Plon-Nourrit et Cie (2p. 240-242).


XLV


Le lendemain, Lancelot ne tarda guère à parvenir à la chapelle Morgane. Le valet qui attendait Galessin s’y trouvait encore : il lui apprit ce qui était arrivé. Et Lancelot franchit aussitôt la muraille d’air.

Après avoir vaincu les quatre dragons, il arriva au pont étroit que défendaient les deux chevaliers. Il ôta de son cou la courroie de son écu qu’il tint seulement par les poignées, et fit mine de courir sur la planche. À cette vue, le chevalier à la lance frappe de toutes ses forces, mais Lancelot cède au coup qu’il détourne en lâchant son écu, lequel tombe dans l’eau avec la lance qui s’y était engagée ; puis il court sus aux deux champions et les tue.

Devant lui, il aperçut alors un escalier défendu par un mur de feu qu’il traversa, puis par trois chevaliers armés de haches, dont il abattit deux ; ce que voyant, le troisième s’enfuit, poursuivi de chambre en chambre, et finit par se cacher sous un lit où dormait une belle dame. Lancelot donne du pied au lit si lourdement qu’il le renverse et la dame dessous, puis il se jette sur le couard et lui coupe le cou ; après quoi il revient à la dame et lui dit en lui offrant la tête :

— Demoiselle, voici l’amende de l’outrage que ce chevalier me força de vous faire.

C’était Morgane. Elle poussa un grand cri.

— Maudite soit l’heure où vous naquîtes pour faire de telles diableries !

— Ha, demoiselle, qu’avez-vous dit ! Ce que j’ai fait, c’est pour abattre la mauvaise coutume de céans.

— Et qui êtes-vous donc ?

— J’ai nom Lancelot du Lac.

— Honni soyez-vous d’être venu en ce pays ! Et honnie soit la dame qui de vous est aimée si fidèlement !

Comme elle disait ces mots, un de ses sergents vint lui annoncer que toutes les issues étaient ouvertes et que cent chevaliers pour le moins étaient déjà partis. Et Galessin le suivait, avec les trois autres compagnons de la Table ronde, qui tous quatre firent grande joie à Lancelot.

— Sire chevalier, lui dit Morgane, vous avez fait mal et bien : mal aux dames et demoiselles que vous avez privées de leurs amours et de leur bonheur, car elles ne seront jamais si aises qu’elles l’étaient en ce val où leurs amis retenus ne les pouvaient laisser ; bien aux chevaliers qui ont repris par vous leur liberté. Cependant, je vous prie de rester ici jusqu’à demain, avec ces seigneurs, et au matin vous aurez vos armes et vos chevaux.

À quoi Lancelot consentit.