Frankenstein, ou le Prométhée moderne (trad. Saladin)/19
CHAPITRE XIV.
« Telle était l’histoire de mes chers voisins. J’en fus profondément frappé. J’appris même, en comparant les positions de la vie sociale qu’elle développait, à admirer les vertus de cette famille, et à détester les vices de l’espèce humaine.
» Cependant le crime me paraissait un mal dont j’étais loin. La bienveillance et la générosité étaient toujours devant mes yeux, et m’inspiraient le désir de devenir acteur dans cette scène active où tant d’admirables qualités étaient déployées et mises en jeu. Mais en faisant le récit des progrès de mon intelligence, je ne dois pas omettre une circonstance qui remonte au commencement du mois d’août de la même année.
» J’étais allé un soir, suivant ma coutume, dans le bois voisin, où je ramassais ma nourriture, et d’où je rapportais du bois pour mes protecteurs. Je trouvai par terre un portemanteau de cuir, qui contenait plusieurs articles d’habillement et quelques livres. Je m’en emparai avec empressement, et je revins avec ma prise dans ma cabane. Heureusement les livres étaient écrits dans la langue dont j’avais appris les élémens à la chaumière ; c’étaient le Paradis perdu, un volume des Vies de Plutarque, et les Passions de Werther. Je ressentis la joie la plus vive de posséder ces trésors. Je me mis à étudier avec ardeur, et j’exerçais mon esprit sur ces histoires, pendant que mes amis se livraient à leurs occupations ordinaires.
» J’aurais peine à vous décrire l’effet de ces livres. Ils me présentèrent une infinité de nouvelles images et de nouveaux sentimens, qui me remplissaient quelquefois de ravissement, mais qui plus souvent me jetaient dans la plus profonde affliction. Dans Werther, dont l’histoire simple et touchante offre déjà beaucoup d’intérêt, on examine tant d’opinions, et on répand tant de lumières sur ce qui avait été précédemment obscur pour moi, que j’y trouvai une source intarissable de réflexions, et de nombreux motifs d’étonnement. Les habitudes douces et domestiques qu’il décrivait, les nobles sentimens et les sensations dont il parlait, et qui se portent vers un autre objet que soi-même, s’accordaient bien avec l’expérience que j’avais acquise parmi mes protecteurs, et avec les besoins qui naissaient pour toujours dans mon sein ; mais Werther lui-même me parut un être plus divin qu’aucun de ceux que j’avais vus ou imaginés : son caractère était exempt de prétentions ; mais il était réfléchi. Les discussions sur la mort et le suicide étaient propres à me remplir d’étonnement. Je ne prétendais pas juger la question ; mais j’inclinai vers les opinions du héros dont je pleurai la fin, sans la comprendre précisément.
» Cependant, en lisant, je faisais une application plus personnelle à mes propres sensations et à mon état. Il me parut que j’avais quelque ressemblance, et en même temps une étrange différence avec les êtres dont je lisais l’histoire, et ceux dont j’écoutais la conversation. Je sympathisais avec eux, je les comprenais en partie, mais je n’avais pas l’esprit formé ; je ne dépendais de personne, je n’avais de rapport avec qui que ce fût. Je pouvais librement cheminer vers la tombe ; personne ne devait venir verser des pleurs sur ma cendre. Mon extérieur était hideux, et ma stature gigantesque : Que devais-je en penser ? Qui étais-je ? Qu’étais-je ? D’où venais-je ? Quelle était ma destinée ? Ces questions revenaient sans cesse, sans que je pusse les résoudre.
» Le volume des Vies de Plutarque, qui était tombé entre mes mains, contenait les histoires des premiers fondateurs des anciennes républiques. Ce livre fit sur moi une impression entièrement différente de celle que j’avais éprouvée en lisant Werther. Les rêveries de ce jeune Allemand m’avaient appris à connaître le désespoir et les passions ; Plutarque me montra de hautes pensées. Il m’élevait au-dessus de la sphère bornée de mes propres réflexions, à un point où je pouvais admirer et aimer les héros des siècles passés. Il y avait, dans ce que je lisais, beaucoup de choses qui étaient au-dessus de mon intelligence et de mon expérience. J’avais une connaissance très-confuse des royaumes, des vastes continens, des grandes rivières et des mers sans limites ; mais je ne connaissais nullement les villes, ni les grandes réunions d’hommes. La chaumière de mes protecteurs était la seule école où j’eusse étudié la nature humaine ; Plutarque me développa des actions nouvelles et plus fortes. En lisant l’histoire de ces hommes versés dans les affaires publiques, qui gouvernaient ou massacraient leurs semblables, je sentis naître en moi un ardent amour de la vertu, et une profonde horreur du crime ; termes dont je ne comprenais pas bien la signification, mais qui, selon moi, n’avaient d’autre rapport qu’au plaisir et à la peine. Ces sentimens me portèrent naturellement à admirer les législateurs pacifiques, tels que Numa, Solon et Lycurgue, de préférence à Romulus et Thésée. La vie patriarchale de mes protecteurs contribua à graver fortement ces impressions dans mon esprit. Il se peut cependant qu’elles eussent été toutes différentes, si j’eusse été initié au monde par un jeune soldat, passionné pour la gloire et le carnage.
» Le Paradis perdu excita des émotions tout autres et bien plus profondes. Il en fut de cet ouvrage comme des deux autres, qui étaient tombés entre mes mains ; je le pris pour une histoire véritable. Je me sentis agité par tous les sentimens d’étonnement et de crainte, que devait exciter la peinture d’un Dieu tout-puissant en guerre avec ceux qu’il avait créés. Souvent je m’appliquais à moi-même diverses situations, qui offraient un rapport frappant avec la mienne. Selon toute apparence, j’avais été créé, comme Adam, sans tenir en rien à un être vivant ; mais d’un autre côté, son état était bien différent du mien. Il était sorti des mains de Dieu, parfait, heureux et prospère. Il restait sous la garde même de son créateur ; il pouvait lui parler, et s’instruire en communiquant avec des êtres d’une nature supérieure : moi, j’étais malheureux, sans appui, et seul. Plus d’une fois, je considérai Satan comme l’emblème le plus fidèle de ma condition ; souvent en effet, en voyant le bonheur de mes protecteurs, je me sentais, comme lui, rempli d’un sentiment d’envie.
» Une autre circonstance me confirma dans l’opinion que j’avais de moi-même. Peu de temps après mon arrivée dans la cabane, je découvris quelques papiers dans la poche du vêtement que j’avais emporté de votre laboratoire. Je les avais d’abord négligés ; mais maintenant que je pouvais déchiffrer les caractères qui y étaient tracés, je me mis à les étudier. C’était un journal écrit par vous, et relatif aux quatre premiers mois qui précédèrent ma création. Vous décriviez avec un soin minutieux chaque opération qui concourait au progrès de votre ouvrage ; vous mêliez à cette histoire le récit des évènemens qui avaient rapport à votre famille.
» Vous vous souvenez sans doute de ces papiers. Les voici. Rien n’est omis de ce qui a rapport à mon origine maudite ; toutes les circonstances qui l’ont amenée, quelque dégoût qu’elles offrent, y sont fidèlement conservées : la description la plus minutieuse de mon odieuse et dégoûtante personne y est tracée dans des termes qui peignaient votre horreur même, et rendaient la mienne ineffaçable. J’étais dans une souffrance affreuse en lisant ces notes. « Jour odieux où je reçus la vie, m’écriai-je avec désespoir ! Maudit Créateur ! Pourquoi as-tu formé un monstre si hideux, que toi-même tu t’en es éloigné avec dégoût ? Dieu a fait l’homme beau, agréable, et à son image ; ma forme présente aussi une ressemblance avec la tienne ; mais une ressemblance horrible, plus horrible même par la ressemblance. Satan avait ses compagnons, ses diables, pour l’admirer, pour l’encourager ; et moi, je suis solitaire et détesté ».
» Telles étaient mes réflexions pendant mes momens de désespoir et de solitude ; mais, revenant à contempler les vertus des habitans de la chaumière, leur caractère aimable et bienveillant, je me persuadais que, lorsqu’ils connaîtraient mon admiration pour leurs vertus, ils auraient compassion de moi, et ne feraient pas attention à ma difformité personnelle. Pourraient-ils éloigner d’eux un être monstrueux, il est vrai, mais qui implorait leur compassion et leur amitié ? Je résolus, du moins, de ne pas désespérer, et, à tout événement, de me préparer à une entrevue qui déciderait de ma destinée. Je retardai cet essai de quelques mois ; car le succès était assez important pour m’inspirer la crainte de ne pas réussir. Du reste, j’acquérais tant d’expérience chaque jour, que je ne voulus commencer cette entreprise, qu’après avoir ajouté quelques mois de plus à ma sagesse.
» Je remarquai, pendant ce temps, plusieurs changemens dans la chaumière. La présence de Safie répandait le bonheur, et même plus d’abondance, parmi les personnes qui l’environnaient. Félix et Agathe donnaient plus de temps à leurs amusemens et à leurs causeries ; et ils étaient aidés dans leurs travaux par des domestiques. Ils ne paraissaient pas riches, mais ils étaient contens et heureux ; leurs sentimens étaient paisibles, tandis que les miens devenaient de jour en jour plus tumultueux. Le progrès de mes connaissances ne servait qu’à me montrer plus clairement dans quelle affreuse position j’étais placé. J’entretenais l’espérance, il est vrai ; mais elle s’évanouissait toujours, au moment où je voyais ma personne réfléchie dans l’eau, ou mon ombre à la clarté de la lune : faible image, ombre inconstante, dont je m’effrayais moi-même !
» Je m’efforçai de bannir ces craintes, et de m’affermir pour l’épreuve que j’avais intention de subir dans quelques mois. Quelquefois je laissais mes pensées s’abandonner au délire, et errer dans les plaines du paradis ; j’osais me représenter ces êtres bons et aimables, sympathisant avec mes sentimens et dissipant ma tristesse ; je croyais voir leurs figures angéliques sourire pour me consoler. Rêves insensés ! Une Ève n’adoucissait pas mes chagrins, ne partageait point mes pensées ; j’étais seul. Je me souvenais de la prière qu’Adam adressa à son créateur ; mais où était le mien ? Il m’avait abandonné, et, dans l’amertume de mon cœur, je le maudissais.
» L’automne se passa ainsi. Je vis, avec surprise et chagrin, les feuilles décroître et tomber, et la nature reprendre cet aspect stérile et froid qu’elle présentait, lorsque je vis pour la première fois les bois et la lune bienfaisante. Cependant, je ne fis pas attention à la température froide de la saison ; j’étais plus propre, par mon organisation, à endurer le froid que la chaleur ; mon plus grand plaisir était de voir les fleurs, les oiseaux, et tout le cortège enchanteur de l’été. Privé de ces agrémens, je tournai davantage mon attention vers les habitans de la chaumière. L’absence de l’été n’avait pas diminué leur bonheur. Ce bonheur était de s’aimer et de se convenir ; il ne dépendait que d’eux-mêmes, et n’était pas interrompu par ce qui se passait autour d’eux. Plus je les voyais, plus j’avais le désir de réclamer leur protection et leur amitié ; mon cœur avait besoin d’être connu et aimé de ces intéressantes créatures ; toute mon ambition se bornait à voir leurs doux regards tournés avec affection vers moi. Je n’osais penser qu’ils les détourneraient avec mépris et horreur. Le pauvre, qui s’arrêtait à leur porte, n’était jamais repoussé. Je demandais, il est vrai, des trésors bien plus grands qu’un peu de nourriture ou du repos ; je prétendais à l’amitié, à la sympathie, et je ne m’en croyais pas tout-à-fait indigne.
» L’hiver approchait, et une révolution complète des saisons avait eu lieu, depuis que j’étais animé par la vie. Mon attention, à cette époque, fut tournée entièrement vers le plan que je m’étais formé, et qui était de m’introduire dans la chaumière de mes protecteurs. Je conçus une foule de projets ; mais celui auquel je m’arrêtai, fut d’entrer dans leur habitation au moment où le vieillard aveugle serait seul. J’avais assez de sagacité pour deviner, que ma laideur hideuse et surnaturelle était le principal objet d’horreur pour ceux qui m’avaient vu précédemment. Ma voix, quoique dure, n’avait rien de terrible ; je pensai donc que si, pendant l’absence de ses enfans, je pouvais obtenir la bienveillance et la médiation du vieux de Lacey, je parviendrais, grâce à lui, à être toléré par mes plus jeunes protecteurs.
» Un jour, le soleil brillait sur les feuilles rougeâtres dont la terre était jonchée, et inspirait la gaîté, sans répandre la chaleur ; Safie, Agathe, et Félix partirent pour faire une longue promenade dans la campagne, et le vieillard, qui avait exprimé le désir de ne pas les accompagner, resta seul dans la chaumière. À peine ses enfans étaient-ils partis, qu’il prit sa guitare, et joua plusieurs airs d’une mélancolie douce, plus douce même qu’aucun de ceux que j’avais entendus auparavant. Sa figure était d’abord animée par le plaisir, mais bientôt elle exprima la méditation et la tristesse ; enfin, le vieillard mit l’instrument de côté, et resta absorbé dans ses rêveries.
» Mon cœur palpitait avec force ; c’était l’heure, le moment de l’épreuve, qui devait confirmer mes espérances, ou réaliser mes craintes. Les domestiques étaient allés à une fête voisine. Tout était silencieux au dedans et autour de la chaumière : l’occasion était excellente ; cependant, au moment où j’allais mettre mon plan à exécution, je sentis mes forces défaillir, et je tombai à terre. Je me relevai ; je m’armai de toute la fermeté dont j’étais capable, et j’écartai les planches que j’avais placées devant ma cabane, pour cacher ma retraite. L’air frais me ranima, je m’affermis de nouveau dans ma détermination, et je m’approchai de la porte de ma chaumière.
» Je frappai. « Qui est là, dit le vieillard ? Entrez ».
— « Excusez-moi, lui dis-je, je suis un voyageur qui a besoin d’un peu de repos, et que vous obligeriez beaucoup, si vous vouliez permettre qu’il restât quelques minutes devant le feu ».
— « Entrez, dit de Lacey, et je chercherai à vous soulager, mais, malheureusement, mes enfans sont sortis ; car je suis aveugle, et je crains qu’il ne me soit difficile de vous offrir quelque nourriture ».
— « N’en soyez pas en peine, mon généreux hôte, je n’en ai pas besoin ; je ne réclame qu’un peu de chaleur et de repos ».
» Je m’assis, et il y eut un moment de silence. Je savais que chaque minute m’était précieuse ; cependant j’étais indécis sur la manière dont je commencerais l’entretien, mais le vieillard me tira d’embarras en disant : « Étranger, je suppose, à votre langage, que vous êtes mon compatriote ; êtes-vous Français » ?
— « Non ; j’ai été élevé par une famille Française, et je ne comprends que la langue de ce pays. Je vais, en ce moment, réclamer la protection de quelques amis que j’aime sincèrement, et dont j’espère obtenir l’amitié ».
— « Sont-ils Allemands » ?
— « Non, ils sont Français. Mais changeons de conversation. Je suis une créature malheureuse et abandonnée ; je regarde autour de moi, et je n’ai ni parent, ni ami sur la terre. Ces aimables gens, que je vais trouver, ne m’ont jamais vu, et ne me connaissent que sous bien peu de rapports. Je suis rempli de crainte ; car, si je ne réussis pas auprès d’eux, je dois m’attendre à être un rebut pour le reste des hommes ».
— « Ne désespérez pas. Vivre sans amis, c’est assurément vivre malheureux ; mais le cœur de l’homme qui est dégagé de tout intérêt particulier, ne renferme qu’amour fraternel et charité. Ayez donc confiance ; et, si ces amis sont bons et aimables, ne perdez pas courage ».
— « Ils sont bons, il n’en est pas qui soient meilleurs ; mais, malheureusement, ils sont prévenus contre moi. J’ai un bon naturel ; jusqu’ici ma vie a été innocente, et quelquefois bienfaisante ; mais les personnes, dont je vous parle, sont aveuglées par un préjugé fatal, et, au lieu de voir en moi un ami bon et sensible, elles ne voient qu’un monstre détestable ».
— « C’est un malheur, j’en conviens ; mais, si vous n’avez aucun tort, ne pouvez-vous pas les détromper » ?
— « Je vais l’essayer ; et c’est cette tentative même qui m’accable de tant de terreur. J’aime tendrement ces amis ; sans être connu d’eux, j’ai pu pendant plusieurs mois connaître les attentions journalières qu’ils se prodiguent mutuellement ; mais ils croient que je veux leur nuire, et c’est ce préjugé que je désire détruire ».
— « Où demeurent ces amis » ?
— « Près d’ici ».
— « Le vieillard garda le silence un moment, et dit : « Si vous voulez me confier sans réserve les détails de votre histoire, je vous serai peut-être utile pour les détromper. Je suis aveugle, et ne puis vous juger sur votre figure ; mais il y a dans vos paroles un accent qui me garantit votre sincérité. Je suis pauvre et exilé, mais ce sera un véritable plaisir pour moi de pouvoir, en quelque manière, rendre service à une créature humaine ».
— « Homme excellent ! Je vous remercie, et j’accepte votre offre généreuse. Votre bonté me rassure ; votre secours me permet d’espérer, que je ne serai pas chassé de la société de vos semblables, ni privé de leur intérêt ».
— « Dieu vous en préserve, quand bien même vous seriez criminel ; car ce malheur seul pourrait vous conduire au désespoir, et vous éloigner de la vertu. Moi aussi je suis malheureux, ma famille a été condamnée, et elle était innocente : jugez donc si je ne sens pas vos infortunes ».
— « Comment pourrai-je vous remercier, mon excellent et unique bienfaiteur ? Vous êtes le premier homme qui m’ait fait entendre des paroles bienveillantes ; j’en serai toujours reconnaissant. Votre humanité me garantit tout succès près des amis que je suis sur le point de voir ».
— « Puis-je connaître le nom et la demeure de ces amis » ?
» Je me tus. C’était le moment décisif, où j’allais perdre ou obtenir à jamais le bonheur. Je m’efforçai de recueillir assez de fermeté pour lui répondre, mais cet effort épuisa toute la force qui me restait. Je tombai sur la chaise en sanglotant. Dans ce moment j’entendis les pas de mes protecteurs. Je n’avais pas un moment à perdre ; je m’emparai de la main du vieillard, et je m’écriai : « Voici le moment !… Sauvez et protégez moi ! Vous et votre famille, vous êtes les amis que je cherche. Ne m’abandonnez pas au moment de l’épreuve ».
— « Grand Dieu ! s’écria le vieillard, qui êtes-vous » ?
» Au même instant la porte de la chaumière s’ouvre ; Félix, Safie et Agathe entrèrent. Qui pourrait décrire l’horreur et la consternation dont ils furent saisis en me voyant. Agathe s’évanouit ; et Safie, incapable de donner des soins à son amie, s’élança hors de la chaumière. Félix s’avança, et avec une force surnaturelle, m’arracha de son père aux genoux duquel je m’attachais ; dans un transport de fureur, il me renversa par terre, et me frappa avec violence d’un bâton. J’aurais pu séparer ses membres, aussi facilement que le lion déchire la gazelle ; mais j’avais le cœur oppressé par la plus amère douleur, et je me retins. Il se disposait à me frapper de nouveau ; mais vaincu par la douleur et le désespoir, je quittai la chaumière ; et, sans être aperçu, je parvins, au milieu du tumulte général, à m’échapper jusque dans ma cabane ».