Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre XI

Garnier Frères (p. 392-394).

Chapitre XI - Funérailles du guerrier. — Convois des riches, coutumes, etc

Une noble simplicité présidait aux obsèques du guerrier chrétien. Lorsqu’on croyait encore à quelque chose, on aimait à voir un aumônier dans une tente ouverte, près d’un champ de bataille, célébrer une messe des morts sur un autel formé de tambours. C’était un assez beau spectacle de voir le Dieu des armées descendre, à la voix d’un prêtre, sur les tentes d’un camp français, tandis que de vieux soldats, qui avaient tant de fois bravé la mort, tombaient à genoux devant un cercueil. un autel et un ministre de paix. Aux roulements des tambours drapés, aux salves interrompues du canon, des grenadiers portaient le corps de leur vaillant capitaine à la tombe qu’ils avaient creusée pour lui avec leurs baïonnettes. Au sortir de ces funérailles on n’allait point courir pour des trépieds, pour de doubles coupes, pour des peaux de lion aux ongles d’or, mais on s’empressait de chercher, au milieu des combats, des jeux funèbres et une arène plus glorieuse ; et si l’on n’immolait point une génisse noire aux mânes du héros, du moins on répandait en son honneur un sang moins stérile, celui des ennemis de la patrie.

Parlerons-nous de ces enterrements faits à la lueur des flambeaux dans nos villes, de ces chapelles ardentes, de ces chars tendus de noir, de ces chevaux parés de plumes et de draperies, de ce silence interrompu par les versets de l’hymne de la colère, Dies irae ?

La religion conduisait à ces convois des grands de pauvres orphelins sous la livrée pareille de l’infortune : par là elle faisait sentir à des enfants qui n’avaient point de père quelque chose de la piété filiale ; elle montrait en même temps à l’extrême misère ce que c’est que des biens qui viennent se perdre au cercueil, et elle enseignait au riche qu’il n’y a point de plus puissante médiation auprès de Dieu que celle de l’innocence et de l’adversité.

Un usage particulier avait lieu au décès des prêtres : on les enterrait le visage découvert : le peuple croyait lire sur les traits de son pasteur l’arrêt du souverain Juge et reconnaître les joies du prédestiné à travers l’ombre d’une sainte mort, comme dans les voiles d’une nuit pure on découvre les splendeurs du ciel.

La même coutume s’observait dans les couvents. Nous avons vu une jeune religieuse ainsi couchée dans sa bière. Son front se confondait par sa pâleur avec le bandeau de lin dont il était à demi couvert, une couronne de roses blanches était sur sa tête et un flambeau brûlait entre ses mains : les grâces et la paix du cœur ne sauvent point de la mort, et l’on voit se faner les lis malgré la candeur de leur sein et la tranquillité des vallées qu’ils habitent.

Au reste, la simplicité des funérailles était réservée au nourricier, comme au défenseur de la patrie. Quatre villageois précédés du curé, transportaient sur leurs épaules l’homme des champs au tombeau de ses pères. Si quelques laboureurs rencontraient le convoi dans les campagnes, ils suspendaient leurs travaux, découvraient leurs têtes et honoraient d’un signe de croix leur compagnon décédé. On voyait de loin ce mort rustique voyager au milieu des blés jaunissants, qu’il avait peut-être semés. Le cercueil, couvert d’un drap mortuaire, se balançait comme un pavot noir au-dessus des froments d’or et des fleurs de pourpre et d’azur. Des enfants, une veuve éplorée, formaient tout le cortège. En passant devant la croix du chemin ou la sainte du rocher, on se délassait un moment : on posait la bière sur la borne d’un héritage, on invoquait la Notre-Dame champêtre au pied de laquelle le laboureur décédé avait tant de fois prié pour une bonne mort ou pour une récolte abondante. C’était là qu’il mettait ses bœufs à l’ombre au milieu du jour ; c’était là qu’il prenait son repas de lait et de pain bis, au chant des cigales et des alouettes. Que bien différent d’alors il s’y repose aujourd’hui ! Mais du moins les sillons ne seront plus arrosés de ses sueurs ; du moins son sein paternel a perdu ses sollicitudes, et par ce même chemin où les jours de fête il se rendait à l’église il marche maintenant au tombeau, entre les touchants monuments de sa vie, des enfants vertueux et d’innocentes moissons.