L’Ermitagejuillet-décembre 1891 – volume 3 (p. 410-411).


GISEH



DANS LA PYRAMIDE DU ROI MYCERINUS




Les poumons par le vide et la peur oppressés,
Nous troublâmes l’écho de son caveau sonore
Où couvait la chaleur des soleils entassés ;
Nous connûmes sa nuit cinq mille ans sans aurore.

À quelle heure ? il était mille heure… plus encore !
Mycerinus très vieux parmi les trépassés,
Dans le profond minuit des sommeils avancés
Ouvrait ses yeux d’émail qu’aucun feu ne colore,

Comme si l’âme absente au corps inconsolé
Eut encore à voix basse et tristement parlé
De ses chemins sans fin parmi les ans sans nombre…

Peint sur le sarcophage, un être au vol muet
Obscur insecte au corps sépulcral et fluet
Suspendait une croix sur le dormeur dans l’ombre.


HARMACHIS


Ces spectres décharnés achevaient leur voyage
Et plus d’un ossement blanchissait derrière eux,
C’étaient les Africains conduits en esclavage
Dans les carcans de fer enchaînés deux à deux.

Couché comme un lion superbe et douloureux
Armachis, le grand sphinx, observait leur passage :
Les traitants déchargeaient leurs fusils dans ses yeux
Puis fuyaient sans oser regarder son visage.


Ah c’est qu’il attendait l’aube des grands soleils
Lui, le symbole ancien des immortels réveils
Troublait les ravisseurs à cause de leurs crimes.

Ils entendaient ces mots que disait Armachis
Elles auront leur jour les antiques victimes,
Ils ressusciteront les ossements blanchis !


LE PAYSAGE DE GISEH


D’un côté sont les rois, de l’autre leurs égaux
Les hommes — tous sont morts, — toute âme étant coupable,
Et tous ils sont entrés dans l’incommensurable
Abîme, et derrière eux le pylône s’est clos.

Un mont pyramidal emmantelle les os
Des rois, les hommes vils ont trouvé dans le sable
Un oubli plus précoce, un plus léger repos,
Un asile plus vaste et plus inviolable.

Sur eux tous, Armachis Dieu du soleil levant
Sous la forme d’un sphinx élève un front vivant,
Et le fellah du Nil apprend de cet ancêtre

Que cinq mille ans ont cru dans l’immortalité,
Car, chez les fils de Sem, on n’a jamais douté
Qu’Ammon sans repentance ait fait le don de l’être.


Florentin Loriot.