Frissons/Conseils à une Saintongeaise

chez l’auteur (p. 23-26).
CONSEILS À UNE SAINTONGEAISE


Oui, si le destin m’eût fait naître femme,
Si j’avais votre âme,
Vos divins atours,
Je voudrais sans cesse, à fleur de Saintonge,
Peupler un beau songe
De charmants amours.


Je voudrais d’abord que de ma jeunesse
L’amant tout ivresse
Partageât le feu ;

L’amoureuse fleur, dont chacun raffole,
Ouvre sa corolle
Au papillon bleu.


À cet âge heureux, où tout vous convie,
On peut de la vie
Diriger l’esquif ;
J’irais par les mers chercher mon étoile,
Confiant ma voile
Au flot fugitif.


Je ne voudrais pas, — oh ! pour tout au monde —
Voir ma taille ronde
Charmer un seul jour
Ces dandys gommés qui sont tout pommade,
Et vont d’un ton fade
Vous faire leur cour.


Mais j’accorderais, dans un doux sourire,
À l’âme en délire
Un droit à l’espoir ;
Comme ma beauté j’aurais ma noblesse,
Et dans ma sagesse
Serait mon pouvoir.

Quand se montrerait l’élu de mon rêve,
Sans détour ni trève,
À cet homme heureux,
J’ouvrirais un cœur vaste comme l’onde
Limpide et profonde
Où plongent les deux.


Je dirais des chants, s’il en était digne,
Ainsi que le cygne
Qui parcourt l’azur ;
Pour mon âme en feu notre mariage
Serait le présage
D’un bonheur futur.


Avoir un enfant serait mon envie,
Pour charmer ma vie
Lorsque les hivers,
Traînant après eux leur sombre cortège,
Auraient de leur neige
Blanchi l’univers.


Que dit ce beau sein, pourquoi cette allure ?
Crois-moi, la nature,
Qui fit la beauté,

Voulut, chère enfant, dans un jet de flamme,
Enseigner à l’âme
La maternité.


Oh ! oui, n’est-ce pas, charmante fillette,
Tu vois inquiète
Poindre l’avenir ?
Sans doute il te montre un bonheur semblable,
Ton œil adorable
Pâlit le saphir.