Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ALFIERI (le comte Victor), célèbre poëte tragique italien

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 195-196).

ALFIERI (le comte Victor), célèbre poëte tragique italien, né en 1749, à Asti (Piémont), mort à Florence, en 1803. À seize ans, libre et maître de sa fortune, affranchi de l’étude, qui lui avait toujours été odieuse, il se jeta avec l’emportement d’une nature fougueuse dans les plaisirs, la dissipation et les aventures, parcourut d’une course folle une partie de l’Europe, sans autre but, comme il le dit lui-même, que de se donner du mouvement, et ne commença à écrire que vers 1775. Porté au genre tragique par la nature même de son esprit ardent, par les élans d’une âme énergique et pleine du feu des passions, il ne se fit pourtant connaître d’abord que par quelques écrits légers en langue française. Une tragédie de Cléopâtre, qui lui tomba sous les yeux, lui révéla en quelque sorte sa vocation. Il traita le même sujet dans une pièce qui fut représentée à Turin, et dont le succès décida de sa vie. Il écrivit successivement vingt tragédies, dans un système entièrement nouveau en Italie. À la manière molle, efféminée et gracieuse de ses devanciers, il substitua un dialogue serré, nerveux et précis, un style mâle, pur, extrêmement concis, rempli d’images frappantes et de fortes pensées, une action sobre jusqu’à la sécheresse, des caractères tracés avec énergie, des situations vraiment tragiques et des sentiments élevés. Il retrancha de ses pièces les coups de théâtre, les confidents, les amoureux inutiles ; il en aurait volontiers retranché toute espèce d’action pour n’y laisser subsister que le dialogue. Cette poétique imprimait à ses productions un caractère simple et sévère, mais en même temps une sécheresse et une raideur que l’éloquence de ses monologues et des dialogues ne peut faire oublier. On peut lui reprocher aussi de n’avoir pas caractérisé les siècles, les personnages et les sujets, et de leur avoir donné une couleur uniforme, où se retrouve constamment l’empreinte de ses propres idées et de ses sentiments. Ses œuvres les plus remarquables sont : Philippe II, Polynice, Antigone, Agamemnon, Virginie, Oreste, la Conjuration des Pazzi, Don Garcia, Rosemonde, Marie Stuart, Timoléon, Octavie, Mérope, et Saül. En résumé, on reconnaît généralement qu’il est inférieur aux grands poètes modernes qui ont traité les mêmes sujets que lui. Imitateur de l’école française, malgré ses préventions et ses dénégations, il est resté, suivant l’habile critique Ginguené, à la même distance de nos grands tragiques que ceux-ci le sont des Grecs.

Alfieri, pour aborder le théâtre, avait dû recommencer son éducation, prendre des précepteurs et s’astreindre à un travail opiniâtre pour apprendre non-seulement le latin, mais encore l’italien classique, qu’il savait fort mal, la composition dramatique, l’histoire, etc. Telle était son ardeur au travail, qu’à l’âge de quarante-huit ans il entreprit l’étude du grec, pour lequel il s’enflamma d’un enthousiasme tardif ; et comme s’il eût voulu reprendre la puérilité de l’enfance en même temps que les études élémentaires de cet âge, il créa pour lui un ordre d’Homère, dont il se fit chevalier.

Au début de sa carrière dramatique, il avait eu le bonheur de rencontrer une femme pleine de charme et d’élévation, la comtesse d’Albany, épouse du dernier des Stuarts, dont l’influence le fixa pour toujours au travail. Séparé plusieurs fois d’elle par le caprice des événements et du monde, il la retrouva à Paris, où il était venu faire imprimer ses Œuvres dramatiques, et l’épousa quand elle fut devenue veuve (1788).

Il était encore en France lorsque éclata la Révolution de 89, dont il salua les débuts par une ode ; il avait même l’intention de se fixer dans ce pays, qu’il appelait la terre de la liberté. Mais cet enthousiasme ne tarda pas à se refroidir. Le caractère tout plébéien de cette grande rénovation effraya le noble Italien, qui prit la fuite après la journée du 10 août. Traité en émigré, irrité de la confiscation de ses livres et de ses meubles, ainsi que de la perte de la plus grande partie de sa fortune, qu’il avait placée sur les fonds français, il conçut dès lors contre la France et la Révolution une haine implacable, qui devint une monomanie, et qu’il ne cessa jusqu’à sa mort d’exhaler en d’amers pamphlets, dont le plus insensé est le Miso-Gallo.

Outre ses tragédies, on a d’Alfieri des comédies médiocres, des odes, des sonnets, un poème de l’Étrurie vengée, un traité de la Tyrannie, un autre du Prince et des Lettres, compositions dans la manière de Machiavel ; une Histoire de sa vie, des traductions en prose et en vers d’auteurs anciens, etc.

La comtesse d’Albany lui fit élever, dans l’église de Santa-Croce, à Florence, un monument en marbre, l’un des chefs-d’œuvre de Canova, et qui est placé entre les tombeaux de Machiavel et de Michel-Ange. Elle donna une édition complète de ses œuvres, en 35 vol. in-4o, Pise, 1805-1815. M. Petitot a traduit assez médiocrement en français les tragédies, Paris, 1802. Nous possédons aussi des traductions de la Vie d’Alfieri, et de son traité de la Tyrannie.