Plon-Nourrit et Cie (2p. 149-151).


XVI


Le lendemain, Lionel arriva sur la terre du duc Escan de Cambenic. En passant près du château de Loverzep, il rencontra des gens qui allaient assister à un combat de justice entre deux champions, et il y fut avec eux. Curieux de bien voir, il poussa ses chevaux au premier rang, non sans bousculer quelque peu les gens d’une demoiselle. L’un d’eux lui dit de reculer ; mais il était si attentif au spectacle qu’il n’entendit même pas. Alors un chevalier saisit son roussin par le frein et le tira en arrière si rudement qu’il pensa renverser l’animal.

— Beau sire, que voulez-vous ? demanda Lionel en le regardant.

— Pour un peu, je vous donnerais de ce bâton sur la tête ! Tu es un trop malfaisant gars !

Là-dessus, Lionel de tirer son épée. Mais la demoiselle lui crie qu’il s’adresse à un chevalier.

— Je ne le toucherai donc pas, dit le valet en rengainant son arme, puisque je ne suis qu’écuyer. Mais, par la sainte Croix, s’il l’était comme moi, il payerait cher ses propos ! Sire chevalier, ajouta-t-il, regardez donc la bataille à votre aise. Pour moi, je vois souvent un meilleur preux que ces deux-là.

— Beau frère, répliqua l’autre en riant, quel est donc ce preux que tu vois si souvent ?

— Ne vous en chaille ! Car il vaudrait moins si vous le connaissiez. Mais, s’il vous tenait en champ clos, croyez que pour en être hors vous donneriez toute la terre de Galehaut.

Sur ces mots, il s’éloigna.

Or, messire Gauvain, qui passait par là, s’était arrêté, lui aussi, à regarder la bataille ; et, quand il entendit Lionel parler de la terre de Galehaut, il lui vint à l’esprit que ce valet pouvait connaître Lancelot du Lac. Aussi le suivit-il de loin durant quelque temps ; puis il le joignit et lui dit :

— Valet, je sais bien à qui tu appartiens : c’est à Galehaut, que je connais aussi bien que toi.

— Sire, qui êtes vous ?

— Je suis Gauvain, le neveu du roi Artus.

— Sire, je ne suis point à Galehaut.

— Peut-être ; mais n’en as-tu point des nouvelles ?

— Sire, si j’en sais, je n’en dois pas dire ; ne m’en demandez pas davantage.

— Certes, je ne voudrais te pousser à la déloyauté. Mais ne peux-tu m’apprendre, au moins, s’il est en Sorelois ?

— Sire, s’il y était, vous n’iriez pas aisément vous-même : on ne pénètre dans ce pays-là que par deux ponts, défendus chacun par un chevalier. Voilà tout ce que je puis vous dire.

Et le valet prit congé.

Peu après il parvint à Logres, où la reine lui fit grande fête quand elle sut qu’il était cousin germain de Lancelot et neveu du roi Ban de Benoïc. Et, en même temps que lui, la nouvelle arriva que les Saines et les Irois étaient entrés en Écosse où ils gâtaient tout le pays. Sur-le-champ, le roi Artus envoya des messagers à ses barons afin qu’ils se rendissent dans la quinzaine aux plaines sous la Roche aux Saines. Alors la reine pria Lionel de dire à Lancelot qu’il s’y trouvât avec Galehaut, mais secrètement ; et, afin qu’elle pût reconnaître son ami, elle lui manda de porter à son heaume une manche de soie vermeille, qu’elle remit au valet pour lui, et de prendre un écu à bande blanche ; en outre, elle lui envoya en présent le fermail qu’elle avait au cou, sa ceinture, son aumônière et un riche peigne dont les dents étaient pleines de ses cheveux. Chargé de tout cela, Lionel se remit en route. Mais le conte ne dit plus rien de lui à présent, et retourne à parler de monseigneur Gauvain.