Plon-Nourrit et Cie (2p. 213-214).


XXXIV


Or, la nuit même, Notre Sire prit une forte vengeance de la fausse Guenièvre, car tout son corps fut frappé de paralysie, hormis les yeux et la langue. Et bientôt son cœur commença de pourrir et sa poitrine de sentir si fort la pourriture, que nul n’eût pu durer dans sa chambre, n’eussent été les bonnes épices qu’on y mettait. Le roi Artus, qui l’aimait toujours, envoya chercher les plus sages mires qu’on put découvrir ; mais aucun ne sut d’où venait cette maladie. Et en peu de temps la fausse Guenièvre empira tellement que le roi, qui menait grand deuil, fit mander un prêtre pour la confesser. Ce fut frère Amustant, qui avait été longtemps chapelain du roi Léodagan de Carmélide.

— Dame, lui dit-il, vous gisez en une douloureuse prison, comme celle qui a perdu tout le pouvoir de son corps. Mais il n’est nul péché, pour vil qu’il soit, qui ne puisse être pardonné quand on s’en repent.

Alors elle lui confessa toute sa trahison d’un bout à l’autre et sans en rien cacher.

— Dame, dit le prud’homme, je vous donnerai une pénitence très légère au corps et très profitable à l’âme. Vous répéterez devant le roi et tous les barons ce que vous venez de me dire, et comment vous avez fait boire un philtre à monseigneur pour qu’il s’éprît de vous. Et ce sera honte au diable et honneur à Dieu.

Ainsi fit-elle. Et lorsqu’il entendit tout cela, le roi se signa plusieurs fois ; puis il demanda à ses barons quelle justice il convenait de faire de la fausse Guenièvre et de Bertolai le vieil, qui avaient bâti cette trahison. Tel fut d’avis qu’il fallait les brûler ; tel, les traîner ; mais frère Amustant conseilla de les enfermer dans un vieil hôpital, proche Bedingran. Et ils moururent là peu après.