Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ALEXANDRE III, le Grand, roi de Macédoine et le capitaine le plus fameux de l’antiquité

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 191-192).

ALEXANDRE III, le Grand, roi de Macédoine et le capitaine le plus fameux de l’antiquité. Fils de ce Philippe dont le génie asservit la Grèce, il naquit à Pella, l’an 356 av. J.-C, le jour même de l’embrasement du temple de Diane à Éphèse par Erostrate, qui, suivant le mot d’un ancien, avait profité, pour accomplir son crime, du moment où la déesse était occupée aux couches d’Olympias, mère d’Alexandre. Les grands traits de son caractère se dessinèrent dès son enfance : « Mon père ne me laissera donc rien à conquérir ! » s’écriait-il en apprenant les victoires multipliées de Philippe. On lui demandait s’il disputerait le prix aux jeux Olympiques : « Oui, répondit-il, si j’y trouvais des rois pour rivaux. » Des ambassadeurs persans étant venus à la cour, il les accabla de questions sur l’administration, les routes, les distances, les forces de l’empire du grand roi, comme s’il en rêvait déjà la conquête. Souple, adroit, hardi, il faisait de la chasse, de tous les exercices violents, ses jeux favoris. Seul il put dompter le cheval Bucéphale (V. ce mot), dont la fougue sauvage avait rebuté les écuyers les plus hardis, et c’est à cette occasion que Philippe, enthousiasmé, le serra dans ses bras, en s’écriant : « Cherche un autre royaume, ô mon fils ! la Macédoine n’est pas assez grande pour te contenir. » Dès l’âge de treize ans, après sa première éducation, il l’avait confié aux soins d’Aristote, auquel il avait écrit cette lettre célèbre, aussi honorable pour le prince que flatteuse pour le philosophe : « Philippe à Aristote, salut. Je t’apprends qu’il m’est né un fils, et je remercie les dieux, non pas tant de me l’avoir donné, que de l’avoir fait naître du temps d’Aristote. » Alexandre parcourut avec son illustre maître le cercle entier des connaissances humaines : poésie, politique, morale, éloquence, sciences physiques, médecine, etc. Nul doute qu’il ne lui dut aussi le développement de cette passion des grandes choses qui fut le mobile de sa vie. On rapporte que plus tard, dans son âme avide de toutes les gloires et de toutes les supériorités, il se montra blessé de ce qu’Aristote publiait des livres et rendait ainsi communes à tous les sciences qu’il lui avait apprises.

À l’âge de vingt ans, il succéda à son père (336), au meurtre duquel il fut soupçonné, mais sans preuves, de n’avoir pas été étranger, ainsi que sa mère Olympias. Quoi qu’il en soit, il punit les complices réels ou supposés de l’assassin Pausanias, et, malgré les factions de l’intérieur, saisit le pouvoir d’une main souveraine. La suprématie de la Macédoine semblait remise en question par la mort de Philippe. Les nations barbares s’agitaient pour en secouer le joug, pendant que Démosthène soulevait les cités grecques. Alexandre se porta d'abord avec la rapidité de la fourdre chez les Thraces, les Gètes et les Triballes, qu’il subjugua, et fit alliance avec quelques peuplades barbares, entre autres les Celtes voisins du golfe Adriatique, qu’il croyait épouvantés de sa renommée, et qui lui répondirent fièrement qu’ils ne craignaient rien que la chute du ciel. Il s’avança ensuite pour soumettre la Grèce révoltée, emporta Thèbes, malgré une résistance héroïque, la détruisit de fond en comble et fit vendre trente mille de ses habitants comme esclaves. Plus de six mille avaient été massacrés. Il n’épargna que la famille de Pindare, et ne laissa debout que la maison où le poète était né. Cette exécution sanglante frappa les autres cités de terreur. Athènes se soumit et obtint son pardon, comme elle l’avait obtenu de Philippe. Pour la deuxième fois, la colère des Macédoniens vainqueurs s’arrêta devant la métropole de la civilisation. Une diète s’assembla à Corinthe. Alexandre y proposa de donner suite au dessein ébauché par Cimon, Agésilas et Philippe, d’une guerre nationale des Hellènes contre les Perses, pour venger la souillure des invasions. Rien n’était plus capable de faire oublier aux Grecs qu’ils étaient asservis. Nommé généralissime (335), le jeune héros reçut la visite de tout ce que la Grèce renfermait d’hommes illustres ou considérables. Il attendait celle de Diogène, qui vivait alors à Corinthe, et se décida enfin à l’aller trouver lui-même, entouré de ses capitaines et de ses courtisans. Le vieux philosophe était tranquillement étendu au soleil dans le gymnase nommé Cranium. Tout le monde connaît les détails de cette scène incomparable : d’un côté, une ambition immense, pour l’expansion de laquelle le monde semblait trop étroit ; de l’autre, un immense dédain pour toutes les choses de la vie. Le disciple d’Aristote offrit au cynique de le combler de bienfaits. « Que demandes-tu ? lui dit-il. — Que tu t’écartes de mon soleil. » Le conquérant se retira rêveur, en assurant à ses officiers que s’il n’était Alexandre, il voudrait être Diogène. V. Vouloir.

En quittant la Macédoine, Alexandre en laissa le gouvernement à Antipater, et partagea tous ses domaines entre ses amis. « Que vous réservez-vous donc ? lui demanda Perdiccas. — L’espérance, » répondit-il. (V. Espérance.) Avant son départ, il voulut consulter l’oracle de Delphes. Comme la pythie refusait de monter sur le trépied, le jeune héros l’y traînait violemment, « Ah ! mon fils ! s’écria-t-elle, on ne saurait te résister. — Cet oracle me suffit, répondit Alexandre, et je n’en veux point d’autre. » (V. Résister.) Ce fut au printemps de l’année 334 que ce capitaine de vingt-deux ans commença cette mémorable expédition, emmenant avec lui, pour faire la conquête du plus vaste empire de l’univers, 30,000 fantassins, 4,500 cavaliers, des vivres pour un mois, et une somme équivalant à peine à 400,000 fr. Au reste, par une merveilleuse intuition du génie, il avait bien jugé la faiblesse réelle du colosse qu’il voulait détruire, et des races énervées qu’il avait à combattre. La flotte persane ne lui disputa même pas le passage de l’Hellespont. Il débarqua dans la Troade et courut au cap Sigée, couronner de fleurs le tombeau d’Achille, en s’écriant : « Ô heureux Achille, qui as trouvé pendant ta vie un ami comme Patrocle, et, après ta mort, un chantre comme Homère ! » On sait qu’Achille, dont il prétendait descendre, était son héros et son modèle, et que le peintre des mœurs de l’âge héroïque, Homère, était son poète de prédilection. Il emportait partout avec lui, dans une cassette d’or, un exemplaire de l’Iliade, revisé de la main même d’Aristote. Peu de jours après il détruisit, au passage du Granique, la première armée que les Perses lui opposèrent. Cette victoire lui livrait l’Asie Mineure, dont il commença la conquête avant de pousser plus avant, afin d’assurer ses communications par la possession des places maritimes, et de fermer aux Perses le chemin de la Grèce et de la Macédoine. Ce plan de campagne, admiré depuis par Napoléon et par les plus grands tacticiens, il le suit avec une constance imperturbable, soumettant toute la côte en se faisant suivre de sa flotte, s’attachant les cités grecques d’Asie en leur rendant leurs vieilles constitutions démocratiques, parcourant en vainqueur la Carie, la Lydie, l’Ionie, la Lycie, la Pamphylie, puis la Pisidie et la Phrygie. À Gordium, il trancha de son épée le fameux nœud gordien (V. Nœud), prétendant avoir ainsi accompli l’oracle qui promettait l’empire de l’Asie à celui qui saurait le dénouer (333). Il alla soumettre ensuite la Paphlagonie et la Cappadoce, franchit le Taurus, pénétra en Cilicie et emporta Tarse, où il tomba malade pour s’être baigné couvert de sueur dans les eaux froides du Cydnus. Guéri par son médecin Philippe, à la trahison duquel il refusa noblement de croire (V. Médecin), il courut au-devant de Darius et l’écrasa dans les plaines d’Issus (333), où la mère, la femme et les deux filles du roi de Perse tombèrent en son pouvoir. Le jeune héros, accompagné d’Ephestion, son favori et son ami le plus cher, alla visiter dans leur tente les infortunées princesses. Sisygambis, mère de Darius, adressa le salut à Éphestion, qu’elle prenait pour Alexandre, à la supériorité de sa taille et à l’éclat de son costume. Avertie de son erreur, elle se jeta aux pieds du conquérant, qui la releva avec bonté en lui disant : « Vous ne vous êtes pas trompée, ma mère, celui-ci est aussi Alexandre ! » V. Aussi.

Sans s’inquiéter de la fuite de Darius, qui va se reformer une armée au delà de l’Euphrate, il poursuit l’exécution de son plan, envahit la Syrie, la Phénicie et la Judée, soumet sans coup férir presque toutes les villes, à l’exception de Tyr, qui résista sept mois, et de Gaza, défendue par Bétis, dont il traîna sept fois le cadavre autour des murs, pour imiter Achille, épisode qui est rapporté par le seul Quinte-Curce. Josèphe prétend qu’il visita ensuite Jérusalem et qu’il alla s’incliner devant le grand prêtre. Il n’y a en cela rien d’absolument invraisemblable, car on voit Alexandre rendre dans tous les pays des hommages publics au culte national. À Sidon, il donna la royauté à Abdolonyme, marcha sur l’Égypte, qui se soumit sans résistance, et jeta, dans une situation admirablement choisie, les fondements d’Alexandrie, destinée à être le lien commercial des trois parties du monde et à ruiner l’importance maritime de Tyr. Toutes les provinces maritimes de l’empire des Perses étaient dès lors en sa possession. Mais avant de s’engager au cœur de l’Asie, il jugea bon de s’armer encore du prestige d’un oracle fameux, et de se faire décerner une apothéose pour s’en faire un nouvel instrument de victoires. Il l’alla chercher à travers les sables de la Libye, au temple d’Ammon, où les prêtres, comblés de présents, le saluèrent du nom de fils de Jupiter. Revenu ensuite en Asie, il refusa les propositions brillantes de Darius, qui lui offrait 10,000 talents (54 millions), la cession de l’Asie jusqu’à l’Euphrate et l’une de ses filles en mariage. « J’accepterais, lui dit alors Parménion, l’un de ses généraux, si j’étais Alexandre. — Et moi aussi, si j’étais Parménion, » repartit le héros. (V. Aussi.) Après avoir réglé l’administration des pays conquis, il traversa la Célésyrie, franchit l'Euphrate à Thapsaque, évitant par de grands détours les déserts de l'Arabie, et prenant sa route par le N.-E. de la Mésopotamie, dans un pays bien arrosé et abondant en vivres et en fourrages. Il rencontra enfin l’immense armée de Darius au delà du Tigre, près d’Arbelles, dans les vastes plaines de Gaugamèle, et gagna sur le grand roi cette bataille d’Arbelles, la plus fameuse de l’antiquité et qui décida de l’empire (331). Après cette victoire, qui lui livrait l’Asie, il combla de présents ses officiers et ses amis, ordonna l’abolition des tyrannies particulières qui s’étaient élevées en Grèce, et rendit aux cités leurs propres lois, n’oubliant point, au milieu de l’enivrement de ses conquêtes, que la Grèce était son point d’appui dans sa lutte contre l’Orient. Toutes les grandes capitales de l’empire s’ouvrirent successivement devant lui : Babylone, où il sacrifia à Bel suivant le rite chaldéen, où il trouva près de deux mille ans d’observations astronomiques faites par les mages, et qu’il envoya à Aristote ; Suse, où il reprit les statues d’Harmodius et d’Aristogiton, trophées de victoire enlevés par Xerxès aux Athéniens ; Persépolis, dont il brûla le palais et où il trouva d’immenses trésors ; Ecbatane, Pasargades, etc.

Cependant, tandis qu’il poursuivait Darius à travers la Médie et la Bactriane, ce prince fut tué à coups de flèches par un de ses satrapes, qu’Alexandre punit en le livrant au supplice. L’empire des Perses était détruit. Le conquérant macédonien complète son œuvre en soumettant diverses nations belliqueuses des régions montagneuses qui bordent la mer Caspienne, pénètre jusque chez les Scythes asiatiques qui campaient au delà de l’Axiarte, et marque son passage dans ces sauvages contrées par la fondation d'une nouvelle Alexandrie. L’une des villes de ce nom, qu'il érigea dans la haute Asie, est encore aujourd’hui florissante et a gardé le nom de don fondateur, Kandahar (les Orientaux appellent Alexandre Iskander). En même temps, il organisait sa conquête avec la haute intelligence d’un politique et d’un civilisateur, modifiant l’administration des Perses dans ce qu’elle avait d’anarchique et de despotique, abolissant les prestations en nature, séparant avec soin les autorités civile, militaire et fiscale, respectant partout les religions nationales et les mœurs, s’assurant des peuples douteux par des colonies et des forteresses, ouvrant des routes à travers l’empire, répandant partout une semence de villes grecques qui, en fructifiant, doit civiliser l’immobile Orient, cherchant enfin à fondre en un seul peuple les vainqueurs et les vaincus, à mêler les nations, les idées, les religions et les mœurs dans une unité matérielle et morale que le monde antique ne connaissait pas, et que la philosophie même n’avait pas rêvée. C’est dans cette vue qu’il épousa Statira, fille de Darius, puis Roxane ; qu’il encouragea par des présents les unions de ses soldats avec des femmes persanes, et qu’il admit des Mèdes et des Perses dans l’administration et dans l’armée.

Malheureusement, il y avait deux hommes dans Alexandre : l’élève des philosophes grecs, le conquérant civilisateur, et l’enfant d’une race à demi barbare, civilisé à la surface par les lettres grecques, mais qui conservait encore les passions énergiques et l’orgueil violent des guerriers de l’âge héroïque. De là ce mélange de grandes actions et d’actes insensés, d’inspirations généreuses, de nobles paroles, de despotisme et de cruauté, de vices et de vertus, qui forment le contraste de sa vie. C’est ainsi qu’il s’abandonna à la débauche et aux excès dégradants de l’ivresse, et qu’il fit périr ses meilleurs amis, impliqués à tort ou à raison dans des complots contre sa vie, Philotas, le vieux et fidèle Parménion, Clitus, qui lui avait sauvé la vie au Graniquo et dont il arrosa le cadavre de larmes inutiles, après l’avoir tué de sa main pour une parole imprudente dans l’ivresse d’un festin ; le philosophe Callisthène, qui n’avait point voulu se prosterner devant lui, à la manière orientale ; c’est ainsi qu’il adopta les usages des Perses, qu’il se forma un sérail, qu’il ceignit le diadème, qu’il s’entoura d’une garde barbare, qu’il prétendit se faire adorer comme le fils de Jupiter, qu’il s’attribua toute la gloire de la conquête, et qu’il se créa une armée entièrement composée d’Asiatiques, comme pour l’opposer à ses Macédoniens irrités. Néanmoins, le prestige de sa gloire couvrait tout, et le mécontentement n’éclatait que par quelques tentatives impuissantes, réprimées avec la plus impitoyable rigueur.

En 327, il entreprit la conquête de l’Inde. Cette expédition, comme les précédentes, ne fut qu’une marche triomphale. Il ne rencontra de résistance sérieuse que sur les bords do l’Hydaspe, dont Porus lui disputa le passage avec son armée et ses éléphants de guerre. Vaincu et fait prisonnier après une bataille sanglante, le rajah indien est amené devant le conquérant. « Comment prétends-tu être traité ? — En roi ! » répond fièrement Porus. Alexandre, comprenant la grandeur de cette réponse, lui rendit ses États, auxquels il ajouta de nouvelles provinces. Sa magnanimité était ici d’accord avec sa politique, car en même temps qu’il s’attachait un puissant vassal, il se ménageait un utile appui contre Taxile, autre roi indien dont il craignait l’ambition et l’influence. C’est à ce passage périlleux de l’Hydaspe qu’il s’écria, au moment d’être englouti par les flots : « Ô Athéniens ! à quels dangers je m’expose pour être loué de vous ! » (V. Louer.) Il fonda en ces lieux deux villes, Nicée, pour rappeler sa victoire, et Bucéphalie, pour honorer la mémoire de son fidèle coursier, qui venait de mourir des blessures reçues dans le combat. Il continua de s’avancer dans l’Inde, soumettant les peuples et les villes ; mais ses soldats, fatigués de ces courses immenses dans un monde inconnu, refusèrent de franchir l’Hyphase et d’aller jusqu’au Gange. Le conquérant dut s’arrêter avant que son ambition fût rassasiée. Bouillant de colère, il fut contraint néanmoins de revenir sur ses pas, fit construire une flotte et descendit l’Hydaspe, puis l’Indus jusqu’à l’Océan, subjuguant des peuples sur son passage, fondant des villes, creusant des ports, établissant des arsenaux, laissant partout enfin des monuments de son énergique activité. Arrivé à l’Océan, dont le flux et le reflux émerveille les Grecs, il donne le commandement de la flotte à Néarque et le charge d’explorer la côte jusqu’au golfe Persique, pendant que lui-même ramène l’armée à travers les déserts de la Gédrosie, où il partagea toutes les privations de ses soldats, jusqu’à répandre sur le sable un peu d’eau qu’on lui apportait, ne voulant point se désaltérer pendant que l’armée mourait de soif. De retour à Suse, il se maria de nouveau, maria à son exemple et dota richement dix mille Macédoniens avec des femmes asiatiques, punit plusieurs satrapes concussionnaires, mais ne put atteindre le plus coupable d’entre eux, Harpalus, qui s’enfuit en Grèce, emportant des richesses considérables. Vers cette époque, il fut frappé d’une grande douleur. Ephestion, le plus cher de ses amis, l’ami d’Alexandre, comme il le disait lui-même, tandis que Cratère n’était que l’ami du roi, Ephestion mourut des suites d’une orgie. Il lui fit des funérailles d’une magnificence inouïe et voulut même le diviniser. Arrivé à Babylone (325), il y reçut des ambassadeurs de toutes les parties du monde. Ces hommages achevèrent de l'enivrer de sa propre grandeur, et il agita dans son esprit les projets les plus grandioses. Il voulait, dit-on, faire construire une flotte de mille navires, conquérir l’Arabie, faire le tour de l’Afrique, pénétrer dans la Méditerranée, soumettre Carthage, fonder enfin une monarchie universelle dont Alexandrie eût été la capitale. Mais tous ces rêves d’une insatiable ambition devaient bientôt s’évanouir. Pendant qu’il s’occupait d’améliorations intérieures, qu’il faisait creuser un port à Babylone, enlever les barrages du bas Tigre, pour faciliter la navigation, et commencer de grands travaux d’irrigation, il fut pris d’une fièvre pernicieuse, dont peut-être il avait gagné le germe en visitant les marais du Pallacopas, et mourut après onze jours de maladie, le 21 avril 323 av. J.-C. Il n’avait pas trente-trois ans accomplis. Quelques historiens anciens soupçonnèrent qu’il avait été empoisonné par Antipater, mais cette opinion n’a jamais eu qu’un petit nombre de partisans. Alexandre périt victime de ses propres excès, de ses débauches, de son intempérance, peut-être aussi consumé par un climat énervant et par le feu de sa dévorante activité. À son lit de mort, prévoyant que ses capitaines se disputeraient sa succession les armes à la main, il avait exprimé ses craintes sur les sanglantes funérailles qu’on lui préparait. Il s’abstint de désigner un héritier. À ceux qui lui demandaient à qui il laissait l’empire, il répondit, suivant une tradition : « Au plus digne » (V. DIGNE), montrant ainsi qu’il était déjà « plein des tristes images de la confusion qui devait suivre sa mort, » et qu’il entrevoyait le démembrement de son empire. Un fils en bas âge, qu’il avait eu de sa concubine Barsine, un enfant à naître, de sa femme Roxane, qu’il laissait enceinte, un frère imbécile, Arrhidée, tels étaient ses seuls héritiers. Après beaucoup de troubles et d’agitations, l’armée reconnut Arrhidée, sous la régence de Perdiccas, à qui Alexandre avait remis en mourant son anneau, et les généraux se partagèrent les commandements et les provinces, en attendant qu’ils se les disputassent les armes à la main, à titre de souverainetés.

Alexandre avait commandé qu’on transportât son corps dans le temple d’Ammon ; mais Ptolémée le garda à Memphis, dans son cercueil d’or. Plus tard, il fut transporté à Alexandrie, où l’on substitua un cercueil de verre à l’ancien. Jules César et Auguste purent contempler ce cadavre qui avait été embaumé à l’égyptienne. Sous Alexandre Sévère, le tombeau qui renfermait le conquérant disparut sans qu’on ait pu le retrouver.

Voici le jugement que porte du héros macédonien l’homme le plus capable d’apprécier son génie et son caractère : « Alexandre, dit Napoléon dans le Mémorial de Sainte-Hélène, conquiert avec une poignée de monde une partie du globe ; mais fut-ce de sa part une simple irruption, une façon de déluge ? Non ; tout est calculé avec profondeur, exécuté avec audace, conduit avec sagesse. Alexandre se montre tout à la fois grand guerrier, grand politique, grand législateur. Malheureusement, quand il atteint le zénith de la gloire et du succès, la tête lui tourne ou le cœur se gâte ; il avait débuté avec l’âme de Trajan, il finit avec le cœur de Néron et les mœurs d’Héliogabale. »

La vie d’Alexandre le Grand, ce poème héroïque qui se déroule en épisodes merveilleux de l’Hellespont à l’Indus, a laissé un long souvenir dans la mémoire des peuples, et la langue poétique des nations de l’Occident a conservé les mots, les réponses, les maximes de cet homme extraordinaire comme autant de phrases caractéristiques pour peindre des sentiments et des situations. Mais c’est surtout dans les traditions orientales qu’Alexandre (Iskander) joue un rôle qui touche au merveilleux. Déjà Josèphe nous a donné sur le héros macédonien des détails sur lesquels les auteurs grecs ont gardé le silence le plus complet, en parlant, par exemple, de la réception faite à Alexandre, à Jérusalem, par le grand prêtre Jeddu, et de la protection que le conquérant aurait accordée aux Juifs. Les autres nations orientales mêlèrent insensiblement à l’histoire d’Alexandre les brillantes fictions de légendes surnaturelles, et créèrent ainsi un type nouveau, bientôt devenu populaire. Les Arabes l’appellent Iskander, selon leur habitude de tronquer les mots grecs. (C’est ainsi que d’Hippocrate ils ont fait Docrat ; de evangelion, indjil.) Souvent ils ajoutent à ce nom la qualification Ben Filicos (fils de Philippe) ou Zoul Garnein (aux deux cornes). Les écrivains orientaux ne sont pas d’accord sur l’origine de ce nom. Il vient peut-être de ce qu’Alexandre s’est rendu maître de l’Orient et de l’Occident, des deux extrémités, des deux cornes de la terre. Peut-être prétendait-il se faire passer pour le fils de Jupiter Ammon, ou bien faut-il chercher l’explication du mot dans le génie particulier des langues orientales, qui font des cornes l’emblème de la force. — On débite en Orient sur Iskander Zoul Garnein les légendes les plus incroyables. Les Persans le font descendre de la race de leurs rois, et le regardent comme le propre fils de Darab ; suivant eux, il aurait envahi le royaume de son frère Dara (Darius Codoman), l’aurait vaincu et se serait emparé de ses États. On lui attribue des qualités extraordinaires, une intelligence hors ligne, un courage à toute épreuve. — Ces croyances se répandirent d’autant plus facilement en Orient, qu’elles flattaient l’amour propre national des peuples asiatiques, facilement disposés à considérer l’envahisseur, non comme un étranger, mais comme issu de leur nation et favorisé des dieux. Les auteurs orientaux chrétiens, entre autres Barhebrœus et Ibn Batrik, ont poussé l’invraisemblance au moins aussi loin en admettant qu’Alexandre était d’origine égyptienne, parce que Nectambos, chassé de son royaume par Artaxerce, se serait réfugié en Macédoine, et, déguisé en astrologue, aurait eu des relations avec Olympias, femme de Philippe. — Le Coran, à son tour, est venu broder sur ce thème quelques nouveaux motifs. C’est ainsi que, dans la sourate xviii, Zoul Garnein est envisagé comme un personnage tout à fait mythologique qui élève contre Jagug et Magug (Gog et Magog de la Bible) les murailles d’airain. Les commentateurs du Coran sont en désaccord pour savoir si ce passage doit être appliqué à Alexandre le Grand, ou bien à un ancien prince de l’Arabie-Heureuse, Zoul Garnein Assaab Ibn Rayich, ou enfin à un roi persan, Afridim Ibn Asfian. Cependant le plus grand nombre y voit une allusion à Alexandre le Grand, et cette interprétation est la plus plausible.