Francis Poictevin (Lazare)

Figures contemporaines : ceux d’aujourd’hui et ceux de demain
Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 143-146).


FRANCIS POICTEVIN


Après avoir poursuivi les sensations troublantes et les images étranges, M. Francis Poictevin, qui fut un chercheur de mots, est devenu un chercheur d’essence. Après avoir été un collectionneur de pierres rares, il a dédaigné les trésors amassés par ses mains et il s’est enquis des joyaux invisibles. Il a abandonné le culte des phénomènes pour celui des ombres virtuelles et il a quitté le grenier de M. de Goncourt pour l’oratoire de sainte Catherine.

Je croirais volontiers qu’il se repent d’avoir été un virtuose de l’expression et d’avoir voué trop de son temps à l’apparence des choses. Il a l’âme des moines d’autrefois que torturait le songe du futur, l’amour de l’unique, et qui tous les jours se demandaient anxieusement s’ils n’avaient pas commis le péché contre l’esprit.

Or, pendant bien des années, M. Poictevin a été le pécheur contre l’esprit. Il n’a été qu’un rhéteur, sensible à l’aspect extérieur du monde, un amuseur d’esprits subtils, un jongleur raffiné, un joueur de flûte se plaisant aux délicates et vaines harmonies.

Désormais, s’il n’a pas brûlé ce qu’il a adoré, il a appliqué sa pénétration à d’autres objets. À force de quérir des syllabes pour rendre l’insaisissable, il a voulu atteindre l’absolu, au travers des voiles qu’il avait tissés.

Il est presque unique dans notre temps à avoir le sens de la mystique. Il en connaît le vocabulaire analogique, mais il l’a transposé, car c’est un mystique hérétique, se rapprochant davantage de Novalis que de Marie d’Agreda. Il chérit les pâles lys que le souffle divin faisait palpiter autrefois au fond des monastères, mais il ne les rejoindrait pas sous les arceaux des cloîtres, et la prière qu’il récite va plutôt à l’ineffable Pan des orphiques qu’au Dieu des bonnes gens.

Toutes les préoccupations contemporaines semblent être indifférentes à ce pérégrin libre et rêveur, qu’inquiète l’âme du monde. Cependant, il a le cœur humble et pitoyable comme un de ces petits frères qui vivaient à côté du saint d’Assise, chantaient des cantiques au soleil, aux fleurs des champs, aux oiseaux des bois, et désertaient la richesse qui souille, abaisse et corrompt.

Francis Poictevin est, comme tous les mystiques, un égotiste révolté contre les règles, un individualiste fuyant l’oppression des milieux, des autorités et des règles, un anarchiste religieux. Il est un pèlerin indépendant et vagabond, et c’est peut-être son vagabondage intellectuel qui l’a poussé à ne jamais donner que des marginalia d’un poème et d’une œuvre qui ne vient jamais et que cependant il devrait faire.