Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/AMÉRIQUE, une des cinq parties du monde

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 262-268).

AMÉRIQUE, une des cinq parties du monde, qui s’étend, en longueur d’un pôle à l’autre, et qui offre, par conséquent, comme l’ancien continent, les productions naturelles de tous les climats. — Un coup d’œil jeté sur la carte de " " —’•ique, en grave aussitôt la configuratior

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sud, reliées entre elles par i „ ■ terre fort étroite, l’isthme de Panama. Un chemin de fer de 80 kilomètres livré à la circulation depuis 1855, .mesure la largeur de cet isthme dont le percement n’a pu jusqu’ici être tenté, et sert de trait d’union entre le Pacifique et l’Atlantique, les deux océans les plus vastes du globe. Une troisième partie du nouveau monde est formée par l’archipel des Indes occidentales, véritable Océanie en miniature, où chaque nation européenne a le pied, parce que toutes ont commis que le maître de ces îles aurait seul la clef du golfe du Mexique, et la haute main sur tout le cômmer«e entre les ports de deux Amériques. Enfin, en 1850, le capitaine Uac Clure, à bord de l’Investigator, trouva le fameux passage nord-ouest, pénétra du détroit de Behring dans la baie de Baftin ; d’un océan à l’autre, et prouva que l’Amérique du Nord proprement dite est complètement séparée par un bras de mer du Cumberland, de la Nouvelle-Géorgie et du Groenland, qui forment ainai ce qu’on peut appeler la quatrième partie de 1 hémisphère américain. Les glaces polaires empêchent le commerce de profiter de la solution de ce problème géographique, solution à la recherche de laquelle le capitaine Franklin, avec tout son équipage,

Découverte par Christophe Colomb, l’Amérique ne porte pas le nom de celui qui l’a révélée à l’ancien monde. Ce fut Amerigo Vespucci, de Florence, l’auteur de la première Relation de voyage dans les pays nouvellement découverts, qui eut l’honneur de donner son nom au continent américain, que l’on aurait dû appeler Colombie. Un petit État de l’Amérique du Sud et le district dans lequel se trouve la capitale des États-Unis, ont seuls revendiqué Christophe Colomb pour parrain, et se nomment, l’un, le District, l’autre, la République de Colombie. Dans les premiers temps de la découverte, on partagea l’erreur de Colomb, qui croyait avoir rencontré la côte ouest de l’Inde. De là le nom d’Indes occidentales longtemps donné à l’Amérique. Ainsi le grand homme est mort, ignorant qu’il avait découvert un nouveau monde entièrement séparé de lap"’""1

5,200 de largeur ; l’Amérique du Sud, 7,343 kil. de longueur, et 4,861 de largeur. Les deux Amériques offrent un périmètre de 70,000 kil., et, y compris les îles, 38 millions de kil. carrés. La population totale est évaluée à 60 millions d’hab. L’Amérique est bornée au nord par l’océan Arctique, à l’est par l’océan Atlantique, au sud par l’océan Austral, à l’ouest par le Grand Océan, le détroit de Behring et l’océan Arctique. Elle s’étend du 36" de longitude est au 170° ouest, et du 71» de latitude nord au 54° de lat. sud. Les principales mers qui la baignent, outre les quatre grandes qui lui servent de bornes, sont : les mers d’Hudson, de Baffin, des Antilles, de Behring et la mer Vermeille ; les principaux golfes sont ceux du Mexique, de Honduras et de Panama ; détroits : de Davis, de Magellan et de Behring ; presqu’îles : Labrador, Nouvelle-Écosse, Floride, Yucatan, Californie, Alaska ; îles et archipels : le Groenland, Terre-Neuve, les Bermudes, les Lucayes ou Bahama, les grandes Antilles, les petites Antilles ; enfin, les îles Malouines, les îles de la Terre de feu, Quadra et Vancouver, l’archipel du Roi-Georges et les îles Aléoutiennes ; caps : Farewell, Cod, Catoche, Gallinas, Saint-Roch, Horn, Blanc, San-Lucas et le cap du Prince-de-Galles ; principaux fleuves et rivières : le Mackensie, le Nelson, le Saint-Laurent, le Mississipi ; les riv. du Missouri, de l’Ohio et de l’Arkansas, qui se jettent dans le Mississipi ; le Rio-del-Norte ; la Madeleine, l’Orénoque, l’Amazone ; les riv. de Madeira, Xingu, Rio-Negro, qui se jettent dans l’Amazone ; le Tocantin, le Saint-François, le Rio-de-la-Plata, l’Uruguay, le Parana, qui reçoit le Paraguay ; le Rio-Colorado, le Rio-Sacramento, l’Orégon ou Colombia, enfin le Connecticut, l’Hudson, la Susquehannah et le Potomac, fleuves beaucoup moins considérables, mais importants par l’état de civilisation qui règne sur leurs bords ; les principaux lacs sont ceux du Grand-Ours, de l’Esclave, des Montagnes, de Winnipeg, les lacs Supérieur, Michigan, Champlain, Huron, Érié, Ontario (c’est entre ces deux lacs que se trouve la fameuse cataracte du Niagara) ; de Nicaragua, de Maracaibo, de Titicaca et de Los Patos. Les deux Amériques sont traversées du nord au sud par une chaîne de montagnes unique, qui change de nom en changeant de contrée, savoir : la Cordillière des Andes, la Cordillière du Mexique, les montagnes Rocheuses, les Alleghanys et les montagnes du Brésil.

Mais ce n’est pas une nomenclature géographique, forcément aride, qui peut donner, comme nous voudrions l’établir, une idée de la supériorité de l’Amérique sur l’ancien monde, sous le rapport des avantages naturels. On dirait que la Providence, en jetant, isolé au milieu des eaux, ce continent gigantesque, en le privant pendant tant de siècles de communion intellectuelle avec les autres parties de la terre, a voulu lui donner une compensation dans un plus grand développement des forces physiques. À part les pics de l’Himalaya, aucune montagne de l’ancien monde n’est comparable en hauteur aux crêtes des Andes, qui, d’ailleurs, dépassent l’Himalaya sous le rapport de l’étendue de la chaîne. Les Cordillières courent du sud au nord de l’Amérique, longeant l’océan Pacifique, et protégeant à droite les immenses vallées de l’Orénoque et du Mississipi, qui sont, de l’autre côté, garanties de l’océan Atlantique par les sommets plus faciles à escalader des monts Brésiliens et des Alleghanys. L’Amérique s’allonge entre deux océans, maintenus à droite et à gauche par de véritables digues, qui sont ces deux chaînes de montagnes. Comme pour faciliter encore les relations mutuelles des deux principales parties de ce double continent, les eaux du golfe du Mexique servent à la fois de port naturel et de route facile entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Le système hydraulique de l’Amérique est le plus beau et le plus complet qui existe. Les lacs de l’ancien monde sont des étangs, et ses fleuves des ruisseaux, si on les compare aux lacs et aux fleuves de l’Amérique. Ajoutons que dans l’Amérique du Nord, lacs et fleuves offrent l’immense avantage de se compléter l’un par l’autre, en sorte qu’il a suffi de quelques faibles travaux d’art pour en faire un réseau qui permet aujourd’hui à un navire entrant par le fleuve Saint-Laurent, de gagner la région des grands lacs ; de déboucher dans le Mississipi, et de venir s’amarrer aux quais de la Nouvelle-Orléans, prêt à repartir pour l’Europe. L’Amérique ne connaît ni les saharas ni les steppes de l’Afrique et de l’Asie. Ses déserts sont vivants, peuplés d’animaux domestiques à l’état sauvage. Les buffles, les chevaux, les taureaux croissent et multiplient dans les immenses prairies de l’Amérique du Nord, et dans les llanos et pampas de l’Amérique du Sud.

La vaste étendue de l’Amérique en latitude, son étroitesse dans sa partie intertropicale comparée à la largeur qu’elle acquiert dans sa partie boréale ; la disposition des montagnes de cette dernière, qui laisse un libre accès aux vents glacés du nord ; la hauteur de ces massifs eux-mêmes ; enfin son étroitesse dans sa partie australe, expliquent à la fois comment cette partie du monde possède tous les climats, et comment, à latitude égale, elle est beaucoup plus froide que l’ancien continent. En effet, celles de ses parties qui, par leur position géographique devraient jouir d’une température modérée, et produire les fruits du midi de l’Europe, sont exposées à de longs et rigoureux hivers, tandis qu’on ne retrouve nulle part dans ses régions intertropicales les chaleurs torrides de l’Asie et de l’Afrique. En général, le climat de l’Amérique est très-sain. La science et l’expérience ont démontré combien étaient vaines les terreurs qu’éprouvaient les Européens à l’idée d’habiter la zone torride du nouvel hémisphère. L’hygiène, il est vrai, s’est montrée jusqu’ici impuissante contre les fièvres miasmatiques qui règnent dans la saison des pluies à l’isthme de Panama ; mais l’Amérique centrale a toujours été une contrée salubre ; la terrible fièvre jaune a disparu de la Nouvelle-Orléans depuis que les fédéraux entretiennent la ville dans un état de propreté convenable. Il en a été ainsi à la Vera-Cruz, où les mêmes mesures ont fait reculer le fléau, pendant l’occupation française. Les terres américaines sont les plus riches du monde en métaux précieux ; on se fera une idée de l’énorme quantité d’or et d’argent que les mines ont fourni à la circulation, si l’on considère que de 1733 à 1825, il a été frappé à la seule monnaie de Mexico pour une valeur de 7,394,869,000 fr., et que, suivant M. de Humboldt, le produit de ces mines s’élevait, pour l’année 1803, à près de 40 millions d’or, et plus de 200 millions d’argent. On connaîtbles inépuisables placers de labCalifornie. Le Chili et l’île de Cuba possèdent de riches mines de cuivre, et les États-Unis d’abondantes mines de fer et de vastes dépôts houillère ; le Pérou a des mines de mercure, aujourd’hui abandonnées, mais non épuisées ; enfin le Brésil fournit à l’univers entier ses diamants et ses pierres précieuses. Le sol de l’Amérique est presque partout susceptible de culture, et, dans beaucoup d’endroits, d’une admirable fertilité ; les produits des contrées équatoriales sont la vanille, la cochenille, le sucre, le cacao, le café, le gingembre, la noix muscade, le quinquina, l’indigo, le coton, le tabac, les gommes, les résines, et une énorme quantité de plantes médicinales ; d’immenses forêts, encore en grande partie vierges, sont remplies d'arbres d'un bois précieux pour la construction, l’ébénisterie et la teinture ; on y trouve l’acajou, le bois dit de Brésil, le bois de Campèche, etc. ; c’est à l’Amérique que nous devons la pomme de terre, le tabac, le maïs, le millet.

L’Amérique offre sous le rapport zoologique, des caractères particuliers sur lesquels nous devons appeler l’attention. Quelques espèces, telles que le renne, l’élan, le loup, le castor, etc., sont communes à l’ancien et au nouveau continent. D’autres, telles que les tatous, les paresseux, les sarigues, etc., appartiennent exclusivement à l’Amérique. Enfin un grand nombre d’espèces de l’ancien monde ne figurent pas dans la faune américaine, mais y sont représentées par des espèces analogues ; nos lions, nos tigres, nos panthères, s’y trouvent remplacés par le puma, le jaguar, l’ocelot ; nos cochons, nos sangliers, par le pécari, le tajassou, etc. ; nos ruminants, par le lama, l’alpaca, la vigogne, etc. ; nos rongeurs par le camu, l’agouti, etc. Les anciens Américains ne connaissaient aucun de nos animaux domestiques ; on sait quelle surprise mêlée de frayeur leur inspira la vue de nos chevaux. La classe des oiseaux compte en Amérique un grand nombre d’espèces, presque toutes remarquables par la beauté des couleurs. Les oiseaux de proie l’emportent en général, pour la taille, sur ceux de l’ancien continent qui n’a rien à opposer au condor des Andes. Quant aux reptiles, ils pullulent dans les forêts marécageuses des régions centrales ; les plus redoutables sont l’alligator, le boa constrictor, le crotale ou serpent à sonnettes, le trigonocéphale, etc.

Races. Les diverses races humaines se sont donné rendez-vous sur le continent américain. Le plus beau type, le type blanc de la race caucasienne, se trouve au Canada et dans les États-Unis. La peau des misses de New-York, de Philadelphie, de Baltimore et de Québec, ne le cède ni en blancheur ni en teintes rosées, à celle des young ladies de Londres et de nos Parisiennes. Le nègre du Congo, avec son nez écrasé, son front déprimé, sa chevelure laineuse et sa peau d’ébène, reconnaîtrait son sang, sans aucun mélange, parmi les noirs des États cotonniers, de Haïti et des Guyanes. Le teint olivâtre des populations malaisiennes et asiatiques se trouve chez les Indiens, parmi les races autochthones de l’Amérique du Nord et du Sud. Mais ce qui donne à l’Amérique une physionomie toute particulière au point de vue ethnologique, c’est le mélange continuel de toutes ces races, réalisant doublement la légende de la tour de Babel. On comprend que rien de semblable ne pouvait se produire dans l’ancien monde, où les populations d’origine différente, parquées chacune dans leurs limites naturelles, ne se mêlèrent jamais que sous l’impulsion d’événements accidentels, de guerres, d’invasions temporaires. L’expression de sang mêlé, qui désigne les nombreux individus réunissant dans leurs veines le sang de races diverses, et qui comprend les mulâtres, les créoles, les quarterons, octorons, etc., témoigne du rôle considérable que le croisement a joué dans le développement de la population américaine.


Religions. Excepté le mahométisme, toutes les religions du globe sont représentées sur le continent américain. Chacune s’y retrouve avec les caractères et les rites qui lui sont particuliers dans l’ancien inonde. L’homme qui assiste à une messe dans la cathédrale de Santiago ou de New-York se croirait à Notre-Dame de Paris ; et le service divin est absolument le même à Saint-Paul de Londres qu’à l’église épiscopale de Boston. Mais, de même que l’Amérique a vu surgir des races nouvelles du mélange de toutes celles qui se sont rencontrées sur son sol hospitalier, de même toutes les religions y ont fleuri, et de leur contact sont sorties une foule de religions nouvelles, et dont les plus remarquables sont le baptisme, le méthodisme et le mormonisme. Le protestantisme, avec ses milliers de sectes, est le culte dominant dans l’Amérique du Nord, parmi les populations anglo-saxonnes des colonies britanniques et des États-Unis ; mais le catholicisme compte le double d’adhérents, qu’il recrute au nord chez les émigrants de la race latine et celtique (les Français du Canada, les Irlandais des États-Unis), au sud et dans l’Amérique centrale, parmi les peuples de race latine, descendants des Espagnols. C’est à peine si quelques milliers d’Indiens sauvages pratiquent encore l’idolâtrie.


Histoire. L’histoire de l’Amérique, si sommairement qu’on veuille l’écrire, se divise forcément en trois parties bien distinctes :

Découverte ; 2° Conquête et colonisation ; 3° Constitution des diverses nationale


Découverte. D’où venaient les peuples que les Européens rencontrèrent en Amérique lors des grandes découvertes du XVe et du XVIe siècle ? Sont-ils véritablement autochthones, ou des rameaux qui se sont séparés, à une époque inconnue de races de l’ancien continent ? Ce problème, qui a singulièrement embarrassé les historiens catholiques de la conquête, n’en est pas un pour les partisans de la pluralité des espèces humaines. Diverses hypothèses ont été émises par ceux qui admettent l’unité. Les monuments trouvés au Mexique, au Nicaragua, au Pérou, prouvent, aussi bien que les ruines de Balbeck, de Palmyre et de Persépolis, un état de civilisation avancé et datant de fort loin. C’est principalement dans les livres de M. Squiers sur l’Amérique centrale, que l’étude des antiquités américaines démontre que depuis des siècles le nouvel hémisphère était habité par des populations contemporaines probablement des Assyriens, des Grecs, des Égyptiens et des Romains de l’ancien monde. Notons en passant l’analogie frappante qui rapproche les statues découvertes au Nicaragua de celles qui ornaient les palais ou les temples de l’Égypte et de l’Assyrie. — Dans l’hypothèse qui tire de l’ancien monde les premiers habitants de l’Amérique, il faut admettre, qu’en raison de l’extrême imperfection de l’art nautique à l’époque nécessairement reculée où se produisit cette immigration, le passage dut s’effectuer par l’un des trois points où le nouvel hémisphère se rapproche le plus de l’ancien, c’est-à-dire par le Brésil, par le Groenland ou par l’Amérique russe. Celle-ci est séparée de l’Asie par le détroit de Behring, qui est à peine large de quelques lieues, et dont les glaces forment, pendant l’hiver, un pont naturel entre les deux continents. Trois à quatre jours de mer, par un bon vent, pouvaient amener au Groenland les barques des intrépides Islandais ou celles de leurs compatriotes, les Scandinaves. Le Groenland oriental, dans les terres de Scoresby, s’approche tellement de la péninsule scandinave et du nord de l’Écosse, que, de cette dernière au cap Barclay, il n’y a que 269 lieues marines, la moitié à peu près de la largeur de l’Atlantique, entre la cote africaine de Guinée et la côte américaine du Brésil. Cette dernière traversée étant la plus longue, il est peu probable que les peuples africains, si mauvais marins du reste, se soient risqués à chercher par delà leur Océan un nouveau continent. Certains auteurs ont parlé d’une prétendue découverte de l’Amérique par des Troyens, échappés au fer des Grecs; d’autres ont insinué que les marins carthaginois auraient pu aborder au Brésil. Mais, outre que l’histoire, qui nous a conservé la tradition du périple d’Hannon autour de l’Afrique, se tait complètement sur ces voyages bien autrement importants, il faut constater qu’avant l’implantation des nègres en Amérique, par les Européens, le type africain ne se retrouvait chez aucune peuplade du nouveau monde. Sans doute, les anciens eurent une vague perception de l’existence de l’Amérique. Homère plaçait l’Élysée dans la mer occidentale, au delà des ténèbres cimmériennes. La tradition des Hespérides et celle des îles Fortunées, succéda à celle de l’Élysée. Les Romains virent les îles Fortunées dans les Canaries, mais ne détruisirent point la croyance populaire de l’existence d’une terre plus reculée à l’occident. Sénèque est l’interprète exact de cette croyance, dans ces vers de sa tragédie de Médée :

 Venient annis
Secula seris, quibus Oceanus
Vincula rerum laxet, et ingens
Patent tellus, Typhisque novos
Detegat orbes, nec sit terris
Ultima Thule.

Vers la même époque, Vitruve, en faisant de la terre un globe immense tournant sur un axe appuyé à ses extrémités sur deux points fixes, Vitruve corroborait l’idée poétique de Sénèque, car il n’aurait jamais pensé à faire tourner un globe n’ayant que de la terre d’un côté et un élément liquide de l’autre. Néanmoins, nous dirons avec Chateaubriand : « Presque tous les monuments géographiques de l’antiquité indiquent un continent austral : je ne puis être de l’avis des savants, qui ne voient dans ce continent qu’un contre-poids systématique imaginé pour balancer les terres boréales ; ce continent était sans doute fort propre à remplir sur les cartes des espaces vides ; mais il est aussi très-possible qu’il y fût dessiné comme le souvenir d’une tradition confuse : son gisement au sud de la rose des vents, plutôt qu’à l’ouest, ne serait qu’une erreur insignifiante parmi les énormes transpositions des géographes de l’antiquité. »

Cette tradition confuse dont parle Chateaubriand, d’où venait-elle ? De voyages directs entre l’Amérique et l’Afrique par la pointe du Brésil ? Évidemment non. Elle venait des Phéniciens, des Carthaginois, déjà en relation pour leur commerce d’étain et d’ambre jaune, avec les marins de la Baltique, de la Scandinavie, de l’ultima Thule enfin, cette terre mentionnée par Sénèque et si près du nouveau monde. C’est de ces pays que vint sans doute à Carthage, où il demeura plusieurs années, deux ou trois siècles avant l’ère vulgaire, cet étranger mystérieux dont parle Plutarque, cité lui-même par Humboldt dans son « Examen critique de la géographie du nouveau monde. » C’est dans ces pays Scandinaves que Colomb trouva les légendes, les traditions qui le confirmèrent dans l’exactitude de ses admirables pressentiments géographiques. Et si, plus tard, il crut retrouver l’Ophir de Salomon dans les mines d’Hispaniola, c’est parce qu’il pensait avoir atteint, en naviguant à l’ouest, les contrées asiatiques explorées par les navires juifs, cinglant toujours à l’est.

Des trois points les plus rapprochés de l’ancien monde, et par lesquels seulement l’Amérique pouvait recevoir ses premiers habitants, il faut donc rejeter le Brésil. Restent le détroit de Behring et la traversée de la Scandinavie au Groenland. C’est à propos de ces deux points seulement que les savants se disputent encore, sans avoir pu s’accorder. Les uns prétendent que le détroit de Behring fut l’unique chemin choisi par les descendants de Noé, pour venir en Amérique, d’où il s’ensuivrait que les indigènes appartenaient tous à la race mongolique, excepté les rares habitants qui avoisinent le cercle polaire. L’autre théorie consiste à faire découvrir et peupler l’Amérique par les Scandinaves. Des deux côtés, on a soutenu son opinion, avec talent, par les traditions historiques, trop souvent obscures, par l’anthropologie, la linguistique et l’étude des antiquités.

« Les nations de l’Amérique, dit A. de Humboldt, forment une seule race, caractérisée par la conformation du crâne, par la couleur de la peau, et par les cheveux plats et lisses. La race américaine a des rapports très-sensibles avec celle des peuples mongols, qui renferme les descendants des Hiong-Nou, connus jadis sous le nom de Huns, les Kalkas, les Kalmoucks et les Burattes. Des observations récentes ont prouvé même que non-seulement les habitants d’Unalaska, mais aussi plusieurs peuplades de l’Amérique méridionale, indiquent, par des caractères ostéologiques de la tête, un passage de la race américaine à la race mongole. Lorsqu’on aura mieux étudié les hommes bruns de l’Afrique, et cet essaim de peuples qui habitent l’intérieur et le nord-est de l’Asie, que des voyageurs systématiques désignent vaguement sous le nom de Tartas et de Tchoudes, les races caucasienne, mongole, malaise et nègre paraîtront moins isolées, et l’on reconnaîtra dans cette famille du genre humain un seul type organique, modifié par des circonstances qui nous resteront peut-être à jamais inconnues. » La science s’est chargée de vérifier, excepté pour les indigènes du Canada et des États-Unis, ces paroles que l’Aristote moderne écrivait il y a quarante ans, et chaque jour apporte un nouveau témoignage en faveur du système de l’unité du genre humain. — Sur environ cent mots américains, choisis dans différentes provinces et reconnus comme presque identiques avec des mots chinois et des mots tartares, une cinquantaine sont des noms de peuples, peuplades ou villes ; dix ou douze sont des titres donnés à la divinité ou aux puissances de la terre ; quelques-uns sont des noms propres ; des noms communs y figurent aussi. La terminaison en an est très-fréquente au Mexique ; or, cette terminaison est tartare ou turque. M. Neumann, de Munich, a aussi identifié le Mexique avec ce pays de Fou-Schan, dont parlent, comme situé à deux mille lieues au levant de la Chine, les voyageurs boudhistes, auxquels M. Gustave d’Eichthal attribue également l’introduction en Amérique de cette civilisation dont on a trouvé au Mexique de si remarquables monuments. Wardenn, dans ses Recherches sur les populations primitives de l’Amérique, prouve, par quarante-trois exemples tirés des éléments de la grammaire chinoise, que la construction grammaticale de cette langue est absolument la même que celle des Othomis, l’un des anciens peuples de la vallée de Mexico. De plus, on a tiré un argument en faveur de l’origine asiatique des Mexicains, de ce fait, qu’une grande partie des noms par lesquels les Aztèques désignaient les vingt jours de leurs mois, correspondent pour le son à ceux des signes du zodiaque, tels qu’on les trouve chez les peuples de l’Asie orientale. Brevewood, savant antiquaire anglais, a prétendu aussi que l’Amérique a été originairement peuplée par les Tatars ; l’illustre de Guignes assure que les Chinois commerçaient, vers 458, avec ce continent ; et selon John Ranking, auteur anglais, une expédition mongole, dirigée contre le Japon au XIIIe siècle, aurait été jetée par une tempête sur les côtes d’Amérique et se serait étendue au Pérou, au Mexique et dans d’autres lieux. Si l’Amérique fut plus d’une fois visitée par les peuples de l’ancien continent, du côté de l’ouest, elle le fut aussi du côté de l’est. À la fin du Xe siècle, selon la chronique islandaise de Snorro Sturlœson, adoptée par les historiens du Nord, un seigneur norvégien, nommé Raude, exilé d’Islande, se rendit au Groenland, déjà découvert avant lui par un marin nommé Gunbivern. Dans son second voyage, en 1496, Colomb lui-même fut fort étonné de trouver, sur la côte de la Guadeloupe, les débris d’un navire qu’il jugea avoir été construit en Europe.

Si l’on ajoute à tout ce que nous venons de rapporter le voyage, très-douteux il est vrai, des frères Zeni, à la fin du XIVe siècle, dans les pays de Drageo et d’Estotiland, où l’on a cru reconnaître la Nouvelle-Écosse et le Canada, voyage entrepris sur le rapport de quelques marins qu’une tempête avait jetés dans les mêmes pays, quelques années auparavant, on aura tout ce que l’histoire rapporte des explorations de l’Amérique faites avant la fin du XVe siècle. Nous ne parlerons pas des prétendues découvertes de Madoc-Ap-Owen, Alonso Sanchez, Cousin et autres, mis en avant par les Anglais, les Portugais, les Français, etc. ; ces hypothèses sont fondées sur des documents ou des traditions trop incertaines pour mériter confiance.

Quand on examine le caractère des antiquités américaines, l’état de civilisation des peuples indigènes, au moment de leur conquête par les Européens ; quand on réfléchit à la nature du pays et aux lois qui ont présidé à toutes les invasions, il paraît probable que l’Amérique reçut sa population à la fois par le détroit de Behring et par le Groenland, c’est-à-dire qu’elle fut colonisée par les races mongolique et scandinave. Les grands royaumes du Mexique et du Pérou, les palais et les temples de Mexico et de Cusco, au temps de Cortez et de Pizarre, les idoles de formes indiennes, les sépultures de Mitla au Mexique, avec leurs ornements grecs, les monuments de Palenque et leur structure égyptienne, tout cela rappelle évidemment l’Asie, la Chine, et l’indoustan. Les explorateurs partis de la côte orientale de l’ancien monde, et débarqués sur les rivages américains du Pacifique, au nord de la Californie, tournèrent aussitôt leurs regards et leurs pas vers le sud, vers les pays de la lumière, de la chaleur et des fruits, invincible aimant qui attire toutes les hordes envahissantes, dans le nouveau comme dans l’ancien monde. Les sommets neigeux de la chaîne septentrionales des Andes, les monts Rocheux ôtèrent aux émigrants asiatiques toute envie de les traverser, pour se jeter à l’ouest dans la vallée du Mississipi. Ils restèrent sur la côte du Pacifique, descendant toujours au sud, s’établissant au Mexique, et gagnant le Pérou par l’isthme de Panama. Dans l’Amérique méridionale, les pics inaccessibles de la Cordillière des Andes empêchèrent encore les nouveaux venus de gagner les pampas de la vallée de l’Orénoque, et d’y porter la civilisation avancée que Pizarre et Almagro rencontrèrent au Pérou. Ainsi resserrés entre le Pacifique et la grande chaîne des monts américains, les Asiatiques multiplièrent dans cet étroit espace, où l’agglomération de la population les amena forcément à la civilisation et au despotisme oriental de la Chine et de l’Inde.

Trop indolents pour être navigateurs, ces peuples laissèrent même les îles du golfe du Mexique à la merci de la race scandinave. Celle-ci, débarquée au nord-est de l’Amérique, s’étendit bientôt sur la plus vaste moitié du nouveau monde, sur tout l’espace compris entre l’Atlantique et la Cordillère nord et sud des Andes, espace immense qui, permettant aux émigrants européens de s’éparpiller à mesure qu’ils arrivaient, empêcha toute agglomération de population, particularité qui explique l’état nomade ou sauvage dans lequel on trouva toutes les tribus à l’est des Andes. Là où il y eut, parmi elles, quelques tentatives de civilisation, on retrouve de rares monuments qui portent tous le cachet des races celtiques et Scandinaves. Cela est attesté aussi bien par les momies du Kentucky, copie des momies celtiques, par les anciennes fortifications et circonvallations en terre et en pierre de la vallée de l’Ohio, que par l’organisation politique des tribus sauvages, leurs croyances religieuses et leurs instincts guerriers. Des récifs de la Floride, quelques-uns de ces nouveaux arrivés passèrent d’île en île, jusqu’à la côte est de l’Amérique méridionale, où ils menèrent dans les pampas et les llanos la même vie que leurs frères des forêts et des savanes du nord, conservant avec jalousie les traditions de liberté personnelle apportées des clans scandinaves, ne voulant pas de roi et obéissant à peine à un chef. Les Caraïbes des Antilles ne purent même oublier tout à fait, malgré les chaleurs dissolvantes d’un climat torride, les traditions nautiques de leurs belliqueux ancêtres, les pirates scandinaves.

Découverte et colonisée déjà par quelques hardis explorateurs de l’ancien monde, l’Amérique était aussi inconnue du vieux continent que si elle n’eût pas existé. Les sagas scandinaves contenaient la seule donnée, le seul indice qui pût encourager Colomb à croire à ses calculs et aux révélations de son génie. Et encore, les légendes septentrionales, s’il les connut réellement, étaient trop vagues pour qu’il lui eût été possible d’y attacher une grande importance. Les sagas disaient qu’un Norvégien, du nom de Leif, parti en 1002 de l’Islande pour le Groenland, avait été poussé dans la direction du sud, vers une plage qu’il appela Vinland, à cause des vignes sauvages qu’il y trouva. D’autres aventuriers scandinaves y abordèrent plus tard et y fondèrent des établissements qui disparurent presque aussitôt. Quoique beaucoup d’auteurs prétendent que cette Vinland n’est autre chose que le Rhode-Island, ou quelque autre point de la Nouvelle-Angleterre, sa véritable position n’est rien moins que connue. M. Bigelow, écrivain américain qui est natif de Boston, a dû penser souvent à cette singulière coïncidence de la tradition des sagas avec la production de la vigne sauvage sur les collines de Taunton et du Rhode-Island, le seul point, en effet, sur la côte nord-est de l’Amérique, où la vigne croit naturellement.

Les manuscrits de Marco Polo, les légendes du moyen âge sur le fameux pays du Cathay, n’ont pas du être beaucoup plus utiles à Colomb que les légendes islandaises. Après Michelet, qui s’écrie : « L’Amérique, plusieurs fois trouvée en vain, est cette fois manifestée et assurée au monde par l’obstination d’un grand cœur », nous pouvons donc ajouter avec Chateaubriand : « Ne disputons pas à un grand homme l’œuvre de son génie. Qui pourrait dire ce que sentit Christophe Colomb, lorsque, avant franchi l’Atlantique ; lorsque, au milieu d’un équipage révolté ; lorsque, prêt à retourner en Europe sans avoir atteint le but de son voyage, il aperçut une petite lumière sur une terre inconnue que la nuit lui cachait ! Le vol des oiseaux l’avait guidé vers l’Amérique ; la lueur du foyer d’un sauvage lui découvrit un nouvel univers. Colomb dut éprouver quelque chose de ce sentiment que l’Écriture donne au Créateur, quand, après avoir tiré la terre du néant, il vit que son ouvrage était bon : Vidit Deus quod esset bonum. Colomb créait un monde. On sait le reste : l’immortel Génois ne donna point son nom à l’Amérique ; il fut le premier Européen qui traversa, chargé de chaînes, cet océan dont il avait le premier mesuré les flots. Lorsque la gloire est de cette nature qui sert aux hommes, elle est presque toujours punie. »

Ce fut le 11 octobre 1492, jour à jamais mémorable dans l’histoire du monde, que Colomb découvrit l’île Guanahani, aujourd’hui San-Salvador, dans l’archipel des Lucayes ; puis quelques jours après, Cuba et Haïti. Pendant son second voyage, en 1493, plusieurs des Antilles, la Dominique, Marie-Galante, la Guadeloupe, Montserrat, Antigua, Porto-Rico et la Jamaïque, s’offrirent à lui, sur sa route, sans qu’il soupçonhât encore l’existence du continent. Il n’eut connaissance de ce dernier qu’en 1498, à sa troisième expédition, pendant laquelle il gouverna directement à l’ouest, parvint à l’embouchure de l’Orénoque, découvrit l’île de la Trinité, ainsi que la Côte-Ferme, et longea cette dernière jusqu’à la pointe d’Araya, d’où il se dirigea sur Haïti. Enfin, dans un quatrième et dernier voyage, en 1502 et pendant les années suivantes, il ajouta à ses nombreuses découvertes celles de la Martinique, du havre de Porto-Bello, de la côte de Costa-Rica, de celle de Honduras, et termina ainsi glorieusement sa carrière maritime.


Conquête et colonisation. Christophe Colomb avait donné un nouveau monde à l’ancien ; l’Amérique était trouvée. Il ne s’agissait plus que de la conquérir et de s’en approprier les richesses incomparables. Quelle pâture abandonnée à l’avidité européenne ! L’ambition voyait s’ouvrir devant elle un champ comme elle n’en avait jamais rêvé. Après la bataille, le pillage : les conquérants succédèrent aux navigateurs ; les matelots firent place aux soldats et aux aventuriers de Cortez, de Pizarre, de Balboa. On ne peut plus les chasser des lieux où ils ont posé leur pied avide, et chaque année voit s’agrandir la part de chaque nation européenne dans le démembrement du nouveau monde. Découvrir ne signifie plus que posséder. Voyons donc qui possédait, qui se partageait l’Amérique, avant la guerre de l’indépendance des États-Unis, et avant la cession de la Louisiane et de la Floride par la France ? Les Anglais avaient conquis et colonisé toute la côte orientale de l’Amérique du Nord, avec une partie des Antilles et de la Guyane. Toutefois il faut excepter la Nouvelle-Amsterdam, aujourd’hui New-York, et la vallée de l’Hudson, longtemps au pouvoir des Hollandais, dont les mœurs y sont encore reconnaissables. La France s’était créé un magnifique empire qui, partant du Saint-Laurent, de Québec et de Montréal, descendait le long de la vallée du Mississipi, s’épanouissait sur la côte septentrionale du golfe du Mexique, et rejoignait, par la Floride, nos îles magnifiques des Antilles et notre Sinnamari, autrefois si redoutable. Les Danois, venus les derniers à la curée du nouveau monde, eurent à peine le temps de saisir une petite île, admirablement placée sur le chemin du Mexique. À part le Brésil, les Portugais, d’ailleurs si occupés avec leur empire des Indes, se virent bientôt enlever leurs possessions américaines par l’Espagne, qui, la première arrivée sur le nouveau continent, sut s’y tailler la part du lion. Et cela pendant si longtemps, qu’aujourd’hui encore, si sa domination politique est évanouie, ses mœurs, sa langue, sa religion, règnent sur toute l’Amérique centrale et méridionale ; en sorte que si les descendants de Philippe II ne voient plus comme autrefois arriver dans leurs ports d’Europe les galions chargés de l’or américain, ils peuvent encore dire fièrement que le soleil ne se couche jamais sur les pays où s’étendent la domination morale et les souvenirs de l’Espagne.

Voici l’historique rapide des conquêtes faites par les diverses nations européennes sur le continent américain :

Espagnols et Portugais. Les terres américaines découvertes et conquises par ces deux peuples, passèrent si promptement de l’un à l’autre par le fait de la conquête ou des héritages, leurs navires se croisaient dans les eaux du nouvel hémisphère si souvent et à si peu d’intervalles, que nous sommes obligés, par les dates historiques, de mêler cette double histoire de navigation et de colonisation. Le pape lui-même n’avait pu parvenir à mettre de l’ordre dans les conquêtes du Portugal et de l’Espagne. « aézEn vain, il avait partagé gravement l’Amérique, comme le dit un historien, tracé du doigt une ligne sur le monde, donné à l’un des deux peuples l’Orient, à l’autre l’Occident. » La passion des conquêtes et l’esprit d’aventure empêchèrent Espagnols aussi bien que Portugais de respecter la ligne imaginaire d’Alexandre VI. L’inviolabilité des dieux Termes n’était plus qu’un vain mot pour les possessions des Européens en Amérique.

En 1499, Alonzo de Ojeda, accompagné d’Améric Vespuce, aborde à Maracapana, sur la Côte-Ferme, et reconnaît cette dernière jusqu’au cap de la Veda. En 1500, Vincent Yanez Pinçon atterrit au cap Saint-Augustin, reconnaît l’embouchure du fleuve des Amazones, et visite six cents lieues de côtes avant d’arriver à Haïti. Le Portugais Alvarez Cabral, jeté à l’ouest en se rendant dans l’Inde, est conduit sur les côtes du Brésil, qu’il reconnaît jusqu’à Porto-Seguro. En 1501, Améric Vespuce s’avance jusque dans l’océan Austral, où il découvre une terre que l’on croit être la Nouvelle-Géorgie de Cook. En même temps, Roderigo Bartidas et Juan de la Cosa parcourent, à partir du cap de la Vela, cent lieues de côtes inconnues où s’élevèrent bientôt Sainte-Marthe, Carthagène et Nombre de Dios. Le Portugal, de son côté, envoie au nord Gaspard Cortereal, qui découvre l’embouchure du Saint-Laurent, le Labrador, et entre dans le détroit d’Hudson. En 1505, Ovando soumet l’île d’Haïti. Porto-Rico est conquis en 1512 par Juan Ponce de Léon, qui, la même année, découvre la Floride, nom que les Espagnols donnèrent longtemps à toute la côte sud-est de l’Amérique du Nord. Mais ce ne fut qu’en 1539 que l’Espagne prit possession réelle, non-seulement de la Floride proprement dite, mais d’une grande partie de la Louisiane. À cette époque, un aventurier espagnol, De Soto, débarqua, à la baie de Tampa, sur la côte occidentale de la Floride ; et, après deux ans d’efforts, il finit par atteindre le Mississipi, en traversant les pays qui forment aujourd’hui les États d’Alabama, de Géorgie, du Mississipi et de la Louisiane. De Soto remonta le grand fleuve, et pénétra même à 200 milles au delà, dans les terres situées à l’ouest. Il revint mourir dans les marais du bas Mississipi, et ses compagnons retournèrent au Mexique. Dès 1565 ; cependant, l’Espagne renvoyait des troupes pour maintenir ses droits sur la Floride, en chasser les protestants français établis sur la rivière Saint-Jean, et fonder la ville de Saint-Augustin, la plus ancienne des cités américaines, le premier établissement permanent créé aux États-Unis. En 1516, Solis, dans un second voyage sur la côte du Brésil, pénètre le premier dans le Rio-de-la-Plata. Quatre ans après, en 1520, Magellan reconnaît le même fleuve, la Patagonie, et entre dans le grand Océan par le détroit qui porte son nom. En 1519, Cortez, parti de Cuba, se dirige vers le Mexique, découvert l’année précédente par Juan de Grijalva. En trois années, il soumet ce puissant empire, et parvient, en personne, d’un côté, sur les bords de la mer de Californie, à l’ouest, et de l’autre, en 1524, jusque dans le Honduras, à l’est. Par ses ordres, toute la côte du golfe du Mexique, depuis le Darien jusqu’à la Floride, est explorée par Christophe de Olide et d’autres capitaines ; la côte opposée, sur le grand Océan, est reconnue depuis le port de San-Miguel jusqu’à Colima. En même temps, Pedro de Alvarado conquiert le royaume de Guatemala ; Gonzalez Davila et Andrès Nino parcourent celui de Nicaragua, et reconnaissent le grand lac de ce nom, ainsi que sa jonction avec la mer des Antilles ; enfin, d’autres capitaines poussent au nord leur reconnaissance jusque dans le pays composant la Nouvelle-Galice. C’est à cette époque que se rattache le voyage de Gomez, qui, la même année, toucha à Terre-Neuve, et reconnut la côte du sud jusqu’au 40".

En 1525, François Pizarre envahit le Pérou, et en fait la conquête en 1531. En 1533, toute la région comprise entre Quito et Cusco avait été explorée, et en grande partie soumise. En 1535, Almagro découvre le Chili, et s’avance jusqu’à Coquimbo, tandis que Benalcazar, au nord, pénètre jusqu’aux bords de la mer des Antilles en traversant toute la Nouvelle-Grenade, que Quesada attaquait en même temps du côté opposé. En 1538, Pizarre, pour occuper les chefs placés sous ses ordres, les envoie dans diverses régions, et l’intérieur du continent qui s’étend à l’est des Andes ne tarde pas à être connu ; le haut Pérou est exploré à son tour jusqu’aux frontières du Grand-Chaco. Au nord, Gonzalès Pizarre, parti de Quito à la recherche de la province de Canela, arrive sur les bords du Napo, et est abandonné par Orellana, qui, continuant de suivre la même rivière, atteint l’Amazone, et descend ce fleuve jusqu’à son embouchure. Quelques années auparavant, en 1535, l’Orénoque avait été reconnu par Geronimo de Ortal, qui l’avait remonté jusqu’à l’embouchure du Meta. La rivière de la Plata n’était pas restée dans l’oubli : en 1535, Mendoza fonde sur sa rive droite la ville de Buenos-Ayres ; en même temps, Ayolas et Irala remontent le Parana, pénètrent dans le Rio-Paraguay jusqu’à la lagune Xarayes, et fondent sur ses bords la ville de l’Assomption. De leur côté, les Portugais posent les fondements de leur puissance au Brésil ; enfin, en 1542, Juan Rodriguez Cabrillo parvient au cap Mendocino par 37° 10′ lat. N., où il périt, laissant à son frère Barthélemy Ferrelo le soin de continuer l’expédition jusqu’au 45°, et de découvrir le cap Blanc.

Français. Vers la fin de 1523, François Ier chargea le Florentin Jean Verrazani d’explorer la côte nord américaine. Après une orageuse traversée de cinquante jours, Verrazani arriva près de Wilmington (Caroline du Nord). Il n’y trouva aucun havre favorable, malgré des recherches poussées à 150 milles au sud. En revenant vers le nord, il s’avança jusqu’à la Nouvelle-Écosse, et s’arrêta quelque temps dans les havres de New-York et de Newport, décrits l’un et l’autre dans la narration de son voyage. Jacques Cartier, envoyé encore par François Ier en 1533, découvrit le Saint—Laurent, et donna aux contrées arrosées par ce fleuve le nom de la Nouvelle-France, après y avoir fondé la première colonie que la France ait possédée en Amérique. En 1558, les Français s’établissent dans la baie de Rio-Janeiro, sous le commandement de Villegagnon ; mais les querelles intestines empêchent bientôt la colonie de se maintenir sur ce point important. Après la tentative de colonisation catholique de Villegagnon vient, en 1562, la tentative faite par les réformés français, d’après les avis de Coligny. L’un d’eux, Jean Ribault, muni d’une charte libérale octroyée par Charles IX, traverse l’Océan avec quelques coreligionnaires, et s’établit à Port-Royal, dans la Caroline du Sud. C’est en l’honneur de Charles IX que Jean Ribault appela ce pays la Caroline. Cette colonie ne vécut guère plus longtemps que celle de Villegagnon ; quelques-uns des réformés allèrent s’établir sur les bords du fleuve Saint-Jean en Floride. Ils y virent bientôt leur établissement naissant détruit par les Espagnols, qui massacrèrent les colons eux-mêmes. Quelque temps auparavant, nous posions solidement les bases de notre puissance au Canada, et, de 1635 à 1641, nous nous établissions à la Guadeloupe, à la Martinique, à la Tortue et à Saint-Domingue. En outre, c’est un Français, le navigateur Samuel Champlain, qui fut le premier homme blanc dont le pied foula le sol de New-York, aujourd’hui métropole du nouveau monde. Champlain découvrit dans l’État de New-York le lac qui porte son nom, et sur les rives duquel il livra bataille à une bande de Mohawks, qu’il défit, allumant ainsi contre les Français la haine vivace de la puissante confédération des six nations, haine à laquelle nous devrons plus tard la perte du Canada.

Anglais. Les Anglais, qui se trouvent en quelque sorte enserrés dans leur Île, et auxquels il est à peu près impossible de s’agrandir en Europe, devaient mettre merveilleusement à profit la découverte de Christophe Colomb. En 1497, le Vénitien Jean Cabot partit de Bristol, envoyé par Henri VII. Il découvrit au nord-ouest une terre qu’il longea pendant une distance de 400 lieues, abordant sur divers points pour en prendre possession au nom de l’Angleterre, Un an plus tard, son fils, Sébastien Cabot, parcourait la côte des États-Unis jusqu’à la baie de la Chesapeake, dans laquelle il pénétra. Ces deux expéditions sont les seuls titres que l’Angleterre devait invoquer un siècle plus tard, pour revendiquer la propriété de ce qui composa dans la suite les treize colonies. En 1585, Raleigh tentait de s’établir sur l’île Roanoke, dans la Caroline du Nord ; et dès 1606, Jacques Ier divisait en deux parties le territoire américain réclamé par l’Angleterre, et qui s’étendait du cap Fear à Terre-Neuve. La politique anglaise, et surtout le traité de Paris de 1763, ajoutèrent bientôt à ces possessions, déjà si considérables, les Bermudes, Nassau, la Guyane et les Antilles anglaises.

Hollandais, Suédois, Danois, Russes, Jésuites. Le 6 septembre 1609, un marin anglais, Henri Hudson, engagé au service de la compagnie hollandaise des Indes orientales, entra dans la baie de New-York, et remonta, jusqu’à Albany, le fleuve qui porte aujourd’hui son nom. Les Hollandais réclamèrent ce pays et y envoyèrent, en 1623, quelques familles pour en prendre possession. Ce ne fut qu’en 1664 que, les Anglais s’étant emparés de la Nouvelle-Amsterdam, aujourd’hui New-York, la domination hollandaise s’évanouit dans l’Amérique du Nord, et ne conserva qu’une partie de la Guyane dans l’Amérique méridionale. Les Suédois s’étaient établis depuis 1638 sur les deux rives de la Delaware, et principalement dans la Pensylvanie, qu’ils avaient nommée Nouvelle-Suède. Leurs voisins, les Hollandais des bords de l’Hudson, les chassèrent en 1655, Enfin, vers 1530, les jésuites jetaient au Paraguay les fondements du pouvoir colossal dont ils ont joui pendant deux siècles.

Un siècle après que Lemaire eut doublé le cap Horn et indiqué ainsi aux navigateurs une voie plus facile que le détroit de Magellan pour passer en Océanie, les terres boréales de l’Amérique du Nord furent étudiées à l’ouest et à l’est, et les Russes commencèrent, par leurs explorations du côté occidental, à fonder leurs établissements d’Amérique.

Vers les premières années du XVIIIe siècle, toutes les côtes de l’Amérique étaient à peu près connues. La partie boréale seule offrait encore une assez vaste carrière aux explorations ; il y avait là plus d’une inconnue à dégager, plus d’un doute à éclaircir ; par exemple, on ne pouvait dire d’une façon positive si l’Amérique était ou n’était pas séparée du continent asiatique. La Russie, dont le nom n’a pas encore figuré dans l’histoire de la découverte, se chargea de fixer les esprits sur ce dernier point. En 1728, Behring découvrit le détroit qui a reçu son nom, sans toutefois aborder le continent américain ; douze ans plus tard, en 1741, il explorait la côte nord-ouest, la péninsule d’Alaska et les îles Shumagen. En 1768, Cheleghoff prit possession de Kodiak, et fonda le premier comptoir de la compagnie russe d’Amérique.

En 1776 l’illustre Cook découvrit William’s Sund, la rivière de Cook, visita les îles Aléoutiennes, et s’avança au nord jusqu’au cap des Glaces. En 1790, Mackensie découvrit la rivière qui porte son nom, et se rendit sur les bords de la mer Glaciale. Enfin, en 1799, Humboldt et Bonpland commençaient ce voyage si connu, qui ne s’est terminé qu’en 1805, et qui a jeté une si grande lumière sur la géographie de l’Orénoque, de la Colombie, du Pérou et du Mexique. Dans les régions boréales, le seul point où il restât un théâtre à explorer, les voyages de Ross (1818-1829-1832), de Parry (1819-1821-1827), de Franklin et de Richardson (1820-1824-1826), de Beechey (1825-1828), avaient presque conduit à une solution satisfaisante le problème si longtemps indécis de la possibilité du passage nord-ouest. Mais aujourd’hui le doute n’existe plus. Les expéditions successives de Mac Clure, du docteur Kane, du lieutenant français Bellot, en 1851-52-53, ont permis de compléter la carte de l’Amérique du Nord. En terminant, faisons connaître les résultats de cette immixtion de l’Europe dans le nouveau monde.

La conquête et la colonisation de l’Amérique par les Européens avaient été une œuvre de suprême injustice, caractérisée par deux actes de lèse-humanité : l’extermination presque totale de la race indigène des Indiens du Nord et du Sud, et l’introduction des esclaves nègres sur ce sol vierge nouvellement révélé à l’Europe. « À peine découverte, dit à ce propos M. Michelet, l’Amérique devient le champ de l’esclavage. » L’extermination des Indiens se fit, presque sans résistance de leur part, par l’épée et par le travail meurtrier des mines. Les horreurs que commirent les premiers aventuriers étaient arrivées à ce point qu’un célèbre philanthrope, un évêque, le vénérable Las Casas, en vint à croire qu’il n’y avait qu’un remède pour sauver les derniers représentants de la race aborigène, c’était de dévouer provisoirement au même travail meurtrier les représentants d’une autre race plus robuste, les nègres. Mais, comme tant d’autres, ce provisoire devait devenir permanent : il dure encore. Les compagnons de Pizarre et de Cortez étaient trop avides pour partager avec les Indiens les trésors que ceux-ci possédaient ; il leur parut plus facile de les exterminer. Puis, quand on ne trouva plus rien à prendre de force, les aventuriers, trop fiers hidalgos pour descendre au travail manuel qui devait faire rendre à la terre américaine ses trésors minéraux et agricoles, forcèrent les Indiens à travailler sans relâche, les uns, penchés sur le sol sous un soleil brûlant, les autres, enfouis dans les mines, sans espoir de jamais remonter à la surface. Les malheureux indigènes, peu endurcis aux fatigues, savaient d’avance la triste destinée qui les attendait. Quand le sort, espèce de conscription du travail forcé, désignait l’un d’eux pour descendre aux mines pendant un temps légal de dix-huit mois, la famille de la victime se réunissait et procédait aux cérémonies funèbres, absolument comme s’il eût été déjà mort. Puis, sa femme l’accompagnait jusqu’à l’orifice de la mine, et le regardait descendre dans ce sépulcre anticipé. Avant l’expiration du temps légal, l’Indien était généralement tué par le travail excessif imposé par les conquérants espagnols. Aussi s'explique-t-on qu'il reste à peine aujourd'hui quelques milliers d'indigènes dans les deux Amériques ; encore faut-il les chercher là où la conquête européenne ne fit que passer, et où la nature du terrain, les savanes du Nord, les pampas du Sud, laissaient peu d’espoir à l’avidité des conquérants.

Toutes les nations indiennes des deux Amériques appartiennent, sans exception, à la division des espèces léiotriques (à cheveux lisses) de Bory de Saint-Vincent, et peuvent se partager en deux grandes classes, dont la première comprend les Esquimaux, et la seconde toutes les autres variétés. Les Esquimaux sont de la même race que celle qui est répandue le long des côtes boréales de l’Asie. Dans la seconde classe, nous citerons : 1° le type colombique, au teint d’un rouge cuivré plus ou moins sombre, auquel on rapporte toutes les nations habitant le Canada, les États-Unis, jusqu’au nord du Mexique et au golfe du même nom, et entre les montagnes Rocheuses et la Cordillère maritime ; 2° le type mexicain, au teint d’un brun rougeâtre, qui occupe le plateau du Mexique et l’Amérique centrale, mais qui est probablement originaire de la côte nord-ouest ; 3° le type caraïbe, à la tête conique, race qui se distingue de la colombique par un teint plus clair. Autrefois puissante et maîtresse du delta compris entre l’Orénoque et l’Amazone, d’où elle s’était répandue jusqu’aux Antilles, cette race, plus d’à moitié éteinte, est aujourd’hui confinée à l’île de Saint-Vincent et au centre de la Guyane ; 4° le type péruvien, semblable au mexicain, mais avec la tête moins grosse, répandu de l’équateur au 40° lat. S., entre les Andes et le grand Océan ; 5° les innombrables nations disséminées dans la Colombie, la Guyane, le Brésil, la Bolivie, et les provinces nord de la république Argentine, parmi lesquelles on observe toutes les différences possibles, depuis l’Otomaque abruti des bords de l’Orénoque jusqu’au Guaycuru du Paraguay et du Grand-Chaco ; 6° le type pampa, nom sous lequel on comprend toutes les nations qui errent dans les pampas de Buenos-Ayres et de la Patagonie ; 7° enfin le type patagon, confiné sur les bords du détroit de Magellan, et qui paraît se réduire à quelques hordes menant une existence errante.

Ces peuples, dont quelques-uns étaient autrefois puissants, forment à peine aujourd’hui de petites tribus, sans cesse mêlées aux races européennes qui les avoisinent. Les Indiens ont perdu, par conséquent, leurs coutumes et leurs mœurs d’autrefois, et, au milieu des nombreuses révolutions américaines, ils ont oublié jusqu’au dialecte parlé par leurs pères.


3" Affranchissement des colonies américaines. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’Amérique n’avait été qu’une extension politique de l’Europe. Le 4 juillet 1776 est pour elle une grande date ; c’est l’époque où elle commence à prendre possession d’elle-même, à vivre d’une vie propre, à se détacher comme un fruit mûr de la tige maternelle, l’époque où elle devient vraiment un nouveau monde politique. L’affranchissement des États-Unis, le prêté par la France à cet affranchissement (V. États-Unis.Histoire), concours qui était en quelque sorte le prologue de la Révolution française, semblent agrandir le théâtre de l’histoire, en faisant entrer dans l’équilibre des États, dans le mouvement général de la civilisation, des forces, des intérêts et des droits nouveaux qui, réagissant sur l’Europe, devaient exercer une immense influence sur les destinées de l’humanité. Les colonies espagnoles, sans doute en raison de la différence de religion, de race et de climat, furent plus lentes à secouer le joug. Ce fut la colonie française de Saint-Domingue qui, tirée de sa torpeur par le coup de tonnerre de 89, suivit la première l’exemple des États-Unis (1804). Quelques années plus tard, le mouvement imprimé au monde par la Révolution française, et l’invasion de l’Espagne par Napoléon Ier, déterminèrent sur tous les points le soulèvement des possessions espagnoles, depuis Buenos-Ayres jusqu’au Mexique (de 1808 à 1810). Une junte convoquée à Buenos-Ayres, en 1810, prit en main les rênes du gouvernement. En 1815, le congrès de Tucuman, reporté ensuite à Buenos-Ayres, fit une constitution républicaine. Le 9 juillet 1816, l’indépendance fut proclamée, et le Chili suivit bientôt cet exemple. Après quinze ans de guerres, la bataille d’Ayacucho, livrée le 9 décembre 1824, mit fin à la domination de l’Espagne sur le continent américain. Dès 1821, le Brésil s’était déclaré indépendant du Portugal. Le résultat de ces guerres de l’indépendance américaine fut le partage politique de l’Amérique en deux grandes divisions : l’une, composée des États qui ont secoué le joug de leurs métropoles respectives ; l’autre, formée des possessions européennes.

Dans l’Amérique du Nord nous trouvons : la confédération anglo—américaine ou les États-Unis, le Mexique, le Guatemala, San-Salvador, le Honduras, le Nicaragua et Haïti. Dans le Sud : la Nouvelle-Grenade, l’Équateur, le Vénézuela, la Bolivie, le Brésil, l’Uraguay, le Paraguay, le Rio-de-la-Plata et le Chili.

Les possessions des Européens dans les deux Amériques se répartissent, de la manière suivantes :

Possessions anglaises : dans les Antilles, les Bermudes, la Jamaïque, les Bahamas, Tabago, la Trinité, et un grand nombre d’autres îles ; dans d’autres parties de l’Amérique, le Canada, la Nouvelle-Écosse, le Yucatan anglais, la Guyane anglaise, etc. ;

Possessions françaises : dans les Antilles, la Martinique, la Guadeloupe, la Désirade, les Saintes et Marie-Galante ; — la Guyane française, les îles St-Pierre et Miquelon, près de la côte de Terre-Neuve ;

Possessions espagnoles : dans les Antilles, Cuba et Porto-Rico ;

Possessions hollandaises : plusieurs îles dans les Antilles, telles que St-Martin, Curaçao, Arouba, etc., et une portion de la Guyane ;

Possessions danoises : l’île St-Barthélemy, dans les Antilles ;

Possessions russes : quelques parties vers la côte nord-ouest.



Amérique (Guerre d’), appelée aussi guerre de la sécession, à cause de la séparation des États qui se sont retirés de l’union américaine. Les journaux abolitionnistes du nord de l’Amérique donnent encore à cette lutte fratricide le nom de slaveholders’ rebellion, ou révolte des propriétaires d’esclaves, tandis que les journaux du Sud l’appellent guerre des abolitionnistes. Ces deux derniers noms sont certainement les plus exacts, quoique les moins souvent employés en Europe. Ils sont exacts, parce qu’ils indiquent du premier coup d’œil l’origine et le but de cette guerre civile, qui dure depuis le 12 avril 1861 et qui ne parait pas près de se terminer. En effet, ce n’est pas, bien qu’on l’ait souvent prétendu, aux questions de tarif qu’il faut attribuer cette terrible guerre. Les Américains du sud des États-Unis ont pu se montrer partisans du libre-échange, et se plaindre des tarifs protecteurs que leur imposait l’Union ; mais en réalité, c’est l’esclavage, et non une question de douane, qui a divisé la grande république en deux camps:les fédéraux unionistes ou abolitionnistes, et les confédérés séparatistes, sécessionnistes ou esclavagistes.

Les États-Unis autrefois si prospères, expient aujourd’hui le crime commis par les Européens, qui, dans un esprit de lucre, introduisirent l’esclavage en Amérique. La justice éternelle n’admet pas la prescription.

En 1620 et 1621, alors que toute la côte américaine de l’Atlantique, de Terre-Neuve à la Floride, était revendiquée par les Anglais comme leur propriété, moins les possessions hollandaises de New-York, trois faits se produisirent, dont les conséquences se font ressentir encore chaque jour. Les puritains d’Angleterre débarquent sur le rocher de Plymouth, près de Boston, sous le nom de Pères pèlerins, et jettent les fondements de la grandeur et des institutions futures des États-Unis, que colonisaient déjà les Anglais en Virginie, et les Français dans les Carolines. Les premiers esclaves introduits sur l’ancien territoire de l’union américaine sont vendus par un navire hollandais, qui en débarqua vingt à Jamestown en Virginie. Enfin, en 1621 commence la culture du coton.

Jusqu’en 1776, les États-Unis restèrent colonie anglaise, et prirent peu de développement. Souvent ils réclamèrent, surtout les États du Sud, l’abolition de la traite des nègres ; mais l’Angleterre, leur métropole, bénéficiait trop de ce commerce pour écouter ces plaintes; elle continua donc à jeter des esclaves sur le marché américain. Il faut que la première faute remonte à qui de droit. La seconde fut commise en 1788, lors de la rédaction de la constitution de la République américaine. Des hommes comme Washington et Jefferson, n’osèrent pas regarder la vérité en face, et, par excès de patriotisme, ils préférèrent pactiser avec l’institution de l’esclavage, qui était la négation flagrante de leurs principes républicains. Pour ne pas compliquer d’une nouvelle difficulté les affaires déjà si embarrassées de leur république naissante, ils maintinrent l’esclavage, se fiant au temps et à la civilisation pour l’extirpation de cette plaie honteuse. Le temps et la civilisation devaient donner un triste démenti à leurs prévisions et à leurs espérances. En quatre-vingts ans, le nombre des esclaves a presque décuplé aux États-Unis : il y en avait 697,897 en 1790 ; 3,952,801 en 1860 ; et aujourd’hui, malgré la guerre, il y en a 4 millions. Le progrès de la civilisation a amené l’invention de la fameuse machine à nettoyer le coton, qui seule pouvait rendre le travail esclave productif, et intéresser les propriétaires à acheter et à augmenter le nombre de leur bétail humain. « Cette invention, dit M. Bigelow, modifia peu à peu dans les États cotonniers l’opinion publique, qui précédemment était loin de repousser une émancipation progressive. C’étaient, au contraire, les États du Sud qui, à cette époque, prouvaient par leurs actes leurs sentiments abolitionnistes, tandis que les États du Nord restaient attachés à l’esclavagisme ; ceux-ci refusèrent même d’abolir la traite des nègres quand elle était déjà défendue dans certains États du Sud, qui, en même temps, appuyaient, malgré les États du Nord, le décret de 1787, décret qui excluait l’institution de l’esclavage du territoire situé au nord-ouest. L’invention de la machine à nettoyer le coton renversa, au Sud, tout cet échafaudage de beaux sentiments. Les États du Sud devinrent de forcenés esclavagistes, tandis que ceux du Nord, ne trouvant pas à tirer un bon parti de leurs esclaves, à cause des conditions climatériques et agricoles de leur pays, les revendirent à leurs frères des États méridionaux, et se firent abolitionnistes quelques années après. Cependant, en 1840, le Rhode-Island comptait encore 5 esclaves ; la Pensylvanie, 64, et le New-Jersey en avait encore 236 en 1850. Toutefois, depuis 1820, on pouvait considérer les États-Unis comme divisés en deux grandes sections sous le rapport de l’esclavage, les États du Sud, qui possédaient des millions d’esclaves, et ceux du Nord, qui n’en avaient plus que quelques centaines.

Cette population servile enrichissait par ses sueurs non-seulement ses maîtres du Sud, mais encore leurs compatriotes du Nord, en relations d’affaires avec eux. La croisade abolitionniste ne pouvait donc provenir d’une jalousie commerciale et intéressée de la part du Nord. Mais cette croisade surgit d’abord d’une jalousie politique, et fut ensuite activée par les sentiments vraiment philanthropiques et désintéressés de la petite secte abolitioniste, dont, en 1831, Garrison déploya le drapeau dans son journal, le Libérateur. Par la faute des fondateurs de la république américaine, une grande concession avait été faite à l’esclavage dans la constitution. Un article disait que, pour déterminer le chiffre des représentants que chaque État aurait le droit d’envoyer au congrès, les trois cinquièmes de la totalité des esclaves seraient comptés comme l’équivalent du même nombre de blancs. Le propriétaire de 5 esclaves, par exemple, pouvait donc jeter quatre voix dans l’urne, une pour lui et trois pour les esclaves qu’il possédait. Ce fait anormal, que 5 nègres conféraient à un État la même prérogative que 3 blancs, porta les propriétaires non-seulement à désirer l’augmentation du nombre de leurs esclaves, mais encore à considérer comme une offense politique toute tentative faite pour discréditer un genre de propriété qui leur procurait de si grands avantages. De là la nécessité, pour le Nord, de lutter contre cet empiétement du pouvoir par les États du Sud. Or, le meilleur moyen d’arriver au but était de battre en brèche l’esclavage, base de la puissance politique du Sud ; et, pour atteindre ce résultat, deux mesures se présentaient, car, à ce moment, personne ne songeait encore à décréter l’abolition pure et simple. Ces deux mesures consistaient : 1° à circonscrire l’esclavage dans ses limites actuelles, à lui dire : Tu n’iras pas plus loin. C’est ce à quoi le Nord tendait, quand il proposa qu’aucun territoire nouveau ne pût être reconnu État de l’Union si l’esclavage était inscrit dans sa constitution ; 2° à discréditer la propriété nègre, en déclarant, par le bill de « la liberté personnelle » et celui des « esclaves fugitifs », que tout esclave trouvé dans un État libre devenait libre par ce fait seul, et ne pourrait être rendu à ses anciens maîtres. Cependant, la lutte politique ne devait commencer qu’en 1819, au moment où le développement croissant de la culture du coton augmentait subitement le nombre des esclaves du Sud, et où le Nord voyait la prépondérance près de passer à son rival. L’équilibre n’existait plus, la bonne entente avait disparu. Les frères ennemis commencèrent au congrès de Washington, d’abord dans leurs livres, leurs journaux et leurs clubs politiques, cette guerre de paroles et d’écrits qui, en 1861, devait être remplacée par celle du canon et de la baïonnette.

Lors de la déclaration de l’indépendance, l’Union comptait treize États qui s’étaient, comme nous l’avons vu, partagés en deux camps : le Nord sans esclaves, le Sud avec des esclaves. Or ici les esclaves étaient pour leurs maîtres un levier politique, et ce fut la pomme de discorde jetée entre les deux partis. Lorsqu’un État à esclaves demandait son admission dans l’Union, un État libre se présentait aussitôt, réclamant la même faveur. C’est ainsi qu’en 1860, on était arrivé à compter trente-quatre États dans l’Union américaine. En 1819, on avait proposé l’admission de deux États à esclaves. Le Nord, qui, pour faire la balance, n’en avait pas deux libres à présenter, demanda pour un de ces deux États, le Missouri, l’émancipation graduelle de l’esclavage, avec défense d’y introduire de nouveaux esclaves. Mais les esprits n’étaient pas assez préparés à l’idée d’abolition ; il fallut encore quarante ans, et ces quarante années sont ce qu’on appelle, en Amérique, l’ère des compromis, c’est-à-dire que le Nord et le Sud se faisaient, chacun de son côté des concessions réciproques, et qu’il résulta du compromis de 1819-20, que le Missouri serait admis avec l’esclavage, mais à la condition que les territoires situés au nord de cet État deviendraient libres à jamais. Telle fut l’origine de la fameuse ligne Mason et Dixon, ligne qui suivait le 36° 30’de latitude, et au nord de laquelle l’esclavage était prohibé.

Il était temps que ce fameux compromis du Missouri fût adopté. Le Sud s’écriait déjà que « des flots de sang pourraient seuls éteindre l’incendie qui venait d’être allumé ! »   Le conflit irréconciliable (the irrepressible conflict), comme disait M. Seward, était définitivement engagé, et le prologue de cette sanglante tragédie déjà joué. Sous la direction de Calhoun, homme d’État du Sud, les États esclavagistes continuèrent la lutte, en cherchant à introduire dans l’Union le plus possible d’États ayant l’institution de l’esclavage. Chaque État, en effet, quelle que soit sa population, envoie deux sénateurs à la Chambre haute du congrès, et un nombre de représentants proportionnel à la population. La suprématie politique appartiendrait donc à celle des deux sections, Nord ou Sud, qui compterait le plus de votants : or, malgré l’accroissement énorme du nombre des nègres, malgré la clause qui donnait au propriétaire de cinq esclaves le droit de voter comme si ses esclaves eussent égalé trois hommes libres ; malgré tous ces avantages, disons-nous, le Sud craignait d’être distancé par suite de l’immense émigration allemande et irlandaise au Nord. C’est alors que le Sud fit annexer à l’Union le Texas, dont il pensait faire plus tard cinq États à esclaves. L’orgueil national du Nord, flatté par l’idée d’agrandissement et par la perspective de l’acquisition de la Californie, céda encore cette fois au Sud. L’immense État du Texas fut introduit dans l’Union le 25 janvier 1845. La guerre avec le Mexique s’ensuivit, et, le 2 février 1848, le traité de Guadalupe Hidalgo donnait aux Américains la Californie et le Nouveau-Mexique. Depuis 1831, les sociétés abolitionnistes travaillaient tellement l’opinion publique, qu’en 1835 le congrès décrétait qu’aucune pétition relative à l’esclavage ne serait prise en considération. En 1845 seulement, on abrogea cette loi. Mais le parti abolitionniste radical n’en continua pas moins sa propagande, et commença à compter pour quelque chose dans les luttes politiques du nouveau monde. Aussitôt se forma, dans les États du Sud, une faction ultra-esclavagiste dont le mot d’ordre était non-seulement de conserver l’esclavage là où il existait déjà, mais de le propager le plus possible dans l’Union américaine, sauf à briser avec le Nord, s’il s’y opposait. Entre ces deux factions, l’une voulant l’abolition immédiate, l’autre le maintien et l’extension de l’esclavage, le drapeau de l’Union allait bientôt se déchirer. Les conservateurs le comprirent, et le parti des free soilers ou du sol libre se forma promptement. C’est ce parti qui devait s’appeler plus tard et qui s’appelle encore maintenant républicain noir. Son but était, avant tout, de conserver l’Union. D’un côté, ce parti médiateur garantissait au Sud qu’on n’inquiéterait pas l’esclavage dans les États où il était déjà établi ; d’autre part, il promettait aux abolitionistes que l’esclavage ne dépasserait pas ses limites actuelles, et serait exclu des nouveaux États qui s’adjoindraient à l’Union. Ce programme ne pouvait satisfaire les exigences des radicaux du Sud et du Nord, qui plaçaient la réalisation de leurs doctrines opposées bien au-dessus du maintien de l’Union. Aussi l’élu du parti républicain noir, M. Lincoln, est-il attaqué, même aujourd’hui, par les sudistes comme étant abolitioniste, et par les radicaux du Nord comme ne l’étant pas assez. Les conservateurs qui remportèrent la victoire à l’élection présidentielle de 1860 avaient pour adversaire le parti démocrate, qui avait pour lui le Sud et ses amis du Nord, peu soucieux de la question de l’esclavage. En 1850, la Californie demanda à être admise comme État dans l’Union, à laquelle elle appartenait depuis deux ans comme territoire, comme province, mais dont elle ne pouvait faire partie comme État souverain, avec représentants au congrès, qu’après un vote d’acceptation de celui-ci, ainsi que le veut la constitution fédérale. La Californie, dans le projet de constitution qu’elle soumettait au congrès, rejetait l’esclavage ; le Sud refusait donc de l’admettre dans l’Union. Toutefois, après une longue lutte parlementaire, on arriva à un nouveau compromis, dû à l’influence de Henry Clay, un des plus grands hommes d’État de l’Union américaine. La Californie fut admise comme État libre, et, par compensation, on accorda au Sud, avec d’autres priviléges, le droit de faire saisir par le gouvernement fédéral les esclaves fugitifs trouvés dans les États libres. En 1854, nouvel avantage remporté par le Sud, dans le bill du Kansas-Nebraska, présenté et appuyé au congrès par le parti démocrate du Nord, dont le chef était Douglas. Ce bill rapportait la décision du compromis du Missouri de 1820, par laquelle l’esclavage était interdit au Nord à partir du 36° 30’latitude nord. Si les habitants de ces deux territoires votaient l’introduction ou le maintien de l’esclavage dans leurs constitutions, le congrès ne devait pas y voir un motif de refuser leur admission dans l’Union, bien qu’ils fussent situés au nord de la fameuse ligne de Mason et Dixon. À partir de ce moment jusqu’à l’admission du Kansas comme État libre, ce malheureux territoire fut continuellement ensanglanté par les luttes des squatters ou colons qui l’habitaient, luttes auxquelles prit part un homme d’un caractère antique, John Brown. Comme on pouvait y posséder des esclaves tant que ce territoire n’était pas devenu État libre, et grâce au rappel du compromis du Missouri, les sudistes y envoyaient des colons esclavagistes, le Nord des colons abolitionistes, et, de leur contact, naissaient des luttes journalières. En même temps, le Sud lançait Lopez à Cuba, Walker au Nicaragua, proclamait, à la conférence d’Ostende et dans ses journaux, que, pour contre-balancer l’accroissement futur et menaçant du nombre des États libres, ces pays devaient être annexés à l’Union avec l’esclavage. Mais cela était difficile à réaliser, et peut-être même cette annexion fût-elle venue trop tard, car aux élections de 1856, si le parti républicain noir ne fut pas assez fort pour empêcher l’élection du président Buchanan, tout dévoué au parti démocrate esclavagiste, les républicains du sol libre furent assez puissants pour nommer un des leurs, Banks, président de la Chambre des représentants.

Pendant l’administration de Buchanan, le parti républicain prépara ses forces. La tentative héroïque de John Brown à Harper’s Ferry, en Virginie, pour appeler les esclaves à la révolte, se termina, le 2 décembre 1859, par la mort de ce glorieux martyr de l’abolitionisme. Mais il avait appris au Nord qu’il fallait transformer en bourres de fusil le livre de Mme Beecher Stove, et les innombrables publications abolitionistes du Nord. Le Sud comprit que les États libres, l’ayant dépassé en richesses et en population, auraient le dessus au congrès, et que, poussés par les abolitionistes radicaux, ils en viendraient tôt ou tard à passer de la doctrine modérée de non extension à la doctrine de l’émancipation immédiate. Le seul moyen d’écarter ce danger était de faire élire encore un président dévoué au Sud ; mais si cette tentative échouait, il ne restait plus à celui-ci qu’à opérer un divorce éclatant avec le Nord, pour lui ôter tout prétexte de s’immiscer dans les affaires intérieures des États esclavagistes. C’était évidemment ce dernier moyen que le Sud préférait, puisqu’au lieu de choisir pour candidat le démocrate du Nord, Douglas, qui eût été un autre Buchanan, il porta à la présidence un esclavagiste ultra, Breckinridge, qui n’avait aucune chance de réunir les votes du parti démocrate des États libres. Ce parti, en effet, quoique sympathique au Sud, ne voulait pas cependant se livrer à lui pieds et poings liés. Les républicains noirs prirent pour candidat M. Lincoln, qui était sûr de rallier à lui les démocrates mécontents des exigences excessives du Sud. Quant à la candidature de John Bell, qui était, comme Douglas, partisan de nouveaux compromis, elle était à peu-près insignifiante, puisque, des deux côtés, les compromis étaient définitivement rejetés.

Restaient en présence, par conséquent, deux candidats sérieux, quoique de chances inégales : Breckinridge, l’incarnation de l’esclavage, qui voulait maintenir tous les droits acquis, et visait à de nouveaux priviléges ; Lincoln, le représentant du parti qui, tôt ou tard, par la force de la logique et l’entraînement des faits, voulait arriver constitutionnellement à une émancipation complète et générale des esclaves américains.

La question était donc posée fort nettement. « Jusqu’en novembre 1860, dit Éverett, il n’y avait jamais eu de candidat sudiste à la présidence qui n’eût reçu des voix du Nord, ni de candidat nordiste qui n’eût compté des voix dans le Sud. » Cette fois tout changea de face, et les partis furent nettement dessinés. Voici la statistique du vote présidentiel du 6 novembre 1860 :

 591, 613 voix pour John Bell.
1, 365, 976 voix pour Stephen Douglas.
847, 953 voix pour John Breckinridge.
1, 857, 610 voix pour Abraham Lincoln, de l’État d’Illinois.

Le Sud avait ce qu’il désirait, un prétexte pour rompre avec l’Union. Le 20 décembre 1860, la Caroline du Sud passa l’acte de sécession par lequel elle faisait cette déclaration : « L’Union entre la Caroline du Sud et les autres États est dès à présent dissoute. » On n’attendit pas même que M. Lincoln entrât en fonctions (4 mars 1861) et tous les autres États du Sud, imitant la Caroline, promulguèrent leurs ordonnances de sécession, et, à l’exception des forts de Charleston, saisirent tous les forts, arsenaux, propriétés fédérales, situés dans leurs limites respectives. Le 4 février 1861, ces États se réunirent en congrès à Montgommery, et se constituèrent en nation indépendante sous le nom d’États confédérés d’Amérique, avec Jefferson Davis pour président. Lincoln, dont la vie était sérieusement menacée, arriva sous un déguisement à Washington, et, le 4 mars 1861, il était nommé président des États-Unis. Malgré les ordonnances de sécession passées dans leurs États respectifs, les représentants Sud du congrès étaient restés à leurs siéges pendant quelque temps encore, mais ils refusaient toutes les offres de compromis faites par les démocrates neutres. De plus, une convention, dite convention de la paix, avait réuni à Washington des délégués du Nord et du Sud ; toutefois l’heure des concessions réciproques était passée ; la convention se sépara, sans opérer une réconciliation. Le canon seul allait se faire entendre.

Voici, dans leur ordre chronologique, les principaux événements de cette guerre fratricide :

1861

4 mars : Inauguration du président Abraham Lincoln.
12 avril : Bombardement du fort Sumter. (V. ANDERSON.)
13 avril : Capitulation du fort Sumter.
15 avril : Lincoln appelle sous les armes 75, 000 volontaires.
16 avril : Jefferson Davis décrète l’enrôlement de 32, 000 hommes.
17 avril : Le gouvernement confédéré annonce qu’il est prêt à fournir des lettres de marque pour courir sus aux navires fédéraux.
18 avril : L’arsenal de Harper’s Ferry est évacué par les unionistes.
19 avril : Émeute à Baltimore contre les régiments yankees qui se rendaient à Washington. Neuf émeutiers et trois soldats fédéraux sont tués.
— Lincoln proclame le blocus des côtes du Sud.
20 avril : L’émeute continue à Baltimore. Les régiments de volontaires cessent de traverser la ville.
Id. — L’arsenal maritime de Norfolk est évacué par les fédéraux. Les sécessionistes s’y emparent de la frégate, alors en bois, le Merrimac.
21 avril : Robert Lee est nommé général des troupes de l’État insurgé de Virginie.
23 avril : La loi martiale est proclamée à Baltimore.
4 mai : Mac Clellan est nommé général commandant du département de l’Ohio.
10 mai : Une émeute éclate à Saint-Louis contre les fédéraux.
13 mai : Butler prend le commandement de Baltimore.
13 mai : Proclamation de la neutralité de l’Angleterre.
21 mai : Le congrès du Sud défend de payer au Nord les dettes privées.
24 mai : Les fédéraux passent le Potomac et s’emparent d’Alexandria.
3 juin : Mort de Stephen Douglas.
10 juin : Combat de Big Bethel ; défaite des fédéraux.
11 juin : Victoire des unionistes à Romney.
15 juin : Le corsaire confédéré " « Savannah » « est pris par le brick » « Perm » ".
17 juin : Combats d’Edward’s Ferry sur le Potomac, et de Booneville dans l’ouest.
20 juin : La Virginie occidentale se déclare pour l’Union et élit Pierpoint pour gouverneur.
27 juin : Arrivée de Frémont, amenant d’Europe une cargaison d’armes pour les fédéraux.
29 juin : Le corsaire Sumter, capitaine Semmes, force le blocus de la Nouvelle-Orléans et prend la mer.
2 juillet : Combat de Williamsport.
5 juillet : Défaite à Carthage (Missouri) des confédérés par Sigel.
6 juillet : Frémont nommé commandant général du département de l’ouest.
10 juillet : Mac Clellan bat les confédérés à Laurel Hill.
11 juillet : Autre victoire à Rich Mountain.
12 juillet : Le colonel Pegram se rend à discrétion à Mac Clellan.
13 juillet : Ordre général de l’évêque Polk à ses troupes.
14 juillet : Le corsaire Sumter, après être entré à Cienfuegos avec plusieurs prises, continue à poursuivre les navires fédéraux.
15 juillet : Escarmouche de Bunker Full.
Id. — Les unionistes, commandés par Mac Dowell, commencent leur mouvement sur Manassas.
16 juillet : Vote de remerciements du congrès à Mac Clellan.
17 juillet : Défense aux esclaves fugitifs d’entrer dans les lignes de l’armée fédérale.
18 juillet : Combat de Blackburn’s Ford.
21 juillet : Bataille de Bull Run. Beauregard met en fuite l’armée yankee commandée par Mac Dowell.
22 juillet : Mac Clellan nommé général de l’armée du Potomac.
2 août : Défaite des confédérés à Dug Springs, par Lyons.
10 août : Défaite et mort du général unioniste Lyons à Wilson’s Creek (Missouri).
13 août : La loi martiale est proclamée à Saint-Louis par Frémont.
18 août : Naufrage du corsaire confédéré Jefferson Davis.
22 août : Persécutions dirigées contre certains journaux de New-York favorables au Sud.
26 août : Surprise et défaite d’un régiment unioniste à Summersville (Virginie).
29 août : Butler et le commodore Stringham s’emparent des forts Hatteras, dans la Caroline du Nord.
Id. — Combat de Lexington (Missouri).
31 août : Le gouverneur général de Cuba déclare qu’il protégera les vaisseaux confédérés qui entreront dans ses ports.
4 septembre : Prise de Columbus (Kentucky) par les confédérés, sous le général évêque Polk.
6 septembre : Le général Grant s’empare de Paducah (Kentucky) et y fait flotter le drapeau fédéral.
10 septembre : Rosencrans défait les confédérés en Virginie, à Carnifex Ferry.
11 septembre : Combat de Lewinsville.
— Frémont affranchit deux esclaves appartenant à un confédéré rebelle.
16 septembre : L’île des Vaisseaux, près de l’embouchure du Mississipi, est occupée par les yankees.
— Les banques de la Nouvelle-Orléans suspendent leurs payements en espèces.
20 septembre : Capitulation des unionistes assiégés dans Lexington.
24 septembre : Le comte de Paris et le duc de Chartres sont nommés capitaines de volontaires et aides de camp de Mac Clellan.
28 septembre : Les collines autour de Washington sont évacuées par les confédérés.
5 octobre : Combat de Chicomacomico, dans la Caroline du Nord.
11 octobre : Le corsaire confédéré Nashville entre à Charleston.
Id. — La loi martiale est proclamée à la Nouvelle-Orléans par les confédérés.
12 octobre : Combat naval sur le Mississipi, au-dessous de la Nouvelle-Orléans.
21 octobre : Bataille de Ball’s Bluff. Défaite des unionistes, et mort du colonel Baker.
24 octobre : Les ambassadeurs confédérés en France et en Angleterre, MM. Slidell et Mason, sont reçus officiellement à leur passage à la Havane.
Id. — Le writ d'habeas corpus est suspendu dans le district de Colombie.
26 octobre : Victoire du général unioniste Kelley, à Romney (Virginie).
1er novembre : Mac Clellan nommé général en chef des armées des États-Unis.
7 novembre : Bataille de Belmont, dans le Missouri.
Id. — Prise de Port-Royal (Caroline du Sud) par la flotte fédérale, sous le commodore Dupont.
8 novembre : MM. Slidell et Mason sont arrêtés à bord du Trent par le capitaine Wilkes.
10 novembre : Halleck nommé général commandant le département de l’Ouest.
14 novembre : Les planteurs du Sud décident de ne plus cultiver de coton pour l’exportation.
27 novembre : Décret d’émancipation graduelle passé par la Convention de la Virginie occidentale.
4 décembre : Le ministre d’État Seward écrit à Mac Clellan une lettre pour protester contre l’emprisonnement des esclaves fugitifs.
18 décembre : Arrivée de la malle d’Europe apportant l’impression causée en Angleterre et en France par l’arrestation de MM. Slidell et Mason. Les journaux de ces deux pays se montrent très-hostiles.
20 décembre : Combat de Dranesville (Virginie).
— Des vaisseaux remplis de pierres sont coulés par les yankees dans le port de Charleston, pour empêcher l’entrée et la sortie du port.
28 décembre : Sur les conseils de Napoléon III, le gouvernement fédéral consent à relâcher MM. Slidell et Mason, et évite par cette mesure une rupture avec l’Angleterre.

1862


1er janvier : Combat sur l’ile de Port-Royal.
2 janvier : MM. Slidell et Mason sont remis à bord de la frégate anglaise Rinaldo.
11 janvier : Le général Burnside part pour la Caroline du Nord avec 15, 000 hommes, embarqués sur la flotte du commodore Goldsborough.
13 janvier : Stanton nommé ministre de la guerre de M. Lincoln, en remplacement de Cameron.
16 janvier : Les payements en espèces suspendus par la législature de l’Ohio.
19 janvier : Bataille de Somerset, ou de Mill Springs (Kentucky).
30 janvier : Le premier Monitor lancé à l’eau.
5 février : La flottille fédérale du Tennessee, commandée par le capitaine Foote, s’empare du fort Henry.
8 février : Bataille de Roanoke-Island (Caroline du Nord). Les rebelles sont défaits. La côte nord de la Caroline est aux fédéraux.
16 février : Prise du fort Donelson par le général Grant, qui y fait 13, 000 prisonniers confédérés.
19 février : Jefferson Davis est élu pour six ans président des États confédérés.
23 février : Les fédéraux entrent à Nashville.
7 mars : Bataille de Pea-Ridge.
8 mars : Le Merrimac coule les frégates fédérales dans la rade de Hampton.
9 mars : Arrivée du Monitor. Combat du Merrimac et du Monitor.
13 mars : Le général Pope s’empare de New-Madrid, sur le Mississipi.
14 mars : Les confédérés battus par Burnside à Newbern (Caroline du Nord).
16 mars : Commencement du siége de l’île n° 10, sur le Mississipi, par les fédéraux.
23 mars : Bataille de Winchester-Heights.
3 avril : L’esclavage aboli dans le district de Colombie.
4 avril : Mac Clellan se met en mouvement contre Richmond par la route d’Yorktown.
6-7 avril : Bataille de Shiloh, entre Beauregard et Grant.
7 avril : Reddition de l’île n° 10.
10-11 avril : Le fort de Pulaski est pris par les fédéraux, qui commandent ainsi l’entrée du port de Savannah.
11 avril : Prise de Huntsville (Alabama).
13 avril : Prise de Fredericksburg, en Virginie.
28 avril : Prise de la Nouvelle-Orléans par le général Butler et la flotte fédérale.
4 mai : Mac Clellan occupe Yorktown.
6 mai : Il entre dans Williamsburg.
10 mai : Le général Wool s’empare de Norfolk.
11 mai : Les confédérés font eux-mêmes sauter le Merrimac.
12 mai : Pensacola occupée par les fédéraux.
17 mai : Visite de l’ambassadeur français, M. Merder, à Richmond.
25 mai : Le général Banks battu à Winchester (Virginie).
29 mai : Corinth évacuée par Beauregard.
29 mai et 1er juin : Bataille de Fair-Oaks, ou de la Chickahominy.
6 juin : Reddition de Memphis, sur le Mississipi.
7 juin : Mumford pendu à la Nouvelle-Orléans, par ordre de Butler, pour avoir abaissé le drapeau de l’Union.
8 juin : Le général Shields battu par Stonewell Jackson (confédéré) à Port-Republic, en Virginie.
20 juin : L’esclavage défendu dans les Territoires.
27 juin : Bataille de Gaines’Mill. Changement de base de l’armée de Mac Clellan.
29 juin : Bataille de Peach orchard.
30 juin : Bataille de White oak swamp.
1er juillet : Bataille de Malvern Hills, dans laquelle Mac Clellan arrête les confédérés, qui le pressaient trop dans sa retraite.
14 juillet : Le général Pope prend le commandement de l’armée de la Virginie, destinée à couvrir la retraite de Mac Clellan.

9 août : Défaite de Pope et de Banks, à Cedar Mountain, par Stonewall Jackson,
26 août : Pope commence sa retraits sur Washington. Il est entouré et battu à Manassas-Junction.
30 août : Seconde bataille de Bull Run. Le général Lee défait les fédéraux commandés par
Pope, et envahit le Nord.
13 septembre : Harper’s Ferry’évacué par
les fédéraux.
14 septembre : Bataille indécise de South Mountain, dans le Maryland.
17 septembre : Bataille d’Antietam. Lee, très-affaibli, repasse le Potomac.
19 septembre : Rosencrans bat les confédérés à Iuka, dans l’ouest.
22 septembre : Lincoln proclame qu’à partir du 1er janvier 1863 les esclaves des rebelles en armes seront libres pour toujours.
3-4-5 octobre : Bataille de Corinth (Mississipi).
10 octobre : Le général Stuart, avec 1, 800 cavaliers, envahit le Maryland et une partie de la
Pennsylvanie.
27 octobre : La grande armée du Potomac commence
son troisième mouvement sur Richmond.
2 novembre : Premières nouvelles des déprédations commises par le corsaire confédéré
l'Alabama.
5 novembre : Burnside remplace Mac Clellan à la tête de la grande armée du Potomac.
13 décembre : Défaite de Burnside par le général Lee, à Frédéricksburg.
16 décembre : Banks remplace Butler à la Nouvelle-Orléans.
27 décembre : Attaque de Vicksburg sur le Mississipi.
31 décembre : Bataille de Murfreesboro.
Id. — Le premier Monitor coule dans une
tempête.

1863

2 janvier : Continuation de la bataille de
Murfreesboro. Sous Rosencrans, les fédéraux
sont vainqueurs.
Id. — Proclamation d’émancipation du président
Lincoln.
11 janvier : La canonnière fédérale Haiteras est coulée par l'Alabama, en vue de la côte du
Texas.
12 janvier : Discours de Napoléon III au Corps
législatif, dans lequel il déplore la guerre
d’Amérique, et regrette que ses offres de médiation
aient été rejetées.
16 janvier : Expédition des fédéraux en Arkansas.
19 janvier : Le Congrès confédéré de Richmond
propose des mesures de représailles contre les
fédéraux, à cause de la proclamation d’émancipation.
22 janvier : Seconde campagne de Burnside contre
Richmond, arrêtée, à son début, sur le Rappahannock,
par le mauvais temps et les boues de la Virginie.
25 janvier : Organisation du 1er régiment noir de la Caroline du Sud.
26 janvier : Hooker remplace Burnside dans le
commandement de l’armée du Potomac.
11 février : Le ministre d’État, M. Seward,
déclare qu’il n’a point donné de passeport à
l’ambassadeur français, M. Mercier, lors du
récent voyage de celui-ci à Richmond.
7 avril : Le fort Sumter est attaqué par la
flotte fédérale.
28 avril : L’armée du général Hooker traverse
le Rappahannock, et se met en marche sur Richmond.
2 mai : Bataille de Chancellorsville, entre
Hooker et Lee.
3 mai : Second jour de la bataille de Chancellorsville. Les fédéraux battent en retraite.
5 mai : Vallandigham, représentant de l’Ohio
au Congrès, est arrêté par les soldats de l’armée
de l’Ouest, sur l’ordre de Burnside.
10 mai : Mort du général confédéré Stonewall
Jackson, des suites d’une blessure reçue à Chancellorsville.
16 mai : Bataille de Champion Hills ; défaite
des confédérés par le général Grant.
22 mai : Après l’investissement complet de
Vicksburg et un long siège, Grant donne l’assaut
à la ville. Il est repoussé.
27 mai : Dans les mêmes circonstances, le général Banks échoue également à Port-Hudson.
28 mai : Départ de Boston du 54e régiment du
Massachussetts ; c’était le premier régiment nègre levé dans le Nord parmi les Noirs libres, le 1er
régiment de la Caroline du Sud n’étant composé que d’anciens esclaves.
9 juin : Combat de Beverley-Ford.
Juin, juillet : Le général Hooker, qui n’a pu
empêcher Lee de traverser une seconde fois le
Potomac et d’envahir le Nord, est remplacé
dans le commandement par le général Meade.
Les confédérés s’avancent jusqu’à une lieue
de Harrisburg, capitale de la Pensylvanie.
1-2-3 juillet : Bataille de Gettysburg, une des
plus sanglantes de toute la guerre. Lee est encore une fois obligé de repasser le Potomac.
4 juillet : Reddition de Vicksburg.
13-14 juillet : Émeute à New-York au sujet de la
conscription. Le sang coule.
Août, septembre : Continuation du siège de
Charleston ; occupation de Knoxville, dans le
Tennessee oriental, par Burnside, 4 septembre,
au moment où les fédéraux se croyaient maîtres
de l’Ouest ; ils sont battus à Chickamauga, par Bragg, le 19 septembre. Dans le même mois,
une expédition préparée de longue main échoue
devant Galveston, au Texas, et la flottille fédérale
est battue et coulée à fond.
Octobre, novembre, décembre : À l’ouest, le
général Grant venge, par la victoire de Chattanooga,
la défaite des fédéraux à Chickamauga. À l’est, le siège de Charleston démontre l’impossibilité de prendre cette ville et la vulnérabilité des monitors.

1864

Depuis le commencement de cette année, les opérations militaires n’ont pas été favorables aux unionistes. Il leur a fallu lever le siège de Charleston. Ils ont échoué dans leur entreprise contre la Floride. Dans le mois d’avril, le général Banks a été battu en Louisiane, et une grande partie de la Caroline du Nord recouvrée par les esclavagistes.

Mais, avec le général Grant pour commandant en chef de toutes les armées fédérales, il est permis d’espérer que les États-Unis dompteront bientôt la rébellion. La campagne décisive de cette guerre meurtrière s’est ouverte le 4 mai. À cette date, le général Grant a quitté ses lignes du Rappahannock et du Rapidan, pour marcher contre Richmond, capitale des confédérés. Dès le 5 mai, le général sudiste, Robert Lee, tentait d’arrêter l’invasion des fédéraux. Du 5 au 12 mai, de sanglantes batailles, malheureusement indécises, se sont livrées à Wilderness, en Virginie, entre le Nord et le Sud. Lee se retira, à quelques milles plus loin, dans une position très-forte à Spottsylvanie Court-House. Grant ne put l’en déloger qu’après les terribles combats de la seconde semaine de mai. Lee, vivement pressé, se retira alors plus au sud, dans ses retranchements de la rivière Annah. Le général Grant reculant devant un nouveau sacrifice d’hommes, tourna la position des confédérés. Il est maintenant (juin 1864) à 12 kilom. de Richmond, au nord de la rivière Chickahominy, derrière laquelle sont rangées les troupes de Lee. Ainsi les deux armées occupaient, au 30 mai 1864, les mêmes positions qu’en juillet 1862, quand Mac Clellan assiégeait Richmond.

La guerre d’Amérique devant la conscience de la France. Pour savoir de quel côté se trouve la justice dans la guerre d’Amérique, de quel côté doivent se porter les sympathies et les vœux des amis de la liberté, il suffit de se poser les questions suivantes : L’esclavage est-il la cause réelle de la séparation du Sud et de la guerre civile ? Le Sud avait-il constitutionnellement et moralement le droit de se séparer ? L’abolition de l’esclavage doit-elle être la conséquence de la victoire du Nord ?

L’esclavage est-il réellement la cause de la guerre d’Amérique ? Pour en douter, il faut vraiment fermer les yeux à l’évidence. Reportons-nous à l’élection présidentielle de 1860, et comparons les programmes des deux candidats rivaux, M. Lincoln et M. Breckinridge : Point d’extension de l’esclavage au delà de ses frontières actuelles, disait le premier ; plus d’admission de nouveaux États à esclaves dans l’Union ; modification de la loi sur les esclaves fugitifs, etc. — L’esclavage sera national et non plus sectionnel, disait le second ; en d’autres termes, il sera reconnu par la Constitution, il s’étendra dans les nouveaux territoires, suivant le vœu des populations, autant que s’étendra l’Union ; aucun État ne pourra empêcher le transit des esclaves ; la loi des esclaves fugitifs sera renforcée, etc.

Du reste, nous avons les déclarations, les aveux du Sud : Habemus confitentem reum. On ne voit pas qu’il ait donné à sa révolte une autre raison que le besoin, le droit de défendre son institution particulière, menacée par l’agitation abolitioniste du Nord. Écoutons M. Stephens, vice-président de la confédération du Sud : « L’esclavage, dit-il, a été la cause immédiate de la dernière rupture et de la révolution actuelle. Jefferson avait bien prévu que sur cet écueil se briserait un jour la vieille Union….. L’idée dominante admise par lui et par la plupart des hommes d’État de son temps a été que l’esclavage de la race africaine était une violation des droits de la nature….. Mais ces idées étaient fondamentalement fausses ; elles reposaient sur l’égalité des races….. Notre nouveau gouvernement est basé sur des idées toutes contraires. Sa pierre angulaire est cette grande vérité, que le nègre n’est pas l’égal du blanc ; que l’esclavage, la subordination à la race supérieure, est sa condition naturelle et morale….. Notre gouvernement est le premier dans l’histoire du monde qui repose sur cette grande vérité physique, philosophique et morale….. Le nègre, en vertu de sa nature et par suite de la malédiction de Cham, est fait pour la position qu’il occupe dans notre système. » Rien de plus clair que ce langage. Ainsi, le Sud lui-même se charge de donner un démenti aux journalistes européens qui veulent que l’esclavage ait été pour peu de chose dans la séparation. Ainsi, c’est l’esclavage qui le premier s’est déclaré incompatible avec le pacte fédéral, et qui, se mettant au-dessus de ce pacte, n’a pas hésité à le déchirer ; c’est l’esclavage qui, selon les paroles de M. Sumner, est la cause de la guerre, sa puissance, sa fin, son but, son tout. Et maintenant, ce peuple qui, en pleine civilisation, reculant jusqu’à la société païenne, ose remplacer, à la base de sa constitution, la déclaration des droits de l’homme par la déclaration du droit de l’esclavage, nous demandons quel intérêt il peut inspirer à la France de 89 ?

Le Sud avait-il constitutionnellement le droit de se séparer ? Il est impossible de trouver ce droit dans la Constitution des États-Unis ; on voit clairement, au contraire, qu’elle a entendu créer une solidarité perpétuelle entre les diverses parties dont elle a fait un tout, une unité. Les États-Unis, en effet, ne forment pas plusieurs États dans le sens politique qu’on donne ordinairement à ce mot ; c’est une nation et non une ligue ; leur congrès est une législature et non un congrès d’ambassadeurs. La suprême puissance exécutive, législative et judiciaire, le droit de paix et de guerre sont dans les mains de l’autorité centrale. La diplomatie, l’armée, la marine, les douanes, les postes, les monnaies, tous ces attributs de la souveraineté ont été retirés aux États et donnés au gouvernement fédéral. Du reste, la loi constitutionnelle a été constamment interprétée dans ce sens jusqu’au jour où Calhoun, l’apôtre de l’esclavage, mit en avant la fameuse théorie d’après laquelle l’exercice de l’autorité centrale devait être subordonné à la souveraineté politique de chaque État. « De même que dans la république romaine, disait-il, la puissance des patriciens était bornée par le veto des tribuns, qu’en Pologne la puissance des assemblées était tenue en échec par le veto d’un seul membre ; ainsi, dans les États-Unis, il faut que chaque État ait le droit et le moyen d’annuler, de nullifier tout acte qui tend à violer et à diminuer ses droits. » Cette théorie de la nullification, par laquelle l’esclavagisme préludait à la révolte, était la négation du pacte fédéral. Le général Jackson, alors président, la repoussa énergiquement : « On ne saurait, dit-il dans son message de 1833, reconnaître aux habitants d’un État le droit de se départir selon leur bon plaisir, et sans le consentement des autres États, de leurs obligations les plus solennelles, et de mettre en péril les libertés et le bonheur des millions d’hommes dont se compose l’Union. Dire qu’un État pourrait à volonté se séparer de l’Union, c’est dire que les États-Unis ne sont pas une nation. »

Loin de pouvoir s’appuyer sur le pacte fédéral, le droit de séparation était le retour à un état de choses que le pacte fédéral avait eu pour but de faire cesser. Du reste, la preuve que le Sud n’a pas trouvé ce droit dans l’œuvre de Washington, c’est qu’en gardant la Constitution des États-Unis, il a cru devoir y ajouter un article spécial, déclarant que chaque État aura toujours le droit de se retirer de la nouvelle confédération.

Le Sud avait-il moralement le droit de se séparer ? En d’autres termes, la séparation, condamnée par la légalité, par le droit positif, peut-elle invoquer le droit naturel ? Pas davantage. Ces gros mots, si souvent prononcés en Europe, de nationalité opprimée, d’antagonisme de race, de limites naturelles, n’ont rien à faire ici. L’unité des États-Unis n’est pas une création artificielle de la force, une fiction politique contre laquelle on puisse s’élever au nom de l’ethnologie, de la linguistique, de la géographie. En réalité, Nord et Sud forment un peuple, un seul peuple, c’est-à-dire une société d’hommes qui ont la même origine, la même langue, la même civilisation, la même histoire, et, si l’on ôte l’esclavage, les mêmes lois et les mêmes institutions. « Le Sud, dit M. Laboulaye, a-t-il été opprimé ? N’était-il pas maître absolu de son administration et de ses lois intérieures ? N’avait-il pas dans la représentation générale une part proportionnelle à sa population ? Y avait-il des privilèges politiques pour le Nord ? M. Lincoln serait-il un despote qui eût violé ses serments et foulé aux pieds les libertés nationales ? Non : le Sud en se révoltant ne peut alléguer ni une loi déchirée, ni un droit outragé. Ce dont il se plaint, c’est qu’un changement de majorité allait amener la suprématie politique du Nord. Est-ce là une cause de rébellion ? Est-ce que la soumission à la majorité, dans les choses d’intérêt général, n’est pas la condition des peuples libres ? Est-ce que la liberté politique n’est pas le règne de l’opinion substitué au jeu sanglant des révolutions ? »

Le triomphe du Nord doit-il amener l’abolition de l’esclavage ? Les amis du Sud vont répétant que le Nord n’a jamais voulu supprimer l’esclavage, qu’il est parfaitement indifférent à cette question. Mais n’est-ce pas l’agitation abolitioniste qui, d’après le Sud, a été la cause de l’insurrection ? Le Sud n’a-t-il pas brisé l’Union le jour où l’Union lui a paru prête à se dégager d’une complicité honteuse et à dire à l’esclavage : Tu n’iras pas plus loin. Depuis la présidence de M. Lincoln, n’avons-nous pas vu le Nord affranchir le district de Colombie, donner tous les territoires à la liberté, décréter l’abolition de l’esclavage dans les États rebelles, offrir aux États loyaux de contribuer pour un prix considérable au rachat des nègres, décider qu’en vertu des droits de la guerre on emploierait au service de l’Union les nègres des rebelles, et que cet emploi leur vaudrait la liberté ?

Du reste il est facile de comprendre que le mouvement abolitioniste ne peut désormais que gagner du terrain ; le Nord se trouve engagé dans cette voie par la force des choses ; l’abolition de l’esclavage s’impose à la pensée de ses hommes d’État ; ce n’est plus seulement pour eux un principe, c’est un intérêt ; ce n’est plus seulement une question morale, c’est une question politique ; c’est le moyen de conquérir une paix solide, définitive, et d’anéantir complètement l’esprit de sécession auquel l’esclavage seul donne une raison d’être. L’esclavage s’est révélé comme la négation de la patrie ; il faut qu’il disparaisse. La guerre mène à l’extrémité des questions, ne permet pas de reculer, n’admet pas de compromis ; elle veut des résultats en rapport avec les moyens employés, un but qui soit digne du sang versé, et qui justifie tant de sacrifices.

Résumons-nous : la victoire du Nord, c’est la rédemption de quatre millions d’esclaves, et en même temps c’est la démocratie purifiée, reprenant honneur et autorité dans le monde. La victoire du Sud, c’est la perpétuité et l’extension de la servitude, et en même temps c’est la destruction de cette œuvre de Washington, à laquelle la France s’honore d’avoir concouru, et qui jusqu’ici a pu être considérée comme le dernier terme du progrès politique. Entre le Nord et le Sud, la conscience de la France ne saurait hésiter. Le triomphe du Nord a pour lui le droit, l’humanité et la raison, la raison qui, comme l’a dit excellemment Voltaire, finit toujours par avoir raison.


I. — Langues en Amérique. L’origine des langues américaines, ainsi que celle des peuples qui les parlent, a jusqu’ici résisté aux efforts multipliés de la science moderne. La race américaine doit être, selon les uns, une race aborigène, sans rapport avec les grandes familles européennes et asiatiques, aussi spéciale au nouveau monde que sa flore et sa faune, et qui s’est ramifiée en une foule de peuplades secondaires. On ne peut méconnaîtra en effet que les Peaux-Rouges constituent une division essentielle en anthropologie. La philologie classe également dans un groupe à part les langues parlées en Amérique. Il n’y a pas très-longtemps, on a fait des investigations patientes pour arriver, en analysant ces idiomes, à résoudre ce problème historique, mais les recherches n’ont guère servi qu’à les faire un peu mieux connaître, sans pouvoir en établir l’origine et la filiation. On en a relevé un nombre prodigieux. Chaque voyageur, chaque missionnaire, après avoir visité une peuplade, une tribu même, venait augmenter d’un nouveau nom la liste déjà nombreuse de ces idiomes, sans s’inquiéter si ce qu’il considérait comme une langue spéciale n’était pas un dialecte très-peu différent d’une langue voisine ; de sorte qu’on a pu arriver facilement à porter à cinq cents le nombre des langues américaines. Mais la science, en examinant attentivement ce chiffre énorme, ne tarda pas à découvrir que les variétés qu’on avait prises pour des langues distinctes ne sont, en réalité, que des dialectes qui se groupent autour des souches radicales, exactement comme nos langues asiatico-européennes. Cependant il faut avouer que, chez ces peuples, la filiation du langage est beaucoup moins accusée que chez ceux de l’ancien monde ; mais cette différence tient au génie caractéristique de toutes ces langues. La philologie, habituée à s’appuyer sur les radicaux, marche ici sur un terrain tout nouveau ; car ce n’est guère par la comparaison des radicaux qu’il faut chercher des analogies au milieu— de cette multitude d’idiomes ; ces rapports échappent à nos procédés ordinaires. Le meilleur système est la comparaison, non pas des mots, mais des formes grammaticales, qui présentent une identité presque constante. On peut encore établir certains points de repère en se basant sur la présence ou l’absence de telle ou telle articulation dans une langue, et former ainsi des groupes congénères. C’est de cette façon qu’on a remarqué qu’il n’y a pas de b, de d, de f dans le groënlandais, le mexicain, le quiche, le lule, le waikuri, etc. ; de d dans le kora, le muyska et le mossa ; de f dans le brésilien, le guarani, le mokobi, le maya, l’aruwaki et dans toutes les langues de l’Orénoque, excepté le guama ; de s dans le brésilien, le guarani, le mokobi, le jarura ; de l dans l’othomich, le muyska et le mossa, etc., etc.

Le système grammatical est très-compliqué : il a généralement pour point de départ le principe d’agglutination, et on lui a donné le nom spécial de polysynthétique. Les moindres modifications dans les rapports des idées entre elles, ou dans leurs dépendances à l’égard les unes des autres, se traduisent aussitôt dans les mots par des syllabes affixes qui s’accolent soit au commencement du radical (préfixes), soit à la fin (suffixes). Ainsi, par exemple, en mexicain, qua veut dire manger ; manger quelque chose s’exprimera par tlaqua ; donner quelque chose à manger à quelqu’un, tetlaqualtia, en un seul mot.

Il n’existe pas chez les Américains de système graphique proprement dit. Cependant on sait que les Mexicains employaient, outre leurs quippus, des sortes d’hiéroglyphes primitifs, et cette méthode grossière s’est répandue dans toute l’Amérique. Lafiteau l’a retrouvée chez les Iroquois et les Hurons. Les anciens Virginiens l’employaient sous le nom de sagkohoh, pour conserver la mémoire de leurs événements historiques. Sur les bords du Rio-del-Norte, dans la Louisiane, dans le Pérou, on constate l’existence de ces dessins hiéroglyphiques. Au milieu du siècle dernier, un missionnaire trouva chez la peuplade indépendante des Panos des livres remplis de figures et de caractères isolés, qui passaient pour contenir leur histoire. Dans les montagnes de l’Amérique du Sud, on a vu des blocs de granit recouverts tout entiers d’hiéroglyphes gravés au ciseau.

On peut diviser les langues américaines en six groupes, comprenant de nombreux dialectes et sous-dialectes :

1° Les langues des Esquimaux, dont la plus connue est le groënlandais ;

2" Les langues andes-parime, parlées entre l’océan Atlantique, l’Amazone, le grand Océan, le Guatemala, et comprenant le caraïbe, le tamanaque, etc. ;

3° Les langues guaranis, parlées entre l’Atlantique, les Andes, la Plata, l’Orénoque, et comprenant le guarani, le camacan, le payagua, le guaycurus, etc. ;

4° Les langues mexicaines : le nahualt ou mexicain, parlé par les Aztèques ; l’otomi, le maya, etc. ;

5° Les langues péruviennes : l’abipon, le mocaby, le péruvien, le chiquitos, etc. ;

6° Deux séries d’idiomes bien distincts par leur nature propre et la position géographique des peuples qui les parlent : 1° le pécherais, parle dans l’archipel Magellan, ainsi que l’araucan, parlé dans le Chili ; 2° les nombreux dialectes du centre de l’Amérique septentrionale, tels que le cherokee, le delaware, le sioux, le comanche, le natchez, etc.

Pour de plus amples détails, voir chaque langue séparément dans le dictionnaire, à l’ordre alphabétique.


II. — Littérature en Amérique. Antérieurement à la guerre de l’Indépendance, il n’y a pas, à proprement parler, de littérature spéciale aux États-Unis. Des poésies, des traductions de la Bible, des ouvrages de métaphysique, quelques travaux historiques et politiques, les Observations sur l’entretien des noirs, de John Woolman, et enfin les œuvres de Franklin ; forment le bilan littéraire de cette contrée depuis l’établissement de la colonie jusqu’à sa déclaration d’indépendance. De tous les écrivains de cette période, Franklin est le seul dont le nom soit resté, et ce succès n’est pas dû seulement à l’importance politique de ses œuvres, mais à leur forme élégante, pittoresque, et à la pureté du style. Ses ouvrages les plus célèbres sont : l’Almanach du Bonhomme Richard, traité de morale et d’économie domestique dont le succès fut universel, et dont des milliers d’exemplaires furent vendus en France ; puis son Autobiographie, ses Essais et sa Correspondance, où se trouve la délicieuse lettre à Mme Helvétius sur les Éphémères. « Il est impossible, dit avec beaucoup de justesse M. Lasseau, de lire Franklin sans estimer sa pensée et sans aimer sa parole. » Dans le laps de temps qui s’est écoulé depuis la révolution américaine jusqu’à nos jours, la littérature a pris aux États-Unis un immense développement, et, grâce à la liberté dont jouit ce pays, tous les genres ont été cultivés et présentent un nombre d’ouvrages étonnant, pour une nation qui ne compte pas encore un siècle d’existence. L’abondance des matières nous obligera de les diviser par genres, afin do mettre plus de clarté dans ce dénombrement, nécessairement très-succinct.

Théologie et philosophie. Les ouvrages abondent sur cette matière toujours chère aux protestants, qui n’en sont pas encore arrivés à notre indifférence en matière de religion. Nous citerons principalement les écrits de Jonathan Edwards, du docteur Charles Chauncey, de Joseph Bellamy, Samuel Hopkins. Th. Dwight et J. Witherspoon ; les Esquisses de la science morale, par le docteur Alexander ; la Philosophie mentale, do Th. Upham ; les écrits de Hickok ; de Tappan ; de Fr. Bowen, philosophe de l’école de Locke ; ceux de Marsh, de Green, d’Emerson et de Parker ; les œuvres des écrivains orthodoxes Worcester, M. Stuart, L. Woods, des unitaires H. Ware, A. Norton, B. Whitman et W. E. Channing, dont on cite l’Argument moral contre le calvinisme, l’Essai sur la littérature nationale, enfin ses Remarques sur John Milton et sur Napoléon Bonaparte. Telle est la phalange d’écrivains moralistes qui représentent d’une manière complète l’ensemble des idées philosophiques de l’Amérique anglaise.

Poésie. L’époque de la révolution produisit le premier poète national, J. Trumbull, qui, dans son poème comique de Mac-Fingal, attaqua sans pitié les adversaires de la liberté. Après lui, vient, par ordre de date, T. Dwight, auteur d’une épopée, la Conquête de Canaan, et d’un Village florissant, qui est la contre-partie du Village abandonné, de Goldsmith, et dont le style excellent influa sur la littérature de l’époque. Barlow, poète et commerçant, publia un poème épique, la Colombiade, et la Bouillie de maïs, œuvre plus modeste, mais remplie d’aisance et de facilité. À côté de Barlow, il convient de placer Philippe Freneau, poète patriotique d’origine française, et John Pierpont, qui a publié, en 1816, les Chants de la Palestine, d’une harmonieuse versification, ainsi que des odes qui sont de véritables chefs-d’œuvre et ses principaux titres à la renommée. W. Cullen-Bryant publia, en 1821, des Méditations sur la mort, poésies d’une haute portée philosophique, et le magnifique poème des Ages, dans lequel il passe en revue l’histoire de l’Amérique depuis sa découverte jusqu’à la guerre de l’Indépendance, et où il donne d’admirables descriptions des scènes de la nature dans ce merveilleux pays. Enfin arrivent J. Rodman Drake, qui a publié, entre autres ouvrages, le Lutin coupable, une pièce patriotique intitulée le Drapeau américain, une satire, Fanny, et le Château d’Alnwick, souvenir d’un voyage en Angleterre ; Green Halleck, l’auteur de Marco Botzaris. — Richard Wilde, Hillhouse, Morris, Howard et Payne, méritent, à des titres divers, d’être également cités, sans oublier non plus quelques charmantes pièces de M. Emerson, telles que l’Abeille sauvage, le Problème, etc., et les drames en vers de Parker Willis : Tortesa l’usurier et Bianca Visconti. Parmi les poëtes tout à fait contemporains, nous mentionnerons : H. W. Longfellow, qui a publié les Voix de la Nuit, des Ballades, un drame intitulé l’Étudiant espagnol, des Poèmes sur l’esclavage, le Bord de la mer, la Légende dorée, le Chant de Hiawatha, et, en 1858, Comment Miles Standish fit sa cour ; Greenleaf Whittier, l’adversaire déclaré de l’intolérance religieuse, dont on a Mog-Megow, les Légendes de la Nouvelle-Angleterre, l’Étranger à Lowell, la Fiancée de Pennacook, etc., etc. ; Wendel Holmes, poète satirique ; Edgard Poe, popularisé chez nous comme romancier, mais dont l’Amérique possède de nombreuses poésies, entre autres le Ver vainqueur, Annabel Lee, élégie composée sur la mort de sa femme, et le Corbeau, trois admirables pièces où l’étrange et le fantastique sont la note dominante ; Lowel, auteur du Fils du Pauvre, admirable poème philosophique, d'une élégie Sur la mort d'un enfant, qui laisse loin derrière elle les stances trop vantées de Malherbe, et enfin de la Fable pour les Critiques, où il a successivement bafoué la plupart de ses confrères en Apollon. Bayard Taylor, auteur des Poèmes de l’Orient, et Butler ferment la liste des poëtes américains, auxquels on peut ajouter, pour être complet, les noms de quelques femmes célèbres à un titre quelconque : Lydia Sigourney, Hannah Gould, les sœurs Davidson, les sœurs Warfield,Mmes Child, Mac-Intosch et Fuller-Ossoli.

3" Roman. Le genre du roman est relativement aussi cultivé en Amérique qu’en Angleterre, mais on ne trouve le nom d’aucun auteur important avant le commencement de ce siècle. En tête des romanciers américains, se place Fénimore Cooper, dont les ouvrages ont été traduits dans toutes les langues de l’Europe, et qu’on a surnommé, non sans raison, le Walter Scott de l’Amérique. Viennent ensuite Washington Irving et Longfellow, qui sont de spirituels conteurs, et dont le dernier est surtout connu par ses deux volumes Outre-mer et Hyperion ; Edgar Poë, qui a publié des nouvelles et des contes fantastiques, dont les plus justement admirés sont le 'Scarabée d'or', le Pendule et la Lettre volée. Après cet auteur, on peut encore citer la Case de l'oncle Tom, éloquent plaidoyer de Mme Beecher-Stowe en faveur de l’affranchissement des nègres, ouvrage qui, traduit en plusieurs langues, s’est répandu en Europe à une quantité incalculable d’exemplaires ; Opulence et Misère, de Mme Stephens ; Transformation et le Vieux Foyer, de Hawthorne ; enfin le Vaste Monde, d’Elisa Wetherell, et Ruth Hall, de Fanny Fern.

Histoire. De même que les romanciers, les historiens américains ne datent guère que du commencement du siècle. Le plus célèbre en France est W. Prescott, dont on connaît l’Histoire de la Conquête du Mexique, celles de Ferdinand et d’Isabelle, de la Conquête du Pérou et de Philippe II.’V 'Histoire des colonies anglaises dans l’Amérique du Nord. par Marshall, fut le premier essai d’une histoire locale ; elle fut bientôt suivie de l’Histoire des États-Unis, de Graham ; de l’Histoire de l’État du Maine, par W. Williamson. Les Esquisses historiques du MichiganAa Collection de la Société historique de New-York, l’Introduction à l’histoire de la Virginie, par Camphell ; des Histoires de la Géorgie, du Kentucky et de la Pensylvanie, documents nombreux et précieux dus au zèle de patriotes savants, apportèrent bientôt d’immenses matériaux aux

historiens nationaux, qui ont produit des ouvrages très-remarquables, parmi lesquels nous mentionnerons:la Vie de Washington et l’Histoire des Etais-Unis, de Bancroft ; l’Histoire de la Conspiration de Pontiac, de Parkman ; celle des Hommes du iVord, par Wheaton ; l’Histo— e navale des État-Unis, de F. Cooper ; la Biographie des Indiens, de Thatcher ; l’Histoire des Tribus indiennes de l’Amérique du Nord, par Mac-Kenney et Hall, et enlm les Recherches algiques et Oneota, ou la race rouge en Amérique, très-remarquables ouvrages de Schoolcraft. Parmi les œuvres purement bibliographiques publiées en Amérique, nous ne pouvons nous dispenser de citer la Biographie américaine, éditée par M. Jared Sparks ; la Vie et les Écrits de Washington, par le même ; les Portraits des Loyalistes américains, de Sabine ; deux Vies de Jefferson, l’une de Rayner et l’autre de Randall; les Vies de Goldsmith, de Washington et de Mahomet, par Washington Irving, etc., etc.

Voyages. Comme les Anglais, les Américains sont voyageurs, et, une fois de retour dans leur patrie, ils aiment à rendre compte de leurs impressions. Les ouvrages de ce genre les plus remarquables en Amérique sont : le Compte rendu de l’expédition d’exploration des États-Unis, par Ch. Wilkes ; Une Année en Europe, par Griscom ; les Lettres d'Europe, par Carter ; Visite à Constantinople et à Athènes, par W. Colton ; les Incidents de voyage, de Stephens, et les nombreux ouvrages de Bayard Taylor et du colonel Frémont.


III. — L’art en Amérique. Les premiers explorateurs de l’Amérique ne furent pas médiocrement surpris d’y trouver des monuments rappelant, par leur masse imposante, les constructions cyclopéennes, et, par leur style, l’architecture pyramidale de l’ancienne Égypte. Le Mexique et le Pérou conservent encore d’intéressants débris de cet art primitif. On conçoit qu’après la conquête, un art nouveau n’ait pu prendre naissance chez des peuples composés d’aventuriers et de traficants. Mais n’est-on pas en droit de s’étonner que, de nos jours, il n’existe pas dans les deux Amériques un seul centre artistique ? Les quelques peintres qui s’occupent de travaux décoratifs, de peinture de portraits, de sculpture ou d’architecture, pastichent aveuglément les productions de l’art européen. Les quelques tableaux envoyés à l’exposition de 1855, par des artistes nés en Amérique, nous ont appris d’ailleurs que l’école française possède à peu près seule le privilège de fournir des modèles au nouveau monde.


Amérique (Paris en), ouvrage de M. Laboulaye. V. Paris en Amérique.


Amérique (DE LA DEMOCRATIE EN), ouvrage de M. de Tocqueville. V, Démocratie.