Frisette
FRISETTE
VAUDEVILLE EN UN ACTE
représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 28 avril 1846.
COLLABORATEUR : M. LEFRANC
ACTEURS qui ont créé les rôles. | ||
GAUDRION, garçon boulanger. | M. | Luguet. |
FRISETTE, ouvrière en dentelles. | Mmes | Freinex. |
MADAME MÉNACHET, portière. | Moutin. | |
LA VOIX DE BARBAROUX | M. | Meunier. |
Scène PREMIÈRE.
Mamzelle Frisette, mamzelle Frisette ?
Hein ! quoi ?
Pardon de vous déranger. C’est moi, Barbaroux, le brasseur.
Qu’est-ce que vous voulez encore ?
Toujours la même chose, vous savez bien.
Ça ne se peut pas.
Pourtant, vot’ tante m’a dit que si…
Et moi, je vous dis que non. Bonjour, monsieur.
Au revoir, mamzelle, je reviendrai.
Encore !
Ce n’est pas vot’ dernier mot ; je reviendrai.
Ah ! par exemple, en voilà un qui est têtu !… j’ai eu beau lui dire vingt fois : « Jeune homme, vous m’ennuyez ;… jeune homme, je veux rester fille ;… jeune homme, je sais que vous avez des intentions pures ; mais j’ai juré une haine mortelle au sexe dont vous faites l’ornement… » C’est égal, il s’obstine… Il a trouvé le moyen de s’introduire chez ma tante la lingère, où je travaille… et, là, tous les jours le même refrain : « Ce n’est pas vot’ dernier mot, mamzelle… je reviendrai… » Et il revient… Voilà trois mois que ça dure… mais c’est comme s’il chantait. Plus souvent que je renoncerai à ma chère indépendance !
Vivre en liberté,
De sa jeunesse
Être maîtresse ;
Hiver comme été
Suivre toujours sa volonté,
Conserver son cœur,
Et, d’un œil moqueur,
Voir tout séducteur ;
Prendre pour tuteur
Sa joyeuse humeur,
Voilà le vrai bonheur.
Sans soucis, sans amour,
De peu je me contente ;
Le travail, chaque jour,
Vient me payer ma rente.
Mon avoir est léger ;
Mais faut-il obliger.
Que l’malheureux s’présente.
J’ai de quoi partager.
Vivre en liberté.
Etc.
Scène II.
Déjà levée, mamzelle Frisette ?
Oui… j’ai mal dormi… j’ai rêvé mariage.
Un joli rêve !
Dites plutôt un cauchemar… Quelle nuit !
J’avais pourtant changé le traversin de côté, comme vous me l’aviez recommandé !
Enfin !
Ah ! c’est que je ne suis pas encore au courant de vos petites habitudes… depuis trois jours seulement que vous êtes ici… Mais vous verrez, avec le temps, je m’y mettrai… je viendrai vous faire votre feu le matin, à sept heures… vous ne sortez qu’à huit… et, pour se lever, on est bien aise… et puis, le soir aussi… avant votre retour… parce que, quand on se couche… on n’est pas fâché…
Du tout, du tout !… faut être économe… je vous recommande même, à l’avenir, de ménager mon bois… il va trop vite… ce n’est pas une raison, parce que j’ai deux cheminées…
Soyez tranquille…
C’est comme la chandelle… le sucre…
On y aura l’œil.
Je suis très-mécontente… Hier au soir, en rentrant, j’ai trouvé ma chambre empestée de fumée de tabac !
Par exemple !
On dirait que, lorsque je n’y suis pas…
Ah ! je sais ce que c’est !…
Quoi donc ?
C’est… voilà ce que c’est… un voisin… au-dessus… et comme la fumée monte…
Elle sera descendue tout exprès pour moi.
Dame ! les maisons sont si mal jointes !… et puis, voyez-vous, dans un hôtel garni… on n’est jamais si bien… Pourquoi donc que vous ne vous mettez pas dans vos meubles, mamzelle ?
Pourquoi ? pourquoi ?… voilà une question !… Quand on gagne trente sous par jour et qu’on a des mois de nourrice à payer… vous croyez qu’il est facile… ?
Ah ! oui, je sais… ce pauvre enfant… C’est égal, ça vous fait honneur, ça, mamzelle… c’est un beau trait !
Allons, bon ! j’ai perdu mes épingles… Tenez, sur la pelote… une noire…
Voilà !…
Merci… Ah ! dites-moi… quel est donc ce monsieur que je rencontre tous les matins dans l’escalier ? il monte toujours quand je descends…
Un voisin.
Ah bien, il peut se flatter de me déplaire, celui-là… D’abord il est malhonnête, il chante toujours sous mon nez : « Malheur aux fâmes !… détestons les fâmes !… »
Et ça vous contrarie ?
Moi ? ça m’est bien égal !… il n’y aurait pas un seul homme sur terre…
Vous leur en voulez donc bien ?
Si je leur en veux !… Mère Ménachet, méfiez-vous-en, Je ne vous dis que ça… méfiez-vous-en !
Ah ! mon Dieu ! est-ce que mon mari… ?
Votre mari… votre mari est un homme, c’est tout dire.
Comment, si c’est un homme ?… je l’espère bien !
Tôt ou tard, il vous trahira !
L’imposture
Est dans sa nature ;
Tôt ou tard il vous trahira.
Et de vos douleurs se rira !
Mais d’un avenir aussi noir
Comment donc éviter l’épreuve ?
Hélas ! votre seul espoir
Est celui de devenir veuve !
Tôt ou tard, il vous trahira,
Etc.
Quoi ! vraiment il me trahira ?
L’imposture
Est dans sa nature ;
Quoi ! vraiment il me trahira,
Et de mes douleurs se rira ?
Scène ÏII.
A-t-on jamais vu ! prétendre que M. Ménachet… Allons donc !… c’te petite-là, avec sa rage de calomnier l’humanité, elle vous rendrait misantrophe ! Ah ! maintenant qu’elle est partie, cachons vite ses effets… car l’autre ne peut tarder à venir… C’est drôle, tout de même : deux locataires pour une seule chambre… c’est la faute des circonstances… (En scène.) Il y a trois jours, mademoiselle Frisette, une ancienne connaissance à moi, vient à ma loge : « Avez-vous quelque chose à louer ? — Toujours ! » que je lui réponds… Je n’avais rien, mais faut jamais renvoyer la pratique… Alors, je me dis : « Si je la mettais au no 7 ?… il est occupé par un garçon boulanger qui est à son travail toute la nuit et n’habite que le jour… Elle, elle est occupée toute la journée et n’habite que la nuit… ça pourra s’arranger, en attendant que le no 10 soye vacant… » Et, en effet, ça s’arrange à merveille !… » (Elle retourne à son travail.) Seulement, faut que j’engage Gaudrion, le boulanger, à ne pas fumer tant que ça… Voyons, ne nous embrouillons pas !… nous disons : le tablier, les bonnets, dans ce cabinet… (Elle indique le cabinet de gauche.), celui de mamzelle Frisette… de l’autre côté (Elle indique le cabinet de droite.), celui de Gaudrion. (Elle met le tablier et les bonnets dans le cabinet de gauche, sans sortir de scène.) Là !… (Elle ferme la porte et met la clef sous un vase placé sur la cheminée de gauche.) Grâce à ce petit déménagement quotidien, aucun d’eux ne se doute… Dieux !… seraient-ils furieux s’ils savaient… ils jetteraient des cris de feu !… Ah çà ! refaisons le lit, et n’oublions pas de changer le traversin de côté… Gaudrion veut avoir la tête par là… et mademoiselle Frisette par ici… S’ils étaient mariés, ça serait gênant tout de même ?
Scène IV.
En tous temps, en tous lieux,
Faisant notre martyre,
La femme est un vampire
Avec de jolis yeux.
Cachant sous sa faiblesse
Un vrai cœur de tigresse.
Sa joie et son plaisir
Sont de faire souffrir.
Mari que l’on victime.
Amant, souffre-douleur
Réunis dans l’abîme.
Répétez tous en chœur :
Détestons,
Maudissons
Les femmes
Et leurs trames.
Oui, malheur
Et douleur
À ce sexe enchanteur !
Vous voilà encore avec vos romances contre la plus belle moitié du genre humain !
Oh ! les femmes !… je voudrais les cribler, les torturer, les manger !… Les manger !… voilà mon ambition, mère Ménachet !
Oui, vous parlez comme ça… en attendant que vous resoyez amoureux !
Amoureux ? moi,… Gabriel Gaudrion amoureux ?… pas de ça !… ça brûle l’œil !
Bah ! bah !
Comment, bah ?… mais, si je me fais beau, mère Ménachet, si j’ai de la tenue, des manières… c’est pas pour leur agrément… Ah bien, oui !… c’est pour les faire languir, les faire souffrir, les faire jaunir !… À propos, quelle est donc cette petite pimbêche qui descend toujours quand je monte ?
Une voisine.
Ça ?… il n’est pas permis d’être laid comme cette fille-là !
Par exemple ! vous ne l’avez pas regardée…
La regarder ?… allons donc !
Eh bien, alors ?…
Je vous dis qu’elle est laide !
Mais…
Silence !… ou je donne congé !
Elle est affreuse… là !… D’abord, vous, toutes les femmes vous déplaisent… vous les détestez !…
Avec amour !
Et ça, parce que, dans les temps, vous avez eu des désagréments avec une péronnelle.
Ne parlons pas de ça !… ou plutôt, si, parlons-en !… ça me fait plaisir… ça m’agace… ça me remonte !… je l’aimais, celle-là !… J’allais l’épouser… imbécile ! quand, un jour, j’ai la preuve qu’un autre… un nommé Adrien…
Connu… vous m’avez déjà conté !…
Oui… je l’ai plantée là… net, sans explications… et je ne l’ai pas revue… je ne sais pas ce qu’elle est devenue… on m’a dit qu’elle était défunte… c’est bon, on ne lui en veut plus… mais à celles qui vivent !… À celles-là !… je leur ai juré une haine… d’Abd-el-Kader !… voilà !
Mais, monsieur !…
Silence ! ou je donne congé !
Ah ! par exemple !
C’est de l’injustice, abîmer ainsi notre sexe !
Est-c’permis ?
Moi, j’en suis.
Et cela me vexe !
À vingt ans, dit-on,
J’n’avais pas l’menton
Circonflexe,
Et d’la femm’, croyez-moi,
J’tiens encor l’emploi !
Je me crois en droit d’abîmer ainsi votre sexe !
C’est permis,
Et tant pis
Si cela vous vexe.
Vous femme ? allons donc !
Avec ce menton
Circonflexe,
Hâtez-vous, croyez-moi.
D’abdiquer l’emploi !
Scène V.
Vieille sorcière !… je parie qu’elle a fait ses farces autrefois.. sous le Consulat… Voyons, préparons mon déjeuner… deux pieds à la Sainte-Menehould… et une flûte… (il tire les pieds de sa poche et les montre au public.)Voici les pistolets de poche !… Article premier : faut allumer le feu. (Il prend une boîte d’allumettes sur la cheminée de gauche.) Il en reste une ?… Voilà qui est particulier !… j’ai acheté la boîte, il y a trois jours… {{di|(Il allume le feu.) C’est étonnant comme tout file dans mon ménage !… les allumettes, le bois, et la chandelle donc !… Remarquez que je n’y suis que le jour… j’avais acheté une chandelle le jour de l’an… je me disais : « Ça me fera l’année… » (Il montre le chandelier avec un petit bout de chandelle.) Voilà !… Paris, 5 janvier… Je m’en expliquerai avec la mère Ménachet… Ah ! maintenant, mon gril… mettons les objets sur le feu… là !… (Il bâille et étend les bras.) Tiens ! si je faisais un petit somme ?… quand on a passé la nuit… Ça va… Ah ! oui, mais, et les autres qui sont sur le feu… Bah ! la Providence les retournera ! (Il s’assoit sur le lit et se relève brusquement en poussant un cri.) Aïe !… qu’est-ce que c’est que ça ?… une épingle noire !… une épingle de femme !… ah ! pour le coup ! je m’en expliquerai avec la mère Ménachet !… (Il se couche et ferme les rideaux de l’alcôve. Il bâille, marmotte quelques mots et fredonne.) Sur l’air du tra la la la…
Scène VI.
Par exemple ! si je m’attendais… Le père nourricier de mon petit Gabriel, qui m’annonce que, sa femme étant malade, il a fallu sevrer l’enfant… et il me le ramène aujourd’hui… Pauvre chérubin ! je vais donc t’avoir là, près de moi ! J’allais bien le voir toutes les semaines !… le dimanche… mais ce n’était pas assez… j’ai été vite avertir ma tante qu’elle ne compte pas sur moi aujourd’hui… que je travaillerais chez moi… j’ai pris mon métier, et, maintenant, le pauvre chéri peut arriver quand il voudra… Ah ! en attendant, je vais toujours faire mon déjeuner… j’ai acheté ce qu’il faut… (Elle tire de son cabas une flûte et un boudin.) D’abord du feu !… (Prenant la boîte d’allumettes.) Ça ne sera pas long. (Elle l’ouvre.) Tiens !… il y en avait encore une !… (Regardant la cheminée.) Il est allumé !… (Voyant les pieds.) Qu’est-ce que c’est que ça ?… des pieds ?… Cette mère Ménachet est d’un sans-gêne !… Elle vient maintenant faire sa cuisine chez moi… et avec mon bois encore !… Attends, attends, je vais le faire chauffer ton déjeuner !… (Elle jette les pieds sur une assiette qui est sur la fontaine.) Tiens, le v’là ton vieux déjeuner ! (Elle met son boudin sur le gril.) À présent, mon couvert !… mes assiettes ?… ah dans le cabinet !
Entrez ! (Criant.) Entrez ! (Ouvrant ses rideaux.) Est-ce qu’on n’a pas frappé ? Ah ! mon Dieu ! et mes pieds ! ils doivent être grillés, rissolés !… (Il s’approche vivement de la cheminée.) Un boudin !… (Montrant le gril.) Est-ce que j’ai mis un boudin ? Sapristi ! c’est encore un tour de la Ménachet… Allons, allons, voilà un boudin qui demande à prendre l’air !… (Il le jette par la fenêtre de gauche.) V’lan !… Ah çà ! où a-t-elle fourré mes pieds ?… Ah bien !… sur la fontaine ! au frais !… Vieille Ménachet ! elle a mis mes pieds à l’eau ! (Il les remet sur le feu.) Vite ! mon couvert ! (Il place la table dans un autre sens que celui où elle était, et un peu plus près du milieu du théâtre.) Je vais lâcher la nappe ; ce n’est pas tous les jours Sainte-Menehould. (Il étend une serviette dessus.) Et ma fourchette, mon gobelet… ah ! dans le cabinet !…
Tiens ! est-ce que la table était là ?… c’est drôle ! je ne croyais pas avoir mis la nappe… (Elle arrange son couvert, et se dirige vers la cheminée.) Mon boudin doit être cuit… Encore les pieds ?… ah ! pour le coup !…
Arrêtez !
Un homme !
Une femme !
Mon antipathie !
Ma bête noire ! (Haut.) Qu’est-ce que vous demandez ?… c’est pas ici !…
Et vous ?
Tiens ! je suis chez moi !
Moi aussi !
Comme le mien !
Voilà ma quittance !
Voici la mienne !
C’est un peu fort !
Nous allons bien voir !
Mère Ménachet ! mère Ménachet ! (L’un à l’autre.) monsieur ! — Sortez, mamzelle !
AIR : Oh ! moment d’espérance. (Loi Salique.)
Moi ! vous céder la place !…
C’est à vous de sortir !
Vraiment de tant d’audace.
Je ne puis revenir !
Quelle rare insolence !
Me faire ici la loi !
M’imposer sa présence
Et s’installer chez moi !
Scène VII.
Mais d’où vient ce bruit ? (Les apercevant ensemble.) Ah ! mon Dieu !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Comment nommez-vous ceci ?
À qui cette chambre ?
Oui ! à qui ?… répondez !
Ne vous fâchez pas !… elle est…
À moi !
À moi !
À tous deux !
« À tous deux ! » quelle audace
Expliquez-vous, de grâce !
J’entends, quoi que l’on fasse,
seul’
Habiter chez moi !
seul
Cette chambre, je l’aime !
Ma surprise est extrême
Qu’on prétende, quand même,
Me faire ici la loi !
Pardonnez mon audace ;
Ici, de bonne grâce,
Chacun peut trouver place
Et se croire chez soi.
En suivant ce système,
D’un embarras extrême
Vous me sortez moi-même,
Et nul ne fait la loi !
Voilà ce que c’est : autrefois il y avait une cloison…
Mais elle n’y est plus !
Remettez-la, votre vieille cloison !
On peut la supposer.
Je vais me plaindre au propriétaire !
Je donne congé !
Mais vous allez me faire renvoyer !… Si vous vouliez seulement attendre jusqu à midi… il y a au-dessus le no 10 qui sera vacant…
Je le prends !
Moi aussi !
Tous les deux ?… alors, autant garder…
Du tout ! je prends le no 10 !
Accordé !
Allons, mamzelle Frisette, un peu de patience… allons monsieur Gaudrion… je viendrai vous avertir quand l’autre chambre sera prête.
Scène VIII.
Une femme !… chez moi !… comme c’est agréable !
Un homme dans ma chambre !… comme c’est gracieux !
J’en ferai une jaunisse, c’est sûr !
Ah çà ! est-ce qu’il va se promener longtemps comme ça ?… (Haut.) Au moins, monsieur, j’espère que vous n’avez pas l’intention de m’imposer votre société… vous paraissez plein de dispositions pour la promenade, et…
Il pleut.
Voulez-vous un parapluie ?
Merci, je ne sors pas… mais, si vous avez affaire… pas de façon !…
S’il croit que je vais le laisser… (Haut et s’asseyant à gauche.) Je reste.
Moi aussi !… (Il s’assoit sur le métier à dentelles et se relève vivement.) Les aiguilles à présent ! (Il jette le métier de côté.) Allons, ça devient gai ! (Haut.) Je vais déjeuner, je vais manger ma flûte et… et ma flûte !… (Il croque sa flûte avec rage.) Puisque vous avez jugé à propos de me priver de mon déjeuner…
Je ne vous demande pas ce que vous avez fait du mien.
Je l’ai secoué… par la fenêtre… Vous aimez le boudin ? Madame aime le boudin ?
Ah çà ! mais, je crois qu’il me parle !… (Haut.) Monsieur, je désire ne pas lier conversation avec vous.
Rassurez-vous, jeune bergerette… on s’empressera d’y correspondre… Tiens !… je vais fumer une pipe !
Comment !
Ça charme l’ennui… je vais fumer jusqu’à midi… Vous permettez ?…
Mais non, monsieur !
Merci !
Hum ! hum !… pouah !
Ah ! mais non !… permettez… on gèle ici !… Fenêtre s’il vous plaît !
Éteignez votre pipe !
Non !
Je laisse la fenêtre ouverte !
Allons, c’est bon !… on s’éteint !… (Il pose sa pipe. À part.) Chipie !… et dire qu’il y a des gens qui confectionnent des romances en faveur de ce sexe ! (Il fredonne son couplet.)
Détestons,
Maudissons
Les femmes
Et leurs trames !
(Frisette retourne sa chaise de façon à lui tourner le dos. — À part.) Elle est vexée…
Malbrouk s’en va-t-en guerre…
C’est égal ! elle chante… jaune… (Haut.) Brrr ! il ne fait pas chaud ici !… une idée !… si je me recouchais !… Bah !… je me recouche !…
Sur mon lit !
Vous pourriez dire le nôtre, charmante Elvire !…
Mais, monsieur !…
Ah ! c’est juste… j’oubliais… Vous attendez peut-être quelqu’un… un amoureux…
Un amoureux ?… Apprenez, monsieur, que je suis une fille sage…
Une rosière… en dentelles… c’est convenu.
Oui, monsieur, une fille honnête, rangée, vertueuse…
Scène IX.
Mademoiselle, c’est un enfant et un berceau qu’on apporte pour vous.
Ah ! je sais ce que c’est…
Un enfant !… Ah ! très-bien, soignée la rosière !
Viens, mon petit ange, mon enfant chéri !…
Ah ! bon, voilà le bouquet !… (Avec colère à Frisette.) Mademoiselle ! je n’ai pas loué une chambre au quatrième, au-dessus de l’entre-sol, pour qu’on vienne l’encombrer de meubles aussi désagréables !… un enfant, maintenant !… Mais, c’est laid ! mais, c’est malpropre !… ça m’incommode ! … (Au berceau, voulant le bousculer, mais arrêté par Frisette.) Veux-tu bien te taire !… Enlevez le marmot ! enlevez le marmot !
D’ici je veux qu’il sorte !
J’n’en veux pas pour voisin ;
S’il ne prend pas la porte,
J’lui fraye un autr’chemin !
Se fâcher de la sorte !
Ah ! quel méchant voisin !
C’est lui qui, de la porte,
Devrait prendre l’chemin.
Dans ce cabinet, pour vous plaire,
J’vais, monsieur, déposer l’enfant.
Tâchez d’y mettre aussi la mère,
Ça m’procur’ra double agrément.
D’ici je veux qu’il sorte,
Etc.
Se fâcher de la sorte,
Etc.
Scène X.
Oh ! les femmes !… tenez, les voilà, les femmes ! toutes menteuses !… toutes perfides, jusqu’à celle-là, qui voulait se faire passer pour une vertu… et qui est à la tête d’un mioche !…
Eh bien, qu’est-ce que ça fait ?
Comment, ce que ça fait ?
Si ce mioche n’est pas à elle…
Vous dites ?
Je dis… je dis la vérité…
Prrrout !
Elle m’a conté la chose… cet enfant, c’est un orphelin qu’elle a adopté…
Prrrout !
À la mort d’une cousine à elle, d’une nommée Louise Aubry.
Louise Aubry ?
Vous voyez donc bien qu’il ne faut pas la mépriser, c’te fille… et que, pour passer quelques heures avec elle sous le même toit, n’y a pas d’affront.
Scène XI.
Comment, cet enfant ?… l’enfant de Louise… mais alors… Que je suis bête !… puisqu’elle m’a trompé… puisqu’elle en a aimé un autre… c’est l’enfant de l’autre, quoi !… de cet Adrien !
Dors, Gabriel, dors, mon enfant !
Gabriel ! on lui a donné mon nom !… ah ! par exemple !… (Il remonte.) Tiens, mais… tiens, mais… au fait !… (Descendant.) pourquoi pas ?… qui sait ?… voyons donc !… en rapprochant les dates… ça se pourrait… Oh ! il faut absolument que je sache !…
Scène XII.
La voici… oui… mais comment lui demander ça ?… (Il tousse.) Hum ! hum !
Tousse, va !… si tu crois que je vais te répondre…
Voisine… (Frisette ne répond pas.) Voisine, c’est que… Tiens… c’est de la bouillie que vous faites là ?… pour le petit ?… ou pour… la petite ? hein ?… (Frisette ne répond pas. À part.) Ne pas même savoir le sexe !… (Haut.) Il paraît qu’il commence à manger ?… Quel âge a-t-elle ?
Il a son âge !
Il !… c’est un garçon !… bravo !… (Haut.) Dites donc, mamzelle ?… et le papa ?… qu’est-ce que vous en avez donc fait du papa ?
Ah çà ! mais, de quoi vous mêlez-vous ?… a-t-on jamais vu !…
Ah ! c’est que je vais vous dire… en le regardant, tout à l’heure… Gabriel… il m’a semblé reconnaître… oui… il a quelque chose d’ouvert entre le nez et le menton… je l’ai peut-être connu, moi, son papa…
Eh bien, vous avez connu quelque chose de gentil !… un mauvais sujet, un vaurien, un homme affreux !…
Parbleu !… l’Adrien en question !…
Ah ! si je le tenais, voyez-vous, ce Gaudrion !
Hein ?… vous dites ?…
Rien.
Pardon… vous avez dit… précisément, c’est bien ça… oui, un de mes camarades… un boulanger…
Un monstre, monsieur, qui a abandonné son enfant… qui…
Permettez… il avait peut-être à se plaindre de la mère… ça c’est vu, ça… il avait peut-être été trahi, trompé par elle…
Trompé par Louise ?… pas vrai !
Hein ?
Louise était une brave fille, incapable… (Se reprenant.) Ah çà ! mais je ne sais pas pourquoi j’irais vous dire..
Continuez…
Et si je ne veux pas, moi !… Est-ce que je vous connais ?… (Lui tournant le dos.) Je ne vous connais pas.
Puisque Gaudrion m’a tout conté.
À sa manière, sans doute… (Revenant à Gaudrion.) Mais voilà la vérité… au moment de l’épouser, cet affreux garnement prétexte un voyage… des affaires, disait-il… Elle, de son côté, pleine d’amour, de confiance, écrit à sa famille… l’engage à venir à Paris pour la noce… son frère arrive…
Son frère ?…
Oui, son frère, Adrien…
Adrien !
Elle lui cède une de ses deux chambres… dame ! les pauvres gens, ça se gêne…
Ah ! gredin que je suis !
Eh bien, monsieur, l’autre n’a plus reparu jamais ! c’est donc joli, ça ?… Oh ! les hommes !…
Allons, il n’y a plus à en douter… puisque l’autre est le frère, moi, je suis… (Avec un attendrissement comique.) J’ai un petit… Ah ! ça me fait un drôle d’effet, là ! J’ai envie de rire et je pleure !… j’ai envie de pleurer et… je ris…
Voilà qui est fait !
Vous allez lui porter… ah ! mamzelle, laissez-moi le voir, hein ?
Qui ça ?
Eh bien, le petit.
C’est ça… pour lui faire peur, avec vos gros yeux…
Oh ! laissez-moi le voir, hein ?
Mais qu’est-ce qui vous prend donc ?… Je croyais que vous n’aimiez pas les enfants ?
Moi ? je les adore !
Vraiment ?… En ce cas… (Ouvrant la porte du cabinet de gauche.) Chut !
Quoi ?
Il dort.
Qu’est-ce que ça fait ? pour l’embrasser !
Par exemple !… ça le réveillerait.
Cristi !
Chut donc !
On se tait, mon Dieu ! on se tait !… (Redescendant.) On dirait que vous en êtes jalouse, de cet enfant…
Eh bien, oui, j’en suis jalouse… je veux qu’il n’aime que moi… que moi seule.
Ah !… pourtant… il y a bien une autre personne…
Qui ça ?
Son père, par exemple !
Son père ?
Dame ! si un jour il venait le réclamer ?
Lui ?… Ah ! il serait bien reçu !
Pourtant, il a des droits… mon ami Gaudrion a des droits…
Aucun !
Je vous dis que si !
Je vous dis que non !
Ah ! mais…
Y a pas d’ah ! mais… c’est comme ça !… Et, puisqu’il faut tout vous dire… car vous êtes d’une curiosité !… eh bien, lorsque je me suis trouvée seule à côté de cette pauvre créature abandonnée qui tendait vers moi ses petites mains suppliantes, comme pour invoquer mon cœur… je me suis dit :
Allons, Frisette, allons, ma pauvre fille,
Du ciel il faut accomplir les arrêts ;
De cet enfant, sans appui, sans famille,
Tu ne peux plus t’éloigner désormais !
La Providenc’qui veut que tout’misère,
Rencontre un jour la pitié sur son ch’min
T’a confié les devoirs d’une mère
En te plaçant auprès d’un orphelin.
Ah ! mais c’est bien ça !
Et je l’ai adopté, c’t enfant, et je l’ai reconnu, et, pour qu’on ne puisse jamais me le reprendre, je l’ai fait inscrire sous mon nom.
Comment ?
Et, aujourd’hui, sa seule famille devant les hommes et devant la loi… c’est moi…
Il serait possible !
Vous pourrez dire ça de ma part à votre ami Gaudrion, quand vous le verrez ! ah !
Scène XIII.
Sapristi !… sapristi !… sapristi !… Eh bien, me voilà bien !… j’ai un fils et je n’en ai pas ! je le retrouve et le reperds presque en même temps !… C’est que je n’ai aucun moyen d’établir ma paternité… c’est elle qui est la mère, la vraie mère !… la loi est pour elle, et elle la connaît, la loi !… Elle est à cheval dessus, comme un vieux procureur ! Je ne peux pourtant pas laisser mon enfant, mon petit Gabriel, entre les mains d’une étrangère !… quand je suis là… si disposé à… Encore, si elle ne fermait pas la porte… Mégère, va !… Cerbère !… Mais, j’y pense !… il y aurait bien un moyen de me rapprocher de lui… ce serait de me rapprocher d’elle… de lui plaire, à elle… de lui faire la cour, à elle… La cour !… comme c’est agréable, quand on n’en a pas l’habitude !… Oh ! c’est égal ! pour mon fils… Allons, Gaudrion, mon ami, sois aimable, sois joli cœur… et marche, à travers les bosquets de Cythère à la conquête de ta progéniture !
À c’te p’tit’, qui me tient rigueur,
Comment donc parvenir à plaire ?
Voyons, que pourrais-je bien faire,
Pour arriver jusqu’à son cœur ?
Des vers… Oui, ça fait des victimes…
Mais je suis né ru’ Greneta,
Et ce n’sont qu’ les boulangers d’Nîmes,
Qui pétriss’nt de ces choses-là !
Si je m’improvisais ténor,
Si je lui chantais un’ romance ?
Près de la beauté ça vous lance…
Mais je chante comme un castor !
À ses yeux, pour avoir des titres,
J’voudrais quéqu’ chos’ de vif, de frais.
De très-frais… Tiens ! un’ douzain’ d’huîtres ?
Eh bien, non !… c’est encor mauvais !
Mais, parbleu ! voilà mon affaire !
Des fleurs… c’est très-fade et ça plaît ;
Il s’agit d’trouver un’ bouqu’tière
Oui m’cède à bas prix un bouquet.
J’dois en trouver un’, j’imagine,
Dans c’ quartier-ci…
J’aperçois là, chez la voisine,
Un bouquet qui flân’ dans un pot ;
Si je l’empruntais ?… Pourquoi pas ?
V’là comme on cueill’ la marjolaine !
J’le lui rendrai la s’main’ prochaine…
Il faut s’entr’aider ici-bas !
Scène XIV.
Il s’est rendormi !…
C’est elle… attention !… (Il s’avance vers elle son bouquet à la main, le lui présentant gauchement.) Mademoiselle… si vous voulez permettre… Il est l’emblème de vos vertus.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ça ?… c’est un bouquet. (De même.) Mademoiselle, si vous voulez permettre… il est l’emblème…
Ah ! ah ! ah !…
Eh ! eh ! eh !…
Que vous êtes drôle comme ça !
Hein ?… je suis… ? (À part.) Elle se moque de moi… c’est égal, du courage !… (Haut.) Dites donc, je vais le mettre sur votre cheminée… hein ?… voulez-vous ?
Des fleurs ! pour moi ?
Oui… j’ai pensé que ça vous serait agréable de vous trouver en famille.
Hein ?
Que c’est embêtant à dire, ces machines-là !… enfin !…
Il devient galant, à présent !
Là… avec un peu d’eau…
Prenez donc garde !… vous allez réveiller…
Ah ! il redort !… il dort trop !… Ah ! voilà un enfant qui dort trop ! C’est égal, il doit être bien gentil comme ça, hein ?
Je crois bien !… il est rose comme un petit chérubin !…
Ah ! mon Dieu ! dire que j’ai là, sous clef, un fils… rose… et que… (Prenant une chaise qu’il traîne négligemment jusqu’à une légère distance de Frisette.) Vous travaillez ?…
Faut bien faire son état… si je laissais chômer la dentelle… avec quoi le nourrirais-je, c’t amour ?
C’est juste… v’là un nouveau pensionnaire… faut un couvert de plus !
Ah ! ce n’est pas ça qui m’inquiète… parce que, si mes jours ne suffisent pas, je prendrai sur mes nuits donc !
Sur vos nuits ?… ah ! pauvre petite femme ! (Il la regarde.) Tiens ! tiens ! tiens !… (Haut.) Eh bien, voulez-vous que je vous dise… c’est très-bien, ce que vous avez fait… adopter comme ça une pauvre petite créature… se dévouer pour elle… je n’y avais pas pensé d’abord… mais c’est très-bien… c’est… (La regardant encore.) Tiens ! tiens ! tiens !
C’est tout naturel.
Eh bien, non !… ce n’est pas naturel… (s’asseyant.) Il y en a d’autres, à votre place et dans votre profession, qui auraient préféré courir les bals, les spectacles, les amoureux… tandis que vous ! vous travaillez jour et nuit, sans penser que ça peut vous rendre malade, vous rougir les yeux… avec ça qu’ils sont très-jolis, vos yeux !
Vous trouvez ?
Oh ! oui !… (Rapprochant sa chaise.) Dites donc !… c’est drôle, tout de même… ce matin, je ne pouvais pas vous regarder en face…
C’est comme moi.
Et, maintenant, je le peux… mais je le peux joliment.
Eh bien, c’est encore comme moi.
Vrai ? (À part.) C’est qu’elle est gentille à croquer !… Ah ! çà, j’étais donc un myope, moi, ce matin ?
Comme il me regarde !
Mamzelle… je fais une réflexion… Avez-vous quelquefois songé au mariage ?
Moi ? jamais !
Eh bien, c’est une bêtise !… (Frisette le regarde.) Pardon une faute… parce que, quand on a de la jeunesse, de la sagesse et de la gentillesse, faut pas garder tout ça pour le roi de… Danemark !… Pour lors, faut vous marier !
Y pensez-vous ?… d’abord, il y a un obstacle…
Où ça ?
Mais… là… dans ce cabinet…
Le bambin ?… et vous appelez ça… ? mais, au contraire, au contraire…
Comment ?
Certainement !… parce que les cancans, les ragots… Il y a des gens qui marchent là-dessus, et qui s’en flattent…
Oui… pour plus tard vous reprocher…
Ah ! fi donc !… Et puis, vrai, la… si vous aimez le petit !…
Si je l’aime !
Eh bien, dans son intérêt même… Primo, ça lui donne un père… au premier abord, ça ne semble rien… mais c’est très-utile dans la société… quand il sera grand, pour faire son chemin, faut un nom… sans ça, on végète, on vous regarde comme ça !…
C’est pourtant vrai !
Et puis vous ne pouvez l’élever toute seule… ce n’est pas pour vous humilier, mais… une ouvrière… ça ne gagne pas… épais…
J’ai des journées de deux francs, monsieur !
Là ! vous voyez bien !… deux francs !… une heure de fiacre !… v’là-t-y pas le Pérou !… Je vous défie bien avec ça de produire, dans le monde, autre chose qu’un raccomodeur de faïence !…
Ah ! pauvre enfant !
Tandis qu’en unissant son petit magot à celui d’un autre, d’un bon ouvrier… p’t-être ben qu’un jour on pourrait donner au mioche un métier choisi… conseiller d’État ou dentiste.
Vous avez peut-être raison.
Je crois ben !… du reste, je vous dis ça, moi… c’est pas un motif pour vous jeter à la tête du premier venu… Mais, si vous trouviez par hasard, sur vot’chemin, un de ces bons garçons, tout francs, tout ronds, avec un bon état… en ben, faudrait le prendre… Mamzelle… c’est une occasion… faudrait le prendre.
Dame ! je verrai… je réfléchirai…
C’est ça !… voyez, réfléchissez… Moi, je cours chez le bourgeois chercher ma semaine… je suis à sec !… Et puis, en même temps, j’ai une idée… une bonne idée… Adieu, mamzelle Frisette… nous recauserons de ça.
Adieu, monsieur… monsieur ?…
Ah ! mon nom ?… plus tard, je vous le dirai plus tard… oui, j’ai des raisons… des raisons… politiques… À bientôt, mamzelle, à bientôt ! (À part.) Ah ! je suis pincé !
Scène XV.
Ce pauvre garçon !… ce qu’il m’a dit… je n’y avais pas pensé… mais il a raison… l’avenir de mon Gabriel en dépend ! … que débouté, que de bienveillance dans toutes ses paroles !…
C’est bien drôle, cet effet-là !
À l’hymen je fus convertie ;
Il eut toute ma sympathie
Dès que mon voisin m’en parla.
Je n’aurais jamais cru cela !
Car toutes les fois, au contraire,
Que Barbaroux me l’conseilla
Mon cœur s’émut, se révolta ;
Je me mettais presque en colère.
C’est bien drôle, cet effet-là ! (Bis.)
Scène XVI.
Mamzelle, votre chambre est prête… le no 10… et quand vous voudrez…
C’est bien… merci… Dites-moi… vous connaissez ce jeune homme qui habite ici ?
Parbleu !…
Ah !… et il est bien ?
Comment, s’il est bien !… c’est une perle ! une fleur-des-pois… sage, rangé… je ne lui connais qu’un défaut…
Hein ?… il a un… lequel ?
Il ne peut pas souffrir les femmes !
Ah ! ce n’est que ça !… (À part.) Elle m’a fait une peur !… (Haut.) Je l’ai pourtant trouvé avec moi d’une complaisance, d’une amabilité…
Ah ! oui, une frime…
Hein ?
Faut pas s’y fier, allez, mamzelle ; pour les femmes, c’est un vrai serpent !
Comment ?
Oui, quelquefois il fait le gentil avec elles… le coquet… mais c’est pour mieux les abuser, le basilic !
Comment savez vous… ?
Par lui-même… ce matin encore, il me disait : « Les femmes, oh ! les femmes ! je voudrais les cribler… les torturer… les manger !… »
Il a dit ça ? Ah ! mon Dieu !
Voilà son caractère, à ce pauvre Gaudrion.
Gaudrion ?… il s’appelle ?…
Eh bien, oui, Gabriel Gaudrion…
Oh ! je comprends tout !… (Haut.) Madame Ménachet, réunissez à l’instant tout ce qui peut m’appartenir ici… mes robes, mes cartons… je ne veux pas rester une minute de plus !… (La poussant.) Tenez… là… dans ce cabinet… Allez, dépêchez-vous !
On y va… on y va… (sur le pas de la porte de gauche.) Qu’est-ce qu’elle a donc ?
Scène XVII.
Oui, je m’explique maintenant ce changement subit… ces soins, ces prévenances : c’était pour se rapprocher de son fils… Et moi, moi… je n’étais qu’un prétexte, un moyen… de rapprochement entre le père et l’enfant… Allons, il n’y faut plus penser… c’est dommage pourtant… Ce qu’il m’a dit m’avait presque décidée… oui, mais, si je reste fille, mon Gabriel… malheureux par ma faute ! Eh bien, mais… qui m’empêche de me marier à un autre ? il me semble que, si je voulais…, je n’aurais qu’un mot à dire… À Barbaroux, par exemple… Oui, c’est cela… c’est un honnête garçon, qui m’aime… je vais lui écrire… et, s’il consent à considérer mon fils comme le sien… À lui donner son nom… (Elle écrit.) Ce monsieur qui croit qu’il n’y a que lui !
Scène XVIII.
Tiens, je parie que c’est Barbaroux !
Mademoiselle Frisette !… mademoiselle Frisette !…
Juste !
Y êtes-vous ?
Oui, mais je n’ouvre pas… je m’habille.
Très-bien ! avez-vous réfléchi ?
Je suis en train.
Et vous consentez ?
Peut-être.
Vrai ?
À une condition.
Je l’accepte.
Mais vous ne savez pas encore…
Ça ne fait rien !
Tenez… lisez ça… ce sont les articles du contrat.
Ah ! mamzelle Frisette, mamzelle Frisette !… je me jette à vos genoux… en dehors !
Ça vous va ?
Je crois bien !… je cours à la mairie… je vais reconnaître le marmot, sur papier timbré… Ah ! mamzelle Frisette ! mamzelle Frisette !
Scène XIX.
Il m’aime, celui-là !… Allons, je serai madame Barbaroux et mon fils s’appellera M. Barbaroux… Tiens ! l’herboriste d’en face a un chien qui se nomme comme ça !… une bien bonne bête…
Ne vous dérangez pas… c’est moi… chargé comme un bazar… Tout ça, c’est pour le marmot !… Un biberon pour aujourd’hui, un hochet pour demain… un polichinelle, un tambour… et un Télémaque… pour plus tard… (Posant une chaise d’enfant, percée.) Ceci pour tout de Suite !… jeune homme, vous êtes servi !
Tout pour lui !… (Haut.) Mais, monsieur…
Puisque c’est pour le petit… Et puis, là, voyons… à la rigueur, je comprends que du premier venu on peut refuser… mais d’un futur…
Un futur ?
Tiens !… Bah ! oui, le mot est lâché !… Mamzelle Frisette, je vous demande votre main…
Inutile, monsieur… un tel sacrifice… maintenant que je sais qui vous êtes…
Comment ! vous savez ?…
Tout, monsieur Gaudrion !…
Ah ! j’y suis ! vous me détestez ! Vous me flanquez à la porte… Eh bien, c’est mal, mamzelle Frisette, parce que, voyez-vous, moi, je vous aimais de cœur, ce n’était pas venu tout de suite, mais enfin c’était venu… et j’aurais fait vot’bonheur, allez… j’en ai l’étoffe !
J’avais déjà fait mon petit château…
Je me disais : « La nuit, l’ pétrin m’réclame.
Je n’ pourrai pas veiller près du berceau,
Mais, en partant, j’y laiss’rai ma p’tit’ femme ;
Puis, accourant avec le jour,
J’viendrai r’lever ses factions maternelles ;
Nous échang’rons l’ mêm’ mot d’ordr’ tour à tour ;
Si bien qu’ l’enfant, dans son amour,
Confondra les deux sentinelles. »
Serait-il possible !
Mais n’en parlons plus !… Et, tenez, cet enfant, je l’aime !… c’est mon fils… mais je sens qu’il sera mieux avec vous qu’avec moi… Eh bien, gardez-le… gardez-le… Adieu !…
Comment ! il me laisse ?…
Seulement, je vous demanderai quelquefois la permisssion d’aller le voir, de vous porter mes économies… ça fait que je vous verrai en même temps, et… ça me consolera.
Mais alors, il m’aime ! (Haut.) Monsieur ?…
Plaît-il ?
Tenez, monsieur Gaudrion, vous êtes un bon garçon, et maintenant…
Achevez !…
Ah ! mon Dieu ! c’est impossible ! M. Barbaroux qui est à la mairie… et qui, dans ce moment, donne son nom… je ne puis pas le laisser là… avec un enfant sans femme. (Haut, à Gaudrion.) Monsieur Gaudrion… certainement je le regrette bien, mais… je ne puis vous épouser.
Pourquoi ça ?…
Chut !
Scène XX.
Mamzelle Frisette ! mamzelle Frisette !
C’est lui !
Qui ça ?
Je viens de la mairie…
Ah ! mon Dieu !
Ils m’ont répondu que ça ne se pouvait pas.
Hein ?
Parce qu’il y en a déjà un autre… qui est inscrit avant… il en sortait.
Un autre ! mais qui donc a osé… ?
Vous ne devinez pas ?
Vous ?
Et il paraît que j’ai bien fait de me presser… Les enfants sont très-demandés dans cet arrondissement.
Mamzelle… est-ce que vous avez du monde ?
Oui… je…
Mademoiselle est avec sa couturière !
Très-bien !… je reviendrai, mamzelle, je reviendrai…
Bien des choses chez vous.
Pauvre garçon !
Est-ce que vous m’en voulez d’être arrivé avant lui… là-bas ?
Bien au contraire car… (Baissant les yeux.) maintenant je suis libre.
Et moi donc !… et certainement, la liberté, c’est très-gentil… mais l’esclavage !… l’esclavage à deux… dans une petite chambre… à deux lits… en comptant le berceau… c’est infiniment plus (Bas.) récréatif !
Scène XXI.
Ah ! (Avec malice.) Mademoiselle prend-elle toujours la chambre ?
Certainement !
C’est que… d’après ce que… c’est-y pour le mois ou pour la quinzaine ?
Attendez… (Elle passe devant madame Ménachet et s’approche de Gaudrion.) Monsieur Gaudrion… en quinze jours, peut-on se marier ?
Je crois bien !
Je la prends pour quinze jours.
Vraiment ?… ah ! mamzelle ! (La prenant à part, — trémolo à l’orchestre jusqu’à la fin.) Mais, dites donc… quinze jours… c’est bien long !… d’ici là, s’il n’y a pas d’indiscrétion… je monterai quelquefois allumer ma veilleuse, hein ?
Monsieur…
Dame !… vous ne m’avez pas laissé d’allumettes !
Allons !… vous viendrez de temps en temps… tous les jours… voir votre fils… (Lui remettant la clef du cabinet de droite.) Tenez, allez l’embrasser !…
Pauvre chéri !… (S’arrêtant près de la porte, et se retournant.) Ah ! pardon… avant, je vous demanderai une permission.
Laquelle ?
Ce serait de commencer par ma femme !…
Sa femme !
Hein ?
Bonsoir, voisin !
Bonsoir, voisine !