Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Aristote
par une société de professeurs et de savants
ARISTOTE, le plus grand nom peut-être de l’histoire de la philosophie, si ce n’est par la valeur morale des vérités découvertes, du moins par le nombre et l’étendue de ces vérités dans le domaine de la nature et de la logique, et surtout par l’incomparable influence qu’il a exercée sur les développements scientifiques de l’esprit humain, dans l’Orient aussi bien que dans l’Occident, dans les temps modernes aussi bien que dans l’antiquité, parmi les chrétiens aussi bien que parmi les peuples croyant à d’autres religions. Aristote naquit la première année de la xcixe olympiade, c’est-à-dire 384 avant l’ère chrétienne, à Stagire, colonie grecque de la Thrace, fondée par des habitants de Chalcis en Eubée, sur le bord de la mer, au commencement de cette presqu’île dont le mont Athos occupe l’extrémité méridionale. Stagire et son petit port paraissent n’avoir point été sans quelque importance ; elle joue un rôle dans tous les grands événements qui agitèrent la Grèce, pendant l’expédition de Xerxès, pendant la rivalité de Sparte et d’Athènes, et plus tard, pendant les guerres de Philippe, père d’Alexandre. Le lieu qu’occupait jadis Stagire se nomme aujourd’hui Macré ou Nicalis, suivant quelques auteurs, philologues et géographes, ou suivant d’autres, dont l’opinion paraît plus probable, Stavro, nom qui conserve du moins quelques traces de l’antique appellation. Par sa mère Phæstis, qu’il perdit, à ce qu’il semble, de fort bonne heure, Aristote descendait directement d’une famille de Chalcis ; son père, Nicomaque, était médecin et ami d’Amyntas II, qui régna sur la Macédoine de 393 à 369. Nicomaque avait composé quelques ouvrages de médecine et de physique, et il était un Asclépiade. Il a donné son nom à une préparation pharmaceutique que Galien cite encore avec éloge. Sa haute position à la cour d’un roi, l’illustration de son origine médicale, la nature de ses travaux, influèrent certainement beaucoup sur l’éducation de son fils. Philippe, le plus jeune des enfants d’Amyntas, était du même âge à peu près qu’Aristote ; et l’on peut croire que, dès leurs plus tendres années, s’établirent entre eux des relations qui préparèrent pour plus tard la confiance du roi dans le précepteur de son héritier. Il est certain qu’Aristote n’avait pas dix-sept ans quand son père mourut. Du moins nous le voyons, avant cet âge, confié, ainsi que son frère et sa sœur, aux soins d’un ami de sa famille, Proxène d’Atarnée en Mysie, qui habitait alors Stagire. Aristote conserva pour son bienfaiteur et pour la femme de son bienfaiteur, qui sans doute lui avait tenu lieu de mère, la reconnaissance la plus vive et la plus durable. Dans son testament, que cite tout au long Diogène Laërce, il désire qu’on élève des statues à la mémoire de l’un et de l’autre. Bien plus, après la mort de Proxène, il fit, pour un orphelin qu’il laissait, ce que Proxène avait fait jadis pour lui ; il adopta cet orphelin pour fils, bien qu’il eut d’autres enfants, et il lui donna en mariage sa fille Pythias. Il est bon d’insister sur ces détails que les biographes attestent unanimement, pour réduire à leur juste mesure les reproches d’ingratitude qu’on lui a si souvent adressés. La reconnaissance, comme le prouveront quelques autres faits encore, a été une des qualités les plus éclatantes d’Aristote ; et il n’est pas à soupçonner que son cœur ait manqué pour son maître seul à ce devoir qu’il a toujours scrupuleusement accompli à l’égard de tant d’autres. Des biographes fort postérieurs ont, sur la foi d’Épicure, il est vrai, donné quelques détails peu favorables sur la jeunesse d’Aristote. A les en croire, il aurait dissipé son patrimoine par sa conduite désordonnée, et il aurait été réduit à se faire soldat, et plus tard même, commerçant et marchand droguiste. Pour sentir combien tout ceci est faux, il suffit de se rappeler, ce qu’on sait d’ailleurs d’une manière irrécusable, qu’Aristote vint étudier à Athènes à l’âge de dix-sept ans. Il est impossible, quelque précocité qu’on lui veuille prêter, qu’il eût pu dès cette époque avoir subi toutes les épreuves par lesquelles on veut bien le faire passer. Il est plus probable que, vers cet âge, son tuteur, dont la surveillance ne l’avait point quitté, l’envoya dans la capitale scientifique de la Grèce, achever des études commencées sans doute sous les yeux de son père, et continuées ensuite sous la direction de Proxène. Si Aristote vit alors Platon, ce ne fut que pendant bien peu de temps ; car c’est dans cette année même, la seconde de la ciiie olympiade, 367 avant J. C., que Platon fit son second voyage en Sicile. Il y resta près de trois ans, et n’en revint que dans la quatrième année de la même olympiade. Aristote avait donc vingt ans environ quand il put recevoir les premières leçons d’un tel maître. Il paraît que Platon rendit tout d’abord justice au genie de son élève : il l’appelait « le liseur, l’entendement de son école, » faisant allusion par là et à ses habitudes studieuses, et à la supériorité de son intelligence. Il ne lui reprochait que la causticité de son caractère et un soin exagéré de sa personne, qu’Aristote, peu favorisé de ce côté, ce semble, poussait plus loin qu’il ne convenait à un philosophe. Quelques auteurs, qui vivaient d’ailleurs plusieurs siècles après, ont essayé de prouver que le disciple n’avait point eu pour son maître tout le respect et toute la gratitude qu’il lui devait. C’est surtout Élien qui, d’après le témoignage fort incertain d’Eubulide, déjà réfuté par Aristoclès, a donné cours à ces fables ridicules qu’ont répétées et propagées plusieurs Pères de l’Église, et qui tiennent une place assez importante dans l’histoire de la philosophie. D’autres, au contraire, affirment qu’Aristote avait voué à Platon une admiration pleine de respect, et qu’il lui consacra un autel ou une inscription composée par le disciple reconnaissant exaltait les vertus de cet « homme que les méchants eux-mêmes ne sauraient attaquer. » Ce qui explique cette inimitié prétendue, c’est l’opposition au génie des deux philosophes. La postérité crédule et peu bienveillante aura converti en luttes personnelles la rivalité et l’antagonisme des systèmes. Le plus exact et le plus récent des biographes d’Aristote, M. Stahr, a beaucoup insisté, avec raison, sur le fameux passage de la Morale à Nicomaque (liv. I, ch. iii, § 1), ou Aristote donne un témoignage personnel des sentiments qu’il avait pour son maître : « Il vaut peut-être mieux, dit-il en parlant d’une théorie qu’il veut réfuter,
examiner avec soin et de près ce qu’on a prétendu dire, bien que cette recherche puisse devenir fort délicate, puisque ce sont des philosophes qui nous sont chers (τέλουζ άνδραζ :) qui ont avancé la théorie des Idées. Mais il doit paraître mieux aussi, surtout quand il s’agit de philosophes, de mettre de côté ses sentiments personnels, pour ne songer qu’à la défense du vrai ; et quoique la vérité et l’amitié nous soient bien chères toutes les deux, c’est un devoir sacré de donner la préférence a la vérité, όσιον προτιμάν τήν αληθειαν. » Il est difficile de comprendre comment, en face d’un témoignage si décisif et si précis, l’histoire a besoin d’en aller chercher d’autres. On peut ajouter d’ailleurs que cette maxime d’Aristote n’a point été stérile pour lui ; et que dans toute sa polémique contre la grande théorie des Idées, il a su toujours allier les droits de la vérité, et les ménagements dus à son maître et au génie de Platon. Une rivalité dont on parle moins, en général, et qui parait avoir été beaucoup plus réelle, si ce n’est plus digne de lui, c’est celle qu’Aristote soutint contre Isocrate. Pour combattre le mauvais goût et les grâces efféminées que ce rhéteur introduisait dans l’éloquence, Aristote ouvrit une école où il professa les principes qu’il devait consigner ensuite dans ses ouvrages de rhétorique. C’est un fait qui nous est attesté par Cicéron. et il paraît que dès lors Philippe vit dans le fils du médecin de son père et dans le compagnon de son enfance, l’homme qui devait enseigner plus tard l’éloquence au futur conquérant de l’Asie. La lutte d’ailleurs, toute brillante qu’elle pouvait être, n’était peut-être pas fort généreuse, puisqu’Isocrate avait alors plus de quatre-vingts ans ; il est vrai qu’il vécut jusqu’à quatre-vingt-dix-huit ans. Les attaques d’Aristote furent assez graves pour que les élèves du vieux rhéteur dussent prendre sa défense dans des ouvrages longs et importants, dont l’un existait encore au temps de Denys d’Halicarnasse et d’Athénée. Cette polémique n’a point laissé de traces dans les œuvres qui nous restent d’Arislote. Il ne faut pas attacher non plus d’importance à ses discussions avec Xénocrate, le second successeur de Platon à l’Αcadémie. Aristote ne put jamais prétendre à l’héritage de son maître, dont il avait toujours combattu le système ; et, de plus, nous le voyons, quelques mois après la mort de Platon, faire un voyage en Asie Mineure, de compagnie avec Xénocrate, qui paraît lui avoir été attaché par les liens d’une assez étroite amitié. Ainsi l’on peut dire que les inimitiés attribuées à Aristote contre Platon, contre Isocrate et contre Xénocrate, n’ont point du tout ce caractère odieux qu’on a voulu souvent leur donner. Tout ce qui doit résulter pour nous de ces récits divers, c’est qu’avant la mort de Platon (348 ans avant J. C.). Aristote n’avait point encore ouvert son école philosophique, mais qu’il s’était fait connaître par des cours d’éloquence. Le talent qu’il y déploya, ses anciennes relations avec la cour de Macédoine, le firent choisir pour ambassadeur par les Athéniens, si l’on en croit un témoignage assez douteux rapporté par Diogène Laërce. Philippe avait ruiné dans la Thrace bon nombre de villes grecques qui tenaient le parti d’Athènes, et Stagire entre autres. Le fils de Nicomaque fut chargé d’aller demander au vainqueur macédonien le rétablissement des villes détruites ; il n’est pas sûr qu’il ait réussi dans cette mission assez delicate, puisque ce n’est que beaucoup plus tard qu’il put obtenir de Philippe ou peut-être même de son disciple, fils de Philippe, la restauration de la petite ville qui lui avait donné naissance. Quoi qu’il en soit, Platon mourut durant son absence (348 avant J. C.) ; et à son retour, Aristote se hâta de quitter Athènes, où alors les partisans de la Macédoine n’étaient point en faveur ; suivi de Xénocrate, il se rendit en Asie près d’Hermias, tyran d’Atarnée. qui avait été, à ce que l’on suppose, un des auditeurs les plus assidus de ses cours d’éloquence. On peut croire d’ailleurs que les relations d’Aristote avec Hermias avaient commencé sous les auspices de son tuteur Proxène, qui était aussi de ce pays, comme on l’a vu plus haut. Hermias avait été jadis esclave d’un tyran d’Atarnée, Eubule, auquel il succéda, et qui, comme lui, était un ami déclaré de la philosophie ; c’était par son seul mérite qu’il s’était élevé au poste brillant et dangereux qu’il occupa quelque temps. Attiré dans un piège par Mentor, général grec au service de la Perse ; il fut livré aux mains d’Artaxerce, qui le fit étrangler. La liberté des cités grecques dans l’Asie Mineure perdit en lui un de ses soutiens les plus courageux et les plus habiles. Cette catastrophe affligea profondément Aristote, dont le voyage auprès d’Hermias avait peut-être aussi quelque but politique ; et la douleur de son amitié est attestée par deux monuments qui sont parvenus jusqu’à nous. L’un est ce chant admirable, ce Péan, adressé à la Vertu et à la mémoire du tyran d’Atarnée, dont la noble simplicité et la douloureuse inspiration n’ont été surpassées par aucun poëte ; Athénée et Diogène Laërce nous l’ont transmis ; l’autre est une inscription de quatre vers que nous possédons aussi et qu’Aristote fit placer sur la statue, d’autres disent le mausolée, qui, par ses soins, fut élevé à son ami dans le temple de Delphes. De plus, il épousa la fille qu’Hermias laissait en mourant ; et il se retira, pour la mettre, ainsi que lui-même, en sûreté contre la vengeance des Perses, à Mitylène dans l’île de Lesbos, où il séjourna deux années environ (jusqu’en 343 avant J. C.). Son union paraît avoir été fort heureuse ; et, dans son testament, il prescrit qu’on réunisse ses cendres à celles de son épouse bien-aimée. Du reste, les liaisons d’Aristote avec le tyran d’Atarnée sont une des circonstances de sa vie qui ont prêté le plus aux calomnies de toute espèce ; et ces calomnies étaient assez accréditées pour que, cinq siècles plus tard, Tertullien, les répétant sans doute, ait avancé que c’était Aristote lui-même qui avait livré son ami aux agents des Perses. Ces fables sont tout aussi ridicules que celles dont nous avons déjà parlé ; seulement elles sont plus odieuses. On ne sait si Aristote était encore à Mitylène quand Philippe l’appela près de lui pour diriger l’éducation d’Alexandre (343 avant J. C.). Le jeune prince avait alors treize ans ; et la lettre de Philippe au philosophe, lettre dont l’authenticité n’est pas très-certaine, malgré le témoignage d’Aulu-Gelle et de Dion Chrysostôme, ne se rapporte point à cette époque. Elle annonce à celui dont Philippe fera plus tard l’instituteur de son héritier, la naissance d’un fils ; et si elle n’a point l’importance spéciale qu’on lui attribue d’ordinaire, elle prouve du moins, comme le remarque fort bien M. Stahr, que les relations de Philippe avec l’ancien compagnon de son enfance étaient assez fréquentes et assez intimes. Aristote paraît avoir profité de sa faveur à la cour de Macédoine pour faire relever les murs de sa ville natale ; on dit même qu’il lui donna des lois de sa propre main, qu’il y fit établir des gymnases et une école. Les habitants reconnaissants consacrèrent à leur illustre compatriote le nom d’un des mois de l’année, et celui d’une fête solennelle qui était probablement la fête de son jour de naissance. Du temps de Plutarque, on montrait encore aux voyageurs les promenades publiques, garnies de bancs de pierre, qu’Aristote y avait fait établir. Bien que l’éducation d’Alexandre n’ait pas pu durer plus de quatre
ans, bien que son précepteur eût à corriger de graves erreurs commises dans la direction antérieurement donnée au jeune prince par Léonidas, parent d’Olympias, et par Lysimaque, on ne peut douter qu’Aristote n’ait exercé sur son élève la plus décisive influence. Il sut prendre sur ce fougueux caractère un ascendant qu’il ne perdit pas un instant, et lui inspirer la plus sincère et la plus noble affection. Les études auxquelles il appliqua surtout Alexandre furent celles de la morale. de la politique, de l’éloquence et de la poésie. La musique, l’histoire naturelle, la physique, la médecine même, occupèrent beaucoup le jeune prince, et l’on peut s’en rapporter au génie si positif d’Aristote pour être sûr qu’il ne donna toutes ces connaissances à son élève que dans la mesure où elles devaient être utiles à un roi. Il paraît aussi, à en croire la lettre citée par Aulu-Gelle et Plutarque, qu’Alexandre attachait le plus grand prix aux études de métaphysique qu’il avait alors commencées, puisqu’au milieu même de ses conquêtes il écrit à son ancien maître, pour lui reprocher d’avoir rendues publiques des doctrines et des théories qu’il voulait être le seul à posséder. Il est certain que cette édition de l’Iliade qu’Alexandre porta toujours avec lui, qu’il mettait sous son chevet, cette fameuse édition de la Cassette, avait été revue pour lui par Aristote ; et le conquérant qui, dans Thèbes en cendres, ne respectait que la maison de Pindare, devait avoir bien profité des leçons d’un maître qui nous a laissé les règles de la poétique, et qui lui-même eût été un grand poëte, s’il l’eût voulu. Aristote composa quelques ouvrages spécialement destinés à l’éducation de son élève ; mais, parmi eux, on ne saurait compter celui qui nous reste sous le titre de Rhétorique à Alexandre, et qui est certainement apocryphe. Il fit particulièrement pour lui, à ce qu’affirme Diogène Laërce, un traité sur la royauté. Callisthene, neveu d’Aristote, et qui devait accompagner Alexandre en Asie pour y tomber victime de ses soupçons, partageait les leçons données au jeune prince, ainsi que Théophraste, et Marsyas, depuis général et historien, qui fit un ouvrage sur l’éducation même d’Alexandre. C’était à Pella le plus habituellement, dans un palais appelé le Nymphæum, qu’Aristote résidait avec son royal élève, et quelquefois aussi à Stagire relevée de ses ruines. Alexandre n’avait pas encore dix-sept ans quand son père, partant pour une expédition contre Byzance, lui remit la direction des affaires, sans qu’une si grande responsabilité dépassât en rien la précoce habileté du jeune roi. On peut croire que son précepteur continua de lui donner des conseils, qui, pour n’être plus littéraires, n’en furent pas moins utiles. Mais dès lors les études régulières et l’éducation furent nécessairement interrompues ; en 338, nous voyons Alexandre, âgé de dix-huit ans, combattre au premier rang et parmi les plus braves à la bataille de Chéronée, qui décida du sort de la Grèce. Aristote resta une année encore auprès de son élève, devenu roi après le meurtre de Philippe, et ne quitta la Macédoine qu’en 335 avant J. C., quand Alexandre se disposait à passer en Asie, la seconde année de la cxie olympiade. Il se rendit alors à Athènes, où il resta sans interruption durant treize années, et qu’il ne quitta que vers la mort d’Alexandre. C’est donc à cette époque qu’il ouvrit une école de philosophie dans un des gymnases de la ville nommé le Lycée, du nom d’un temple du voisinage consacré à Apollon Lycien ; et ses disciples, bientôt nombreux, reçurent, ainsi que lui, le surnom de péripatéticiens, de l’habitude toute personnelle qu’avait le maître d’enseigner en marchant, au lieu de demeurer assis. Il donna, comme Xénocrate l’avait avant lui, une sorte de discipline à son école : un chef, un archonte, renouvelé tous les dix jours, veillait à maintenir le bon ordre ; et des Banquets périodiques réunissaient tous les élèves plusieurs fois dans l’année. Aristote avait pris soin lui-même, à l’imitation de son ami et de son rival platonicien, de tracer le règlement de ces réunions (νόμον συμποτικοί), et un article, inspiré par ses goûts très-connus, interdisait l’entrée de la saile du festin au convive qui, sur sa personne, n’aurait point observé la plus scrupuleuse propreté. Aristote faisait deux leçons ou, comme on disait pour lui particulièrement, deux promenades par jour : l’une le matin, περίπατος εωθινός ; l’autre le soir, δειλινός. L’enseignement variait de l’une à l’autre, comme l’exigeait la nature même des choses : la première destinée aux élèves plus avancés traitait des matières les plus difficiles, ακροαματικοί λόγοι ; l’autre s’adressait en quelque sorte au vulgaire, et n’abordait que les parties les moins ardues de la philosophie, εξωτερικοί λόγοι, εγκύκλιοι λόγον, λόγοι έν κοίνω. C’est de cette division nécessaire dans toute espèce d’enseignement, que des historiens postérieurs ont tiré ces singulières assertions sur la différence profonde de deux doctrines, l’une secrète, l’autre publique, qu’Aristote aurait enseignées. La philosophie en Grèce, à cette époque surtout, a été trop indépendante, trop libre, pour avoir eu besoin de cette dissimulation. Le précepteur d’Alexandre, l’ami de tous les grands personnages macédoniens, l’auteur de la Métaphysique et de la Morale, n’avait point à se cacher : il pouvait, tout dire et il a tout dit, comme Platon son maître, dont un disciple zélé pouvait d’ailleursreeueillir quelques théories, qui ae la leçon n’avaient point passé jusque dans les écrits (άγραφα δόγματα). Mais supposer aux philosophes grecs, au temps d’Alexandre, cette timidité, cette hypocrisie antiphilosophique, c’est mal comprendre quelques passages douteux des anciens ; c’est, de plus, transporter à des temps profondément divers des habitudes que les ombrages et les persécutions mêmes de la religion n’ont pu imposer aux philosophes du moyen âge. Il faut certainement distinguer avec grand soin les ouvrages acroamatiques des ouvrages exotériques d’Aristote ; mais il ne s’agit que d’une différence dans l’importance et l’exposition des matières ; il ne s’agit pas du tout de la publicité, qui était égale pour les uns et pour les autres. Aristote avait donc cinquante ans quand il commença son enseignement philosophique, et l’on peut juger, d’après les détails biographiques qui précèdent, ce que devait être cet enseignement appuyé sur d’immenses travaux, des méditations continuelles, une expérience consommée des choses et des hommes, et une position toute-puissante par l’estime que lui avait vouée son élève, dominateur de la Grèce et de l’Asie. C’est durant ces treize années de séjour à Athènes qu’Aristote composa ou acheva de composer tous les grands ouvrages qui sont parvenus jusqu’à nous, à travers les siècles qui les ont sans cesse étudiés. On sait avec quelle générosité, digne d’un conquérant du monde, Alexandre contribua, pour sa part, à ces monuments éternels de la science. Si l’on en croit Pline, plusieurs milliers d’hommes, aux gages du roi, étaient chargés uniquement du soin de recueillir et de faire parvenir au philosophe tous les animaux, toutes les plantes, toutes les productions curieuses de l’Asie ; et c’est avec ce secours qu’aujourd’hui les nations les plus libérales et les plus riches peuvent à peine assurer à la science, qu’Aristote composa cette prodigieuse Histoire des animaux, ces traités d’anatomie et de physiologie romparées. que les plus illustres naturalistes de nos jours admirent plus encore peut-être que ne
l’a fait l’antiquité. Athénée affirme qu’Alexandre donna plus de 800 talents à son maître pour faciliter ses travaux de tous genres, et la formation de sa riche bibliothèque, ce qui fait, en ne comptant le talent qu’à 5000 fr., 4 000 000 de notre monnaie. Cette somme, toute considérable qu’elle est, n’a rien d’exagéré quand on songe aux trésors incalculables que la conquête mit aux mains d’Alexandre. On peut croire que ces libéralités du royal élève et cette intelligente protection servirent aussi au philosophe pour composer cet admirable et si difficile Recueil des constitutions politiques grecques et barbares, que le temps n’a pas laisse parvenir jusqu’à nous, mais qui n’avait pas dû coûter moins de recherches que l’Histoire des animaux. Aristote, entouré, comme il l’était à ce moment, d’une famille qu’il paraît avoir beaucoup aimée ; de sa fille Pythias mariée à Nicanor, son fils adoptif ; d’Herpyllis sa seconde femme, et auparavant son esclave, pour laquelle il semble, d’après son testament, avoir eu la plus vive affection ; de Nicomaque, fils qu’il avait eu d’elle ; illustre parmi les philosophes, les naturalistes, les médecins même de son temps, comblé des faveurs d’Alexandre, Aristote était alors dans une de ces rares positions qui font l’envie du reste des hommes. Il ne paraît point qu’il en abusa ; mais ce bonheur si complet, si réel, si éclatant, dura peu. La conspiration d’Hermolaüs, dans laquelle Alexandre impliqua le neveu d’Aristote, Callisthène, dont la rude franchise l’avait blessé, éclata vers cette époque, et il est certain que dès lors la froideur entre le roi et son ancien maître succéda aux relations si affectueuses qui jusque-là les avaient unis. Le meurtre d’un homme tel que Callisthène, accompagné des circonstances odieuses que n’ont pu dissimuler même les historiographes officiels du roi, indigna la Grèce entière, et la postérité le regarde encore comme une tache ineffaçable à la mémoire du héros. On peut juger de la douleur que cette catastrophe dut causer à l’oncle de la victime, au précepteur de celui qui venait de se déshonorer par ce forfait. Six années s’écoulèrent encore jusqu’à la mort d’Alexandre, et l’on doit croire que durant tout ce temps les rapports d’Aristote et de son coupable élève durent être aussi rares que pénibles. Mais si le ressentiment devait être profond dans le cœur du philosophe, rien n’autorise à supposer, avec quelques auteurs anciens, qu’Aristote ait nourri des projets de vengeance. Tout dément cette abominable calomnie, répétée par Pline, qui lui attribue d’avoir, d’accord avec Antipater, empoisonné Alexandre, calomnie dont s’autorisa plus tard Caracalla, le singe du héros macédonien, pour chasser les peripatéticiens d’Alexandrie et brûler leurs livres. Alexandre est mort à la suite d’orgies, d’une mort parfaitement naturelle, comme l’attestent les mémoires mêmes de ses lieutenants, Aristobule et Ptolémée, que possédaient et que citent Plutarque et Arrien ; comme l’attestaient le journal qu’on tenait chaque jour des actions du roi, εφημερίδες βασίλειαι, et en particulier le journal de sa maladie. Aristote passait si peu pour l’ennemi d’Alexandre, malgré son juste ressentiment, et il était si bien resté l’ancien partisan du Macédonien, qu’aussitôt après la mort du roi, à ce qu’il parait, il dut songer à se soustraire aux dangers de la réaction, et qu’il se retira dans une ville soumise aux autorités macédoniennes et protégée par elles. Il serait également difficile de comprendre et que le parti antimacédonien, dirigé par Démosthène et Hypérides, ait poursuivi l’empoisonneur d’Alexandre, et que les Macédoniens l’aient défendu. Aristote dut fuir, non point devant une accusation politique, mais devant une accusation d’impiété portée contre lui par le grand prêtre Eurymedon, soutenu d’un citoyen nommé Démophile. On lui reprochait d’avoir commis un sacrilège en élevant des autels à la mémoire de sa première femme et de son ami Hermias. Sa pieuse amitié devint un crime ; et Aristote, comme il semble l’avoir dit lui-même, se retira pour épargner aux Athéniens, dont l’esprit lui était bien connu, « un second attentat contre la philosophie. » Tous ces détails, qui semblent assez positifs, doivent être rapportés peut-être à une époque antérieure ; et l’on peut conjecturer, d’après quelques indications, comme l’a fait M. Stahr, qu’Aristote s’était retiré à Chalcis, même avant la mort d’Alexandre, laissant la direction de son école à Théophraste, qui lui succéda dans le Lycée. Quelques biographes lui ont attribué une apologie contre cette accusation, sans doute pour faire pendant à l’Apologie de Socrate par Platon ; mais Athénée, qui en cite un passage, ne la regarde pas comme authentique. Aristote vécut un an à Chalcis et mourut en 322, vers le mois de septembre, peu de temps avant Démosthène, qui, lui aussi, victime d’autres passions, vint s’empoisonner à Calaure, et termina par une mort héroïque une vie consacrée tout entière à la patrie et à la liberté. Quelques biographes ont soutenu qu’Aristote s’était tué, assertion contre laquelle protestent et le témoignage d’Apollodore, et celui de Denys d’Halicarnasse, et les théories même du philosophe contre le suicide. Il paraît certain qu’il succomba, après plusieurs années de souffrance, à une maladie d’estomac qui était héréditaire dans sa famille, et qui le tourmenta pendant toute sa vie, malgré les soins ingénieux par lesquels il cherchait à la combattre. Quelques Pères de l’Église, on ne sait sur quels témoignages, ont avancé qu’il s’était précipité dans l’Euripe par désespoir de ne pouvoir comprendre les causes du flux et du reflux. Cette fable ne mérite pas même d’être réfutée ; mais elle témoigne qu’on supposait au philosophe une immense curiosité des phénomènes naturels. Si c’est là tout ce qu’on a voulu dire, ses ouvrages sont un bien meilleur témoignage que tous les contes inventés à plaisir : la Météorologie et l' Histoire des animaux attestent suffisamment les efforts d’Aristote pour comprendre le grand spectacle de la nature qui pose éternellement devant nous. Diogène Laërce et Athénée nous ont conservé sous le nom de Testament d’Aristote une pièce qui ne porte aucun caractère positif de fausseté ; mais on a remarqué avec raison (M. Stahr) que le philosophe n’y faisait aucune mention ni de ses manuscrits, ni de sa bibliothèque, qui lui avait coûté tant de soins et de recherches. C’est tout au moins un oubli fort singulier, à moins que ce prétendu testament ne soit un simple extrait d’un acte beaucoup plus long et beaucoup plus complet. Il avait, du reste, institué Antipater pour son exécuteur testamentaire ; et son puissant ami dut assurer à tous ceux que le philosophe avait aimés les bienfaits qu’il répandait sur eux, et particulièrement sur ses esclaves.
Cette esquisse rapide de la vie d’Aristote suffit pour montrer que si la nature avait fait beaucoup pour lui, les circonstances extérieures ne lui furent pas moins favorables. Sa première éducation, les leçons d’un maître tel que Platon ; continuées pendant près de vingt ans, la protection de deux rois, et surtout celle d’Alexandre, et d’autre part les immenses ressources qu’avaient accumulées déjà les efforts des philosophes antérieurs, tout se réunissait pour rendre complète et décisive l’influence d’un génie tel que le sien, se développant dans de si heureuses conditions. Cette influence a été sans égale ; elle agit depuis plus de deux mille ans, et l’on peut affirmer, sans crainte d’erreur, qu’elle sera aussi durable que l’huma-
nité sur laquelle elle s’exerce. L’autorité souveraine de ce grand nom a pu être ébranlée et détruite en physique ; elle est éternelle en logique, en métaphysique, en esthétique littéraire, en histoire naturelle, tout aussi bien qu’en politique et en morale.
Aristote, doué d’une activité prodigieuse, qui, suivant l’observation même de son maître, avait besoin du frein, comme la lenteur de Xénocrate avait besoin de l’éperon ; aidé par tous les secours que lui offraient des disciples nombreux et intelligents, des livres et des collections de tout genre, Aristote avait beaucoup écrit. On peut voir par les citations diverses des auteurs, et par les catalogues de Diogène Laërce, de l’anonyme de Ménage, de l’anonyme arabe de Casiri, quelles ont été nos pertes. Ces catalogues, tout informes, tout inexacts qu’ils sont, nous attestent qu’elles furent bien graves. Parmi tous ces trésors détruits, nous n’en citerons qu’un seul ; c’est ce Recueil des constitutions dont Aristote lui-même fait mention à la fin de la Morale à Nicomaque, et qui contenait l’analyse des institutions de cent cinquante-huit États, selon les uns, de deux cent cinquante et même de deux cent cinquante-cinq selon les autres. C’est de cette vaste collection de faits généralisés, résumés, qu’il a tiré l’ouvrage politique qui nous reste. Ce qui est parvenu jusqu’à nous de toutes ses œuvres forme le tiers, tout au plus, de ce qu’il avait composé ; mais ce qui peut nous consoler, c’est que ces admirables débris sont aussi les plus importants de son édifice, sinon par l’étendue, du moins par la nature et la qualité des matériaux qui les forment. Les commentateurs grecs des cinq ou six premiers siècles ont donné beaucoup de soin à la classification des œuvres d’Aristote. Un d’eux, Adraste, qui vivait 150 ans environ après J. C., avait fait un traité spécial fort célèbre sur ce sujet, qui de nos jours en est encore un pour les érudits. On distribuait les ouvrages du maître de diverses façons, soit en les considérant simplement sous le rapport de la rédaction plus ou moins parfaite où il les avait lui-même laissés, soit en les considérant plus philosophiquement sous le rapport de la matière dont ils traitaient. Ainsi d’abord on distinguait les simples notes, les documents, les ύπομνηματικά, des ouvrages complètement mis en ordre συνταγματικά, et parmi ceux-ci on distinguait encore les acroamatiques ou ésotériques, des exotériques ; puis, en second lieu, on divisait les œuvres d’Aristote presque selon les divisions qu’il avait tracées quelquefois lui-même à la philosophie, en théorétiques, pratiques, organiques ou logiques. Ces classifications peuvent être justifiées selon le point de vue auquel on se place ; mais, pour se rendre compte comme dans une sorte d’inventaire des richesses que nous avons reçues des siècles passés, il suffit de s’en tenir à l’ordre donné par l’editio princeps des Alde, et que depuis lors tous les éditeurs, si l’on excepte Sylburge et Buhle après lui, ont scrupuleusement suivi. Voici, selon cet ordre, les divisions principales qu’on peut faire des œuvres d’Aristote :
1° La Logique, composée de six traités tous authentiques, malgré quelques doutes d’ailleurs très-réfutables, élevés dans l’antiquité et dans les temps modernes, traités qui doivent se succéder ainsi : les Catégories, l’Hermeneia, les Premiers Analytiques, en deux livres, appelés par Aristote Traité du Syllogisme ; les Derniers Analytiques, en deux livres, appelés par Aristote Traité de la Démonstration ; les Topiques, en huit livres, appelés par Aristote Traité de Dialectique, et les Réfutations des sophistes. La collection de ces traités est ce qu’on nomme habituellement l’Organon, mot qui n’appartient pas plus à l’auteur que celui de Logique, et qui vient des commentateurs grecs.
2° La Physique, en prenant ce mot dans le sens général qu’y donnaient les Grecs, et non dans le sens spécial où nous l’entendons actuellement. Elle se compose des ouvrages suivants : 1° la Physique, ou pour mieux dire les Leçons de Physique, en huit livres ; 2° le Traité du Ciel, en quatre livres ; 3° le Traité de la Génération et de la Destruction, en deux livres ; 4° la Météorologie,en quatre livres ; 5° le petit Traité du Monde, adressé à Alexandre, apocryphe ; 6° le Traité de l’Ame, en trois livres ; 7° une suite de petits traités appelés par les scolastiques : Parva naturalia : de la Sensation et des Choses sensibles, de la Mémoire et de la Réminiscence, du Sommeil et de la Veille, des Rêves et de la Divination par le sommeil, de la Longévité et de la Brièveté de la vie, de la Jeunesse et de la Vieillesse, de la Vie et de la Mort, et enfin de la Respiration ; 8° l’Histoire des animaux, en dix livres, dont le dernier est peut-être apocryphe ; 9° le Traité des Parties des animaux, en quatre livres ; 10° le Traité du Mouvement des animaux ; 11° le Traité de la Marche des animaux ; 12° leTraité de la Génération des animaux, en cinq livres ; 13° le Traité des Couleurs ; 14° un extrait d’un Traité d’Acoustique ; 15°le Traité de Physiognomonie ; 16° le Traité des Plantes, en deux livres, dont le texte grec a été refait à Constantinople, d’après le texte arabe et latin, en deux livres, 17° le Petit Recueil des récits surprenants, apocryphe ; 18° le Traité de Mécanique, sous forme de questions ; 19° le vaste recueil de faits de tout genre, sous forme de questions, et intitulé : les Problèmes en cinquante-sept sections ; 20° le petit Traité des lignes insécables ; 21° et enfin les Positions et les noms des vents, fragment d’un grand ouvrage sur les signes des saisons.
3° La Métaphysique, nom qui ne vient pas d’Aristote lui-même, en quatorze livres, et avec laquelle il faut classer le petit ouvrage sur Mélissus, Xénophane et Gorgias.
4° La Philosophie pratique, ou, comme le dit aussi Aristote, la Philosophie des choses humaines : la Morale, proprement dite, composée de trois traités, dont les deux derniers ne sont que des rédactions différentes des élèves d’Aristote : 1° la Morale à Nicomaque, en dix livres ; 2° la Grande Morale en deux livres ; 3° la Morale à Eudème, en sept livres ; 4° le fragment sur les Vertus et les Vices ; 5° la Politique, en huit livres ; 6° l’Economique, en deux livres, dont le second est apocryphe ; 7° l’Art de la Rhétorique, en trois livres, suivi de la Rhétorique à Alexandre, qui est apocryphe ; 8° le Traité de la Poétique, qui n’est qu’un fragment.
5° Il faudrait ajouter à tous ces ouvrages : 1° les fragments épars dans les auteurs de l’antiquité, et dont quelques-uns sont assez considérables ; 2° les poésies ; 3° enfin les Lettres, bien qu’elles ne soient pas authentiques. Jusqu’à présent aucune édition, même la plus récente, celle de Berlin, n’a donné complète cette cinquième partie des œuvres d’Aristote ; elle n’est pas cependant sans importance.
Il est impossible de donner ici, en quelques pages, une idée suffisante du vaste et profond système que renferment ces divers ouvrages, et qui a régné sans interruption, bien qu’avec des intermittences de force et de déclin, depuis Aristote jusqu’à nous, d’abord sur les écoles de la Grèce et de Rome, puis exclusivement sur toutes celles du moyen àge ; berceau de la science moderne, puis sur les écoles arabes, et qui règne souverainement encore dans les parties les plus
importantes de la philosophie, la logique entre autres, et sur les belles-lettres, la rhétorique et la poétique. Quelques observations cependant pourront faire comprendre, même en les restreignant dans d’étroites limites, comment cet empire a été et est encore légitime autant que bienfaisant.
Parmi les causes qui ont fait d’Aristote le précepteur de l’intelligence humaine, comme disent les Arabes, il faut mettre en première ligne le caractère tout encyclopédique de ses ouvrages. Nul philosophe avant lui, nul autre après lui, n’a su, doué d’un tel génie, embrasser, dans une théorie une et systématique, l’ensemble des choses. La philosophie grecque, quelque valeur qu’eussent ses recherches avant le siècle d’Alexandre, n’avait pu rien produire d’aussi complet ni d’aussi profond. Démocrite, qui, avant Aristote, a pu être appelé le plus savant et le plus laborieux des Grecs, n’avait pu entrevoir qu’une faible partie de la science. Il avait recueilli beaucoup de faits ; mais le point de vue tout matérialiste où il s’était placé ne lui avait permis de les comprendre que bien insuffisamment. Platon, dont on ne veut pas d’ailleurs rabaisser ici le mérite, et qui certainement est supérieur à son disciple par la simplicité et la grandeur morale de son système ; Platon s’était condamné, par la direction même de son génie, à ignorer une partie des faits naturels, dont il n’avait point à tenir un compte bien sérieux ; de plus, la forme de ses ouvrages ne lui permettait pas cette rigueur systématique sans laquelle une encyclopédie n’est qu’une vaste confusion, sans laquelle surtout un enseignement positif et général est impossible. Platon a, dans un sens, trouvé beaucoup mieux que cela ; il n’a pas joué le rôle de précepteur, il a joué le rôle beaucoup plus grand, beaucoup plus utile même, de législateur des croyances religieuses et des mœurs : c’est comme un prophète philosophe. Mais avant Aristote, la science éparse n’avait point été réunie en un corps ; des matériaux isolés attendaient l’architecte et ne formaient point un édifice ; c’est lui qui le construisit. Quelques historiens de la philosophie, M. Ritter entre autres, lui ont reproché d’avoir le premier introduit l’érudition dans la philosophie. La critique ne semble pas méritée. Pour composer l’œuvre totale de la science, la ranger tout entière sous une seule discipline, les forces d’un individu, quelque puissant qu’il soit, ne pourront jamais suffire. S’il ne datait que de lui seul, ce serait un révélateur ; ce ne serait plus un philosophe. Au contraire, Aristote s’est fait une gloire, et cette gloire n’appartient qu’à lui seul, d’être l’historien de ses prédécesseurs. L’odieuse accusation de Bacon est complètement fausse : loin d’égorger ses frères, comme font les despotes ottomans pour régner seuls, c’est lui qui les a fait vivre en transmettant à la postérité leurs noms et leurs doctrines. Il n’a jamais prétendu cacher tout le profit qu’il avait tiré de leurs travaux. Mais s’il doit à ses devanciers une partie des matériaux qu’il a employés, c’est à lui seul qu’il doit d’avoir su les mettre en œuvre. C’est du haut de la philosophie première, de la métaphysique dont il est le fondateur, qu’il a pu saisir, d’un regard ferme, la valeur relative de tous les faits particuliers, de toutes les notions particulières, et les classer entre elles de manière à reproduire, dans une théorie complète, l’ordre admirable de la réalité. C’est de ce faîte élevé qu’il a pu voir sans confusion, sans erreur, cette prodigieuse variété de phénomènes que l’homme et la nature présentent incessamment à l’observation du philosophe. La métaphysique fut pour lui ce que le vulgaire trop souvent ignore, la science de la réalité, la science de ce qui est, de l’être en soi. Pour Platon, la réalité des choses, l’essence des choses, était en dehors d’elles et résidait tout entière dans les idées séparées, distinctes, éternelles, immuables. Aristote, au contraire, ne vit de réalité et ne put en concevoir que dans l’individu, dont la science doit tirer les notions générales et les premiers principes qui composent ses théories et ses démonstrations. Tout être, et il n’y a que des êtres particuliers, est nécessairement l’assemblage de quatre causes dont l’une est sa forme, qui tout d’abord se révèle à nos sens ; l’autre, sa matière ; la troisième, le mouvement, qui l’a fait devenir ce qu’il est, qui l’a produit ; la quatrième enfin, la cause finale, la fin même vers laquelle il tend, qui lui assigne un but, et lui donne un sens aux yeux de la raison. Sans ces quatre causes, l’être ne se comprend plus ; il n’est rien sans elles. Les deux premières nous sont attestées par le témoignage irrécusable de notre sensibilité, les deux autres par le témoignage non moins certain de notre raison. Elles sont toujours réunies dans toute chose qui n’est pas le simple accident d’une autre. Mais l’être, produit de ces quatre causes, n’est pas seulement d’une essence stérile et purement logique ; il revêt des attributs qui le modifient et que la science peut affirmer de lui. Ces attributs, ces catégories, sont au nombre de dix, comme les causes sont au nombre de quatre. La science, en affirmant ou en niant ces attributs, fait la vérité ou l’erreur ; quant à l’être et à ses attributs, ils n’ont d’autre caractère que d’exister, et pour les connaître, c’est dans les termes simples et non dans les propositions composées qu’il faut les chercher. Les catégories sont : d’abord, celle de la substance sans laquelle les autres ne seraient pas, à laquelle elles sont toutes comme suspendues ; puis, la quantité, la qualité, la relation, le temps, le lieu, la situation, la manière d’être, l’action et la passion. Les catégories sont les éléments nécessaires dont les propositions se forment, comme la réalité même : d’une part, les êtres en soi, les sujets avec cette merveilleuse diversité qu’a d’abord faite la nature, et avec celle que l’esprit de l’homme vient y joindre par l’abstraction ; et d’autre part, les attributs. Ici la seule catégorie de la substance, là les neuf autres ; les unes et les autres liées entre elles par cette notion de l’existence, la seule qui puisse unir le prédicat au sujet, et qui fournit également, soit qu’on l’affirme ou qu’on la nie, l’indispensable condition sans laquelle les deux autres n’ont ni valeur ni détermination. De là toute la théorie de la proposition, les formes diverses qu’elle peut prendre ; de là toute la théorie du syllogisme où deux propositions enchaînées l’une à l’autre par un moyen terme compris dans l’attribut et comprenant le sujet, forment une conclusion où l’attribut est uni au sujet d’une nécessité logique ; de là, enfin, toute cette théorie de la démonstration où le rapport de l’attribut au sujet repose sur la vraie cause qui met l’un dans l’autre, et qui prouve leur union d’une irréfutable manière, non plus par la seule nécessité logique, mais par cette nécessité réelle, effective, que les phénomènes mêmes portent avec eux. Mais rien ne se démontre qu’à la condition d’un indémontrable ; les causes, et par suite les moyens termes, ne sont point infinis. Dans les démonstrations, il faut s’arrêter aux axiomes, sans lesquels la démonstration ne serait pas possible, bien qu’elle ne les emploie jamais directement. Les axiomes sont les principes communs, et en tête de tous est le principe de contradiction qu’implique la notion même d’existence. Les principes propres sont ceux qui appartiennent à chaque sujet spécial que la science étudie, et sans lesquels les principes communs resteraient inféconds et stériles. L’ordre de la na-
ture et l’ordre de la science se correspondent ainsi l’un à l’autre ; la pensée n’est rien sans l’expérience, bien que l’expérience soit fort au-dessous de la pensée. Ce que la science doit faire avant tout, c’est d’observer scrupuleusement tous ces phénomènes qu’elle doit comprendre et démontrer par leurs causes, les lois générales du mouvement dont la nature entière est animée, les lois de plus en plus complexes par lesquelles l’organisation s’élève du végétal jusqu’à l’homme, et de la vie aveugle, obscure des derniers êtres, à cette vie supérieure de la pensée et de l’intelligence dans le plus parfait des êtres ; ces lois, enfin, les plus admirables, les plus elevées de toutes, qui président à la vie morale des individus et des sociétés. Et pour couronner cette œuvre de la science, il faut qu’elle monte encore un degré plus haut, il faut qu’au-dessus de la nature, où les causes sont nécessaires et fatales, au-dessus de l’homme, cause libre et volontaire, elle arrive jusqu’à la cause première, à la cause unique, au premier moteur, qui communique à tout le reste le mouvement, la vie, la pensée ; il faut qu’elle arrive jusqu’à Dieu. Tel est l’immense système qu’Aristote a tracé et qu’il a rempli. Il a fait la logique et fondé la science de la pensée de telle sorte, que depuis lui, comme le dit Kant, elle n’a fait ni un pas en avant, ni un pas en arrière ; il a fondé dans l’histoire naturelle cette admirable méthode d’observation, que personne n’a mieux appliquée que lui ; il y a tracé quelques-unes de ces lois de la vie que la physiologie comparée s’efforce encore de nos jours de constater ; il a fondé la métaphysique sur des bases qu’on ne peut plus changer ; il a fondé la psychologie, la science morale, la science politique, l’esthétique littéraire, etc. Cette magnifique encyclopédie, résumé à peu près complet de tout ce qu’avait su le monde grec, n’avait que peu de chose à enseigner à la Grèce, si on la compare à ces peuples qui, dans la suite des temps, privés de toute spontanéité scientifique, durent aller se mettre à l’école des siècles passés. Pour refaire au milieu de la barbarie l’éducation de l’esprit humain, il fallut s’adresser à la Grèce, la sage institutrice des nations, et, dans la Grèce, il n’y avait qu’un maître possible : c’était Aristote, parce que seul il pouvait enseigner et démontrer la totalité de la science. Aujourd’hui même, si par une catastrophe qui heureusement est impossible, le genre humain avait à subir la même épreuve qu’il a subie dans le moyen âge, nul doute que le choix ne fût absolument identique. Il n’est point de philosophe qui pût aujourd’hui même remplacer Aristote : Descartes, Leibniz, Kant n’y suffiraient pas. L’enseignement péripatéticien, après tout ce qu’aurait appris l’humanité, serait sans doute bien incomplet ; mais, sans contredit, il serait encore le moins imparfait de tous.
Il faut ajouter à cette première cause de la domination aristotélique, la forme même de ses livres : il avait fait des dialogues, à ce qu’atteste Cicéron ; ils ne sont pas parvenus jusqu’à nous, et l’on peut affirmer sans aucune témérité qu’en face des dialogues de son maître, cette perte ne fait point tort à sa gloire. Mais les ouvrages que la postérité a conservés, et que nous possédons, ont donné à la science cette forme didactique que, depuis lors, elle n’a point changée, et qu’elle a reçue pour la première fois des mains d’Aristote. Un ton magistral, comme s’il eût prévu le rôle qu’il devait remplir plus tard ; un style austère, sans autres ornements que la pensée même qu’il revêt ; une concision et une rigueur faites pour exciter le zèle et la sagacité des élèves, tels sont les mérites secondaires, mais non point inutiles, qui ont contribué à faire donner au disciple de Platon la préférence sur son maître. Platon a rendu d’autres services à l’esprit humain, et le christianisme, en particulier, sait tout ce qu’il lui doit ; mais Platon, avec la divine élégance de ses formes, n’était point fait pour les labeurs de l’école. Sa mission était de charmer, de convaincre les âmes, en les purifiant. C’était à un autre d’initier les esprits aux pénibles investigations de la science. C’est qu’en effet, quand on parle de l’empire souverain exercé par Aristote, c’est surtout de sa logique qu’il s’agit ; et, pour qui se rappelle l’histoire de la scolastique, pour qui connaît la nature vraie de la logique, il n’y a pas de doute que l’Organon d’Aristote, étudié sans interruption pendant cinq ou six siècles par toutes les ecoles de l’Europe, commenté par les maîtres les plus illustres, ne pouvait être remplacé par aucun livre ; il n’y a pas de doute qu’aucun livre, si ce n’est celui-là, ne pouvait donner à l’esprit moderne et à toutes les langues par lesquelles il s’exprime cette rectitude, cette justesse, cette méthode que le génie européen seul jusqu’à présent a connues. Il est tout aussi certain que la logique était la seule science qui pût être cultivée avec cette ardeur et ce profit, sans porter atteinte aux croyances religieuses qui firent alors le salut du monde. La logique, précisément parce qu’elle ne consiste que dans les formes de la science, et qu’elle n’engage expressément aucune question, ne peut jamais causer d’ombrage. Elle ne s’inquiète point des principes, auxquels elle est complètement indifférente. C’est là ce qui fait qu’elle a pu tout à la fois être adoptée par les chrétiens et les mahométans, par les protestants et les catholiques, par les croyants et les philosophes. Où trouver rien de pareil dans Platon ? Ou trouver rien de pareil dans aucun autre philosophe ? Si la science et ses procédés étaient l’esprit humain tout entier, Aristote eût été plus grand encore qu’il n’est ; l’esprit humain n’aurait point eu d’autre guide que lui.
Mais sur les questions essentielles que Platon avait résolues d’une manière si nette et si vraie, sur la Providence, sur l’âme, sur la nature de la science, Aristote s’est montré indécis, obscur, incomplet. Le dieu de sa métaphysique n’est pas le dieu qui convient à l’homme ; Dieu est plus que le premier moteur, au sens où Aristote semble le comprendre ; il a créé le monde, comme il le protège et le maintient ; il ne peut avoir pour ses créatures cette indifférence où le laisse le philosophe, il préside au monde moral tout aussi bien qu’il meut le monde physique ; il doit intervenir dans la vie des individus et des sociétés tout aussi bien qu’il intervient dans les phénomènes naturels. Incertain sur la Providence et sur Dieu, Aristote ne l’est guère moins sur l’immortalité de l’âme et sur la vie qui doit suivre celle d’ici-bas. Il ne nie pas que l’âme survive au corps, sans toutefois l’affirmer bien positivement ; mais de ce principe il ne tire aucune de ces admirables conséquences qui ont fait du platonisme une véritable religion. Quant à la science, il ne la fait pas sortir tout entière de la sensation, comme le lui attribue le fameux axiome qu’on chercherait vainement dans ses œuvres ; mais il est sur la pente ou son maître avait voulu retenir la philosophie ; il est sur le bord de l’abîme, où tant d’autres se sont précipités en suivant ses traces, malgré les avertissements de Platon. D’ailleurs, ces lacunes si graves, et d’autres encore qu’on pourrait citer, ne devaient rien ôter à son autorité. Dans le mahométisme, comme dans le christianisme, c’était à une autre source qu’on puisait des croyances ; il n’y avait point à lui en demander, et les siennes, chancelantes comme elles l’étaient,
ne pouvaient pas blesser bien vivement des convictions contraires. Cette indécision même ne nuisait en rien à la science ; elle s’accordait fort bien avec elle, et l’Église catholique, tout ombrageuse qu’elle était, oublia bien vite les anathèmes dont jadis quelques Pères de l’Église avaient frappé le péripatétisme. On attendait et l’on tirait d’Aristote trop de services, pour qu’on pût s’arrêter à ce que dans un autre on eût poursuivi comme des opinions condamnables.
C’est une histoire qui est encore à faire, toute curieuse qu’elle est, que celle de l’aristotelisme. Les ouvrages d’Aristote, d’abord peu connus après sa mort, par suite de quelques circonstances assez douteuses qu’ont rapportées Strabon et Plutarque, ne commencèrent à être vraiment répandus que vers le temps de Cicéron ; c’est Sylla qui les avait apportés à Rome après la prise d’Athènes. Il n’est pas présumable d’ailleurs que l’enseignement d’Aristote, qui dura treize années dans la capitale de la Grèce, eût laissé ses doctrines ignorées autant qu’on le suppose en général ; mais ce qui est certain, c’est que ce n’est guère que vers l’ère chrétienne que son empire s’étendit. Ce fut d’abord, comme plus tard, la logique qui pénétra dans les écoles grecques et latines. Sans acception de systèmes, toutes se mirent à étudier, à commenter l’Organon ; les Pères de l’Église, et à leur suite tous les chrétiens, n’y étaient pas moins ardents que les gentils ; et tout le moyen âge n’a pas craint d’attribuer à saint Augustin lui-même un abrégé des Catégories, qui d’ailleurs n’est pas authentique. Boëce, au vie siècle, voulait traduire tout Aristote, et nous avons de sa main l’Organon. Les commentateurs grecs furent très-nombreux, même après que les écoles d’Athènes eurent été fermées par le décret de Justinien ; et, parmi ces commentateurs, quelques-uns furent vraiment considérables. L’étude de la logique ne cessa pas un seul instant à Constantinople ni dans l’Europe occidentale. Bède, Isidore de Séville la cultivaient au viie siècle, comme Alcuin la cultivait au viiie à la cour de Charlemagne. C’est de l’Organon que sortit, au xie siècle, toute la querelle du nominalisme et du réalisme, tout l’enseignement d’Abeilard. Vers la fin du xiie siècle, quelques ouvrages autres que la Logique s’introduisirent en Europe, ou, ce qui est plus probable, y furent retrouves ; et, dès lors, les doctrines physiques et métaphysiques d’Aristote commencèrent à prendre quelque influence. L’Ëglise s’en effraya, parce qu’elles avaient provoqué et autorisé des hérésies. Un envoyé du pape dut venir inspecter l’Université de Paris, centre et foyer de toutes lumières pour l’Occident ; et, en 1210, les livres d’Aristote autres que la Logique furent condamnés au feu ; non-seulement on défendit de les étudier, mais encore on enjoignit à tous ceux qui les avaient lus d’oublier ce qu’ils y avaient appris. La précaution était inutile, et elle venait trop tard. L’exemple des Arabes, qui, dans leurs écoles, n’avaient point d’autre maître qu’Aristote, et qui l’avaient traduit et commenté tout entier à leur usage ; les besoins irrésistibles de l’esprit du temps, qui demandait à grands cris une sphère plus large que celle où l’Ëglise avait tenu l’intelligence depuis cinq ou six siècles, la prudence même de l’Église, revenue à des sentiments plus éclairés, tout se réunit pour abaisser les barrières ; et, après quelques essais encore infructueux, et une nouvelle mission apostolique qui n’avait pas plus réussi que la première, on ouvrit la digue et on laissa le torrent se précipiter par toutes les voies, par toutes les issues. Pendant près de quatre siècles, il se répandit en toute liberté dans toutes les écoles, et il suffit à alimenter alimenter tous les esprits. Albert le Grand, une des lumières de l’Église, et l’on doit ajouter de l’Occident à cette époque, commenta les œuvres d’Aristote tout entières ; saint Thomas d’Aquin, l’ange de l’école, en expliqua quelques-unes des parties les plus difficiles ; et, à leur suite, une foule de docteurs illustres suivirent leur exemple, et bientôt Aristote, traduit par les soins mêmes d’un pape, Urbain V, et du cardinal Bessarion, devint pour la science ce que les Pères de l’Église, et l’on pourrait presque dire les livres saints, étaient pour la foi. Il est inutile de remarquer qu’ici, comme dans la religion, l’enthousiasme, la soumission aveugle dépassa bientôt les bornes. Il ne fut plus permis de penser autrement qu’Aristote, et une doctrine soutenue contre les siennes était traitée à l’égal d’une hérésie. Il suffit de rappeler le déplorable destin de Ramus, qui périt victime de sa lutte courageuse contre ce despotisme philosophique, plus encore que de ses opinions suspectes ; il suffit de se rappeler que, même en 1629, sous le règne de Louis XIII, un arrêt du Parlement put défendre, sous peine de mort, d’attaquer le système d’Aristote. Heureusement qu’alors cette défense était plus ridicule encore qu’elle n’était odieuse ; mais on ne saurait répondre que, si quelque imprudent se fût alors élevé en France contre le père de l’école, il n’eût point été frappé comme un criminel ; et l’on peut voir par cette défense même que jamais l’Eglise n’avait défendu plus énergiquement contre les hérétiques l’autorité des Évangiles. Il fallait être à Venise et sous la protection de la République pour oser attaquer Aristote comme le fit Francesco Patrizzi dans ses Discussiones peripateticœ (1571). Ce qu’il y a de remarquable, c’est que le protestantisme, après quelques hésitations, avait adopté Aristote tout aussi ardemment que les catholiques. Mélanchthon l’introduisit dans les écoles luthériennes. Mais il faut ajouter que l’Aristote de Mélanchthon n’était plus celui du moyen âge et de la scolastique ; et le péripatétisme, mieux compris qu’on ne l’avait fait jusqu’alors, n’avait plus rien qui dût effrayer l’esprit de liberté qui faisait le fond de la réforme. La Société tout entière de Jésus, à l’imitation de l’Église, adopta l’aristotélisme, et s’en servit avec son habileté bien connue contre tous les libres penseurs du temps, et surtout contre les adhérents de Descartes. Ce n’est que le xviiie siècle qui, victorieux de tant d’autres abus, vit aussi finir celui-là. Aristote ne régna plus que dans les séminaires, et les Manuels de philosophie à l’usage des établissements ecclésiastiques n’étaient et ne sont encore qu’un résumé de sa doctrine. La réaction alla trop loin, comme il arrive toujours : malgré les sages avis de Leibniz, représentant des écoles protestantes qui avaient compris le philosophe comme il faut le comprendre ; malgré l’admiration de Voltaire et de Buffon ; malgré les affinités certaines que les doctrines aristotéliques avaient sur tant de points avec l’esprit philosophique de ce temps, le xviiie siècle laissa le père de la logique, de l’histoire des animaux, de la politique, dans le plus profond oubli. Il fut enveloppé dans cet injuste dédain dont tout le passé fut alors frappé. Les historiens de la philosophie les plus graves, Brucker, entre autres, ne surent même pas lui rendre justice. Il n’y avait peut-être pas assez longtemps que le joug était brisé, et l’on se souvenait encore combien il avait été pesant. Aujourd’hui, Aristote a repris dans la philosophie la place qui lui appartient à tant de titres. Grâce à Kant, surtout à Hégel et à M. Brandis, en Allemagne, où d’ailleurs l’étude d’Aristote n’avait jamais tout à fait péri ; grâce à M Cousin, parmi
nous, cette grande doctrine a été plus connue et mieux appréciée. Des travaux de toute sorte ont été entrepris. On ne regarde plus Aristote comme un oracle ; mais on sait tous les services qu’il a rendus à l’humanité, et, parmi tous les grands systèmes de philosophie que la curiosité historique de notre siècle cherche à bien comprendre, on accorde à celui-là plus d’attention qu’à tout autre ; ce n’est que justice, et sans doute la philosophie de notre temps ne profitera pas moins de ces labeurs, bien qu’ils soient autrement dirigés, que n’en a profité le moyen âge. Connaître Aristote, connaître l’histoire de l’aristotélisme, c’est mieux connaître, non pas seulement le passé de l’esprit humain, mais son état actuel. Par le moyen âge, d’où nous sortons, Aristote a plus fait pour nous que nous ne sommes portés à le croire. Il y a tout avantage et comme une sorte de piété à bien savoir tout ce que nous lui devons.
Le xixe siècle, en attendant ce qui doit le suivre, aura donc ajouté un chapitre de plus à l’histoire des fortunes diverses d’Aristote ; et l’on peut douter que nos successeurs jugent un jour plus équitablement que nous la philosophie péripatéticienne. Il semble que désormais cette philosophie est classée à son vrai rang dans les destinées et les annales de l’intelligence humaine Il n’y a rien de plus vaste ni de plus fécond, mais il y a des doctrines qui sont à la fois plus profondes et plus pratiques. On a pu dire avec raison du platonisme qu’il avait préparé les voies à la morale chrétienne et même au dogme chrétien ; on n’a rien pu soutenir de pareil d’Aristote ; et si quinze siècles plus tard l’Europe l’a adopté pour maître et pour instituteur, elle n’a jamais songé à lui demander ce qu’elle devait croire, mais exclusivement ce qu’elle devait étudier et apprendre. La différence est énorme. Platon a été, à bien des égards, un initiateur, et il est toujours resté un appui si ce n’est un guide, témoin saint Augustin. Aristote, qui n’a été connu et accepté que postérieurement, a été aussi fort utile ; mais son secours a été beaucoup moins intime ; et s’il a formé les esprits, il n’a guère touché les âmes ni les cœurs. Ce n’est pas le rabaisser ni lui rien ravir de sa gloire ; mais c’est exercer envers lui, au nom de la vérité, la justice qu’il a proclamée lui-même le premier devoir du philosophe, et la plus sacrée de ses obligations. Si l’on peut un instant forcer un peu les choses afin de les faire mieux comprendre, on dirait que, dans ce partage des plus hautes qualités et des influences les plus nobles, Platon représente la morale et qu’Aristote représente la science, les deux legs inappréciables que la Grèce, notre mère vénérée, a transmis à la civilisation occidentale. Ce n’est pas à dire que la science manque tout à fait dans Platon ni que la vertu fasse défaut dans Aristote ; mais pour voir la distance qui les sépare, il suffirait de comparer le Timée à l’Histoire des animaux, et le Phédon au Traité de l’Ame. Le contraste est frappant ; et de ces œuvres prises au hasard comme mesures, l’opposition s’étend à l’ensemble des deux systèmes. C’est là ce que doit affirmer la critique de notre siècle si instruite, si sagace, si impartiale ; c’est là le verdict qu’elle doit rendre et la sentence qu’elle doit porter au nom des faits les moins contestables et de l’observation la plus attentive. Les œuvres des deux philosophes sont entre nos mains ; l’action qu’ont exercée leurs doctrines nous est également connue, et nous ne pouvons nous tromper, sauf des détails de peu d’importance, ni sur leur mérite propre ni sur la nature des enseignements qu’ils ont propagés, au grand avantage de tous ceux qui les ont reçus et goûtés. La science ou la vertu, la vertu ou la science, l’alternative est toujours bien belle ; et quel que soit le parti qu’on adopte, ou plutôt vers lequel on penche, on ne risque guère de déchoir ni de s’égarer. Cependant la raison humaine a fait son choix ; elle incline à Socrate et à Platon plus qu’à Aristote et à Théophraste. Dans le spiritualisme de notre temps, dont M. Cousin a si longtemps et si fermement tenu le drapeau, c’est encore Platon qui occupe le plus de place ; et Aristote, tout admiré qu’il est, n’a pas reçu les mêmes hommages et ne nous a pas soufflé les mêmes inspirations. C’est que la science nous fait penser ; elle ne nous fait pas agir, malgré les illusions dont elle se berce trop souvent. Le platonisme est et restera la réelle école de la vie ; le péripatétisme est surtout l’école de la nature. Ce qui doit même un peu nous étonner, c’est que notre époque, où les sciences font tant de bruit ; et jouissent d’une telle vogue, n’ait pas poussé plus loin qu’elle ne l’a fait la réhabilitation d’Aristote. Nous sommes demeurés dans les limites quand il était si facile de les dépasser. On a vanté son génie, mais on ne s’est pas approprié ses opinions ; et de nos jours les savants suivent sa méthode sans bien se rendre compte de tout ce qu’il a fait pour eux. Par habitude, on rapporte toujours à Bacon le réveil de l’esprit moderne ; et l’on ne voit pas assez que l’esprit moderne n’a fait que reprendre absolument la trace et les exemples d’Aristote et de l’antiquité, dès que les circonstances plus favorables lui ont permis de renouer la chaîne interrompue de la tradition hellénique. Malgré ce qu’en peut croire notre vanité trop facile à se satisfaire et à s’aveugler, nous n’avons pas découvert une voie nouvelle dans les deux ou trois derniers siècles qui viennent de s’écouler. La science, que l’Orient n’a jamais connue sous aucune forme, est née dans la Grèce où elle a été cultivée comme la poésie, comme les arts, comme les lettres avec une perfection que notre amour-propre a grand’peine à s’avouer, quoiqu’elle n’ait rien d’humiliant pour nous. Nous en savons mille fois plus que la Grèce, de même que nos successeurs en sauront un jour mille fois plus que nous. Mais c’est la Grèce qui a et conservera la gloire supérieure d’avoir tout commencé et d’avoir ouvert la carrière où nous devons tous marcher. Pour sa part spéciale, Aristote est à l’apogée de la science grecque, et sans diminuer rien de ce qui est venu avant ou après lui, à cet égard il domine le monde ancien comme il a dominé le moyen âge, le plus savant des philosophes et le plus philosophe des savants. Il observe les faits aussi bien que personne ; et il sait de plus que l’observation est la condition préalable de la science, qui ne peut rien sans des matériaux exactement recueillis. Ce n’est pas le xviie siècle ni le xviiie qui ont fondé la méthode d’observation : c’est Aristote, comme ses ouvrages l’attestent quand on prend la peine de les consulter ; personne parmi les modernes n’a plus fortement ni plus fréquemment recommandé l’observation de la nature et de la réalité. L’éloge peut même être poussé plus loin ; et l’on peut ajouter encore à la louange d’Aristote qu’il a pratiqué et conseillé l’expérimentation dans la mesure où elle était possible dans ces temps reculés. La science contemporaine, si elle était plus éclairée ou plus modeste, devrait proclamer dans Aristote son glorieux ancêtre et son précurseur ; non pas qu’il ait à lui seul tout fait dans la science telle que l’a connue l’antiquité grecque, mais il en est le plus complet et le plus illustre représentant. Il clôt cette période à jamais écoulée de la pensée humaine où le domaine trop varié de la philosophie comprenait encore toutes les sciences, en les réunissant on un faisceau qui depuis lors a dû se diviser. Personne ne l’a embrassé ni étreint d’une main aussi vigoureuse qu’Aristote, et il restera comme un modèle inaccessible et impérissable. sans cesse proposé aux siècles, mais que les siècles ne reproduiront pas. Parmi ces génies souverains et inégaux, il restera le plus extraordinaire si ce n’est le plus beau. Il est autant que qui que ce soit digne de la Grèce, qui seule pouvait enfanter un tel fils ; et parmi tous ces personnages merveilleux dont elle nous a transmis les œuvres et le souvenir, celui-là est avant tout, comme le disait de lui son incomparable maître, l’entendement et l’intelligence universelle.
Pour étudier cet immense sujet, dont on n’a pu indiquer ici que les points les plus saillants, voici les principaux ouvrages qu’il faudrait consulter :
Pour la biographie d’Aristote : Diogène Laërce (liv. V), qui a fait usage des travaux spéciaux de ses prédécesseurs fort nombreux et beaucoup plus habiles que lui ; l’Anonyme publié par Ménage dans le second volume de son édition de Diogène Laërce ; puis la biographie attribuée à Ammonius et qu’on trouve habituellement à la suite de son commentaire sur les Catégories ; Nunnesius en a donné une édition spéciale in-4, Helmstædt, 1666. Buhle a réuni toutes ces biographies dans le premier volume de l’édition complète qu’il avait commencée. — Parmi les modernes on peut citer Patrizzi, dans son premier livre des Discussiones peripateticœ, si hostile contre Aristote ; — Andréas Schott, qui a écrit la vie comparée d’Aristote et de Démosthène, in-4, Augsb., 1603 ; — Buhle, et surtout M. Ad. Stahr qui a résumé tous les travaux antérieurs, dans ses Aristotelia, 2 vol. in-8, Halle, 1832 (ail.) ; le premier est consacré tout entier à la biographie. On pourrait ajouter aussi des articles de Dictionnaires, comme celui de Bayle, la Biographie universelle ; l’article de M. Zell, dans l’Encyclopédie générale (all.). La vie d’Aristote, en anglais, par M. J. W. Blakesley, 1839, et enfin les Biographies résumées des historiens de la philosophie, Brucker, Tennemann, Ritter, Zeller, etc., etc.
Pour la connaissance du système général d’Aristote, d’abord les Œuvres complètes dont la première édition a été publiée par les Alde, 5 vol. in-f°, Venise, 1495-1498 ; l’édition de Silburge, 11 vol. in-4, Francf., 1584-1587, également sans traduction, mais avec des notes courtes et substantielles ; celle de Duval, 1619, plusieurs fois reproduite ; celle de Buhle, 1791-1800, laissée inachevée au cinquième volume ; celle de l’Académie de Berlin, in-4, 1831-1837, dont il a paru quatre volumes, deux de texte, avec des variantes nombreuses, mais incomplètes, tirées des principaux manuscrits de l’Europe ; une traduction latine revue, mais non refaite de toutes pièces, et des commentaires grecs qui ne sont donnés que par extraits. Il doit paraître encore au moins un volume de commentaires. On ne sait si M. Brandis, l’un des éditeurs avec M. Bekker, y ajoutera des notes.
Enfin l’édition complète de la Bibliothèque grc que de Firmin Didot, avec une table des plus étendues et une traduction latine. Après les éditions complètes, il faut consulter les Commentaires généraux d’Averroès, traduits de l’arabe en latin, 11 vol. in-8, Venise, 1540, et d’Albert le Grand, 5 vol. in-f°, Lyon, 1651. Il n’y a jamais eu de commentaire général en grec. — Après les commentaires, les traductions complètes • en latin, du cardinal Bessarion, in-f°, Venise, 1487 ; en anglais, de Taylor, 10 vol. in-4, Londres, 1812, peu connue sur le continent, et faite, à ce qu’il semble, avec un peu trop de précipitation. Deux traductions générales, l’une en allemand, par une réunion de savants à Stuttgart, l’autre en français, par Μ. B. Saint-Hilaire, sont commencées et se poursuivent actuellement ; cette dernière comprend déjà dix-huit volumes. Enfin deux livres récents, sans parler des historiens de la philosophie, et de Hégel en particulier, peuvent contribuer à faire connaître la doctrine générale d’Aristote : l’un est en allemand, de M. Biese ; l’autre est l’Essai sur la Métaphysique, par M. Ravaisson, ouvrage très-remarquable, et le plus distingué de tous ceux qui ont été publiés sur ce sujet. M. Brandis a publié les travaux les plus étendus et les plus exacts sur Aristote et ses contemporains de l’Académie, sur son système général et sur ses successeurs. On peut consulter aussi : de Aristotelis operum serie et distinctione, par M. Titze, in-8, Leipzig, 1826, et de Aristotelis librorum ordine et auctoritate, par Μ. Valentin Rose, Berlin, 1854.
Pour la Logique, qui a fourni matière à un nombre presque incalculable de Commentaires, il faudrait consulter surtout les commentateurs grecs : Porphyre, Simplicius, Ammonius, Philopon, David l’Arménien, pour les Catégories ; Ammonius, Philopon, les anonymes, pour l' Herméneia ; Alexandre d’Aphrodise. Philopon, pour les Premiers Analytiques ; Philopon, et la paraphrase de Thémistius, pour les Derniers Analytiques ; Alexandre d’Aphrodise, pour les Topiques et les Réfutations des sophistes. Parmi les modernes, les Commentaires des jésuites de Coïmbre ; le Commentaire général de Pacius joint à son édition de l’Organon, in-4, Genève, 1605 ; celui de Lucius, in-4, Bâle, 1619 ; le Commentaire spécial de Zabarella sur les Derniers Analytiques ; et, de nos jours, la traduction allemande de M. Zell, Stuttgart, 1836 ; la traduction de Μ. B. Saint-Hilaire, en quatre volumes ; l’ouvrage de M. Franck intitulé : Esquisse d’une histoire de la Logique, précédée d’une analyse étendue de l’Organon d’Aristote, in-8, Paris, 1838, et le Mémoire de Μ. B. Saint-Hilaire, couronné par l’institut, 2 vol. in-8, Paris, 1838, avec le Rapport de M. Damiron sur le concours, dans le troisième volume des Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques ; les Elementa logices Aristot., Trendelenburg, in-8, Berlin, 1836 ; l’édition de l’Organon de M. Waitz, 1846, et l’histoire de la Logique de M. Prantl, en allemand, 1855. Il a été démontré qu’Aristote n’avait point emprunté sa logique aux Indiens, comme on l’a souvent répété : voy. dans le troisième volume des Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques, le Mémoire de Μ. B. Saint-Hilaire sur le Nyâya.
Pour les Leçons de Physique, le Commentaire très-précieux de Simplicius ; celui des jésuites de Coïmbre, in-4, 1593 ; celui de Zabarella, in-f°, 1600 ; celui de Pacius avec son édition, in-8, Hanovre ; la traduction allemande et les remarques de Weisse, Leipzig, 1829 ; la traduction allemande avec le texte de M. Prantl, 1854. La Physique est un des ouvrages d’Aristote qui dans les temps modernes ont été le moins étudiés.
Pour le Traité du Ciel, le Commentaire de Simplicius, et parmi les modernes celui de Pacius ; la traduction française de M. B. Saint-Hilaire. Pour la Météorologie, les Commentaires d’Olympiodore pour les quatre livres, et celui de Philopon pour le premier ; le Commentaire des jésuites de Coïmbre, in-4, 1596, et
l’édition avec notes et commentaires de M. Ideler, 2 vol. in-8, Leipzig, 1834 ; la traduction française de M. B. Saint-Hilaire, 1863.
Pour le Traité de l’Ame, les Commentaires de Simplicius et de Philopon, la paraphrase de Thémistius, l’ouvrage d’Alexandre d’Aphrodise sur le même sujet. Parmi les modernes, l’excellente édition de M. Trendelenburg avec notes et commentaires, in-8, Iéna, 1833, et celle de M. Torstrik ; puis les deux traductions allemandes de Voigt, 1803, et de Weisse, 1829.
Pour l’Histoire des animaux, l’édition et la traduction française de Camus, 2 vol. in-4, Paris, 1783 ; la célèbre édition de Schneider, 4 vol. in-8, Leipzig, 1811. Il est à regretter que Schneider n’ait pu étendre les mêmes soins aux autres traités d’histoire naturelle et de physiologie comparée. Le texte épuré de l' Histoire des animaux a été donné par M. Piccolos, en 1865.
Pour le Traité de Mécanique, l’édition avec traduction et notes de J. S. de Capelle, in-8, Amsterdam, 1812.
Pour la Métaphysique, les Commentaires d’Alexandre d’Aphrodise, publiés pour la première fois, mais non tout entiers, dans l’édition de Berlin, et qui, au xvie siècle, avaient été traduits en latin par Sépulvéda, le précepteur de Philippe II ; le texte grec de ce commentaire a été donné par M. Hermann Bonitz, Berlin, 1847, in-8 ; le Commentaire de Philopon, traduit par Patrizzi, mais dont le texte grec n’a pas encore été publié ; celui de Thémistius, sur le douzième livre, en latin, traduit de l’hébreu : le texte grec est perdu ; les fragments du Commentaire d’Asclépius de Tralles, publiés dans l’édition de Berlin ; les fragments de ceux de Syrianus, traduits en latin au xe siècle, et dont le texte a été publié dans l’édition de Berlin, t. IV, p. 837-942. Au moyen âge, le Commentaire d’Avicenne, sans parler de celui d’Averroès ; surtout celui de saint Thomas, sans parler de celui de son maître Albert le Grand ; l’Exposition de Duval dans son édition complète d’Aristote. Et de nos jours, l’édition de M. Brandis, in-8, Berlin, 1823, et son ouvrage : de Perditis Aristotelis libris de ideis et de bono sive philosophia, in-8, Bonn, 1823 ; le Rapport de M. Cousin sur le concours ouvert par l’Académie des sciences morales et politiques, avec la traduction des premier et douzième livres, in-8, 1836 ; et les deux Mémoires couronnés : Examen critique de l’ouvrage d’Aristote intitulé Métaphysique, par M. Michelet ; de Berlin, Paris, 1836, in-8 ; Essai sur la Métaphysique d’Aristote, par M. F. Ravaisson, ouvrage refait d’après le Mémoire qui avait obtenu le prix, in-8, t. 1, 1837, Paris, Impr. royale ; t. II, 1846, impr. Fournier ; la traduction allemande de la Métaphysique, par Hengsterberg, in-8, Bonn, 1824, publiée par M. Brandis, qui devait y joindre un volume de notes qui n’ont point paru ; la traduction française de MM. Pierron et Zévort, très-bon travail que l’Académie française a honoré d’un de ses prix, 2 vol. in-8, Paris, 1840 ; la traduction allemande avec le texte, notes et commentaires, par M. A. Schwegler, 1847-48 ; l’édition de M. H. Bonitz, 1849. À ces travaux, il faut en ajouter d’autres de moindre étendue : Théorie des premiers principes selon Aristote, par Μ. E. Vacherot, in-8, Paris, 1836 ; Aristote considéré comme historien de la philosophie, par M. A. Jacques, in-8, Paris, 1837 ; du Dieu d’Aristote, par M. J. Simon, in-8, Paris, 1840.
Pour la Morale, la traduction française de Thurot, 2 vol. in-8, Paris, 1823, d’après l’édition de Coray, in-8, Paris. 1822 ; celle de Μ. B. Saint-Hilaire, 3 vol. in-8, 1856, et l’édition de M. Michelet. de Berlin, 2 vol. in-8, 1829-1835. Pour la Politique, l’édition de Schneider, 2 vol. in-8, Francfort-sur-l’Oder, 1809 ; l’excellente édition de Gœttling, in-8, Iéna, 1824 ; celle de M. Stahr. in-4, Leipzig, 1836-39, avec traduction allemande ; l’édition de M. Fr. Susemihl, avec la traduction de M. Guillaume de Morbeka, Leipzig, in-8, 1872 : celle de Μ. B. Saint-Hilaire. 2 vol. in-8, Paris, 1837, Impr. royale, avec traduction française. Cette édition se distingue de toutes les autres en ce que l’ordre des livres y a été changé et rétabli d’après divers passages du contexte lui-même. Dans cet ordre, le traducteur a jugé que l’ouvrage était complet, ce qu’on avait nié jusque-là. Notre langue compte, outre cette tra¬duction avec le texte, cinq autres traductions sans le texte. Celle de Nicolas Oresme, au xiv° siècle, sous Charles V, imprimée en 1489 ; celle de Louis Leroy, 1568 ; celle de Champagne, an V de la République, 2 vol. in-8 ; celle de Millon, 3 vol. in-8, 1803 ; enfin, celle de Thurot, in-8, 3824. — M. Neumannen 1827, M. Stahr, dans son édition de la Politique, et M. Valentin Rose, Aristotelis pseudepigraphus, 1863, ont donné les fragments du recueil des Constitutions.
L’édition générale de Firmin Didot donne aussi les fragments du Recueil des Constitutions, p. 219-297. de la collection des Fragments d’Aristote, par M. Em. Heitz, 1869, t. IV de l’édition générale.
Notre langue possède aussi plusieurs traductions de la Rhétorique et de la Poétique, ouvrages qui ont donné naissance à une foule de travaux philosophiques et littéraires. Les dernières traductions de la Rhétorique (1870) et de la Poétique (1858) sont celles de Μ. B. Saint-Hilaire.
L’Académie de Berlin a proposé pour sujet d’un de ses prix la collection des Fragments d’Aristote, et c’est à cet ordre d’idées que répondent les deux ouvrages de M. Valentin Rose et de Μ. E. Heitz, 1865.
Pour l’Histoire de la doctrine aristotélique : Jean Launoy, de Varia Aristot. in Academia parisiensi fortuna, avec un supplément de Jonsius, et un autre de Elswich, sur la fortune d’Aristote dans les écoles protestantes, Wittenberg, in-8, 1720. Recherches critiques sur l’âge et sur l’origine des traductions latines d’Aristote, par Jourdain, in-8, Paris, 1819, ouvrage couronné par l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; 2e édition par son fils, M. Charles Jourdain, 1843. Pour l’ Histoire de la logique en particulier, l’ouvrage de M. Franck et le Mémoire de M. B. Saint-Hilaire, t. II.
Pour la distinction des livres Acroamatiques et Exotériques : la discussion spéciale de M. F. Stahr, tome II des Aristotelia, p. 239 ; celle de M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique, t. I, p. 210.
Pour la transmission des ouvrages d’Aristote, depuis Théophraste jusqu’à Andronicus de Rho¬des et la discussion des passages de Strabon, Plutarque et Suidas, il faut consulter, parmi les travaux parus de nos jours, Schneider, Epimetra, c. ii et iii en tête de son Histoire des animaux ; Brandis, dans le Musée du Rhin, t. II, p. 236-254, et p. 259-284, avec les additions de Kopp duns le troisième volume de ce recueil ; le deuxième volume de Stahr, Aristotelia. p. 1169, et aussi son ouvrage allemand, Aristote chez les Romains ; B. Saint-Hilaire, préface de la Politique ; Ravaisson, Essai sur la Métaphysique, t. I, p. 5 et suiv. ; Pierron et Zévort, traduction de la Métaphysique, t. I, p. 92. Sur ce sujet très-controversé, le travail de M. Stahr est le plus complet. B. S.-H.