Géométrie descriptive/Programme

Baudouin (p. 1-4).

PROGRAMME.


Pour tirer la nation française de la dépendance où elle a été jusqu’à présent de l’industrie étrangère, il faut, premièrement, diriger l’éducation nationale vers la connoissance des objets qui exigent de l’exactitude, ce qui a été totalement négligé jusqu’à ce jour, et accoutumer les mains de nos artistes au maniement des instrumens de tous les genres, qui servent à porter la précision dans les travaux et à mesurer ses différens degrés : alors les consommateurs, devenus sensibles à l’exactitude, pourront l’exiger dans les divers ouvrages, y mettre le prix nécessaire ; et nos artistes, familiarisés avec elle dès l’âge le plus tendre, seront en état de l’atteindre.

Il faut, en second lieu, rendre populaire la connoissance d’un grand nombre de phénomènes naturels, indispensable aux progrès de l’industrie, et profiter, pour l’avancement de l’instruction générale de la nation, de cette circonstance heureuse dans laquelle elle se trouve, d’avoir à sa disposition les principales ressources qui lui sont nécessaires.

Il faut enfin répandre parmi nos artistes la connoissance des procédés des arts, et celle des machines qui ont pour objet, ou de diminuer la main-d’œuvre, ou de donner aux résultats des travaux plus d’uniformité et plus de précision ; et à cet égard, il faut l’avouer, nous avons beaucoup à puiser chez les nations étrangères.

On ne peut remplir toutes ces vues qu’en donnant à l’éducation nationale une direction nouvelle.

C’est, d’abord, en familiarisant avec l’usage de la géométrie descriptive tous les jeunes gens qui ont de l’intelligence, tant ceux qui ont une fortune acquise, afin qu’un jour ils soient en état de faire de leurs capitaux un emploi plus utile et pour eux et pour la nation, que ceux même qui n’ont d’autre fortune que leur éducation, afin qu’ils puissent un jour donner un plus grand prix à leur travail.

Cet art a deux objets principaux.

Le premier est de représenter avec exactitude, sur des dessins qui n’ont que deux dimensions, les objets qui en ont trois, et qui sont susceptibles de définition rigoureuse.

Sous ce point de vue, c’est une langue nécessaire à l’homme de génie qui conçoit un projet, à ceux qui doivent en diriger l’exécution, et enfin aux artistes qui doivent eux-mêmes en exécuter les différentes parties.

Le second objet de la géométrie descriptive est de déduire de la description exacte des corps tout ce qui suit nécessairement de leurs formes et de leurs positions respectives. Dans ce sens, c’est un moyen de rechercher la vérité ; elle offre des exemples perpétuels du passage du connu à l’inconnu ; et parce qu’elle est toujours appliquée à des objets susceptibles de la plus grande évidence, il est nécessaire de la faire entrer dans le plan d’une éducation nationale. Elle est non-seulement propre à exercer les facultés intellectuelles d’un grand peuple, et à contribuer par-là au perfectionnement de l’espèce humaine, mais encore elle est indispensable à tous les ouvriers dont le but est de donner aux corps certaines formes déterminées ; et c’est principalement parce que les méthodes de cet art ont été jusqu’ici trop peu répandues, ou même presque entièrement négligées, que les progrès de notre industrie ont été si lents.

On contribuera donc à donner à l’éducation nationale une direction avantageuse, en familiarisant nos jeunes artistes avec l’application de la géométrie descriptive aux constructions graphiques qui sont nécessaires au plus grand nombre des arts, et en faisant usage de cette géométrie pour la représentation et la détermination des élémens des machines, au moyen desquelles l’homme, mettant à contribution les forces de la nature, ne se réserve, pour ainsi dire, dans ses opérations, d’autre travail que celui de son intelligence.

Il n’est pas moins avantageux de répandre la connoissance des phénomènes de la nature, qu’on peut tourner au profit des arts.

Le charme qui les accompagne pourra vaincre la répugnance que les hommes ont en général pour la contention d’esprit, et leur faire trouver du plaisir dans l’exercice de leur intelligence, que presque tous regardent comme pénible et fastidieux.

Ainsi il doit y avoir à l’école normale un cours de géométrie descriptive.

Mais comme nous n’avons sur cet art aucun ouvrage élémentaire bien fait, soit parce que jusqu’ici les savans y ont mis trop peu d’intérêt, soit parce qu’il n’a été pratiqué que d’une manière obscure par des citoyens dont l’éducation n’avoit pas été assez soignée, et qui ne savoient pas communiquer les résultats de leurs méditations, un cours simplement oral seroit absolument sans effet.

Il est donc nécessaire pour le cours de géométrie descriptive, que la pratique et l’exécution soient jointes à l’audition des méthodes.

Ainsi ceux des citoyens dont les études antérieures auroient été dirigées vers la géométrie, ou vers les autres sciences exactes, seront exercés dans des salles particulières aux constructions graphiques de la géométrie descriptive.

Les deux parties de cet art ont des méthodes générales, avec lesquelles les citoyens se familiariseront par l’usage de la règle et du compas, et sans lesquelles il seroit difficile qu’ils se missent en état de l’enseigner eux-mêmes.

Parmi les différentes applications que l’on peut faire de la méthode des projections il y en a deux qui sont remarquables, et par leur généralité, et par ce qu’elles ont d’ingénieux : ce sont les constructions de la perspective, et la détermination rigoureuse des ombres dans les dessins. Ces deux parties peuvent être considérées comme le complément de l’art de décrire les objets. On y exercera ces citoyens, parce qu’étant destinés à enseigner un jour les procédés de la géométrie descriptive, il est nécessaire qu’ils en connoissent toutes les ressources.

Ensuite on appliquera la méthode des projections aux constructions graphiques, nécessaires au plus grand nombre des arts, tels que les traits de la coupe des pierres, ceux de la charpenterie, etc.

Enfin le reste de la durée du cours sera employé, d’abord à la description des élémens des machines, afin d’en étudier les formes et les effets, et ensuite à celle des machines dont il est le plus important de répandre la connoissance, soit que les machines aient pour objet de donner au travail plus de précision et plus d’uniformité, soit qu’elles aient pour but d’employer à la production d’un certain travail les forces de la nature, et par-là d’augmenter la puissance nationale.