Plon-Nourrit et Cie (2p. 224-226).


XXXIX


À midi passé, ils arrivèrent devant une cité toute close de murs noirs, et quand ils en eurent franchi la porte, qui était ouverte, ils entrèrent dans des ténèbres profondes, car tout était aussi obscur qu’à six lieues sous terre. Ils descendirent ; le valet prit dans sa main une chaîne qui s’allongeait à travers la nuit, et tous deux avancèrent, tirant leurs chevaux par la bride. Ils traversèrent un lieu vaguement éclairé d’où s’élevait une très douce odeur : c’était un cimetière ; puis ils parvinrent à la porte d’une église d’où sortaient une froidure et une puanteur horribles.

— Sire duc, dit le valet, voyez-vous cette petite lueur là-bas, à l’autre bout ? Celui qui pourra l’atteindre ramènera le jour et mettra fin à l’aventure. Or, faites ce que le cœur vous dit.

Sur-le-champ, Galessin embrasse son écu, dégaine son épée et avance à grands pas. Mais soudain il se sent frappé si rudement par une multitude d’épées et de masses invisibles, et en même temps à ce point pénétré par le froid et suffoqué par la puanteur, qu’il choit pâmé sur les dalles ; revenu à lui, il se traîne comme il peut vers l’entrée où il tombe à nouveau : et peu s’en fallut, à ce moment, que son cœur ne crevât, tant il était empli d’angoisse. Le valet le tira dehors et se hâta de lui ôter son heaume pour lui donner vent ; et, quand il eut repris ses sens, il s’écria que, pour le royaume de Logres, il n’accepterait pas de recommencer l’épreuve.

— Sire, lui dit l’écuyer, puisque vous n’avez pu achever cette aventure, allons nous héberger.

Tous deux revinrent sur leurs pas le long de la chaîne, menant en mains leurs chevaux, sortirent de la cité ténébreuse et gagnèrent la maison d’un vavasseur que le valet connaissait aux environs. Là Galessin s’enquit de la signifiance de tout cela.

— Sire, il y a eu dix-sept ans au carême, le sire de cette ville aimait une gentille femme et ne la put avoir à sa volonté, car elle était trop bien gardée. Un mercredi de la semaine sainte, tous deux assistèrent au service de Ténèbres, et, quand les cierges furent éteints, ils s’unirent charnellement. Mais le Saint-Esprit découvrit le crime qu’ils accomplissaient dans l’église et, depuis lors, les ténèbres ont envahi le bourg que l’on appelait Escalon l’Enjoué, et qui a nom maintenant Escalon le Ténébreux. Le cimetière toutefois a gardé sa clarté, parce que maints corps saints y gisent, dont nous pensons que les âmes sont devant Notre Seigneur Jésus-Christ. Et, si vous m’en croyez, vous demeurerez ici, car vos plaies ont grand besoin de médecin. Ne vous exposez pas au danger de la forêt voisine, ou vous y périrez.

Mais Galessin répondit qu’il ne renoncerait pas à sa quête, car mieux vaut mourir avec honneur que vivre avec honte. Et, le lendemain, il repartit en compagnie de l’écuyer.