Gaspard de la nuit (éd. 1895)/La Chambre gothique
I
LA CHAMBRE GOTHIQUE
Nox et solitudo plenæ sunt diabolo.
Les Pères de l’Église.
La nuit, ma chambre est pleine de diables.
« Oh ! la terre, — murmurai-je à la nuit,
— est un calice embaumé dont le pistil
et les étamines sont la lune et les étoiles ! »
Et, les yeux lourds de sommeil, je fermai la fenêtre qu’incrusta la croix du calvaire, noire dans la jaune auréole des vitraux.
Encore, — si ce n’était a minuit, —
l’heure blasonnée de dragons et de diables !
— que le gnome qui se soûle de
l’huile de ma lampe !
Si ce n’était que la nourrice qui berce
avec un chant monotone, dans la cuirasse
de mon père, un petit enfant mort-né !
Si ce n’était que le squelette du lansquenet
emprisonné dans la boiserie, et
heurtant du front, du coude et du genou !
Si ce n’était que mon aïeul qui descend
en pied de son cadre vermoulu, et trempe
son gantelet dans l’eau bénite du bénitier !
Mais c’est Scarbo qui me mord au cou, et qui, pour cautériser ma blessure sanglante, y plonge son doigt de fer rougi à la fournaise !