Grammaire égyptienne (Champollion, 1836)/Introduction/03

Firmin Didot (p. I-VIII).

Préface
de l’éditeur
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C’est pour répondre aux vœux non équivoques de l’Europe savante, que M. le Ministre de l’Instruction publique a jugé à propos de faire mettre au jour, en plusieurs parties, la Grammaire Égyptienne. Elle est attendue avec un empressement qui est général, et pleinement justifié par l’importance littéraire et archéologique de son sujet, comme par la juste renommée de son auteur.

La partie publiée la première contient l’Introduction et les neuf premiers chapitres ; elle est moins de la moitié de l’ouvrage entier, les 245 pages imprimées du texte, ne représentant que 209 pages du manuscrit, et le volume complet, avec les tables, étant de plus de 600 pages.

Ces neuf premiers chapitres traitent des éléments mêmes du sujet, et il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici de la théorie d’une écriture, et non pas de la grammaire d’une langue ; la première exprimant les idées par des signes écrits, qui peuvent être de nature différente, et procéder à cette expression par une voie directe ou indirecte ; la seconde, n’usant que d’articulations orales qui se prêtent uniformément à la composition des mots, signes immédiats de ces idées.

Les noms, la forme et la disposition matérielle de ces signes écrits ; leur expression propre, et leurs espèces diverses ; leurs modes variés de combinaison, soit pour faire avec eux des mots et des noms, soit pour qualifier ces mots, les déterminer sans équivoque, indiquer leur genre, leur nombre et leurs rapports ; enfin, les signes servant à la numération des choses et à celle des divisions civiles du temps, sont exposés dans ces neuf premiers chapitres.

On trouvera dans les chapitres suivants ce qui concerne les pronoms, les adjectifs, le verbe et sa conjugaison selon ses temps et ses modes ; enfin les particules, qui comprennent la préposition, l’adverbe, la conjonction et l’interjection.

Tel est le contenu complet du manuscrit qui sert à cette publication. Ce manuscrit est tout entier de la main de l’auteur, et il n’existe pas, dans toute son étendue, un mot, un signe, d’une main étrangère[1]. Ce texte volumineux est dans un état parfait de conservation, et sans lacune ; il ne présente aucune incertitude, ni dans l’ordre des matières, ni dans l’exposition des règles, ni dans la difficile contexture des exemples : la netteté, la symétrie de l’imprimé, sont encore au-dessous de la belle exécution de l’original, dans la partie qui a été définitivement mise au net par l’auteur.

Il avait fait de sa minute une première copie in-4o ; il en a ensuite transcrit une grande partie sur un papier petit in-folio, qui en fait une seconde copie. Dans celle-ci, le texte est écrit et les exemples sont figurés avec une admirable précision. Les signes des écritures égyptiennes y sont tracés avec un esprit et une habileté dignes des plus parfaits modèles antiques, et que la presse n’a pas toujours pu reproduire dans toute leur pureté.

La première minute de cette Grammaire subsiste presque entière. Elle est soigneusement conservée, et porte le no 7 dans l’inventaire des manuscrits du même auteur, qui ont été acquis par le gouvernement, dans l’intérêt des sciences, en exécution de la loi spéciale du 24 avril 1833.

Le manuscrit qui sert à cette édition porte le no 6 dans ce même inventaire, et se compose de trois parties distinctes les unes des autres, par leur format seulement. Les feuillets numérotés 1 à 20 sont en papier in-4o, et proviennent de la première copie ; les feuillets[2] numérotés de 21 à 352 composent la seconde copie, de format petit in-folio ; et l’alphabet, qui occupe les pages 35 à 46 de l’imprimé, et qui forme, manuscrit, un tableau de cinq pieds cinq pouces de long, sur dix pouces de hauteur, divisé en vingt colonnes de signes hiéroglyphiques et hiératiques homophones, accompagnés des lettres coptes correspondantes, est un appendice à la page 33 de ce même manuscrit[3]. Enfin, les feuillets 353 à 471 (et celui-ci est le dernier) proviennent aussi de la première copie.

Ce signalement minutieux du manuscrit de la Grammaire Égyptienne n’est point ici une superfétation, ni l’effet d’une préoccupation, en tout cas bien pardonnable à l’éditeur : mais il faut qu’on puisse toujours constater son identité, puisque ce manuscrit est l’inventaire authentique, irrécusable, de toutes les découvertes dont les sciences historiques seront à jamais redevables à Champollion le jeune ; tous les résultats consignés de sa main dans son ouvrage, sont le fruit de son génie, de sa persévérance ; et le manuscrit de la Grammaire Égyptienne, religieusement conservé dans un dépôt public, devra servir, dans tous les temps, à démontrer, sans espoir pour les prétentions rivales ou envieuses, jusqu’où son auteur avait porté la connaissance de la théorie des écritures égyptiennes ; quels développements il avait donnés à sa découverte primitive durant les dix années qu’il put lui consacrer encore ; quelles fécondes applications il en fit à l’histoire de l’antique civilisation, et comment les certitudes de ses principes se multiplièrent par ces applications mêmes. Ce qu’on fera de plus sur ce vaste sujet, ce qu’on trouvera de vrai après lui, appartiendra à ses plus heureux disciples et ne sera pas sans gloire pour eux : mais ce qu’il a écrit de sa main ne peut être à personne qu’à lui ; l’équité publique protégea dans tous les temps les droits et les priviléges de l’intelligence.

Il n’est pas non plus indifférent de faire savoir à quelle époque, dans l’histoire des ouvrages de Champollion le jeune, appartient sa Grammaire Égyptienne, afin de déterminer sûrement le degré d’autorité dont cette composition se trouve revêtue par sa date même, eu égard au développement successif des théories de l’auteur, et à leur perfectionnement au moyen d’observations nouvelles ou de quelque modification dans l’usage des observations antérieures. Nous dirons donc que la Grammaire Égyptienne est son dernier ouvrage. Il en fit la première copie, qui en est la seconde rédaction, aussitôt après son retour du voyage en Égypte, et il inséra dans son manuscrit un assez grand nombre d’exemples tirés des monuments qu’il avait vus et étudiés pendant ce voyage. Il passa l’automne de l’année 1831 dans le Quercy, et il employa ce temps à écrire les 332 pages qui forment la seconde copie. Après les premières atteintes (au mois de décembre suivant) de la cruelle maladie qui lui accorda une trêve si courte et si trompeuse, il ne s’occupa encore que de cette Grammaire ; il en mit les feuilles en ordre ; et après s’être assuré que rien n’y manquait : « Serrez-la soigneusement, nous dit-il, j’espère qu’elle sera ma carte de visite à la postérité. »

Ce dépôt sacré a été religieusement gardé, et il est aujourd’hui fidèlement rendu à la science qui en était la légitime héritière.

C’est dans la considération que méritent de si hauts intérêts, dans le soin de la renommée qui s’y rattache inséparablement et dans les conseils de ceux qui la chérissent le plus, que l’éditeur de l’ouvrage s’est fait une loi de chercher les directions les plus sûres et les plus propres à l’accomplissement d’un devoir qu’il ne pouvait déléguer ; et il lui a paru que ce devoir serait accompli, s’il réussissait à reproduire, par l’impression, la copie exacte du manuscrit.

C’est vers ce but important que tous ses efforts ont été dirigés, et il a espéré d’y atteindre dès qu’on a eu découvert des moyens mécaniques capables d’exécuter figurativement un travail sans modèle dans sa forme matérielle, comme il l’était dans son sujet.

À l’ouverture du livre, on voit combien les exemples en écritures égyptiennes y sont nombreux, et combien les signes de ces écritures y sont multipliés. Ces exemples pouvaient être réunis dans une série de planches, et rangés sous des chiffres exactement répétés dans le texte. Mais il suffit de lire un seul chapitre, pour apprécier les avantages marqués qui résultent de l’insertion des exemples dans le discours, et pour reconnaître les inconvénients majeurs de l’autre procédé.

On a donc réussi à rendre facile et commode l’usage d’un livre didactique, dont le sujet exige déjà une étude très-attentive, et une persévérance à l’épreuve de la nouveauté et de la complication d’un système graphique inaccoutumé ; et il est permis de croire que ce succès pour un pareil ouvrage, en engendrera d’autres non moins utiles à la critique et à la philologie.

Tous les textes en caractères mobiles, français, latins, grecs, coptes, etc., ont été composés selon les procédés ordinaires de l’imprimerie, et d’après une copie du manuscrit original, sur laquelle on ne portait que ces textes, les exemples en écritures égyptiennes y étant laissés en blanc, dans des espaces réservés et égaux aux dimensions de ces exemples mêmes. Après la correction de ces textes, une épreuve tirée sous la presse de l’imprimeur, et en encre lithographique, était immédiatement transportée sur la pierre ; les exemples pris sur le manuscrit et décalqués sur cette pierre, en remplissaient tous les blancs, et le tirage suivait la révision d’une nouvelle épreuve.

Le public a donc sous les yeux le premier fruit, en France du moins, de cette nouvelle et féconde alliance de la typographie et de la lithographie. De plus, les feuilles de cet ouvrage où les mots égyptiens sont composés à la fois de signes en noir et de signes en rouge, prouvent jusques à quelle exactitude peut atteindre un double tirage fait d’après les nouveaux procédés ; et il est presque inutile d’avertir que cette invention est un service de plus rendu par MM. Firmin Didot frères à un art qui leur est déjà redevable de tant d’ingénieux perfectionnements.

Sans le secours de celui-ci, l’impression de la Grammaire Égyptienne devenait presque impossible. On aurait pu entreprendre de graver les caractères égyptiens ; l’importance et le succès des études auxquelles ces caractères, introduits dans l’imprimerie, seraient d’un service si efficace et si désiré, amèneront indubitablement à l’accomplissement d’une pareille entreprise ; mais elle exigeait plus de temps qu’on ne pouvait d’abord lui en accorder. Les types doivent être de la plus grande pureté, et le nombre de ces types, pour les signes hiéroglyphiques seulement, pouvait s’élever à 1400. Il est vrai que le nombre total des signes connus de cette écriture ne dépasse pas 800 ; mais la moitié au moins s’emploie sur deux dimensions, et un quart sur trois ; ainsi l’exige l’arrangement symétrique et grammatical des signes dans les textes en colonnes régulières, tantôt verticales, tantôt horizontales. Avec les caractères hiéroglyphiques, il fallait graver aussi les caractères hiératiques fréquemment employés dans les exemples ; et si l’on s’est, parfois, récrié contre l’inévitable retard qu’ont occasionné, dans la publication de cette Grammaire, des essais qu’on a multipliés dans le but de perfectionner un procédé si nécessaire à l’exécution de l’ouvrage, comment espérer d’obtenir plus de patience pour le retard bien autrement prolongé par la gravure de plus de 2000 types ?

L’éditeur peut donc se confier en l’indulgence des personnes qui comprennent les difficultés d’un semblable travail. La seule révision des épreuves sorties des deux presses qui ont concouru à le mettre au jour, exigeait un temps et une attention qui n’ont pas été épargnés. Pour la scrupuleuse reproduction des exemples, il fallait aussi une main exercée au style des monuments originaux, et un dévouement affectionné à l’ouvrage pour l’amour de l’auteur : un de ses bons compagnons de voyage en Égypte et en Nubie, M. Salvador Cherubini, s’en est chargé avec un empressement trop généreux pour se ralentir. C’est aussi M. Cherubini qui a dirigé l’emploi des sujets dessinés en vignette à la fin de chaque chapitre, et ils sont tous analogues à l’objet de l’ouvrage. Enfin, on n’a hésité sur aucun des sacrifices reconnus nécessaires à la belle exécution de ce volume.

Malgré le rare concours de tant de moyens et de bonnes volontés, on découvrira encore quelques fautes dans ces feuilles ; mais il n’y en a pas d’assez graves pour arrêter ou tromper le lecteur. De celles qui peuvent se trouver dans les textes en caractères égyptiens, les unes, absolument insignifiantes, comme le sont quelques signes retournés, existent dans le manuscrit original, et il n’entrait nullement dans l’intention ni dans les droits de l’éditeur, pas plus que dans les vœux du monde savant, qu’il y fut fait la moindre correction ; quelques autres sont du fait de l’éditeur ou des imprimeurs, mais elles n’affectent jamais, dans un exemple, le groupe particulier, sur lequel repose le précepte auquel cet exemple sert de démonstration. Quant aux fautes des textes en caractères mobiles, nous nous faisons un devoir d’indiquer plus bas les principales.

Nous n’avons rien à dire de l’ouvrage en lui-même, il appartient au public, et il attend un jugement dont la renommée de l’auteur n’aura vraisemblablement rien à redouter. Ce travail, tout d’invention, fut pour lui le sujet d’une prédilection marquée ; il ne négligea rien de ce qui pouvait le rendre en même temps utile à la science, intéressant pour les personnes mêmes qui ne se proposeraient pas de l’étudier à fond, et c’est dans cette double vue qu’il y multiplia les exemples tirés des monuments, afin de répandre un plus grand nombre de notions certaines sur les faits principaux de la civilisation égyptienne. Par ses longues nomenclatures de mots et de noms tirés de tous les ordres d’idées, cette Grammaire servira comme d’Introduction aux études historiques et archéologiques sur l’Égypte, et elle sera ainsi digne du siècle et de l’homme dont elle est l’ouvrage.

Je ne me dissimulais pas combien la publication de cet ouvrage m’engageait, pour les délais, envers le public. Rien n’a été épargné pour ne pas abuser de sa bienveillance ; mon engagement à cet égard était aussi le premier et le plus cher de mes devoirs envers la science, et envers la mémoire d’un des hommes qui contribuèrent le plus à son accroissement par leurs travaux, et à sa dignité par leur caractère.

À la Bibliothèque Royale, ce 23 décembre 1835 ;
(45e anniversaire du jour de la naissance
de Champollion le jeune.)
J.-J. Champollion-Figeac.


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PRINCIPAUX ERRATA.

Page 025,   ligne dernière, , lisez : .
046, id., , lisez : .
065, ligne 26, , lisez : .
072, lignes 15 et 16,  ; , lisez :  ; .
076, 17e groupe, le segment de sphère manque.
078, 3e groupe, le vase rond manque.
084, ligne 7, , lisez : .
092, ligne 13, , lisez : .
100, avant-dernière ligne, , lisez : .
165, ligne 6, d’établir, lisez : de t’établir.
179, ligne 13, , lisez : .
186, ligne 16, , lisez : .
189, ligne 17, vague masculin, lisez : vague masculin singulier.
196, ligne 4, , lisez : ou .
208, ligne 19, pour , (9), est dans le manuscrit.
217, ligne avant-dernière, , lisez : .
226, ligne 1, , lisez : .
243, ligne 6, , lisez : .



N. B. Le — au-dessus des prépositions ou , isolées ou en composition, a été omis dans quelques exemples ; mais le sens de la phrase n’en souffre pas. = Quelques signes hiéroglyphiques ou hiératiques sont parfois incomplets par l’effet du tirage ; ces accidents seront presque inaperçus, et nous ne les indiquons ici que pour avertir que nous avons tout fait pour les prévenir.


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  1. Les chiffres de la pagination, et ceux de quelques citations exceptés.
  2. On dit les feuillets et non pas les pages, quoique une page représente matériellement un feuillet, ceux-ci n’étant point écrits au verso. Il n’y a d’exception qu’aux pages 190 et 335.
  3. La page 21 de la première copie est attachée à la page 20, afin de montrer qu’il n’existe pas de lacune entre la page 20 de la première copie et la page 21 de la seconde ; cette page 21, qui fait la liaison, étant la même dans les deux textes.