Almanach du Père Peinard1894 (p. 29).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


FRIMAIRE



Frimaire a une sale frimousse, bondieu de bois ! Le soleil se bécote avec le Sagittaire, aussi le populo est-il obligé de s’agiter bougrement pour se réchauffer les abattis.

Sacré crampon de soleil ! Il nous montre sa tronche toute de travers, et ne nous chauffe qu’en biseau… Faut de l’aplomb pour appeler ça « chauffer » ! C’est si peu que les étrons en gèlent.

C’est qu’aussi le chameau d’hiver n’a pas attendu son ouverture pour faire des siennes : il a devancé l’appel !

En Frimaire, les mois seront aussi rétrécis que la jugeote des grosses légumes : ce sont les plus courts de l’année. À cela, les purotins n’y verront goutte : les jours sans pain étant tous d’une longueur abominable.

Encore quelques tours de cadran, et voici la fin de l’année crétine : un brin d’empiétement sur Nivôse, et ça fera le joint !

Les gosses jubileront ! Bonhomme Noël n’est pas loin : par la cheminée, il versera dans leur petit godillot une kyrielle de bricoles… à condition que la maman soit un tantinet argentée.

Hélas, combien n’auront pas cette veine ! Combien passeront leur hiver sans jamais voir de bûche dans l’âtre, encore moins à Noël que les autres jours,… et ça, parce qu’ils n’ont pas d’âtre !

Ah, l’Hiver ! quel grand mangeur de pauvre monde : ce qu’il a tôt fait de déquiller les prolos, c’est rien de le dire ! On croirait l’entendre ronchonner : « Puisque vous êtes trop nigauds pour vous caler les joues, c’est moi qui vous bouffe ! »

Mais, voici que dans le grisâtre du soir on entendra des gueulements de cochon qu’on saigne… Eh oui, foutre ! Pour la Noël, on va s’empiffrer de boudin.

Quel boudin ?… Sera-ce celui du porc gras à lard qui, depuis une enfilée de siècles s’engraisse de la vie du populo ?

L’heure serait donc enfin sonnée où les mistoufliers trouveront trop coriaces les briques à la sauce aux cailloux ?

Ah, mille marmites, si c’était vrai, j’en ferais des bonds de cabri !