Géorgie Américaine. Indiens Chérokées


GÉORGIE AMÉRICAINE.

INDIENS CHÉROKÉES[1].

Le conseil général de la tribu résolut, dans sa dernière session, d’envoyer une députation au président des États-Unis, pour lui faire des remontrances contre les empiétemens de la Géorgie sur son territoire. À son arrivée à Washington, cette députation remit à M. Adams une protestation formelle contre les prétentions de cet État. Le président ne jugea point la question assez importante pour en faire l’objet d’un message spécial au congrès, et les députés découragés se disposaient à retourner dans leurs foyers, lorsqu’ils reçurent (18 août) du secrétaire de la guerre une réponse fort peu

satisfaisante. Ils avaient atteint le but qu’ils s’étaient proposé en portant leurs griefs à la connaissance du congrès et du peuple américain ; et comme l’argumentation du secrétaire de la guerre, en faveur des prétentions de la Géorgie à une partie du territoire des Chérokées, n’invalidait nullement, à leur avis, les droits de ceux-ci, ils ne crurent point devoir y répondre, et partirent pour la Nouvelle-Èchota.

Telle était l’état des choses, lorsque le 14 octobre le chef Suprême Ross, qui avait accompagné la députation, procéda à l’ouverture de la session du conseil général de 1829.

« Amis et concitoyens, dit-il, comme représentans du peuple chérokée, vous êtes de nouveau assemblés en vertu de l’autorité constitutionnelle de la nation. Le droit sacré de nous réunir en conseil général, pour veiller aux intérêts et pourvoir au bien-être de nos compatriotes, est un des plus grands bienfaits que nous ayons reçus du régulateur Suprême de l’univers ; ce droit nous l’avons toujours exercé en notre qualité de peuple indépendant, et il nous a été reconnu par le gouvernement des États-Unis, qui a bien voulu nous tirer des ténèbres de l’ignorance et de la superstition pour nous initier aux arts de la vie civilisée. »

Ross rend ensuite compte des démarches infructueuses tentées par la députation auprès du gouvernement général ; puis il énumère les griefs des Chérokées contre les Géorgiens, et les spoliations et vexations de tous genres exercées par les blancs contre les paisibles Chérokées des frontières, pour les contraindre à leur abandonner leurs propriétés et à se retirer dans l’intérieur. Abordant ensuite la prétention que la Géorgie a formée à une partie de leur territoire qu’elle dit avoir acquise du chef creek Mackintosh, par le traité d’Indian Springs, il en combat la validité par des faits irrécusables. « Il existe, dit-il, aux archives des États-Unis, de nombreux documens publics pour prouver au monde que ces terres sont le patrimoine des Chérokées. La délimitation entre les possessions des Creeks et des Chérokées, a été fixée de manière à ne pouvoir s’y méprendre : elle est même consignée en termes exprès dans des traités conclus avec les États-Unis, auxquels la Géorgie a donné son assentiment et qu’elle a depuis exécutés. »

Le chef suprême adresse ensuite des reproches au gouvernement qui, au lieu d’expulser les intrus qui se sont violemment établis sur le territoire des Chérokées, excite au contraire ceux-ci, par l’intermédiaire d’agens secrets, à céder leurs terres à des citoyens de l’Union et à se retirer sur l’Arkansas. « Il est indispensable, ajoute-t-il, que vous preniez de promptes mesures pour déposséder les individus qui ont usurpé les terres des émigrans. Ce droit vous est garanti par le huitième article du traité de Holston, conclu en 1791 avec les États-Unis, où il est expressément stipulé que les citoyens de l’Union qui s’établiraient sur le territoire chérokée, renonceraient à la protection des États-Unis et seraient justiciables des lois chérokées. »

Nous sommes à la veille d’une crise, dit-il en terminant, qui décidera du sort définitif de notre nation. Il s’agit de l’existence et du bonheur du peuple chérokée, qui tous deux sont à la merci du gouvernement des États-Unis. Fions-nous à sa bonne foi et à sa magnanimité. Sa politique a toujours été libérale et en harmonie avec ses principes républicains. Il a pris l’engagement solennel de nous rendre justice et de nous accorder sa protection. Nos traités avec le cabinet de Washington sont basés sur les principes de la constitution fédérale, et tant que nous vivrons en paix et en bonne intelligence, la nation chérokée et le gouvernement peuvent seuls les changer légalement. Tout dépend de notre union et de notre ferme détermination de maintenir les droits dont nous avons toujours joui ; et, dans la délibération des mesures que vous jugerez convenables d’adopter pour leur conservation, je vous invite à procéder avec toute la solennité que leur grande importance exige. Mais si contre notre attente les États-Unis, au mépris de la foi jurée, nous refusent leur protection, nous retirent le droit de nous gouverner nous-mêmes, et nous dépouillent de nos terres, alors nous pourrons justement nous écrier, dans l’amertume de notre ame, qu’il n’y a plus de refuge pour nous ici bas. Pourquoi en effet les États-Unis seraient-ils plus justes et plus sincères envers nous, quand ils nous auront déportés dans les plaines arides de l’occident, que lorsque nous occupions l’héritage qui nous avait été légué par le grand auteur de notre existence ? »

De son côté, l’État de Géorgie est résolu, quelle que soit la décision du président, à expulser les Chérokées de son territoire, ou à les forcer de reconnaître ses lois. Le gouverneur Forsyth, dans son discours à l’ouverture de la législature de l’État (novembre), s’explique à cet égard en termes assez formels. Après avoir rappelé les résolutions que l’assemblée avait prise dans sa dernière session, relativement à ces indigènes, l’orateur annonce que le président, à qui elle avait adressé un message pour l’inviter, conformément à la convention de 1802, à faire sortir les Chérokées de son territoire, avait répondu qu’il croyait devoir se dispenser d’offrir une opinion sur la question du titre des Géorgiens. « Il recommande, ajoute le gouverneur, de s’abstenir d’avoir recours à la violence et de nommer une commission spéciale qui serait chargée d’examiner les prétentions de l’État aux terres en litige. Nous ne pouvons nous opposer à une investigation jugée nécessaire pour justifier l’expulsion des Indiens ; mais, à mon avis, la Géorgie dérogerait à sa dignité, si elle se présentait en qualité d’adversaire des Chérokées devant une commission, quelque recommandables qu’en fussent les membres par leur intégrité ou l’importance de leurs services. M. Forsyth observe ensuite que la démarche tentée auprès du président est contraire au droit qu’a l’État de prononcer en pareille matière sans avoir recours à l’intervention du pouvoir exécutif ou législatif de l’Union ; « mais, poursuit-il, cette démarche étant faite et voulant nous conformer aux anciens usages, et montrer le désir que nous avons d’agir conjointement avec le gouvernement général, nous attendons tranquillement sa décision, quitte à prendre des mesures de précaution pour le cas où elle nous serait défavorable ; bien entendu que les Indiens résidant dans les limites de notre territoire devront tous reconnaître l’autorité de la législature géorgienne au 30 juin prochain. »

Ainsi se complique chaque jour davantage la question de l’existence nationale de ces indigènes. Leur petite république est dans un état de fermentation difficile à décrire. Le conseil général, décidé à sévir contre les traîtres, décréta (24 octobre) « la peine de mort contre quiconque disposerait de ses terres sans l’autorisation de la nation. » Un chef octogénaire, nommé Tueur-de-Femmes, prononça à cette occasion un discours remarquable dans lequel il exhortait ses compatriotes à mourir les armes à la main pour la défense de leurs foyers. Une nouvelle députation est partie pour Washington ; mais après le discours du président, quel espoir peut-il rester aux malheureux Chérokées de conserver leur pays et leurs lois ?


  1. Voyez tome ier, page 331