Garin le Loherain
chanson de geste composée au XIIe siècle
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INTRODUCTION HERVIS DE METZ

LES VANDRES — LES CLERCS DEPOUILLES

Écoutez ! écoutez ! C’est une chanson de fortes races et de merveilleuse histoire. Elle remonte au temps où les Vandres vinrent dans notre pays et désolèrent la Chrétienté. Les François ne pouvaient leur opposer de résistance ; la longue guerre de (Charles Martel contre Girart de Roussillon les avait réduits à la plus grande faiblesse. Et puis alors, quand un prudhomme tombait malade et se couchait avec la pensée d’une mort prochaine, il ne regardait ni à ses fils ni à ses neveux ou cousins germains : il faisait venir les moines noirs de Saint-Benoit et leur donnait tout ce qu’il possédait en terre, en rentes, eu fours et en , moulins. Les gens du siècle en étaient appauvris et les clercs toujours plus riches : aussi les Gaules couraient-elles à leur perte, si le Seigneur-Dieu n’y eût pourvu.

C’est alors que les Païens et les Vandres avaient pénétré au delà de nos marches ou frontières, jetant bas les abbayes, faisant des églises étables pour leurs chevaux. Ils avoient pris Reims, mis à mort saint Nicaise et saint Memmie, martyrisé saint Maurice de Chablais et sept mille de ses compagnons ; enfin, ils allaient mettre le siège devant Paris, quand Charles Martel, ne pouvant plus compter sur le secours de ses barons, tous pauvres et dépourvus, eut recours au Pape ou Apostole de Rome. La grande cité de Lyon sur le Rhône fut choisie pour le siège du concile. On y vit arriver trois mille clercs, vingt mille chevaliers : les premiers, richement fourrés de vair et de gris , montés sur belles haquenées ; les autres n’ayant plus d’autre arme que leur épée d’acier ; sans écus, sans haubert et sans heaume ; dénués de palefrois, de destriers et de bons mulets d’Arabie.

Charles Martel porta la première parole : -Sire Apostole, au nom du Seigneur mis en croix, ayez pitié de nous et de vous-même. A vous appartient de prévenir notre honte commune. Je ne sais quels mecréans sont entrés dans ma terre et l’ont mise en char- bon : ils abattent les châteaux sous mes yeux ; ils attachent leurs chevaux dans les moutiers où Dieu devrait être servi ; ils écorchent vifs les prouvaires ; ils n’épargnent évèques ni archevêques. Que feraient contre eux mes chevaliers ? ils n’ont armes, palefrois ni roncins. Avisez donc : faites que nous puissions nous défendre et vous garantir. Sinon je vous quitte le pays et m’en irai comme le plus chétif de ceux qui m’entendent. » Ces paroles furent écoutées avec grande tristesse ; chacun en était troublé, tous les yeux étaient remplis de larmes. L’Apostole, non moins affligé que les autres, se leva de son siège et, prenant les siens à l’écart : « Seigneurs clercs, » dit-il, « voyons ce que vous entendez faire. Ne mettrez-vous ici rien du vôtre ? ne donnerez-vous pas à ces gens-là les deniers et les chevaux que vous avez en si grand nombre ? »

« Non, assurément, sire Apostole, » répondit l’Archevêque de Reims ; « loin de nous la pensée de leur accorder vaillant trois deniers monnoyés : car ils en garderaient la mauvaise coutume à perpétuité. »

Personne ne répondit à l’Archevêque ; les Clercs se séparèrent et l’Apostole revenant au milieu de la grande assemblée : « Charles Martel, mon fils, » dit-il, « je prends Dieu à témoin que je ne puis obtenir d’eux trois deniers monnoyés. J’en suis dolent, car je le prévois, ce sera la ruine de Sainte Chrétienté. »

Alors se leva le loherain Hervis, le comte preux et sage, lequel n’était pas homme à laisser aux Clercs le vair et le gris, ni les rentes réclamées par les Chevaliers : « Sire Apostole, » dit-il, « il nous faut d’autres paroles. En Gaule ce sont vingt mille chevaliers dont les clercs ont les fours et les moulins : qu’ils y pensent, ou, par le Seigneur-Dieu, les choses prendront un autre tour. »

« Je vous entends fort bien, » dit l’Archevêque de Reims, « mais vous allez aussi m’entendre. Nous sommes des clercs ; notre devoir est de servir Dieu. Nous le prierons volontiers de vous donner victoire et de vous défendre de mort. Et vous, chevaliers. Dieu vous a commandé de venir en aide aux clercs et de garantir sainte Église. Pourquoi tant de paroles ? J’en atteste le grand saint Denis, vous n’aurez pas de nous un angevin. »

« Sire Archevêque, » reprit l’Abbé de Cluni, « le tort en serait à vous, qui ne tenez pas mémoire des bienfaiteurs. Si nous sommes riches (le Seigneur en soit, loué !), c’est par les bonnes terres que leurs ancêtres nous ont léguées. Que chacun de nous aujourd’hui y mette donc un peu du sien ; il ne faut pas, en refusant tout, nous exposer à tout perdre. — Tout ce que vous voudrez, » reprit l’Archevêque en fureur, a mais avant d’accorder deux mailles angevines, je me laisserai traîner à la queue de leurs chevaux. »

« Ah ! par saint Sepulche ! » s’écria le Pape indigné, il n’en sera pas comme vous l’entendez. Approchez, Charles Martel, mon fils. Je vous octroie les fourrures de vair et de gris, tout l’or et tout l’argent dont les Clercs seront saisis, leurs palefrois, leurs roncins et leurs mules. Prenez tout ce qui sera de prise ; servez-vous-en pour chasser les Yandres et délivrer la terre. Je vous octroie encore, cher fils, la dîme et la demi-dîme pendant sept années, mais, une fois les Sarrasins exterminés, vous cesserez de la leur. »

« — Grand merci ! sire Apostole, » répondit Charles Martel. Puis le duc Hervis parlant aux chevaliers : « Voilà tout ce que nous demandions. Aux moutiers donc, aux chevaux, aux deniers monnoyés ! »

On les eût alors vus saisir le vair et le gris, prendre l’or et l’argent, les riches coupes, les armures dont les Clercs étaient saisis. On les eût vus endosser les hauberts, lacer les heaumes et dresser les écus. Le nombre des guerriers augmente alors de moment en moment ; bientôt on les estime à quarante mille, tous préparés à bien faire pour défendre le pays et combattre les ennemis de Sainte Chrétienté. II - DELIVRANCE DE PARIS.

Cependant les étendaient de trois côtés leurs ravages. Après la destruction de Reims, ils étaient entrés dans Soissons. Plus de cent mille païens environnaient Troyes, cent mille autres étaient aux portes de Paris. C’est alors que Fossés fut ruiné, comme on le voit par les anciennes chansons.

Le roi Charles Martel avait pris le chemin de Paris, dont il voulait faire lever le siège. Au point du jour, les bonnes gens de la cité entendent le son des trompes ; le bon roi Charles arrivait. Chacun de le dire à son voisin : un messager vient l’annoncer à la Reine. Les moutiers de la ville mettent leurs cloches en mouvement : « Vive Charles Martel ! » crie-t-on sur son passage ; « vive le bon Roi qui vient en aide à ses hommes ! »

Le camp des Vandres était établi le long du bourg Saint-Marceau. Une partie de ces mécréants, gagnant l’autre rive de la Seine vers Saint-Paul, poussa jusqu’à Saint-Denis, dont le moutier opulent leur faisait envie. Par bonheur. l’Abbé l’avait fait entourer de larges fossés et de palissades ; il avait armé trois cents de ses moines, si bien qu’il fallut les assiéger en règle. Le Roi, profitant de l’absence de ces gloutons, dit au duc Hervis d’attaquer ceux qui étaient demeurés vers Saint-Marceau. Hervis ne perd pas un moment ; il fond sur eux, fait voler les tètes, éventre les chevaux, contraint les Païens d’abandonner leurs pavillons. Ils dépêchent vers Saint-Denis pour avertir leurs amis de revenir

en toute hâte, parce qu’ils sont aux prises avec les Français. Les gloutons renoncent donc à l’attaque de l’abbaye et 

reparaissent devant Paris comme le duc Hervis faisait merveille contre leurs compagnons. Ah ! maudite soit leur retournée ! ils poussent leurs chevaux, fondent à leur tour sur nos Français et font un amas de martyrs. Plus de cent chevaliers tombèrent sous leurs coups pour ne plus se relever.

La mêlée était devenue générale, les cris de victoire multipliés de part et d’autre. Il fallait voir, entre tous, le loherain Hervis, frappant à droite, à gauche et devant lui : malheur à ceux qu’il atteignait ! Autour de lui était un abatis de poings, de bras et de têtes. Il rencontre Charboucle au moment où ce roi sarrasin venait de tuer un chevalier de Metz : affamé de vengeance, Hervis broche le cheval, brandit l’épieu, frappe Charboucle, tranche d’un coup son écu, son pelisson gris, lui plante dans la poitrine une pointe d’acier, et l’abat mort à ses pieds. Ce fut le signal d’une plus forte lutte et de croisements de glaives qui dévaient faire, hélas ! bien des veuves. Toutefois, la mort de Charboucle décida la défaite des Païens. Hervis les poursuivit à travers champs comme le loup chasse un troupeau de brebis. Parvenus à Choisy, ils y trouvèrent une de leurs batailles ; inutile secours ! nul d’eux ne devait revoir son pays ; ils n’essayèrent pas même d’arrêter les vainqueurs.

Vers la minuit, quand le sommeil descend sur les Loherains épuisés de fatigue, les Païens qui survivaient gagnent les bords de la Marne ; la moitié d’entre eux prend la route de Sens, l’autre passe la rivière et se dirige vers Soissons où séjournait une autre de leurs batailles. Mais la maie aventure les attendait au pont Gibert, par deçà Lagny : Hervis, averti de leur fuite, les avait suivis, et, les atteignant au point du jour, il en fit un grand carnage. Plus de trois mille restèrent étendus sans vie dans la campagne ; les Loherains y conquirent autant de palefrois et de roncins, autant d’or et d'argent qu’ils voulurent. Puis le Duc ramena dans Paris ses hommes ; il y fut grandement festoyé, comme on peut le penser, par l’empereur Charles, par la Reine et par Pepinet leur fils.

III DELIVRANCE DE SENS.

Bientôt arrivèrent à Paris nouvelles des Vandres et Esclavons entrés dans la vallée de Soissons, qu’ils mettaient en flammes. Il fallut songer à leur courre sus, et déjà les chevaliers étaient armés, quand voilà de Sens un autre messager : « Riche Roi, » dit-il, « ne perdez pas un moment : les hommes de la cité de Sens implorent votre secours ; ils n’en eurent jamais si grand besoin. — Les mécréants sont-ils nombreux ? — Oui, cher Sire, environ soixante mille. Ils mettent leurs chevaux dans les églises ; ils n’épargnent prêtres, femmes ni filles, dont vous ne pourriez entendre les cris sans fondre en larmes. — Que Dieu, » dit Charles, « nous soit en aide ! — Fils de bon chevalier, » dit Hervis, « partagez votre armée en deux « batailles. Je conduirai l’une à Soissons, et vous chevaucherez avec l’autre vers Sons. Combattez hardiment, et Dieu sera pour vous. »

Les deux batailles se séparent ; Martel prend le chemin de Sens. C’était par une belle journée d’été ; les eaux douces rentraient dans leurs lits, les prairies étaient verdoyantes, et dans la ramée on entendait les oiseaux chanter. Charles atteignit, non sans fatigue, les rives de l’Yonne ; il n’est plus qu’à quatre lieues de Sens, et déjà voyait la fumée des feux que les gloutons avaient allumés. Le Roi, les montrant à ses François : « Dieu de gloire, » dit-il, « qui vis en trinité et qui nous donnes le soleil et le jour, accorde-moi la force dont j’ai besoin pour réduire à mort tous ces ennemis de Sainte Chrétienté ! »

Le jour avance, vêpres arrivent et le soleil disparaît. Les barons achèvent leur souper et le Roi répartit les sentinelles : il commande au riche baronnage de tenir les chevaux prêts pour minuit. Après deux heures de sommeil, les hauberts sont endossés ; on part sans donner du cor ou de l’olifant, pour ne pas avertir ces maudits enfants de chien. Au point du jour, les trente mille compagnons de Charles découvraient les murs de Sens.

Martel alors entouré de ses gens : « Nous allons,» dit-il, « attaquer les mécréants : au nom du Dieu né en Bethléem, combattez et frappez à mon exemple. Ne vous arrêtez pas aux chevaux auferans, aux belles armes, à l’or ou à l’argent ; éventrez-les tous, grands et petits. Et si Dieu nous accorde victoire, on partagera l’échec entre vous ; je n’en réclamerai pas un denier monnayé. »

« — Grands mercis ! » répondent les barons. Et chacun alors de se bien poser sur les rapides destriers. Ils chevauchent avec précaution, pour ne pas réveiller les Païens. Bientôt Allemands et Bavarois pénètrent dans le camp, entrent dans les tentes, tranchent les cordes, abattent les pavillons, surprennent les mécréants et les empêchent de fuir. Heureux ceux qui purent regagner leurs auferans ; plus de dix mille passent par le glaive des Chrétiens, et restent morts dans la campagne. Les autres s’enfuient du côté de Troyes, laissant aux mains des nôtres un butin qu'on ne pourrait estimer. Charles Martel, après avoir fait le loyal partage, ne voulut pas dormir avant d’être arrivé dans la campagne de Troyes. Hélas ! il ne sait pas qu’il court à sa perte. Puisse le Dieu qui suscita Moïse lui venir en aide !

Mais pendant que Martel, arrêté sur la rivière qui baigne les murs de Troyes, attend pour attaquer les mécréants l’arrivée de tout son baronnage, pendant que saint Loup, le prudhomme, fait des sermons au peuple pour lui donner meilleur courage, nous vous parlerons d’Hervis, le puissant duc, que nous avons laissé s'en allant de Paris Soissons.

IV - DELIVRANCE DE SOISSONS - LA CROIX DE SAINT DRAUSIN

Il avait conduit par les monts, les puits et les vallées, dix mille guerriers plus hardis que lions, tous impatients d’en venir aux épées avec les mécréants. Ils s’arrêtent à quatre lieues de Soissons, bannières dressées et gonfanons vermeils développés. Autour des chevaliers se rangent les sergents.

« Seigneurs, » dit le duc Hervis, « à demain le combat : le Seigneur-Dieu qui souffrit pour nous la mort sera pour nous, contre une race maudite qui ne donnerait pas de lui un éperon vaillant. »

La nouvelle se répand de l'approche des François ; les Païens s’en émerveillent et tremblent ; mais dans la ville on démène grande joie. Toutes les cloches sonnent, les prouvaires et les bonnes gens implorent Dieu pour la Chrétienté. Cependant Hervis a distribué ses gens en dix échelles. et de chacune d’elles s’élancent et ventèlent pennons et bannières. Les Sarrasins, de leur côté, s’arment à la hâte au son des cors et des trompes ; on s'ébranle de part et d’autre. Quel fracas à la première rencontre ! Combien d’écus percés, de hauberts troués, de chevaliers abattus, de sang répandu, de têtes ouvertes ! Parmi les meilleurs bacheliers de la bataille d’Hervis, on remarquait celui qui avait la garde de l’enseigne ; il était du lignage du Duc ; on ne l’appelait que le vilain Hervis, parce qu’il était bâtard et qu’il avait été longtemps fort pauvre ; mais le Duc l’aimait sur tous les autres, en raison de sa grande prouesse. C’est avec l’aide de ces hardis bacheliers que le Duc put soutenir toutes les attaques. Il fait quitter le champ à deux batailles ; il allait disperser la troisième quand survint Aucaire, un roi sarrasin que Dieu confonde ! De sa bataille partait une grêle de traits meurtriers. Hervis presse les flancs de son cheval, brandit son épieu, atteint Aucaire, lui perce le cœur et l’abat mort sur le sable. Il fallait voir alors la douleur et l’effroi des Païens : « Où fuir ? » disaient-ils , « c’est un diable à qui nous avons à faire. Nulle arme ne dure contre son épée. Puisse notre dieu le confondre ! »

Les Loherains, toujours plus ardents à la tuerie, avancent encore. Hervis laisse courir son cheval au milieu des rangs ennemis, et les bacheliers se pressent à l’envi pour le défendre. On voit dix, vingt et trente mêlées. C’en était fait des Sarrasins, quand un nouveau secours leur arrive. C’est Godin, leur souverain seigneur, Godin qui seul vaut dix chevaliers. Ses armes sont fortes, son cheval vigoureux et rapide. Une tète de mâtin est figurée sur son écu, et trois mille guerriers foraient sa bataille. Il s’abandonne sur les compagnons d’Hervis, et là frappe, coupe, éventre et désarçonne. Malheur à qui veut l’attendre ! Il immole Gerart. Berenger, Hugon, Landri ; enfin, d’un coup d’épée il abat la tête de Fouchier de Nantes, le cousin d’Hervis. « Ah ! sainte Marie, » s’écrie le Duc, « reine et mère de Jésus, demandez à votre fils qu’il me laisse tuer ce païen, cet ennemi de notre loi, qui ne donnerait pas un angevin de Dieu ni de son Église. Il a tant tué de mes chevaliers que personne ne l’ose plus attendre ; c’est à moi d’aller à sa rencontre. Dieu du paradis, à vous je me recommande ! Vous naquîtes en Bethléem ; aussi vrai que vous eûtes une Vierge pour mère, défendez-moi du péril de mort ! »

Cela dit, il broche le destrier, le fait sortir des rangs, et, brandissant la hante de l’acier poitevin, il va çà et là cherchant l’odieux glouton. « Où es-tu, » crie-t-il, « toi qui jettes l’effroi sur ton passage, et qui portes une tête de mâtin ? Apprends que Dieu vaut cent fois ton Apolin ! » Le mécréant entend ces mots, et tient pour hardi celui qui les prononce. Ils s’élancent l’un contre l’autre : le coup de Godin porte à faux ; le Duc, protégé de Dieu et du Saint-Esprit, l’atteint de plein épieu, perce l’écu, le haubert et la poitrine. L’acier traverse l’échiné et ressort de plusieurs doigts ; le géant est jeté mort sur le sable ; Bugibus et Noiron emportent son âme en enfer, et le Duc, tirant son épée, tranche son énorme tète et la donne en garde au vilain Hervis.

A la vue de leur seigneur étendu sans vie, les Sarrasins tournent en fuite, pour^uivis par Hervis (jui presse contre eux les flancs de son coursier rapide. Il n’est pas de heaume ou de coiffe à l’épreuve de son épée ; l’herbe et les champs lougissent autour de lui, et lui-même, les flancs et la tête de son cheval, le pont d’or fin de son glaive, tout est ensanglanté. La chasse dura plus d’une lieue ; le Duc revient ensuite vers Soissons, oii l’on forme un amas de butin ii riMidie riches tous les gens du pays.

Mais pour refroidir son coursier et laver le sang dont il ost couvert, Hervis descend au bord de la rivière, et voilà qu’au milieu des eaux il distingue une croix noire allant d’elle-même, et comme entraînée contre le courant. Elle avait été jetée par les Sarrasins. « Dieu ! » dit le Duc, « c’est un miracle qu’il m’est donné de voir. D’où peut venir cette croix ? Le courant est rapide et l’on ne peut en deviner la profondeur ; mais j’aurais honte de ne pas aller la reprendre. » Il broche donc le cheval et s’avance dans le fleuve. Par un deuxième et plus grand miracle, l’eau ne mouille ni les pieds ni le cou ni les flancs du coursier. Hervis au milieu du fleuve atteint la croix, la pose entre ses bras devant sa poitrine, revient, et la porte au moutier de Saint-Drausin. C’est là qu’elle est encore aujourd’hui, comme ne l’ignorent ni vieillards ni jeunes hommes. C’est devant elle que viennent veiller les pèlerins et ceux qui doivent le lendemain fournir bataille en champ clos.

V - DELIVRAMCE DE TROYES. — LE CRUCIFIX DE SAINT-PIERRE.

Échappés de Paris, de Sens et de Soissons, les Païens et Sarrasins rejoignent comme ils peuvent le gros de leurs compagnons arrêtés devant Troyes. Ils leur racontent comment un diable d’enfer les a presque tous exterminés, et n’a pas craint d’attendre Godin dont il a pris la tête. « Voilà, » disait les Païens, « de bien méchantes nouvelles ! D’un autre côté, Charles Martel, enfermé dans Troyes, apprenait la victoire du duc Hervis et la retraite désordonnée des mécréants ; il en menait grande joie, il en rendait grâces à Dieu et donnait aussitôt le signal de la reprise d’armes. Les batailles étaient disposées, les bannières élevées, les pennonceaux flottaient dans les airs ; il ne restait plus qu’à faire quelques pas et commencer la mêlée.

Amauri , le seigneur de Nevers, fait avancer le premier sa bataille : il lâche les rênes de son cheval, frappe un païen, perce l’écu, fausse le haubert, et de son roide épieu pénètre dans le corps de son adversaire. « Nevers » crie-t-il en l’abattant de cheval, « frappez, imitez-moi ! ces gens-là sont les ennemis de Dieu, et ne sont venus que pour prendre tout ce que nous avons. » La mêlée devenue générale dura l’espace de trois grandes journées. Les Païens plus nombreux gardèrent longtemps l’avantage : combien de chevaliers tombèrent devant eux pour ne plus se relever ! Bruiant surtout, Dieu puisse l’étrangler !, conduisait une bataille armée de grands arcs turcois qui faisaient dans nos rangs de cruels ravages : le fracas des rencontres était entendu de deux grandes lieues ; malheur à qui vidait les arçons, il était bientôt écrasé par le passage continu des chevaux. On remarquait les belles armes et le grand cheval d’Aleaume, seigneur de Ponthieu, qui conduisait trois cents chevaliers de sa terre, et plus d’une fois arrêta et fit reculer les Sarrasins. Un peu plus loin, à sa droite, Charles Martel frappait, éventrait devant lui. Les Païens n’osant attendre son branc d’acier se réfugient sous l'étendart. Marsoufle vint à leur aide, avec les mécréants de son pays ; les tambours éliraient nos chevaux, les arcs turcois percent nos hommes. Il fallut reculer, et Charles Martel est alors frappé de deux épieux fourbis, dont l’un ouvre son épaule, l’autre pénètre dans sa poitrine. Le cheval tombe mort sous lui, et les sergents de sa bataille ont grand peine à le défendre et à rester maîtres de son corps. Cependant Hervis arrivait de Soissons à Troyes. Il entend le bruit de la mêlée et les cris des mourants ; il voit entrer les navrés dans la ville. « Ah ! » lui crie-t-on , « seigneur Duc, allez secourir Martel, le roi de Saint-Denis. Si vous tardez, c’en est fait de lui et de saint Loup notre évêque. » Hervis ne perd pas un moment, il arrive sur le champ du combat et du premier coup atteint le roi Marsoufle, qu’il perce de son épieu. Marsoufle mort, le duc Hervis abandonne l’épieu pour frapper de son branc Butor, le seigneur des Lutis, et le pourfendre jusqu’à l’échine ; en se retournant il atteint Golias, le roi de Pinconie, et le sépare en deux. Ce dernier coup jeta l’épouvante dans l’âme des Païens : « Ne restons pas ici, » disent-ils, « il n’y fait pas bon ; ce diable d’enfer n’en laissera pas vivre un seul de nous. » Quinquenart parvient cependant à les retenir : il fait sonner les cors et les olifans, les monts et les vallées retentissent, on eût cru entendre le signal de la fin du monde. C’est alors que saint Loup de Troyes est mortellement frappé : les Païens, sous les yeux d’Hervis et par représailles, ramenaient sa tête dans leur camp, tandis que les anges emportaient son âme dans le paradis. Mais la vengeance ne se fit pas attendre : Hervis jeta mort un des plus forts Sarrasins, dont il saisit le cheval pour le présenter à Charles Martel. Hélas ! le Roi ne put le monter, tant il avait déjà perdu de sang. « Metz ! » crie le Duc, plus enflammé de courroux. « Sire, » dit cependant le vilain Hervis, «je vois un crucifix que les Sarrasins tiennent dressé devant leur étendard. Il le faut aller reprendre. » Ils arrivent ainsi devant l’étendard. Les Hongres s’y défendent comme lions ; il en fallut tuer plus de vingt mille avant de décider les autres à l’abandonner. Le crucifix nous est rendu ; Hervis, après l’avoir confié à des mains sûres, se remet à la poursuite des Païens et les chasse plus de trois lieues ; même au retour, il trouva moyen d’en tuer encore. Son premier soin en arrivant fut d’aller au moutier de Saint-Pierre et là d’y déposer la croix avec le crucifix. Elle y est encore, et depuis ce temps-là n’en est pas sortie.

VI - MORT DE CHARLES MARTEL — COURONNEMENT DE PEPIN

Au sortir du moutier do Saint -Pierre, Hervis s’était rendu auprès de Charles qu’il avait trouvé grandement affaibli. Il le regretta comme vous allez voir : « Vous fûtes à la male heure, ô Roi ! » dit-il : « Gaule est perdue si vous lui manquez. Mais au moins, sire, faites couronner votre fils, pendant que vous vivez encore. — Je suivrai votre conseil, » dit Martel, « dès que vous m’aurez ramené dans Paris. »

Le voyage fut pénible. On alla, ce jour, coucher à Sens : le matin venu, les clercs de la ville convoyèrent Martel en priant le Dieu qui fut mis en croix de guérir ses blessures. A Moret fut leur second gîte, et le lendemain ils entrèrent dans la cité de Paris où le reçurent en pleurant la Reine au clair visage et le damoisel Pépin.

On manda pour le Roi les meilleurs mires ; en même temps on convoqua quatre vingt barons, auxquels on présenta le gentil damoisel Pépin. Hervis lui posa sur le chef la grande couronne, en dépit des murmures d’un grand nombre de vassaux, au premier rang desquels était le vieux Hardré de Lens, père de Fromont, et son frère Bernart de Naisil. Mais Hervis montant sur une table et tenant une épée nue : « Qui réclame ici, » dit-il, « contre le fils de Charles ? Par le Dieu crucifié ! s’il en est Un qui ose le toucher, lui ou la Reine, sa gentille mère, il sentira le tranchant de cette lame, et ses honneurs ne passeront pas à ses héritiers. » Tous se turent , et nul n’osa plus résister. Alors appelant le comte Hardré : « Venez avant, franc chevalier, je vous donne à garder la personne et la terre de monseigneur Pépin. Mes terres sont éloignées, j’ai grand intérêt à les visiter ; quand j’aurai ordonné de mes besognes, je reviendrai pour entendre les causes et maintenir les droits. — Grand merci ! » dit Hardré, il sera fait comme vous désirez. »

Les mires ne furent d’aucun secours ; Charles Martel réclama le Père tout-puissant, se rendit confés, partagea dévotement ses meubles, ordonna de rendre les dîmes aux clercs (ce qui combla de joie les moines), fut malade huit jours, et alla le neuvième à sa fin. On l’emporta au moutier Saint-Denis, et on l’enfuit devant l’autel et le crucifix, ainsi que porte la lettre.

Hervis allant trouver la Reine : « Écoutez-moi, dame : le Roi est mort, Dieu lui fasse merci ! C’est à vous à bien vous maintenir, à gouverner prudemment votre terre. Pensez à votre fils. — Que Dieu en prenne le soin, » répond la Reine : « je suis trop dolente pour penser à ce que je dois faire. — Eh ! mon Dieu, » dit Hervis, « le chagrin prolongé n’a jamais servi de rien. Il ne faut pas mettre joie sur joie, ni deuil sur douleur ! » Cela dit, il prit congé du petit roi, s’éloigna de Paris et suivit le chemin qui conduisait à Metz. VII - MAKIAGE D'HERVIS. — SES ENFANTS.

Le Duc arriva le lendemain à Châlons où son frère, le sage et bon évêque, le reçut avec joie. D’abord il lui demanda des nouvelles de Pépin ; puis comment était mort Charles Martel : « La fin a été bonne, » dit Hervis ; « il a commandé avant de mourir que l’on rendît les dîmes aux clercs. — Et il a bien fait, » dit l’Évêque, « c’était un roi prudhomme, qui n’eut pas, depuis sa naissance, un seul jour sans peine. Dieu ait de son âme merci ! »

De Châlons le duc Hervis se rendit à Verdun, dont l’Évèque était alors son ami. Puis il entra dans sa terre et vint prendre gîte au couvent de Gorze. Alors, mettant l’Abbé il raison : « Clerc, » lui dit-il, « allez me chercher femme : mon corps a besoin d’une épouse. » L’Abbé consent à se mettre en quête, dès qu’il saura de quel côté il doit chercher. « Vous irez, » dit Hervis, « trouver le preux Gaudin. Vous demanderez sa sœur, la bien faite Aélis. Sous le ciel il n’y a pas de meilleur chevalier que Gaudin, de plus belle fille qu’Aélis. »

L’Abbé ne perdit pas de temps : il partit dans la compagnie de quinze de ses moines, et de nombreux chevaliers de la mesnie d’Hervis. Les chemins étaient couverts de leurs mules et de leurs palefrois. Un mois lui suffit pour parfaire son message : il revint à Metz avec la pucelle. Le loherain Hervis alla à leur rencontre : « Soyez bien venus !» dit-il à l'abbé, et prenant par la main la demoiselle : « Belle fille » lui dit-il. « par le Dieu qui jamais ne mentit Vous êtes bien faite et de corps et de visage : aussi je vous rendrai très riche dame. — Sire, » répondit Aélis, ce sera l’effet de votre grâce. »

Hervis la conduisit à Saint-Arnoul , et là, l’épousa d’argent et d’or fin. Les noces furent célébrées au palais seigneurial ; il veut grande largesse de vair et de gris, de mules et chevaux, de roncins et palefrois. Chacun en prenant congé louait le bon accueil du duc Hervis.

Dès la première nuit, l’heure fut bonne et la dame conçut un fils. Pourquoi ne pas ajouter tout de suite que la gente Aélis eut l’année suivante un second enfant ? Le premier fut Garin, le bon duc qui souffrit tant d’ennuis et de travaux. Le second fut le preux, le gentil, le renommé Begon, seigneur du château de Belin.

Aélis mit encore au monde sept filles, mariées aux meilleurs barons de la contrée. L’aînée fut la belle Heloys, dame de Peviers, celle qui éleva la grande tour. Heloys eut deux fils : le bon duc Hernaïs et Odon , qui fut mis aux lettres et qui devint évêque d’Orléans.

Des six autres filles du duc Hervis, la première fut mariée à Basin de Genève, et donna le jour au bourgeois Auberi ; la seconde fut mère de l’Allemant Ori ; de la troisième naquit Girart de Liège ; de la quatrième Huon de Cambrai et Gautier de Haynaut ; de la cinquième le comte Joffroi d’Anjou ; de la sixième Huon du Mans et le preux Garnier de Paris. A la race d’Hervis de Metz et d’Aélis de Cologne appartenait encore Salomon qui tint Bretagne , Hoel de Nantes et Landri son frère. On peut ainsi voir que tant de hauts barons réunis devaient former un puissant lignage. VIII - LES HONGRES DEVANT METZ — HERVIS DEVIENT L'HOMME DU ROI ANSÉIS.

Il faut maintenant vous parler des Hongres, que Dieu maudisse ! et qui de nouveau se rassemblèrent en Gaule, pour y continuer leurs ravages. Dans l’espoir de tirer vengeance du duc Hervis, ils allèrent assiéger Metz ; le paladin n’ayant pas à leur opposer assez de chevaliers, s’en vint demander aide et protection au jeune roi Pépin, qu’il trouva non sans peine à Montloon, dans la compagnie d’Hardré et d’Amauri, que Dieu puisse confondre ! On pouvait aller jusqu’à l’eau du Rhin et parcourir soixante pays avant de rencontrer deux pareils félons.

Hervis monta les degrés du palais de marbre ; devant lui tous se levèrent, jeunes ou vieux. Le Roi lui-même accourut à sa rencontre : « Soyez le bienvenu, gentil Duc. — Sire, grand merci ! Ecoutez pourquoi je suis venu : les Païens sont entrés dans ma terre, ils malmènent et ravagent le val de Metz. Je me réclame de vous, gentil empereur, car Metz est de votre fief ; vous devez le garantir, c’est notre droit de compter sur vous. — J’en parlerai, » répondit le Roi, « sachez que vous êtes le dernier auquel je voudrais refuser secours. — Sire, grands mercis ! au besoin reconnait-on les amis. »

Le Roi se lève et s’en va conseiller avec Amauri, Eudon et le fleuri Hardré. il n’avait encore que douze ans et demi : « Maire Hardré, » dit-il, « que pensez- vous de la requête du Loherain, lui qui servit si bien mon père et qui m’a fait roi, en dépit de ceux qui ne m’aimaient guères ? — Vous lui devez en effet beaucoup ; mais rien ne presse, » répond Hardré, « Hervis est riche d’argent et d’amis, il peut fort bien se défendre lui-même. D’ailleurs le royaume est en mauvais point ; les longs ravages causés par Girart de Roussillon ne sont pas réparés. Demandez un répit au Loherain : l’hiver passera ; revienne avril, et vous lui amènerez secours, s’il en a encore besoin. »

Retournés vers Hervis, ils lui rendent les mêmes paroles, et peu s’en faut que le Duc n’enrage en les écoutant : « Par le nom de Dieu ! Sire, » s’écria-t-il assez haut pour être ouï de tous, François, Angevins et Manceaux , « le conseil ne vient pas de vos amis. On oublie ce que je fis dans la bataille où fut navré le roi votre père ; comment je l’escortai à Saint-Denis ; comment, en dépit des barons du pays, j’ai posé sur vôtre tête la grande couronne. C’est moi qui vous donnai pour maire cet Hardré, que je vois là et qui vous conseille aujourd’hui de m’abandonner. Or, si vous me faites défaut, je dois chercher secours ailleurs , et mettre votre fief en d’autres mains qui sauront mieux le défendre. — Nous vous entendons, » reprit Hardré, le Roi renonce au fief, à la vue de tous vos amis. — S’il est ainsi, je vous en remercie, » fait Hervis, « mais est-il bien vrai que vous le me quittiez ? Sire, je veux l’entendre de votre bouche. — C’est la vérité, » dit Pépin, «j’en prends à témoin saint Denis. »

Le Duc sortit aussitôt de Montloon, sans demander congé. Arrivé dans la nuit à Cambrai, il y trouva son cousin et leurs communs amis, auxquels il raconta comment Pépin avait refusé de le protéger contre les Païens. « Ne vous découragez pas, « dit Garin l’orphenin, « il faut sans retard mander nos amis et nos parents. — Oui, » répond Hervis, « mais d’abord je veux aller trouver Anséis ; nous ne pouvons chasser les Sarrasins qu’avec son aide. — Par malheur, » reprit Garin, « c’est un jeune homme qui n’a pas langue en bouche plus que le roi Pépin. — Il est mieux conseillé ; j’ai de mes amis près de lui. »

Le soir même Hervis reprit le chemin de Metz ; et dès qu’il fut arrivé il envoya vers Gerart qui tenait Liège, pour l’avertir de venir le joindre à Trêves, sur le Rhin. Les bons vassaux se mirent eu route ; ils arrivèrent ensemble à Cologne, et descendirent chez Bertrand Gossclin, leur hôte. Après avoir mangé, ils montèrent, lui et Gaudin le frère d’Aélis, au palais d’Anséis, accompagnés de nobles chevaliers. Tous, grands et petits, se levèrent quand il entra : « Soyez bienvenu ! » dit le Roi. — Grands mercis ! » répond le Loherain. Et quand ils furent rassemblés en conseil : « Sire roi, « dit Hervis, « je viens me réclamer de vous, à mon grand besoin. J’étais homme du roi Pépin, je tenais de lui mon fief et ma terre ; il m’a fait vilainement défaut ; les Sarrasins sont devant ma cité de Metz ; accordez-moi le secours qu’il me refuse, et nous les mettrons à néant. — J’en parlerai, » dit Anséis. Et prenant aussitôt à conseil plusieurs de ses barons : « Que me conseillez-vous, seigneurs ? Voilà le Loherain Hervis qui vient me demander aide : ne dois-je pas faire ce qu’il désire ? — Sire, » répondent les barons, « vous ne devez pas l'éconduire ; mais si nous recevons dommage en allant avec lui, quelle récompense en aurons-nous ? » Le Roi revint alors vers Hervis : » Entendez-moi, beau sire duc, nous voulons bien aller avec vous, mais quel fruit nous reviendra-t-il de la chevauchée ? »

Le Duc répondit : « Roi , si vous m’aidez, je prétends désormais tenir de vous Metz et ma terre. De plus, vous y aurez droit à deux mangers par an. — Voulez-vous m’en tenir sûr ? — Volontiers » et soudain, en présence de barons, le Roi baisa Hervis qui lui jura d’être son homme à l’avenir, et de tenir de lui son fief de Metz.

IX - MORT D HERVIS — GARIN ET BEGON A LA COUR DE PEPIN.

Avant de prendre congé, Hervis tint conseil avec Anséis. Il fut convenu que le Duc rassemblerait au plus tôt les hommes de son lignage, et que le roi de Cologne arriverait avec les siens sans retard. Hervis marqua Anserville pour le rendez-vous commun ; c’est une ville à quatre lieues de Metz. On comptait dans son ost trois cents chevaliers à écus, et dans celui d’Anséis quatre cents, rassemblés dans les montagnes aiguës qui ferment le val de Metz. Le Duc, averti de leur arrivée, convient avec Anséis de commencer l’attaque. Il fond, au point du jour, sur le camp des Sarrasins ; la foudre n’est pas plus rapide : malheur à ceux qui l’attendent ! les Païens fuient devant lui à qui mieux mieux ; ils sont poursuivis durant trois heures. Mais dans cette chasse il arriva qu’un carreau, lancé de loin, vint frapper le Duc en pleine poitrine ; la plaie fut grande et mortelle. On vint l’apprendre à Anséis : « Roi, tout est perdu , c’en est fait d’Hervis ; il ne restera rien de vos conventions. — « Ecoutez, répond le Roi, « ce qu’il faut faire : ne perdez pas un moment, entrez dans la ville ; emparez-vous des forts et saisissez-vous des portes. »

Ceux de Metz, ne pouvant retenir les Allemands, se contentent de crier : « Trahis ! trahis ! » Berengier, le maître de Garin et de Begon, entend la clameur, se hâte de faire monter les enfants sur deux bons chevaux, sort de la ville et les conduit à Châlons chez le bon évêque Henri, leur oncle, Ils en furent hautement recueillis, et restèrent là plus de sept années, tandis que le roi de Cologne retenait la cité de Metz , car personne ne songeait à la lui redemander.

Garin et Begonnet grandirent, élevés sous les yeux de l'évêque Henri ; c’étaient les plus beaux enfants du monde. Un jour de Pentecôte, fête solennelle, Pépin tenant cour à Montloon, Henri résolut d’y conduire ses deux neveux, il arriva dans la ville, et, dès qu’ils eurent mangé, allèrent voir Pépin qui leur fit grand accueil : « Ces enfants, » dit-il, qui sont-ils ? — Sire, ils sont fils de mon frère Hervis, que les Sarrasins tuèrent devant Metz, au grand deuil de toute Gaule ; retenez-les, Sire, en souvenir de leur bon père qui nous avait bien servi ; ainsi ferez-vous que gentil. — « Très volontiers, » dit le Roi ; « venez avant, Hardré : voici, par Dieu, chose étrange : on m’amène les enfants du Loherain Hervis, dont Anséis de Cologne a saisi la terre ; je les garderai volontiers , si vous me le conseillez. — Vous avez bien dit, » répond Hardré ; « eux et mes deux fils seront copains. — Je les retiens donc, » reprit le Roi, et je les attache au service de mon corps. « 

L’Evêque prend congé du Roi et retourne à Châlons. Le petit Begon devint copain de Guillaume, Garinet le fut de Fromont, fils aîné d'Hardré. Le Roi les chérissait tous quatre ; surtout il avait pris en amour le petit Begon. Quand il dormait, Begon étendait sur lui la couverture, et quand il se levait, l’enfant lui présentait l’eau et le bassin doré. S’il allait chasser en bois, il fallait que Begon le suivît et portât son arc. Un jour Pépin était dans la forêt de Senlis : après avoir pris trois cerfs, il s’était endormi ; le petit Begonnet, assis à son côté, lui essuyait le visage d’un bliaud de samit. Voilà qu’au moment de son réveil, un messager arrive de Gascogne, entre sous la tente du Roi, le salue et parle ainsi . « Le Dieu de vérité vous sauve, Sire ! je suis envoyé vers vous par ceux de Gascogne ; le preux et gentil comte Yves est mort. » Le Roi, attristé de ces nouvelles, lui accorda le dernier regret : « Vous fûtes à la male heure, franc chevalier ; vous étiez de mes grands amis. — « Sire, » dit Hardré, « c’est la loi commune ; il faut laisser le mort à la mort, et penser aux vivants. Donnez le fief du comte Yves à quelqu’un dont vous connaissiez la « fidélité. — Vous avez bien dit, » fait le Roi, et regardant le jeune Begon : « Approchez, ami, je vous octroie le fief de Gascogne. — Grands mercis. Sire ! » Ce disant, il tomba aux genoux du Roi, recueillit le don et devint son homme-lige. De plus, Pépin voulut que Garin et lui fussent sénéchaux de toute la France. Il en pesa durement à plusieurs, et surtout au vieux Hardré : « Sire, » dit-il, « le don que vous venez de faire causera bien des maux ; ma race est de la terre bordeloise, vous auriez dû penser à mon fils. — Que Fromondin, » dit le Roi, « n’ait pas de regrets : si Dieu me donne vie, il aura la première terre qu’il estimera de sa convenance, parmi celles qui me reviendront. — Je ne me plains donc pas, » répondit Hardré.

A quelque temps de là, un messager, arrivant de Thierache, vint annoncer au Roi que les Flamands d’outre-Rhin avaient mis le siège devant Montloon. Pépin n’eut pas la nouvelle pour agréable. « Sire, » dit alors Begon, « nous sommes en âge de porter nos armes ; faites quatre chevaliers de mon frère Garin, de Froment, de Guillaume et de moi. Nous en avons grand désir. — J’y consens, » répondit le Roi. Et demandant aussitôt des armes et de riches vêtements, il commença par adouber Garin, puis Begon, puis Fromont et Guillaume. Riche fut la distribution de vair et de gris, et grande fut la fête. Après le manger on sortit du palais, les nouveaux chevaliers montèrent leurs coursiers, prirent les écus et longuement béhourdèrent. Begon, dont l’écu était enluminé d’or fin, fournit sa course avec la sûreté rapide du faucon empenné. Tous disaient, vieux et jeunes, qu’il était le plus beau des hommes et que s’il vivait il serait grandement prudhomme. Après le behourd, ils revinrent à l’hôtel de Begon, le vin fut demandé, puis l’on se sépara pour aller dormir.

L’Empereur fit, le lendemain, sceller ses lettres et mander ses barons. On réunit soixante mille hommes. L’enseigne de saint Denis fut confiée à Garin ; Begon, comme sénéchal, eut la charge de ranger et distribuer les batailles. Ils arrivent devant Soissons et dressent leurs tentes le long des prés où, de tous côtés, les denrées arrivent. De Soissons. ils atteignent Bruières où campait l’armée ennemie. Le Roi fait armer ses hommes, on se prépare à combattre. Vingt mille chevaliers s’élancent sous la conduite de Garin, de Begon, de Fromont et de Guillaume. Le choc est rude, les Flamands ne le peuvent soutenir ; ils lâchent pieds de tous côtés, laissant un grand butin aux vainqueurs. Le premier honneur de la journée fut donné à Begon, qui, au retour, ne voulut pas entrer au partage de l’échec. On avait résolu de passer en Flandres, à la poursuite des vaincus, quand les Flamands vinrent s’humilier devant le Roi. « Ayez de nous merci, gentil Roi, » criaient-ils, « ne portez pas la ruine et le ravage sur nos terres ! » Le Roi ne voulait rien entendre, mais le duc Begon : « Sire, » dit-il, « laissez-vous fléchir. Qui demande humblement merci doit l’obtenir. Dieu, qui doit nous sauver tous, le commande. « Le Roi s’apaisa et consentit à la paix, et tous disaient de Begon : « Si celui-là vit, il comptera parmi les héros. Puisse-t-il avoir un jour grand pouvoir ! »

Alors Garin s’adressa au Roi : « Sire, écoutez ma cla meur. Le roi Anséis retient mon héritage ; il occupe la terre que j’aurais à garder. Cependant le fief relève de vous et c’est à vous de le garantir envers et contre tous. — Voici, » dit Hardré, « ce qu’il convient de faire : ne donnons pas congé à l’ost, conduisons-le devant Metz pour répondre au désir de Garin ; quand nous y serons, vous avertirez le roi Anséis d’abandonner le pays ; s’il refuse, nous ne reviendrons qu’après avoir abattu la grande tour. — Soit ainsi que vous proposez ! » dit le Roi.

L’ost est averti de se mettre en chemin vers Châlons ; la charge de l’enseigne est donnée à Fromondin. On passe Châlons, on arrive à Verdun, on aperçoit la tour de Metz. Tout aussitôt on environne la ville, on en forme le siège. De son côté, le duc Hardré invite les barons du pays à venir conférer avec lui. Quand ils sont arrivés : « Francs chevaliers, » leur dit-il, « veuillez m’entendre : vous fûtes jadis les hommes du duc Hervis ; vous ne devez pas mentir votre foi à l’égard de ses deux fds Garin et Begon. Remettez la terre et le pays entre leurs mains. » Les chevaliers, après en avoir conseillé avec le commun de la ville, tombant d’accord de faire la volonté du Roi, et Garin, devenu duc de Metz, montra sur-le-champ sa gentillesse. Il manda les gens du roi Anséis, les fit revêtir de robes neuves, et les renvoya honorablement dans leur pays. Pendant que le roi de Cologne les recueillait avec joie, Garin prenait la féauté de tous les hommes de son père, le bon duc Hervis. LIVRE I VALPROFONDE ET LAON

I LES QUATRE ROIS EN MAURIENNE.

Ici commencent les récits merveilleux. Les Quatre rois ont passé les ports d’Espagne ; ils se répandent en Quercy, en Auvergne, mettent le siège devant Arles, étendent leurs ravages jusqu’en Maurienne. Le roi Tierri prend le parti d’envoyer ses messagers au roi de Trance ; c’était le preux Joffroi fils de Gaudin, et deux autres chevaliers. Ils quittent Valprofonde, traversent Lyon et ne s'arrêtent qu’à Cluni pour demander nouvelles de Pépin. On leur dit qu’il tient sa cour à Langres, entouré des deux Loherains, d’Hardré et de Fromondin et Guillaume, les fils d’Hardré. Arrivés à Langres, ils montent les degrés du palais, comme le Roi se mettait au manger. Joffroi parla pour Page:Garin Le Loherain.djvu/38 Page:Garin Le Loherain.djvu/39 Page:Garin Le Loherain.djvu/40 Page:Garin Le Loherain.djvu/41 Page:Garin Le Loherain.djvu/42 Page:Garin Le Loherain.djvu/43 Page:Garin Le Loherain.djvu/44 Page:Garin Le Loherain.djvu/45 Page:Garin Le Loherain.djvu/46 Page:Garin Le Loherain.djvu/47 Page:Garin Le Loherain.djvu/48 Page:Garin Le Loherain.djvu/49 Page:Garin Le Loherain.djvu/50 Page:Garin Le Loherain.djvu/51 Page:Garin Le Loherain.djvu/52 Page:Garin Le Loherain.djvu/53 Page:Garin Le Loherain.djvu/54 Page:Garin Le Loherain.djvu/55 Page:Garin Le Loherain.djvu/56 Page:Garin Le Loherain.djvu/57 Page:Garin Le Loherain.djvu/58 Page:Garin Le Loherain.djvu/59 Page:Garin Le Loherain.djvu/60 Page:Garin Le Loherain.djvu/61 Page:Garin Le Loherain.djvu/62 Page:Garin Le Loherain.djvu/63 Page:Garin Le Loherain.djvu/64 Page:Garin Le Loherain.djvu/65 Page:Garin Le Loherain.djvu/66 Page:Garin Le Loherain.djvu/67 Page:Garin Le Loherain.djvu/68 Page:Garin Le 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