux cris de : Vive la République ! Vive le premier Consul ! L’amiral Linois, qui était à bord du Formidable, montrant à propos le travers au Pompée, qui ne lui présentait que l’avant, avait réussi à le démâter et à le mettre à peu près hors de combat ; profitant en même temps du changement de la brise, qui avait passé à l’est et portait sur Algésiras, il avait fait signal à ses capitaines de couper leurs câbles et de se laisser échouer, de manière à ne pas permettre aux Anglais de passer entre nous et la côte, et de nous mettre entre deux feux, comme autrefois Nelson avait fait à la bataille d’Aboukir. Cet échouage ne pouvait pas avoir de grands inconvénients pour la sûreté des bâtiments français, car on était à la marée basse, et à la marée haute ils étaient certains de se relever facilement. Cet ordre, donné à propos, sauva la division. Le Formidable, après avoir mis le Pompée hors de combat, vint s’échouer sans secousse, car la brise en tournant avait faibli. Se dérobant ainsi au danger dont le menaçait l’Hannibal, il acquit à l’égard de celui-ci une position redoutable. En effet, l’Hannibal, en voulant exécuter sa manœuvre, avait échoué lui-même, et il était immobile sous le double feu du Formidable et de la batterie St-Jacques. Dans cette situation périlleuse, l’Hannibal fait effort pour se relever ; mais la marée baissant, il se trouve irrévocablement fixé à sa position. Il reçoit de tous côtés d’épouvantables décharges d’artillerie, tant de la terre que du Formidable et des canonnières espagnoles. Il coule une ou deux de ces canonnières, mais il essuie plus de feux qu’il ne peut en rendre. L’amiral Linois, ne jugeant pas que la batterie St-Jacques fût assez bien servie, débarqua le général Devaux, avec un détachement des troupes françaises qu’il avait à bord. Le feu de cette batterie redouble alors, et l’Hannibal est accablé. Mais un nouvel adversaire vient achever sa défaite. Le second vaisseau français, le Desaix, qui était placé après le Formidable, obéissant à l’ordre de se jeter à la côte, et ayant, à cause de la faiblesse de la brise, exécuté lentement sa manœuvre, se trouvait ainsi un peu en dehors de la ligne, également en vue de l’Hannibal et du Pompée, que le Formidable, en s’échouant, avait découverts à ses feux. Le Desaix, profitant de cette position, lâche une première bordée au Pompée, qu’il maltraite au point de lui faire abattre son pavillon, puis dirige tous ses coups sur l’Hannibal. Ses boulets, rasant les flancs de notre vaisseau amiral le Formidable, vont porter sur l’Hannibal un affreux ravage. Celui-ci, ne pouvant plus tenir, amène aussi son pavillon. C’étaient par conséquent deux vaisseaux anglais sur six réduits à se rendre. Les quatre autres, à force de manœuvres, étaient rentrés en ligne, et assez pour combattre à bonne portée le Desaix et l’Indomptable. Le Desaix, avant de s’échouer, leur avait fait tête, tandis que l’Indomptable et la frégate la Muiron, en se retirant lentement vers la côte, leur répondaient par un feu bien dirigé. Ces deux derniers bâtiments étaient venus se placer sous la batterie de l’île Verte, dont quelques soldats français débarqués dirigeaient l’artillerie.

« Le combat durait depuis plusieurs heures, avec la plus grande énergie. L’amiral Saumarez, ayant perdu deux vaisseaux sur six, et n’espérant plus aucun résultat de cette action, car pour aborder les Français de plus près il aurait fallu courir la chance de s’échouer avec eux, donna le signal de la retraite, nous laissant l’Hannibal, mais voulant nous enlever le Pompée, qui, tout démâté, restait immobile sur le champ de bataille. L’amiral Saumarez avait fait venir de Gibraltar des embarcations, qui réussirent à remorquer la carcasse du Pompée, que nos vaisseaux échoués ne pouvaient plus reprendre. l’Hannibal nous resta.

« Tel fut ce combat d’Algésiras, où trois vaisseaux français combattirent contre six anglais, en détruisirent deux, et sur les deux en gardèrent un prisonnier. Les Français étaient remplis de joie, quoiqu’ils eussent essuyé des pertes sensibles. Le capitaine Lalonde, du Formidable, était tué ; Moncousu, capitaine de l’Indomptable, était mort glorieusement. Nous comptions environ 200 morts et 300 blessés, en tout 500 officiers et marins hors de combat, sur 2,000 qui montaient l’escadre ; mais les Anglais avaient eu 900 hommes atteints par le feu ; leurs vaisseaux étaient criblés… »

À quelques jours de là, le Formidable devait encore se couvrir de gloire, en résistant victorieusement à trois vaisseaux anglais. Toute la France battit des mains à ces beaux faits d’armes, et le 28 juillet, le premier Consul envoyait un sabre d’honneur au brave amiral Linois.