Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes/La Petite Flûte (piccolo)
LA PETITE FLÛTE.
Elle est a l’octave haute de la précédente ;
Exemple. | |
Effet. |
Elle en a toute l’étendue, en exceptant toutefois le
contre ut aigu | qui ne sort que très difficilement dont le son est |
presque insupportable et qu’il faut en conséquence se garder d’écrire ;
le Si naturel | est déjà d’une excessive dureté et ne peut |
s’employer que dans un fortissimo de tout l’orchestre. Il est presque inutile, par la raison contraire, d’écrire les notes de l’octave inférieure, on les entendrait à peine, et à moins d’un effet à produire par la spécialité de leur faible timbre, il vaut mieux les remplacer par les sons qui leur correspondent dans la seconde octave de la grande flûte.
On abuse étrangement aujourd’hui des petites flûtes, comme de tous les instruments dont les vibrations frémissent, percent ou éclatent. Dans les morceaux d’un caractère joyeux, les sons de la seconde octave
peuvent être très-convenables, dans toutes les nuances ;
les notes supérieures | sont excellentes (fortissimo) |
pour les effets violents et déchirants ; dans un orage, par exemple, ou dans une scène d’un caractère féroce, infernal.
Ainsi la petite flûte figure on ne peut mieux dans le quatrième morceau de la symphonie pastorale de Beethoven, tantôt seule, à découvert, au dessus du trémolo grave, des Altos et des Basses, et imitant les sifflements d’un ouragan dont la force n’est pas encore déchainée, tantôt, sur des notes plus aiguës, avec la masse entière de l’orchestre.
Gluck, dans la tempête d’Iphigenie en Tauride, a su faire grincer plus rudement encore les sons hauts de deux petites flûtes à l’unisson, en les écrivant, dans une succession de sixtes, à la quarte au dessus des premiers violons.
Le son des petites flûtes sortant à l’octave supérieure produit par conséquent avec les premiers violons des suites de onzièmes dont l’âpreté est là on ne peut mieux matinée.
Dans le chœur des Scythes, du même opéra, les deux petites flûtes doublent à l’octave les grupetti des Violons ; ces notes sifflantes, mêlées aux aboiements de la troupe sauvage, au fracas rhythmé et incessant des cymbales et du tambourin, font frémir :
Tout le monde a remarqué le ricanement diabolique des deux petites flûtes en tierces, dans la chanson à boire du Freyschutz. C’est une des plus heureuses inventions de l’orchestre de Weber.
Exemple : |
C’est Spontini qui, dans sa magnifique bacchanale des Danaïdes (devenue depuis un chœur orgique de Nurmahal), a eu le premier l’idée d’unir un cri bref et perçant de petites flûtes à un coup de cymbales. La singulière sympathie qui s’établit, dans ce cas, entre ces deux instruments si dissemblables, n’avait pas été soupçonnée auparavant. Cela tranche et déchire instantanément comme un coup de poignard. Cet effet est très caractérisé, même en n’employant que les deux instruments désignés ; mais on augmente la force au moyen d’un coup sec de timbales uni à un accord bref de tous les autres instruments.
Ces divers exemples, et d’autres encore que je pourrais citer, me semblent admirables sous tous les rapports. Beethoven, Gluck, Weber et Spontini ont ainsi fait un usage ingénieux autant qu’original et raisonnable de la petite flûte. Mais quand j’entends cet instrument employé à doubler à la triple octave le chant d’une Basse taille, à jeter sa voix stridente au milieu d’une harmonie religieuse, à renforcer, à aiguiser, pour l’amour du bruit seulement, la partie haute de l’orchestre, du commencement à la fin d’un acte d’Opéra, je ne puis m’empêcher de trouver ce mode d’instrumentation d’une platitude et d’une stupidité dignes, pour l’ordinaire, du style mélodique auquel il est appliqué.
La Petite flûte peut être d’un heureux effet dans les passages doux, et c’est un préjugé de croire qu’elle ne puisse jouer que très fort. Quelquefois elle sert à continuer l’échelle haute de la Grande flûte, en succédant à celle-ci au moment où les notes aiguës vont lui manquer. Le passage de l’un à l’autre instrument peut être alors aisément ménagé par le compositeur, de manière à ce qu’il semble qu’il n’y a qu’une seule flûte d’une étendue extraordinaire.
Un exemple charmant de ce stratagème se trouve dans une phrase exécutée Pianissimo sur une tenue grave des instruments à cordes, au premier acte de l’opéra Le Dieu et la Bayadère, d’Auber.
On se sert avantageusement dans les musiques militaires, de trois autres flûtes qui pourraient être aussi d’un grand secours aux orchestres ordinaires ; ce sont :
1o. La flûte tierce (dite en Fa) dont l’Ut fait Mi ♭ et qui doit, en conséquence de ce que nous avons dit en commencant ce chapitre, être rangée parmi les instruments transpositeurs en Mi ♭. Elle est exactement à la tierce mineure au dessus de la flûte ordinaire, dont elle ne diffère qu’en cela et par son timbre plus cristallin.
EXEMPLE. | |
EFFET. |
2o. La petite flûte neuvième mineure (dite en Mi ♭) dont l’Ut fait Ré ♭ et que nous rangeons donc parmi les instruments transpositeurs en Ré ♭. Elle est d’un demi-ton plus élevée que la petite flûte octave ; et il faut la traiter comme celle-ci :
EXEMPLE. | |
EFFET. |
3°. La petite flûte dixième, (dite en Fa) dont l’Ut fait Mi ♭, que nous appellerons petite flûte dixième en Mi ♭ ; elle est à l’octave haute de la flûte tierce et à la dixième haute de la flûte ordinaire.
EXEMPLE. | |
EFFET. |
Il ne faut pas la faire monter au dessus du La aigu | encore |
cette note excessivement perçante ne sort-elle qu’avec peine.
On possède aussi dans quelques orchestres une grande flûte seconde mineure dont l’Ut fait Ré ♭, qu’il faut appeler Flûte en Ré ♭, et dont le diapason n’est que d’un demi-ton plus élevé que celui de la flûte ordinaire.
EXEMPLE. | |
EFFET. |
Toutes ces flûtes qui concourent à augmenter à l’aigu l’étendue de l’instrument et dont les timbres sont diversement caractérisés, sont utiles, en outre, pour rendre l’exécution plus facile et conserver à la flûte sa sonorité, en lui permettant de jouer dans un de ses tons brillants quand l’orchestre est écrit dans un de ses tons sourds. Évidemment il est beaucoup plus avantageux, pour un morceau en Mi ♭ par exemple de préférer à la petite flûte octave, la petite flûte neuvième mineure en Ré bémol, car celle-ci joue alors dans le ton de Ré qui pour elle est beaucoup plus aisé et plus retentissant.
Il est fâcheux qu’on ait laissé tomber en désuétude la Flûte d’amour, dont le diapason était d’une tierce mineure au dessous de la flûte ordinaire (en La par conséquent)
EXEMPLE. | |
EFFET. |
Elle compléterait au grave la famille de cet instrument, (famille qu’on peut, au reste, rendre aussi nombreuse que celle des Clarinettes quand on le voudra) et son timbre doux et moëlleux pourrait être d’un excellent effet, soit pour contraster avec les timbres des flûtes hautes, ou des hautbois, soit pour donner plus de corps et de coloris aux harmonies déjà si remarquables qui résultent des notes basses des flûtes, cors anglais, et clarinettes.