Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ALEXANDRIE, ville et port d’Égypte

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 193-194).

ALEXANDRIE, ville et port d’Égypte, fondée par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C, située sur la langue de terre qui sépare le lac Maryoulh de la Méditerranée, à 170 kil. N.-O. du Caire ; entrepôt du commerce égyptien et d’une grande partie de celui de l’Arabie, de la Nubie, de l’Abyssinie. Elle fut célèbre autrefois par son école de philosophie et par l’importante bibliothèque recueillie par les Ptolémées. Elle avait, sous Auguste, plus de 300, 000 habitants, et en compte à peine aujourd’hui 60, 000. C’est le seul grand port commercial que l’Égypte possède actuellement sur la Méditerranée.

Les monuments principaux de cette ville célèbre sont :

Le Phare. De la pointe orientale de l’île de Pharos se détachait une masse de rochers entourée d’eau. C’est là que fut bâti, par le Cnidien Sostrate et sous le règne de Ptolémée Philadelphe (283 av. J.-C), le célèbre Phare d’Alexandrie, que l’antiquité considérait comme une des sept merveilles du monde. Un vaste corps de bâtiment en marbre blanc, ouvert de tous côtés, composait le premier étage. Ce palais était surmonté d’une immense tour carrée, également en marbre, avec des galeries étagées les unes au-dessus des autres, formant les plus gracieuses colonnades. La hauteur totale était de quatre cents pieds, et au sommet se trouvait un grand miroir qui réfléchissait les vaisseaux avant que l’œil pût les apercevoir à l’horizon. En 1518, le Phare étant totalement ruiné, le sultan Sélim fit construire sur l’emplacement une mosquée et le château que l’on y voit aujourd’hui.

L’Heptastade, Cette chaussée, qui unit la ville à l’ancienne île de Pharos, fut ainsi nommée parce que sa largeur était de sept stades. Elle coupait en deux le havre d’Alexandrie, et lui donnait ainsi deux ports : l’un appelé Grand-Port, l’autre Eunoste, ou port du bon retour. Elle a été si considérablement élargie par les sables et les débris accumulés à sa base, que la nouvelle ville a pu s’y réfugier tout entière. Le môle antique portait un aqueduc destiné à faire arriver dans l’île de Pharos les eaux du Nil, et établissait, par deux ouvertures qui y avaient été pratiquées, une double communication entre les deux ports qu’il séparait.

Colonne de Pompée ou dioclétienne. Cette colonne, improprement nommée de Pompée, fut élevée en l’honneur de Dioclétien par un gouverneur de l’Égypte, Pompeianus, dont le nom explique la tradition erronée qui attribue ce monument à Pompée. Située à 1 kilomètre environ de la porte méridionale de la ville arabe, elle se trouvait comprise dans l’enceinte même d’Alexandrie. Elle n’a plus d’autre utilité que de servir de point de reconnaissance aux vaisseaux qui arrivent du large et aux caravanes qui débouchent du désert. C’est une colonne haute de 32 m. 50 c, d’un seul bloc de granit rose, dont l’exécution et le poli sont admirables : son diamètre est de 3 m. Une masse carrée, supportée par deux assises de pierres siliceuses, lui sert de base. Le fût est grec, tandis que la base, le piédestal et le chapiteau accusent le style dégénéré du IVe siècle de l’ère chrétienne. Le chapiteau est d’ordre corinthien, à feuilles de palmier sans dentelures. Une statue colossale paraît avoir autrefois surmonté le monument, mais on n’en a trouvé que des débris informes. Aiguilles de Cléopâtre. Obélisques situés à l’orient de l’ancienne Alexandrie, et qui paraissent avoir orné l’entrée du Cœsarcum, temple de J. César. Ce sont deux monolithes de granit rose, dont l’un est encore debout, et l’autre couché sur le sable. Ils sont chargés d’hiéroglyphes. Celui qui est debout a soixante-trois pieds de haut sur sept de côté, à la base. On remarque parmi les figures dont il est couvert celles du bœuf, du serpent, du hibou, de l’épervier, de la chouette, du scarabée, du canard, de la cigogne, de l’ibis et du lézard. Au milieu de ces inscriptions Champollion a cru lire les noms de Mœris et de Sésostris. On pense que ces deux monuments étaient autrefois à Héliopolis. Ce fut sans doute la reine Cléopâtre qui les fit transporter à Alexandrie, pour les placer devant le temple de César : d’où leur appellation.

Le Canal de Canope. Ce canal, navigable du Nil à Alexandrie, servait, dans sa double destination, à l’entretien des fontaines et au transport des marchandises. Il était bordé dans tout son parcours de vignes, de dattiers et de sycomores. Sur ses rives se groupaient des maisons de plaisance et de délicieux jardins. C’est ce même canal que Méhémet-Ali a fait recreuser, il y a quelques années, sous le nom de Canal Mahmoudieh.

Les autres monuments de l’antique Alexandrie étaient : le Posidium, ou temple de Neptune ; le Cœsareum, temple de Jules César ; le Sebasteum, temple d’Auguste ; l’Arsinoëion, temple d’Arsinoé ; le Sérapéion, temple de Sérapis ; le Sêma, ou tombeau d’Alexandre ; l’Homerion, monument d’Homère ; le Dicasterion, palais où se rendait la justice ; l’Amphithéâtre ; le Stade ; le Musée ; le Claudium, palais fondé par Claude pour la réunion des savants ; le Timonium, palais de Marc-Antoine ; le Mausolée, ou tombeau de Cléopâtre, et l’Emporium ou grand marché.

Parmi les monuments de l’Alexandrie musulmane, il faut citer : la mosquée d’Aboud Dinian, couronnée par des créneaux à redans, surmontée d’une coupole, et accompagnée d’un joli minaret à huit faces ; le fort de l’île de Pharos, tour d’architecture arabe, carrée, flanquée aux angles de quatre tourelles, et portant au-dessus de la plate-forme un donjon couronné par une lanterne qui sert de phare. Une triple enceinte fortifiée à la moderne lui sert de remparts.

— Hist. L’importance d’Alexandrie, sa prospérité et son admirable position l’ont désignée de tout temps à l’avidité des conquérants. Nous allons passer en revue les principaux événements militaires qui se sont accomplis sous ses murs, et auxquels elle a attaché son nom.

I. Antiochus, roi de Syrie, voulant mettre à profit la jeunesse des enfants de Ptolémée Philopator pour conquérir l’Égypte, l’envahit à la tête d’une puissante armée et mit le siège devant Alexandrie. Mais Popilius Lænas, envoyé par le sénat, arrêta ses projets ambitieux. V. Cercle de Popilius.

II. Après avoir vaincu Pompée à Pharsale, César entra dans Alexandrie pour y régler les affaires de l’Égypte. Ses manières impérieuses irritèrent Achillas, ministre du roi Ptolémée, qui réunit une armée de vingt-quatre mille Égyptiens, tous soldats aguerris, et vint défier le maître du monde devant les murs de la capitale. César, qui n’avait avec lui que trois mille légionnaires et huit cents cavaliers, sortit hardiment d’Alexandrie, où ses ennemis le tenaient pour ainsi dire assiégé, les éloigna des remparts, et leur fit essuyer successivement plusieurs défaites. Mais bientôt, affaibli par ses succès mêmes, il éprouva des revers qui le mirent à deux doigts de sa perte. Forcé de battre en retraite devant un ennemi trop supérieur en nombre, il courut les plus grands dangers, et dut se sauver à la nage pour échapper à la poursuite des Égyptiens. Toutefois, il ne tarda pas à reprendre sa supériorité et à écraser ses ennemis dans une dernière bataille, à la suite de laquelle le roi Ptolémée se noya dans le Nil (46 av. J.-C).

III. L’an 640 de notre ère, Amrou, lieutenant du calife Omar, entra en Égypte après avoir conquis la Palestine, s’empara de Péluse et de Memphis, et vint mettre le siège devant Alexandrie. Il poussa les opérations avec la plus grande vigueur, animant ses soldats par l’exemple de son indomptable intrépidité, et faisant toujours flotter sa bannière au premier rang. Lui-même il présidait aux reconnaissances de la place et dirigeait toutes les attaques. Enfin, après quatorze mois de siège et une multitude de combats meurtriers, Amrou livra un assaut général et emporta la ville. Il avait perdu vingt-cinq mille hommes devant Alexandrie. Voici en quels termes il rendit compte de sa conquête au calife : « J’ai pris la grande ville de l’Occident ; il m’est impossible de te décrire toutes ses richesses, toute sa magnificence. Je me contente de te dire qu’elle renferme quatre mille palais, quatre mille bains, quatre cents théâtres, douze mille boutiques de légumes et fruits, et quarante mille juifs tributaires. La ville a été prise par force, sans traité ni capitulation, et les Musulmans sont impatients de recueillir le fruit de leur victoire. » Ces derniers mots renfermaient une demande indirecte de pillage, qu’Omar refusa avec une généreuse fermeté. Mais interrogé s’il fallait également respecter la fameuse bibliothèque du Sérapéion, le calife répondit par un dilemme trop célèbre. (V. plus loin Bibliothèque d’Alexandrie.) Amrou obéit à regret, et ce magnifique dépôt de toutes les connaissances humaines devint la proie des flammes.

IV. Pour forcer l’Angleterre à la paix, Bonaparte forma le projet d’une expédition grandiose, mais qu’une conception vive, une rare célérité dans l’exécution, et surtout un vaste et hardi génie comme le sien, pouvaient seuls faire réussir ; c’était la conquête de l’Égypte, de cette magnifique contrée dont la possession constituerait une perpétuelle menace contre l’empire anglais de l’Inde, où la faiblesse de la marine française ne permettait pas de porter directement nos soldats. En outre, une administration active et habile pouvait faire de ce beau pays, qui n’a rien perdu de sa fécondité biblique, la plus riche colonie du globe, ressusciter l’antique splendeur dont Alexandrie avait joui sous les Ptolémées, et rendre de nouveau cette ville le centre du commerce de l’Asie et de l’Afrique, l’entrepôt général des marchandises des Indes. Tels étaient les desseins de Bonaparte, dont l’âme s’ouvrait à toutes les grandes inspirations. Un armement considérable fut réuni à Toulon, dans le secret le plus absolu, et la flotte mit à la voile le 8 mai 1798 ; le 30 juin, elle arriva sur les côtes d’Égypte, en vue de la tour des Arabes. L’armée n’avait appris sa véritable destination que depuis quelques jours seulement, par une proclamation où respire un caractère de majesté pareil à celui que les généraux romains savaient imprimer à leurs harangues. Bonaparte établit aussitôt des communications avec Alexandrie et donna l’ordre du débarquement. On aperçut alors au loin une voile de guerre. Craignant que ce ne fût un navire anglais détaché de la flotte de Nelson, qui s’était mis à sa poursuite : Fortune ! s’écria-t-il, m’abandonnerais-tu ? Quoi, seulement cinq jours ! Il se trompait ; c’était une frégate française qui arrivait de Malte. Bientôt l’opération du débarquement commence ; en un instant la mer est couverte de canots qui luttent contre l’impétuosité et la fureur des vagues ; mais on prend terre heureusement à trois lieues d’Alexandrie, et le général en chef, après avoir formé ses troupes en colonnes, marche sur l’ancienne capitale des Ptolémées. Il était à pied, avec l’avant-garde, accompagné de son état-major et de ses généraux. Le plus vif enthousiasme régnait dans l’armée, accoutumée à ne recueillir que des lauriers sur les pas de l’immortel capitaine. À une demi-lieue de la ville, les Arabes s’étaient réunis au nombre de trois cents environ ; mais, à l’approche des Français, ils prennent la fuite et s’enfoncent dans le désert. Arrivé aux portes d’Alexandrie, Bonaparte, désirant prévenir l’effusion du sang, se dispose à parlementer. Des hurlements effroyables d’hommes, de femmes, d’enfants, lui répondent, en même temps que les ennemis démasquent quelques pièces de canon. Il fait alors battre la charge, et les Français s’élancent à l’assaut, au milieu du feu des assiégés et d’une grêle de pierres qu’on fait fondre sur eux ; généraux et soldats escaladent les murs avec la même intrépidité : le général Kléber est atteint d’une balle à la tête ; le général Menou est renversé du haut des murailles, tout couvert de contusions ; mais nos troupes ne tardent pas à se précipiter dans la ville, tandis que les assiégés fuient éperdus (2 juillet 1798). Bonaparte, qui craint que la fureur du soldat n’allume une haine implacable au sein de cette population, fait battre la générale, mande auprès de lui le capitaine d’une caravelle turque, et le charge de porter aux habitants des paroles de paix et de conciliation. Il leur annonce que leurs propriétés, leur religion, leur liberté, seront respectées, et que la France, jalouse de conserver l’amitié de la Porte, prétend diriger la guerre seulement contre les Mamelucks. Bientôt les imans, les cheiks et les chérifs viennent se présenter à Bonaparte, qui leur réitère ces dispositions amicales. Peu de temps après, tous les forts sont remis entre les mains des Français ; l’ordre et la sécurité commencent à renaître, et les Arabes eux-mêmes, laissant éclater leurs démonstrations de joie, nous jurent fidélité.

Bibliothèque d’Alexandrie. Célèbre bibliothèque fondée par Ptolémée Soter dans le quartier d’Alexandrie nommé Bruchion, et dont Démétrius de Phalère fut le premier conservateur. Selon Aulu-Gelle et Ammien Marcellin, elle compta jusqu’à sept cent mille volumes. Lorsque la bibliothèque de Bruchion eut atteint le chiffre de quatre cent mille volumes, une bibliothèque supplémentaire fut formée dans le Sérapéion (temple de Sérapis), qui en renferma bientôt trois cent mille. La première périt dans les flammes lorsque César se rendit maître d’Alexandrie. La seconde s’augmenta quelque temps après de celle des rois de Pergame, donnée par Antoine à Cléopâtre. Détruite en 390 dans les luttes des païens avec les chrétiens, elle avait été reconstituée sans doute au commencement du VIe siècle. Abulfaradje, qui mourut évêque d’Alep en 1286, rapporte que, lorsque les Arabes s’emparèrent d’Alexandrie en 641, cette bibliothèque fut livrée aux flammes par l’ordre d’Amrou, leur chef. Celui-ci ayant consulté le calife Omar sur ce qu’on devait faire de tous livres, en reçut la réponse suivante, qui traduit de façon naïvement brutale la logique du fanatisme : « Si ces livres sont conformes à l’Alcoran, ils sont inutiles ; sils sont contraires à l’Alcoran, ils sont pernicieux : donc il faut les détruire. » En conséquence, dit Abulfaradje, Amrou les fit distribuer dans les bains d’Alexandrie, les fit brûler dans leurs foyers ; et il fallut six mois pour les consumer. Cette circonstance de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie par les Arabes a éveillé de nos jours les défiances de la critique et soulevé plus d’une objection.

Il y a des écrivains, et ils sont aujourd’hui assez nombreux, qui s’ingénient à prendre l’histoire en défaut et à battre en brèche les événements les moins contestés ; ils nient l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. D’autres, tout en admettant l’authenticité de ce triste événement, lui enlèvent son caractère et ses conséquences à jamais déplorables, en prétendant que le nombre des volumes dévorés par le feu était beaucoup moins considérable qu’on ne l’a dit, et que, d’ailleurs, ils ne traitaient que de controverses théologiques. Malheureusement les uns et les autres n’apportent aucune preuve sérieuse à l’appui de leurs assertions.

Chronique d’Alexandrie, compilation d’auteurs grecs faite sous l’empereur Héraclius, au règne duquel elle s’arrête. Le manuscrit, qui fut découvert en Sicile dans le courant du XVIe siècle, portait en tête le nom de Pierre d’Alexandrie.

École d’Alexandrie. Le nom d’école d’Alexandrie a deux sens : il désigne quelquefois l’ensemble des savants que l’intelligente protection des Ptolémées avait réunis dans la ville d’Alexandrie ; mais il s’applique le plus souvent à cette succession de philosophes qui, du IIIe siècle de l’ère chrétienne jusque vers la fin du Ve, entreprirent d’unir la philosophie orientale à la philosophie grecque.

Musée d’Alexandrie. En même temps que la Bibliothèque, Ptolémée Soter avait fondé le Musée d’Alexandrie, où philosophes, savants et poëtes logeaient et prenaient leurs repas ensemble. « Cette association, dit Strabon, avait des fonds communs et un chef nommé par le roi. » On ne peut mieux se faire une idée de cette institution que par nos académies d’aujourd’hui, où se retrouve le même caractère de liberté d’opinion pour les membres, avec des réunions et des travaux en commun sous le patronage du gouvernement. La fondation du Musée donna un grand essor aux sciences et aux lettres. Alexandrie, que sa position géographique avait rendue le centre des relations commerciales, ne tarda pas à succéder à Athènes comme centre du mouvement intellectuel. On vit alors briller dans les sciences : Euclide, le créateur de la géométrie scientifique ; Apollonius de Perge, qui a laissé un ouvrage sur les sections coniques ; Nicomaque, qui le premier réduisit l’arithmétique en système ; Eratosthène, qui créa l’astronomie et la géographie savantes en calculant la longueur de la circonférence terrestre, et en déterminant la valeur de l’obliquité de l’écliptique ; Aristarque, qui inventa une méthode ingénieuse et très-simple de calculer les distances relatives de la terre au soleil et à la lune ; Hipparque, le plus grand peut-être des astronomes de l’antiquité, qui fixa la longueur de l’année solaire et découvrit la précession des équinoxes ; Erasistrate et Hérophile, qui créèrent l’anatomie. En même temps la poésie fleurit avec Théocrite, le chantre des bergers de Sicile ; Apollonius, l’auteur des Argonautiques ; Lycophron, Aratus, Callimaque, NiCandre, etc. ; enfin la philologie, l’histoire littéraire, la grammaire, représentées par Zénodote d’Éphèse, Aristarque de Samothrace, Cratès de Malles, Denys de Thrace, Apollonius le sophiste et Zoïle, prirent dans les travaux de l’esprit une place qu’elles n’avaient point eue jusqu’alors. On sait que les noms d’Aristarque et de Zoïle sont devenus synonymes, le premier de critique sévère, mais impartial, le second de critique injuste et sans bonne foi.

Philosophie alexandrine. L’école philosophique d’Alexandrie, appelée aussi école éclectique et école néo-platonicienne, est la dernière grande école de la philosophie grecque. « À la fois religieuse et philosophique, dit M. Pierre Leroux, placée entre le monde païen et le monde chrétien, elle se rattache à l’un et à l’autre ; elle procède de Platon et de Pythagore, de l’Orient et de la Grèce, tient aux gnostiques et aux chrétiens, essaye de résumer et de restaurer l’antiquité, et inonde en même temps de son idéalisme et de ses opinions les plus mystiques le moyen âge chrétien tout entier. » Les deux caractères principaux de la philosophie alexandrine sont l’éclectisme, c’est-à-dire l’essai d’une conciliation et d’une fusion de tous les systèmes philosophiques et de toutes les traditions religieuses, et le mysticisme, né du contact avec l’Orient, mais pourtant resté grec et philosophique par sa forme et sa méthode. Dans l’éclectisme des alexandrins, c’est l’élément platonicien qui prédomine ; il est le lien et le régulateur de leurs théories, le centre d’où tout part et où tout vient aboutir : de là le nom de néo-platonisme donné à la philosophie alexandrine. Le dernier mot de cette philosophie est un système où la théologie joue le principal rôle, et sert à expliquer tout le reste. Le bien suprême de Platon, l’unité première pure et absolue de Parménide, identifiés l’un à l’autre, forment le principe éternel et immuable de toutes choses. De ce principe émane l’intelligence qui le réfléchit, le verbe en qui les idées sont toutes représentées. L’intelligence produit à son tour l’âme, qui est principe et cause de tout mouvement, moteur du monde. Le monde est éternel, parce que l’âme n’a jamais pu être une force inactive ; elle le précède d’une priorité de principe, mais non d’une priorité de temps. Le monde est la manifestation nécessaire des idées, qui sont les types invariables des choses. Les âmes humaines sont une émanation de l’âme du monde ; par l’évolution de la création, elles sont éloignées de Dieu ; mais elles tendent à remonter à leur état primitif, et à s’absorber dans l’essence divine. Celles qui, abusant des sens, seront descendues par là au-dessous même de la vie sensitive, renaîtront après la mort dans les liens de la vie végétative des plantes ; celles qui n’auront vécu que d’une vie animale renaîtront sous la forme d’animaux ; celles qui ne se seront pas élevées au-dessus de la vie purement humaine reprendront des corps humains. Celles-là seules rentreront en Dieu qui auront développé en elles-mêmes la vie divine. La connaissance qui naît de la sensation et du raisonnement n’est que la préparation à la science véritable, laquelle s’acquiert par voie d’illumination. De même les vertus physiques relatives au perfectionnement du corps, les vertus morales et politiques qui comprennent les devoirs de l’homme en tant qu’être social, les vertus théorétiques, qui sont la contemplation de l’âme par elle-même, ne sont que les divers degrés par lesquels il faut passer pour parvenir aux vertus divines, où l’âme, se dégageant des liens du corps, se rend digne de contempler Dieu et de s’unir à lui. Le développement de la vie divine dépend surtout du secours de Dieu : de là l’importance de la prière, des symboles et des rites. — L’origine de l’école philosophique d’Alexandrie se rattache indirectement au siècle littéraire des Lagides. Attirés dans la capitale de l’Égypte, des philosophes y avaient transplanté les écoles nées en d’autres pays. Cyrénaïques, stoïciens, péripatéticiens, académiciens, sceptiques, s’y rencontrèrent. L’éclectisme devait naître du contact et du conflit des doctrines. L’école d’Alexandrie ne commence réellement que vers l’an 193 de l’ère chrétienne, mais on peut dire que Philon le Juif et Potamon avaient préparé la voie à l’enseignement d’Ammonius Saccas, son fondateur. À peine se fut-elle montrée à Alexandrie qu’elle émigra et se transporta à Rome avec Plotin. Après y avoir brillé d’un vif éclat, elle n’eut plus de siége fixe. Plus tard elle alla s’établir à Athènes, où l’édit de Justinien vint la frapper et fermer ses écoles, en 529. Les plus célèbres représentants de la philosophie alexandrine sont Plotin, Porphyre, Jamblique et Proclus. La partie métaphysique du système fut surtout développée par Plotin, la partie logique par Porphyre, et la partie théosophique par Jamblique. Proclus s’occupa plus spécialement de coordonner les idées de ses prédécesseurs. L’école d’Alexandrie est célèbre par la lutte qu’elle soutint contre le christianisme. Elle eut un moment, dans cette lutte, l’appui du pouvoir et s’assit sur le trône impérial avec Julien l’Apostat ; mais la mort de ce prince vint bientôt mettre fin à son rôle politique et renverser ses espérances de restauration du paganisme.