Gaspard de la nuit (éd. 1895)/Un Rêve
VII
UN RÊVE
Il était nuit. Ce furent d’abord, — ainsi
j’ai vu, ainsi je raconte, — une abbaye
aux murailles lézardées par la lune, — une
forêt percée de sentiers tortueux, — et le
Morimont[1] grouillant de capes et de
chapeaux. Ce furent ensuite, — ainsi j’ai entendu,
ainsi je raconte, — le glas funèbre d’une
cloche auquel répondaient les sanglots
funèbres d’une cellule, — des cris plaintifs
et des rires féroces dont frissonnait
chaque feuille le long d’une ramée, — et
les prières bourdonnantes des pénitents
noirs qui accompagnent un criminel au
supplice.
Ce furent enfin, — ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte, — un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, — une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d’un chêne, — et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.
Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente ; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d’innocence, entre quatre cierges de cire.
Mais moi, la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s’étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s’était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, — et je poursuivais d’autres songes vers le réveil.
- ↑ C’est à Dijon, de temps immémorial, la place aux exécutions.