George Sand aux riches


George Sand aux riches
Suivi d’une note signée « Les Icariens »
Imp. Laroche-Jacob.

GEORGE SAND AUX RICHES.



« La grande crainte, ou le grand prétexte de l’aristocratie à l’heure qu’il est, c’est l’idée Communiste. S’il y avait moyen de rire dans un temps si sérieux, cette frayeur aurait de quoi nous divertir. Sous ce mot de Communisme, on sous-entend le peuple, ses besoins, ses aspirations. Ne confondons point : le Peuple, c’est le Peuple ; le Communisme, c’est l’avenir calomnié et incompris du Peuple.

» La ruse est ici fort inutile ; c’est le peuple qui vous gêne et vous inquiète ; c’est la république dont vous craignez le développement. C’est le droit de tous que vous ne supportez pas sans malaise et sans dépit. Un peu de réflexion vous remettrait pourtant l’esprit. La conquête que le peuple a faite de son droit vous arrache-t-elle donc des mains le droit que vous exerciez ? Vous croyez-vous sous le régime de la Terreur ? Avons-nous demandé la tête du roi, de la reine, des princes et princesses ? Avons-nous rasé les châteaux, persécuté les prêtres ? Demandons-nous la loi agraire ?

» D’ailleurs, outre que les fatales nécessités du passé n’existent plus et qu’il serait impolitique de faire des victimes, vous nous outragez, vous nous calomniez ; vous vous rabaissez vous-mêmes, si vous niez que, depuis plus d’un demi-siècle, nous ne soyons pas devenus plus humains, plus sages, plus éclairés, plus religieux. Prenez garde, la peur que vous avez nous prouve peu de confiance en vous-mêmes, et si vous méconnaissez le progrès que nous avons pu faire, vous révélez que vous n’en avez fait aucun.

» Cependant le temps a marché pour tous. À moins que vous ne regrettiez la violence et la tyrannie, vous n’avez pas le droit de supposer gratuitement que nous les regrettons.

» Vous voilà donc épouvantés d’un fantôme créé par une panique dont tout Français devrait rougir, car la France est vaillante ; ses femmes et ses enfants même sont des soldats intrépides. Voulez-vous donc que le peuple dise que vous n’avez pas le cœur français, et que la possession des richesses rend poltron et visionnaire ?

» Ce fantôme que vous n’osez même pas regarder en face, il vous plait de l’appeler Communisme. Vous voilà terrifiés par une idée, parce qu’il existe des sectes qui croient à cette idée, parce que c’est une croyance qui doit un jour se répandre et modifier peu à peu l’édifice social. En supposant que son triomphe soit prochain, savez-vous que si vous lui montrez tant de couardise ou d’aversion, si vous mettez vos mains devant vos yeux pour ne pas le voir, de même que si, vous armant de résolution, vous provoquez contre lui des haines aveugles, vous allez lui donner une importance, un ensemble, une lumière qu’il ne se flatte pas encore de posséder ? Vous êtes toujours les hommes d’hier, vous croyez toujours que c’est par la lutte hostile et amère que vous pouvez sauver votre opinion. Vous êtes dans une erreur inconcevable. Vous ne voyez donc pas que l’Égalité, à laquelle vous avez droit comme le peuple, ne s’établira que par la Liberté ? J’invoquerais aussi la Fraternité, si je pouvais croire qu’il existât parmi vous un cœur assez desséché pour que ce mot ne portât pas en lui-même toute sa définition, la santé de l’âme.

» J’augure mieux de vos sentiments, mais je crains pour vos idées : je ne les trouve ni logiques ni rassurantes. Si vous ne les transformez pas, elles amèneront l’anarchie ; non pas une anarchie sanglante : si elle éclatait sur quelques points, le peuple, tout le premier, ce peuple généreux et ami de l’ordre, que vous ne connaissez pas encore, vous sauverait des fureurs du peuple ; mais une anarchie morale qui paralysera les travaux de la nouvelle constitution et par conséquent la vie morale et matérielle de la France.

» Vous, riches, vous êtes plus intéressés que personne à empêcher cet engorgement de la sève qui coule dans les veines du corps social ; car tous les premiers vous y succomberez pécuniairement. Le pauvre sait souffrir et attendre. Il se passera plutôt de travail et de pain, que vous ne vous passerez de luxe ou d’aisance. Il a la vertu du désespoir, vous n’aurez pas celle de la résignation.

» Vous avez vu cette vertu, cette grandeur du Peuple ; et comme il vous est impossible de les nier, vous motivez votre répugnance à proclamer son droit, sur la crainte qu’il ne soit Communiste ; et cependant la France est appelée à être Communiste avant un siècle. Le Communisme dans le peuple, c’est l’infiniment petite minorité : or vous savez que si les majorités ont la vérité du présent, les minorités ont celles de l’avenir. C’est pourquoi il faut témoigner aux minorités de l’estime, du respect et leur donner de la liberté. Si on leur en refuse, elles deviennent hostiles, elles peuvent devenir dangereuses, on est réduit à les contenir par la force, elles subissent le martyre ou exercent des vengeances.

» Le martyre tue moralement ceux qui l’infligent, comme la vengeance tue physiquement ceux qui la subissent. Laissez donc vivre en paix le Communiste ; car il vivra encore plus vite dans la guerre, et vous n’inspirerez de sagesse, de mesure et de patience à ses adeptes qu’en ne leur refusant pas la liberté de présenter leurs théories. Si elles sont folles et injustes, soyez tranquilles, le bon sens pratique du peuple les laissera tomber en souriant, comme il a laissé tomber la royauté ; si elles sont bonnes et applicables par degrés, vous serez forcés vous-mêmes de les reconnaître, puisqu’au lieu de porter atteinte au droit actuel de la propriété, elles lui assureront sa durée nécessaire.

» Mais il existe quelque part, dit-on, des Communistes immédiats qui veulent par le fer et le feu, détruire la propriété et la famille. Où sont-ils ? Je n’en ai jamais vu un seul, moi qui suis communiste. Il y en a donc peu, ou leurs théories sont bien inconciliables avec celles de la majorité communiste. S’il existe une poignée de pauvres fanatiques qui ne se rattachent ni au plan inachevé et essentiellement pacifique de Pierre Leroux, ni à la doctrine non moins pacifique de M. Cabet, n’existe-t-il pas aussi parmi vous des fanatiques de la richesse, des monarchistes exaltés qui auraient applaudi à un massacre général du peuple le 24 février ? Nous faisons grâce à ces insensés, nous ne les recherchons pas, nous ne les comptons pas, nous ne vous rendons pas responsables de leur coupable démence, nous ne vous calomnions pas, bien que vous portiez comme eux le titre de conservateurs. Nous ne pensons pas même à eux, et surtout nous n’en avons pas peur.

» Tranquillisez-vous donc ! Le Communisme ne vous menace point. Il vient de donner des preuves signalées de sa soumission légale à l’ordre établi, en proclamant son adhésion à la jeune République. Il a beaucoup d’organes différents, car c’est à l’état d’aspiration qu’il a le plus d’adeptes. Il en a jusque parmi les riches. Il en a chez toutes les nations et à tous les étages de la science et de la hiérarchie sociale ; car le Communisme, c’est le vrai Christianisme, et une religion de fraternité ne menace ni la bourse, ni la vie de personne.

» Eh bien ! de tous les organes de la Foi communiste, pouvez-vous en citer un seul qui ait protesté contre les lois qui régissent la propriété légitime et la sainteté de la Famille ?

» Qu’ont-ils donc fait pour vous épouvanter ? Rien, en vérité ; et vous êtes troublés par un cauchemar !

» Quant au Peuple, vous le calomniez en disant qu’il penche vers le Communisme immédiat. Le Peuple, plus sage et plus brave que vous, ne s’alarmerait pas de quelques démonstrations coupables, il les réprimerait ; et, loin de perdre sa foi dans l’avenir, il tirerait de ces excès une patience plus belle et une justice plus ferme. »


GEORGE SAND.




Propriétaires et Riches, que votre erreur est grande, quand vous frissonnez au nom des Communistes-Icariens !

On vous trompe en nous calomniant, comme on trompait le Peuple à la naissance du Christianisme, en calomniant les premiers Chrétiens.

Sans doute, nous voulons recouvrer nos droits et obtenir justice ; mais nous ne voulons ravir ses droits à personne ni refuser justice à personne.

Sans doute, nous ne voulons plus être opprimés ni spoliés ni exploités ; mais nous ne voulons être ni oppresseurs, ni spoliateurs, ni exploiteurs.

Fidèles à notre principe de Fraternité, nous ne pouvons être heureux qu’en voyant tous nos Frères aussi heureux que nous.

Ce n’est pas la haine qui est notre religion : c’est l’amour de nos Frères.

Ennemis consciencieux et résolus des mauvaises institutions qui engendrent les vices, nous sommes pleins d’indulgence et de bienveillance pour les vicieux, qui sont victimes plus encore que coupables !

On nous accuse de vouloir le partage des terres : mais personne n’est plus ennemi du partage que nous, puisque nous demandons l’Association en tout et la Communauté.

On prétend que nous voulons l’abolition de la Famille : mais personne n’a rompu plus de lances que nous pour défendre le Mariage et la Famille, tout en les purifiant et en les perfectionnant.

On nous présente comme des anarchistes : mais personne n’est plus ami de l’ordre que nous, plus partisan de l’organisation que nous, plus convaincu que c’est au Peuple surtout que l’ordre et la discipline sont indispensables pour qu’il puisse jouir des fruits de son travail.

On nous signale comme entachés d’immoralité : mais notre morale est la plus pure, car c’est celle de l’Évangile, celle du Christianisme dans toute sa pureté.

On nous accuse de vouloir tout faire par violence, en imposant nos idées : mais nous n’invoquons au contraire que la discussion et la persuasion ; nous adoptons un Régime transitoire de progrès successif et de Démocratie ; nous préférons émigrer pour aller au loin défricher et cultiver des déserts, plutôt que de troubler et d’inquiéter.

On crie contre nous comme contre des pillards et des incendiaires : mais c’est une horrible calomnie ; car, au contraire, nous nous jetons partout en avant pour arrêter les violences et les excès.

D’autres Partis ne parlent que de force ; mais nous, nous prêchons l’instruction et la moralisation.

D’autres ne s’occupent qu’à démolir ; mais nous, nous nous occupons surtout de construire.

Dans notre système, nous ne voulons personne au-dessus de nous, mais personne au-dessous ; nous ne voulons personne plus heureux que nous, mais personne moins heureux.

Oui, Propriétaires et Riches ! quand vous nous connaîtrez mieux, vous serez convaincus que, dans la tempête, c’est nous qui, mieux qu’aucun autre Parti, pouvons être l’ancre et le salut de l’Humanité !


Les Icariens.


Sedan, Imp. de Laroche-Jacob. — 28 Mars 1848.