Génie du christianisme/Partie 1/Livre 1/Chapitre VI


CHAPITRE VI

Les Sacrements. — Le Baptême et la Confession.



Si les mystères accablent l’esprit par leur grandeur, on éprouve une autre sorte d’étonnement, mais qui n’est peut-être pas plus profond, en contemplant les sacrements de l’Église. La connoissance de l’homme civil et moral est renfermée tout entière dans ses institutions.

Le Baptême, le premier des sacrements que la religion confère à l’homme, selon la parole de l’Apôtre, le revêt de Jésus-Christ. Ce sacrement nous rappelle la corruption où nous sommes nés, les entrailles douloureuses qui nous portèrent, les tribulations qui nous attendent dans ce monde ; il nous dit que nos fautes rejailliront sur nos fils, que nous sommes tous solidaires : terrible enseignement, qui suffiroit seul, s’il était bien médité, pour faire régner la vertu parmi les hommes.

Voyez le néophyte debout au milieu des ondes du Jourdain : le solitaire du rocher verse l’eau lustrale sur sa tête ; le fleuve des patriarches, les chameaux de ses rives, le temple de Jérusalem, les cèdres du Liban, paraissent attentifs, ou plutôt regardent ce jeune enfant sur les fontaines sacrées. Une famille pleine de joie l’environne ; elle renonce pour lui au péché ; elle lui donne le nom de son aïeul, qui devient immortel dans cette renaissance perpétuée par l’amour de race en race. Déjà le père s’empresse de reprendre son fils, pour le reporter à une épouse impatiente, qui compte sous ses rideaux tous les coups de la cloche baptismale. On entoure le lit maternel : des pleurs d’attendrissement et de religion coulent de tous les yeux ; le nouveau nom de l’enfant, l’antique nom de son ancêtre, est répété de bouche en bouche ; et chacun, mêlant les souvenirs du passé aux joies présentes, croit reconnoître le vieillard dans le nouveau-né qui fait revivre sa mémoire. Tels sont les tableaux que présente le sacrement du baptême ; mais la religion, toujours morale, toujours sérieuse alors même qu’elle est plus riante, nous montre aussi le fils des rois dans sa pourpre, renonçant aux grandeurs de Satan, à la même piscine où l’enfant du pauvre en haillons vient abjurer des pompes auxquelles pourtant il ne sera point condamné.

On trouve dans saint Ambroise une description curieuse de la manière dont s’administroit le sacrement de baptême dans les premiers siècles de l’Église[1]. Le jour choisi pour la cérémonie étoit le samedi saint. On commençoit par toucher les narines et par ouvrir les oreilles du catéchumène, en disant Ephpheta, ouvrez-vous. On le faisoit ensuite entrer dans le Saint des Saints. En présence du diacre, du prêtre et de l’évêque, il renonçoit aux œuvres du démon. Il se tournoit vers l’occident, image des ténèbres, pour abjurer le monde, et vers l’orient, symbole de lumière, pour marquer son alliance avec Jésus-Christ. L’évêque faisoit alors la bénédiction du bain, dont les eaux, selon saint Ambroise, indiquent les mystères de l’Écriture : la création, le déluge, le passage de la mer Rouge, la nuée, les eaux de Mara, Naaman et le paralytique de la piscine. Les eaux ayant été adoucies par le signe de la croix, on y plongeoit trois fois le catéchumène en l’honneur de la Trinité, et en lui enseignant que trois choses rendent témoignage dans le baptême : l’eau, le sang et l’esprit.

Au sortir du Saint des Saints, l’évêque faisait à l’homme renouvelé l’onction sur la tête, afin de le sacrer de la race élue et de la nation sacerdotale du Seigneur. Puis on lui lavait les pieds, on lui mettoit des habits blancs, comme un vêtement d’innocence ; après quoi il recevoit dans le sacrement de Confirmation l’esprit de crainte divine, l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit de conseil et de force, l’esprit de doctrine et de piété. L’évêque prononçoit à haute voix les paroles de l’Apôtre : Dieu le Père vous a marqué de son sceau. Jésus-Christ, notre Seigneur, vous a confirmé ; il a donné à votre cœur les arrhes du Saint-Esprit.

Le nouveau chrétien marchoit alors à l’autel pour y recevoir le pain des anges, en disant : J’entrerai à l’autel du Seigneur, du Dieu qui réjouit ma jeunesse. À la vue de l’autel couvert de vases d’or, de flambeaux, de fleurs, d’étoffes de soie, le néophyte s’écrioit avec le Prophète : Vous avez préparé une table devant moi ; c’est le Seigneur qui me nourrit, rien ne me manquera, il m’a établi dans un lieu abondant en pâturage. La cérémonie se terminoit par le sacrifice de la messe. Ce devoit être une fête bien auguste que celle où les Ambroise donnoient au pauvre innocent la place qu’ils refusoient à l’empereur coupable !

S’il n’y a pas dans ce premier acte de la vie chrétienne un mélange divin de théologie et de morale, de mystères et de simplicité, rien ne sera jamais divin en religion.

Mais, considéré dans une sphère plus élevée, et comme figure du mystère de notre rédemption, le baptême est un bain qui rend à l’âme sa vigueur première. On ne peut se rappeler sans regret la beauté des anciens jours, alors que les forêts n’avoient pas assez de silence, les grottes pas assez de profondeur, pour les fidèles qui venoient y méditer les mystères. Ces chrétiens primitifs, témoins de la rénovation du monde, étoient occupés de pensées bien différentes de celles qui nous courbent aujourd’hui vers la terre, nous tous chrétiens vieillis dans le siècle, et non pas dans la foi. En ce temps-là la sagesse étoit sur les rochers, dans les antres avec les lions, et les rois alloient consulter le solitaire de la montagne. Jours trop tôt évanouis ! il n’y a plus de saint Jean au désert, et l’heureux catéchumène ne sentira plus couler sur lui ces flots du Jourdain, qui emportoient aux mers toutes ses souillures.

La Confession suit le Baptême, et l’Église, avec une prudence qu’elle seule possède, a fixé l’époque de la Confession à l’âge où l’idée du crime peut être conçue : il est certain qu’à sept ans l’enfant a les notions du bien et du mal. Tous les hommes, les philosophes mêmes, quelles qu’aient été d’ailleurs leurs opinions, ont regardé le sacrement de Pénitence comme une des plus fortes barrières contre le vice et comme le chef-d’œuvre de la sagesse. « Que de restitutions, de réparations, dit Rousseau, la confession ne fait-elle point faire chez les catholiques[2] ! » Selon Voltaire, « la confession est une chose très-excellente, un frein au crime, inventé dans l’antiquité la plus reculée. On se confessoit dans la célébration de tous les anciens mystères. Nous avons imité et sanctifié cette sage coutume : elle est très-bonne pour engager les cœurs ulcérés de haine à pardonner[3]. »

Sans cette institution salutaire, le coupable tomberoit dans le désespoir. Dans quel sein déchargeroit-il le poids de son cœur ? Seroit-ce dans celui d’un ami ? Eh ! qui peut compter sur l’amitié des hommes ? Prendra-t-il les déserts pour confidents ? « Les déserts retentissent toujours pour le crime du bruit de ces trompettes que le parricide Néron croyoit ouïr autour du tombeau de sa mère[4]. » Quand la nature et les hommes sont impitoyables, il est bien touchant de trouver un Dieu prêt à pardonner : il n’appartenoit qu’à la religion chrétienne d’avoir fait deux sœurs de l’innocence et du repentir.

  1. Ambros., de Myst. Tertullien, Origène, saint Jérôme, saint Augustin, parlent aussi du baptême, mais moins en détail que saint Ambroise. C’est dans les six livres des Sacrements, faussement attribués à ce Père, qu’on voit la circonstance des trois immersions et du touchement des narines que nous rapportons ici.
  2. Émile, t. III, p. 204 ; dans la note.
  3. Questions encycl., t. III, p. 234, article Curé de campagne, sect. II.
  4. Tacit., Hist.