Grand-mère/5
V
L’ADOPTION
Voilà juste une année que ces trois enfants du peuple de Paris ont arraché à un affreux suicide, l’épave humaine qui errait sur la berge de Javel.
Et chez le serrurier de l’impasse Saint-Charles, l’épave humaine est toujours là sous ce nom, sous ce titre, sous ce rôle de grand’mère qu’elle a trop bien conquis maintenant pour qu’il lui soit ôté.
Elle est toujours là ; non pas qu’elle l’ait voulu. Mais sa résolution de quitter ce port de bien-être et de douceur où l’a rejetée son naufrage, n’a pu tenir contre l’acharnement que ces sept-là, père, mère et enfants ont mis à la retenir. Et eux-mêmes, s’ils ont déployé tant d’acharné désir et de volonté opiniâtre pour la garder, c’est que tout ensemble les événements de la vie et le prestige inexplicable de cette femme dépouillée de tout, n’ayant plus rien, n’étant plus rien qu’un cœur battant, un cœur fervent, un cœur donné, la leur ont montrée indispensable.
Vivre sans grand’mère, désormais, ils ne le pouvaient plus.
Et voici comment les choses s’étaient passées depuis la promenade aux jardins de la Tour Eiffel :
Le lendemain étant un dimanche, il ne pouvait être question de s’en aller en quête de « journées bourgeoises », toute la famille Cervier s’en fut en ballade chez les cousins d’Ivry. On ne devait revenir que le soir.
— Rentrez-vous à votre aise, dit grand’mère. Qu’à cela ne tienne : je préparerai le souper.
Mais Marie concevait quelque scrupule de lui abandonner tout le travail.
— Laisse donc, femme, dit Jean Cervier ; tu ne vois donc pas qu’elle est fière comme un coq ? Et ça lui donne l’impression de gagner sa croûte que de rester préparer notre frichti.
Marie comprit que c’était vrai.
— Mon pauvre Jean, se disait-elle, tout ouvrier qu’il soit, il est plus délicat que moi ; il va plus loin dans le cœur des gens…
Ils rentrèrent à la nuit. La soupe était fumante sur la table ; l’omelette toute battue, prête à être sautée à la poêle, les légumes mijotant au coin du fourneau. Rien de ces retours éreintants des autres dimanches ou Marie fatiguée devait s’affairer à cuisiner pour les enfants mourant de faim. Ils n’eurent que la peine de se mettre à table. Et, tout naturellement, la grande vieille femme silencieuse les servit.
— Laissez donc, Grand’Mère, je vais le faire.
— Non, c’est moi. Reposez-vous !
Cependant, toute la semaine qui suivit, elle courut pour des ménages. L’épicier disait :
— Donnez votre nom au boucher.
Le boucher :
— Inscrivez-vous donc chez la crémière, c’est le mieux.
Et la crémière :
— Pour moi, le boulanger vous trouvera ça.
Mme Leriche, la mercière, promit de s’en occuper près de ses clientes. Elle, la première, osa poser à l’inconnue la question délicate :
— Avez-vous des certificats ?
— Non, répondit celle-ci, je les avais détruits quand j’ai voulu mourir afin qu’il ne reste plus trace de moi.
— C’est regrettable, dit la mercière.
— Ne vous en faites donc pas, Grand’Mère, déclarait Jean Cervier. Nous ne sommes pas pressés de vous voir aller travailler chez les autres. Ici, vous ne mangez pas votre pain dans la paresse, nom d’un chien ! Marie se repose depuis que vous êtes là. Elle en avait fichtrement besoin. C’est moi qui vous le dis !
Le soir au lit, dans leur belle chambre Louis XV où ne demeurait plus qu’un fauteuil sur deux, le ménage continuait à parler de la vieille.
— Ce qui m’ennuie, confiait Marie, c’est de ne pas savoir qui elle est.
Le mari a l’esprit moins compliqué répondait :
— Qui elle est ? Moi, je le vois bien : une vieille malheureuse, un point c’est tout. Et non, je me trompe, je vois encore autre chose : une brave femme qui a le cœur sur la main. Et une qui ne fera jamais une saleté. Le reste, je m’en fiche. Pas besoin d’état-civil. Je lis ça sur sa figure.
— Tu as raison, mon Jean. C’est toi qui es dans le vrai.
— Et je vais te dire davantage, reprenait le mari encouragé, je me demande si ce ne serait pas pour nous une affaire que de la garder « à perpète ».
C’est ici que les événements eux-mêmes vinrent imprimer leur forte secousse aux velléités qu’avaient ces deux-là, mari et femme, de s’attacher pour toujours leur vieil oiseau de passage.
Marie Cervier, un matin, pendant les préparatifs du déjeuner de midi, fut prise de frissons et d’une faiblesse à ne pouvoir plus tenir sur ses jambes. Grand-Mère la vit s’asseoir sur une chaise de la cuisine en se passant la main sur le front. Elle disait d’un air dolent : « Ça ne va pas, Grand’Mère ! » Et la tête lui battait. Et elle avait le cœur dans un étau.
C’était une grosse bronchite qu’elle commençait ainsi. Grand’Mère ne fut pas deux heures à la diagnostiquer. D’ailleurs, la malade toussait depuis trois jours.
— Un rhume ! disait-elle.
— Vous allez vous mettre au lit.
— Mais le repas des hommes ?
— Je le ferai, couchez-vous.
Et Grand’Mère, tout en épluchant les pommes de terre, fit un vin chaud qu’elle lui porta au lit avec une bouillotte brûlante.
Le soir, la fièvre montait. Elle courut chercher le médecin du quartier. Celui-ci ausculta la malade et s’opiniâtrait à l’envoyer dans l’hôpital voisin.
— Oh ! Monsieur le Docteur, dit la vieille femme, je la soignerai bien ici. Elle a une chambre fort bien aérée. Et je ne la quitterai pas.
— C’est votre fille ?
— D’adoption seulement, Monsieur le Docteur.
Le médecin, jeune encore et curieux regarda longuement, sans rien dire, cette vieille femme au grand air qui allait et venait avec une autorité singulière dans ce ménage d’ouvriers. Et il lui abandonna sa malade.
Il n’eut d’ailleurs pas à regretter d’avoir fait confiance à une telle infirmière qui, pendant quinze jours, entoura Marie de mille soins, ventouses, piqûres, enveloppements froids, boissons chaudes, tout en tenant la maison et en soutenant les esprits du pauvre mari désespéré. À la fin de la première semaine, la malade avait eu un fléchissement. Jean Cervier, l’homme de la forge qui cognait sur le fer rouge et dont le marteau ne connaissait rien qui lui résistât, avait éprouvé subitement, tout d’un coup, combien la créature qu’il aimait était devenue fragile, menacée, fugace. Une peur horrible l’avait saisi, ravagé dans tout son corps. Sortant de la chambre, on le vit pénétrer dans la cuisine. Son large visage rasé, fortement marqué par la quarantaine, exprimait un désespoir d’enfant, et son épouvante élargissait la prunelle de ses yeux. Il marcha droit à Grand’Mère les bras tendus et s’abattit ainsi sur son épaule avec de grands sanglots comme Claude, le violent, en connaissait d’ordinaire.
— Allons ! Allons ! dit celle-ci avec énergie, pourquoi manquer de confiance ? Marie est loin d’être perdue, et, même, nous avons gagné du temps, étant au huitième jour, alors que cela ne va pas trop mal.
— Ah ! Grand’Mère ! gémissait l’homme robuste ainsi effondré sur le sein de cette vieille femme maternelle, c’est un modèle que Marie ! Si elle s’en allait… oh ! si elle s’en allait !…
— Vous la conserverez, mon fils. Encore quelques jours et tout ira bien.
Il se redressa. Jamais ses enfants, rassemblés tous là pour le repas de midi et jusqu’à Maurice qui travaillait loin dans son magasin de nouveautés, n’avaient été témoins d’un tel abandon chez cet ouvrier taciturne qu’était le père. Ils en étaient un peu honteux vis-à-vis de leur pensionnaire. Ils ne se doutaient pas de tout ce qu’une vieille femme comprend et excuse dans le désespoir d’un homme.
C’était, d’ailleurs, à partir de ce jour que l’amélioration devait commencer. Marie renaissait à vue d’œil. Les soins de sa bonne infirmière se multipliaient à mesure que s’accusait la convalescence surveillée de près par le médecin. Celui-ci ne put s’empêcher d’en faire compliment à Grand’Mère.
— Vous voyez ! Vous voyez ! disait Ia douce Marie Cervier, je vous dois la vie !
La Grand’Mère ferma les yeux quelques secondes. Elle pensait sans doute à la vie dont parlait la convalescente et goûtait une joie secrète de la lui avoir conservée. Peut-être trouvait-elle aussi aujourd’hui que cette vie avait parfois un fameux goût, malgré tout !
À un mois de là, on apprit qu’elle avait repris chez les fournisseurs ses démarches avec l’espoir d’obtenir des « journées ».
— Voici les vacances qui approchent, lui répondaient le boulanger ou la crémière. Ce n’est pas le moment des ménages. Mais à la rentrée vous en trouverez sûrement.
Les Cervier la grondèrent gentiment. Ce n’était pas bien ce qu’elle faisait là. Est-ce qu’elle avait sérieusement le désir de les quitter ?
— Non pas de vous quitter, mes enfants, mais de vous libérer. Je suis une telle charge pour vous ?
— Une charge ! se récriait Marie, alors que vous faites tout le travail de Ia maison !
Et Jean Cervier venait à la rescousse :
— Sommes-nous donc des indigents que nous n’ayons pas les moyens d’entretenir notre Mère ? Nom d’une pipe ! je gagne ma vie et celle de mes enfants, et déjà les aînés rapportent leur paye à leur tour. Nous n’avons pas de dettes — sinon envers vous. Car encore aujourd’hui, Marie est fragile et si vous n’étiez pas là elle se crèverait.
Le grand Louis, l’apprenti serrurier dans l’atelier de son père, en bas, et qui ne disait jamais grand chose, l’appuya, malgré sa timidité, et comme emporté par un sentiment violent de la justice :
— Ça, c’est vrai, Grand-Mère, on ne peut plus se passer de vous !
— Chic ! dit le gros Claude, vous resterez tout le temps avec nous !
— Vive Grand’Mère qui restera toujours avec nous ! cria Sabine.
Et il n’y eut pas jusqu’à la petite Blanchette qui n’acclama aussi par un : « Vive Grand’Mère ! » la désespérée que, trois mois auparavant, sa grande sœur avait sauvée du froid linceul de la Seine.
Ainsi s’était faite, non sans un semblant d’apparat, ni sans une certaine solennité des cœurs émus — par acclamations, en quelque sorte — l’adoption de la Grand’Mère à qui, par une discrétion touchante, et qu’on n’aurait pas trouvée chez les riches, à l’esprit trop farci de prudence, on n’avait même pas demandé son nom.
— Il me semble que je l’ai toujours connue, disait le serrurier.
L’unique objet de discussions entre elle et Marie demeurait le travail. De ces deux femmes, la vieille et la jeune, c’était à qui en ferait le plus. À la longue, Grand’Mère obtint que Marie restât un peu au lit, le matin. Pour elle, malgré ses soixante-huit ans — la seule confidence qu’elle eût faite aux Cervier avait été de leur livrer son âge — bâtie comme un cheval avec une ossature puissante, une colonne vertébrale sans fléchissements, la tête haute, les membres souples, elle semblait se jouer du travail manuel, défier toutes les fatigues.
Cependant une curiosité inquiète, irritante, tous les jours excitée et en même temps inassouvie, dévorait les autres habitants de l’impasse à l’endroit de la vieille qui vivait chez les Cervier. Le filet au bras, les ménagères des logements voisins s’en allant aux provisions, le matin, arrêtaient Sabine, Claude et Blanchette qui se rendaient à l’École, les questionnaient insidieusement.
— Et la vieille dame qui reste chez vous, elle est toujours là ?
— Oui, toujours ; on ne voudrait pas qu’elle s’en aille.
— Elle est riche, peut-être ?
— Non, répondaient les enfants, sans plus.
— Et comment qu’elle s’appelle ?
— Elle s’appelle Grand’Mère.
— Ce n’est pas tout de même son nom ?
— Son nom, on ne le sait pas. On s’en fiche…
La femme du maçon, la grande brune qui habitait en face des Cervier et, derrière son rideau a peine soulevé, suivait ce qui se passait dans leur logement aux fenêtres presque toujours larges ouvertes, se montrait plus enragée que toutes devant ce mystère de l’inconnue tombée un jour dans cette famille ouvrière. C’était étrange ! C’était louche ! Et impossible de surprendre même une conversation en dépit des fenêtres ouvertes. La grande vieille parlait fort peu. On la voyait aller et venir dans la cuisine, dans la belle chambre des parents, s’emparer de tout le travail, du balai comme de la louche, sans que ses lèvres scellées se desserrassent.
— Ce n’est pas naturel de rester comme ça bouche close !
Quand ce fut l’hiver et que les fenêtres des Cervier furent fermées, la femme du maçon continuait d’épier de sa croisée obscure, tous feux éteints, le logement largement éclairé du serrurier.
Il y eut des conciliabules de commères dans la cour.
Un matin que Jean Cervier qui s’était blessé au pouce sur l’enclume ne travaillait pas, quelqu’un frappa à la porte. Ce fut lui qui ouvrit et il vit un agent de police.
— Vous vous appelez Cervier Jean ?
Marie accourut, anxieuse. On a beau se sentir la conscience nette comme un louis d’or, avec la police, on redoute toujours des histoires. Justement — elle en avait le pressentiment l’agent venait pour la Grand’Mère.
— Il y a une personne qui loge chez vous depuis un certain temps. C’est votre parente ?
— Non, Monsieur l’Agent, dit Jean Cervier déférent ; c’est une amie.
— Son nom ?
— Monsieur l’Agent, elle ne me l’a jamais dit. Je ne le lui ai jamais demandé.
— Oh ! Oh ! Ça, c’est singulier ! C’est une drôle d’histoire, déclara l’homme de la police qui devenait sarcastique. Vous ne me ferez pas croire…
— C’est pourtant la vérité, Monsieur, dit à son tour la timide Marie qui s’avançait résolument, car pour défendre Grand’Mère, elle aurait eu toutes les audaces. Cette personne-là, mes enfants me l’ont amenée, un soir de l’année dernière, crainte qu’elle ne se jette à l’eau, là-bas, à Javel. Elle était tout à fait malheureuse, voyez-vous. Alors, nous l’avons gardée. Elle m’aide à élever mes enfants. Mais nous ne sommes pas la police, nous autres, forcés de connaître le quoi et le qu’est-ce des gens. Ce qu’elle ne nous a pas dit, nous ne l’avons pas exigé.
L’agent allait demander qu’on fit comparaître la suspecte, quand elle-même ouvrit la porte du cagibi. Elle ne perdait pas un pouce de sa taille, se tenait plus droite que jamais, altière, même, presque imposante. Certainement elle avait tout entendu, elle brusquait les choses pour couper court à un ennui éventuel menaçant ses amis.
— C’est Madame ? interrogea l’Agent.
— Oui, dit le serrurier noblement, c’est Madame.
La Grand’Mère alors s’adressant à l’Agent avec une aisance que rien ne pouvait démonter, lui présenta une liasse de papiers.
— Vous voudriez, je pense, des pièces d’identité. J’en ai peu. J’en ai détruit plusieurs. Voici quelques papiers conservés par mégarde… Ici, ma plus récente quittance de loyer, d’autres plus anciennes, enfin un vieux passeport que j’ai toujours conservé, parce que…
Elle n’acheva pas.
Sur la table de la cuisine, l’Agent étala les quelques feuilles légères des quittances et le gros papier parcheminé du passeport. On l’entendait déchiffrer, à mi-voix, ce document plus instructif pour lui que tous les autres :
« Passeport à l’Étranger. Âge : 22 ans. Cheveux blonds. Front haut. Sourcils châtain. Yeux bleus. Nez petit. Bouche petite. Menton rond. Visage ovale. Requérons les autorités d’États amis ou alliés de la France de laisser passer librement Mademoiselle Édith Denis, sans profession, de nationalité française, demeurant à Antibes, Boulevard de la Mer. »
L’Agent se redressa, regarda les cheveux blancs de cette vieille pleine de secrets, confrontant instinctivement, comme tout homme l’eût fait, les deux femmes : celle de vingt-deux ans, telle qu’elle apparaissait dans la petite photo ravissante collée au coin de la pièce de police, et celle qu’il avait devant lui, dévastée par les années, les malheurs, fripée, ridée, défaite, ne gardant de jadis que ce front haut demeuré comme du marbre et l’azur de ses yeux meurtris qui avaient encore la douceur du myosotis. Ensuite il déchiffra les timbres humides des polices étrangères.
— Et qu’est-ce que vous alliez faire en Hollande ?
— Y séjourner pendant des années.
— Comme commerçante, sans doute ?
— Non, comme rentière.
— Longtemps ?
— Sept ans.
— Et ensuite, revenue à Paris ?
— Oui.
— Pas subi de condamnation ?
— Non.
Et elle eut ce sourire qui fendait finement dans sa joue pâlie la mince pointe de ses lèvres.
— Montrez les quittances de loyer ?
Il regarda les petits papiers, claqua de la langue d’un air presque apitoyé.
— Bigre ! pensait-il, une chambre de quarante francs par mois rue des Murettes, au fond de Grenelle, il ne devait pas y avoir de lambris dorés ! Fini le temps de la rentière en Hollande. Des malheurs, des abandons sans doute… Pauvre bonne femme !
— Eh bien, ma foi, dit-il, votre situation est très régulière, je vous remercie.
Jean Cervier un peu distant le reconduisit jusqu’à la porte. Puis quand le pas lourd résonna dans la descente du petit escalier :
— Quel animal, hein ! Grand’Mère ! dit-il en riant.
Une trouée cependant s’était faite dans l’atmosphère opaque où se cachait le passé de la Grand’Mère. On y voyait un peu plus clair. On savait son nom. Un nom tout simple, discret qui n’annonçait rien de sensationnel, mais un nom gentil pour la jeune fille qu’elle avait été : « Édith Denis ». Et puis, on voyait son visage d’autrefois, ce demi-sourire enchanteur sous les jolis cheveux blonds frisés en auréole à la mode d’alors.
— Comme vous avez été belle, Grand’Mère ! soupira Marie.
— Et puis elle l’est encore, nom d’un chien ! rectifia Jean Cervier parce qu’un homme, bien qu’un peu ours, et rude, et habitué à cogner sur le fer, à lâcher de gros mots, à respirer l’air impur des ateliers, sent encore mieux ce qu’il faut dire en pareil cas.
Là-dessus, les enfants rentrèrent. Sabine, curieuse, vit les papiers étalés encore sur la table de la cuisine. Il fallut des explications, on conta la visite de l’Agent.
— Ce sont les voisins qui sont allés à la police, j’en suis sûre, dit la petite fille. Ils me questionnaient trop ! Ils sont méchants. Ils voulaient du mal à notre Grand’Mère.
— Mon petit, déclara la vieille femme, ils sont plutôt curieux que méchants. Ils étaient dépités de ne pas me connaître, de ne pas pouvoir me dérober Ie cours de mon existence pour s’en régaler. Ils en ont bâti un, au gré de leur imagination, et, me supposant une criminelle, ils en ont appelé à la justice pour me surprendre. Tout le monde n’a pas, vois-tu, la délicatesse, la discrétion admirable de tes chers parents, leur noble confiance qui ne m’a jamais posé une question.
— Ça, Grand’Mère, s’écria Marie, c’était élémentaire ! Vos secrets sont à vous. On ne vous les dérobera jamais. On ne vous les demandera jamais.
— II ne manquerait plus que ça ! mâchonna Jean Cervier.