Gazette des Campagnes, 1861-09-21/Introduction

INTRODUCTION.


Que le Canada, en général, aille de progrès en progrès, c’est ce que la voix publique proclame sur tous les tons et de toutes les manières. Que les Canadiens-Français, en particulier, aient leur part distinguée dans ce progrès toujours croissant, c’est ce que cette même voix publique constate également, bon gré, malgré.

Mais quel est ce progrès des Canadiens-Français, tout réel et distingué qu’il soit ? A-t-il toutes les conditions qui conviennent à ce peuple actif et plus que jamais désireux de conserver ses traditions sociales ?

Ce peuple, on l’a dit avec raison, est propre à tout. Les sciences, les lettres, les arts, la guerre, le commerce, l’industrie, ont trouvé en lui, à époques diverses, de dignes représentants ; et, aujourd’hui, tout semble démontrer que ces aptitudes variées, au lieu de décheoir, tendent à un développement régulier et permanent.

Tout cela est beau, grand et propre au plus haut degré à exciter l’encouragement le plus vif et le plus général vers ce développement régulier et permanent.

En effet, répétons-le, on n’ouvre pas aujourd’hui, à l’heure même où nous écrivons, une gazette canadienne française, qu’elle soit politique, littéraire, commerciale ou industrielle, sans qu’on y parle avec chaleur et satisfaction du progrès matériel chez notre race.

Ce qu’il y a d’important et de vital dans ce concert d’éloges, c’est que l’on parait sentir mieux que jamais quelles ont été les vraies bases de ce progrès. On a déjà cité l’éducation, aujourd’hui si répandue parmi nous, comme l’élément primordial de ce progrès : et c’est vrai. On parle aujourd’hui fortement d’un autre élément supérieur assurément à celui même de l’Éducation, pour parvenir à conserver ce qu’il y a d’acquis et à fixer au milieu de nous un progrès régulier et permanent. Cet élément essentiel, c’est l’union, entre les Canadiens-Français. Pour nous, nous donnons dès le début de notre carrière, la main, le cœur, et tous les efforts de notre intelligence à la réalisation inappréciable de cette union. Nous voyons avec une indicible satisfaction que les partis politiques même les plus opposés sont en voie de rapprochement. Puissent-ils comprendre que la vérité et la franchise dans les principes sont le seul moyen d’opérer l’union en politique comme en toute chose. L’opinion est chose vague, temporaire, fragile comme la fluctuation des esprits, quand ceux-ci ne sont point guidés par les dictées d’une raison saine et par les principes immuables de la conscience.

Aussi est-ce en dehors complètement de toute désunion politique, de tout esprit de parti, de toute tyrannie de l’opinion que nous désirons apporter un élément de plus à l’union des Canadiens entre eux. Cet élément, c’est l’agriculture et la colonisation : élément qui n’est pas inconnu, certes, parmi nous ; mais qui, de l’aveu de tout le monde, a besoin d’efforts particuliers et journaliers en quelque sorte pour l’élever à sa juste hauteur, pour le faire apprécier d’avantage, et pour le rendre un des plus puissants appuis de notre prospérité publique et de notre nationalité.

Il ne peut être question ici de faire l’éloge de l’agriculture, ni en général, ni en particulier. Le pays sait ce qu’il lui doit jusqu’ici. Également, on pourrait dire qu’il n’est pas besoin de thèses bien vives et bien appuyées pour faire valoir les bienfaits de la colonisation en faveur de la race canadienne française. La colonisation, malgré les obstacles qu’elle a subis, a fait ses preuves. Qu’il suffise de dire que l’agriculture a fait jusqu’ici la plus solide gloire des canadiens, puisqu’elle a été la base et la garantie humaine, la moins incontestable de leur prospérité, de leur esprit de paix, de leurs mœurs honnêtes, simples et hospitaliers, de leur foi vive, de leur bonheur social et domestique.

Mais les temps changent, et tout change aujourd’hui de par le monde. Seuls les principes ne changent point ! L’honneur, la piété, les vertus publiques et privées, les devoirs sociaux, et ceux de la famille comme ceux de la conscience individuelle ; voilà qui ne change point. Là est l’immuabilité sur la terre, chose si nécessaire au milieu du tourbillon de tant de têtes et de choses qui se choquent et se tuent journellement sur notre pauvre globe. Mais là heureusement, point de nouveaux droits à l’encontre de ce droit primordial et divin qui règle fondamentalement la société générale et domestique, et l’individu lui même.

Mais à part ces principes de premier ordre, il est des besoins sociaux et domestiques, qui bien étudiés, et conduits avec de sages intentions, peuvent et doivent varier selon l’esprit et les nécessités du temps. À cet ordre de choses appartient le soin de la prospérité matérielle d’un peuple. Et par là nous entendons avant tout le soin de la nationalité, qui comprend tous les intérêts majeurs de ce peuple.

Or, après la religion et les mœurs, après l’union toute chrétienne des canadiens-français entre eux, il n’y a point d’intérêt plus grave, d’élément plus important, dans le domaine de notre nationalité, que l’élément agricole et colonisateur.

Donc sans plus insister, qu’il soit admis de tous que cet élément doit aujourd’hui devenir, de la part de tous, l’objet d’un soin et d’un dévouement spécial.

Que les défauts et les obstacles qui ont nui jusqu’ici à cet élément, soient discutés librement sans craindre la malveillance d’aucun, mais bien au contraire avec le concours, ou du moins l’encouragement de tous.

Que cet élément trouve enfin entrée chez le peuple par un enseignement simple, mais suffisant. Qu’il soit admis à l’école et au foyer domestique. Qu’il suive le laboureur jusque dans son sillon, ou près de sa gerbe, servant à le délasser de ses fatigues tout en l’instruisant.

Pour en venir là, nous aurons à dire, pour notre part, dans le cours de nos travaux, 1o ce que le gouvernement et notre législature ont fait déjà en faveur de l’agriculture et de la colonisation ; et ce qu’il leur reste à faire à l’égard de ces deux sources vitales de notre prospérité nationale.

2o Ce qu’ont fait et ce que doivent devenir nos sociétés d’agriculture pour être vraiment utiles au peuple dans sa vie d’agriculteur et de colon.

3o Ce qu’ont entrepris et ce que peuvent réaliser de bien pour la même cause, les écoles d’agriculture, les sociétés de colonisation et les associations de secours.

Puis, nous joindrons de grand cœur notre faible voix à la voix publique qui demande si puissamment aujourd’hui l’établissement d’un ministère de l’agriculture pour cette partie du pays trop oubliée peut-être jusqu’ici, et qui comprend précisément notre Bas-Canada français et catholique.

À côté de ces considérations, nous demanderons au public intelligent, impartial et véritablement ami de la cause agricole, s’il ne serait pas expédient, 1o d’amender la constitution de la Chambre d’Agriculture, celle des sociétés d’agriculture, et d’augmenter l’octroi pécuniaire que la législature alloue, tous les ans dans l’intérêt de l’agriculture et de la colonisation. 2o S’il ne serait pas très utile de former une Chambre et des sociétés de colonisation. 3o S’il ne serait pas urgent d’introduire l’enseignement agricole à tous les degrés de l’instruction destinée aux classes laborieuses sans porter préjudice aux écoles spéciales déjà établies ou qui s’établieront par la suite. 4o S’il ne serait pas d’une heureuse initiative de fonder parmi nous le crédit foncier, si avantageux ailleurs, ainsi que des banques agricoles. Enfin ne serait-il pas avantageux de réformer notre législation hypothécaire et douanière ?

Et telle serait, en trois mots, la mission spéciale de notre journal : établir le véritable état de l’agriculture et de la colonisation, tel qu’il est aujourd’hui ; introduire dans la discussion l’étude des questions que nous venons de poser ; et donner un enseignement pratique et populaire, fondé sur l’expérience et l’étude de principes généraux incontestables.

Sans vouloir blâmer personne, il reste certain pourtant qu’il faut au peuple, en agriculture comme en tout autre enseignement, peu de principes, peu de paroles, peu de frais : car son sens est droit, son esprit calme, ses désirs modérés, et ses ressources financières restreintes. Qu’il y ait avec cela quelques écoles spéciales dans lesquelles les théories agricoles s’élèveraient à la hauteur de la science proprement dite, cela ne serait qu’un avantage de plus, le complément même de tout l’ensemble de notre enseignement national touchant l’agriculture. Mais, en même temps, restons bien persuadés que le plus pressant comme le plus utile dans cette cause c’est l’éducation agricole du peuple et non des riches : éducation simplement, pratique, générale et proportionnée à ses moyens. Et c’est là par conséquent qu’il est vrai de dire, peu de principes, peu de paroles et peu de frais. En retour, vu certains préjugés, ou peut être, vu certaines bonnes raisons, il faut beaucoup d’encouragement, de volonté, d’abnégation et de dévouement pour faire réussir une cause si simple toutefois dans ses moyens et si pleine pourtant de bienfaits du premier ordre.

Qui donc, aujourd’hui que le sol tremble sous nos pas, ne voudrait pas penser ainsi. Qui ne voudrait pas mettre la main au salut matériel et national du peuple si digne encore d’avoir pour amis et pour appuis tous les esprits justes, tous les cœurs généreux, toutes les volontés fortes et consistantes.

C’est du moins notre espoir, tous le veulent. L’ayant manifesté cet espoir, nous allons travailler à en développer les résultats dans notre journal. Cet espoir nous soutiendra non seulement de son esprit, mais encore par une coopération plus efficace par l’idée que si nous sommes d’accord avec la pensée publique, celle-ci nous aidera par tout moyen à poursuivre utilement notre carrière.

Sinon, heureux toujours d’avoir été sincères et dévoués, nous n’abandonnerions une œuvre si utile qu’autant que nous verrions qu’elle aura été abandonnée avant nous par le public. C’est un tort déjà connu parmi nous, celui-là. Puisse-t-il ne pas se réaliser dans l’œuvre actuelle !

Aux enseignements agricoles, il sera joint d’autres connaissances utiles, propres à la vie des campagnes ; ainsi qu’une revue de la quinzaine, résumant les événements publics en autant qu’ils peuvent intéresser le cultivateur et sa vertueuse famille.

Nous ferons suivre cette Histoire de la Quinzaine par une chronique des travaux des champs ; ensuite viendront les Correspondances que nous adresseront nos Collaborateurs ou les Abonnés. Nous nous garderons bien d’oublier les Variétés et de temps à autre le petit mot pour rire. Le reste de l’espace sera consacré à une Revue des marchés et à un Rapport sur l’état de la Température dans les diverses parties du pays.

Voilà donc notre route tracée. La tâche est difficile et peut-être audessus de nos forces. Aussi, ce n’est qu’en travaillant avec courage, en étudiant sérieusement avec nos lecteurs que nous pourrons réussir à l’accomplir jusqu’au bout, sans broncher. — Nous comptons en conséquence sur la bienveillance et le concours actif des abonnés. Qu’ils se persuadent que nous ferons tous nos efforts pour leur indiquer la meilleure voie à suivre. Nous pourrons commettre des erreurs, mais nous serons heureux de les rectifier lorsque l’on voudra bien nous les signaler ; car les sots seuls ont la prétention de ne jamais se tromper. Nous avons entrepris une œuvre d’utilité et non d’amour propre, c’est dire que nous ne redoutons ni les contradictions ni la rectification de nos erreurs.

Nous faisons appel à tous les hommes sincèrement dévoués au progrès agricole. Qu’ils nous fassent part des succès obtenus, qu’ils nous initient à leur savoir et aux méthodes qu’ils pratiquent. C’est ainsi que nous formerons ensemble un corps de doctrines utiles à tous et propre à diriger les cultivateurs dans la voie difficile de l’application.

Pour nous, les efforts et la bonne volonté ne feront jamais défaut et nous serons heureux si nous avons contribué pour la plus légère part au progrès de notre agriculture et de notre colonisation qui sont les deux ancres de salut de la nationalité canadienne-française.