France, Algérie et colonies/France/02/01

LIbrairie Hachette et Cie (p. 21-68).


I. PLATEAU OU MASSIF CENTRAL : MONTS FRANÇAIS


Plateau central. — Cette Auvergne dont les rustres d’aujourd’hui seront les messieurs de demain fait partie du Plateau ou Massif Central.

Le Plateau Central couvre à lui seul huit millions d’hectares, plus du septième de la France. Au sud, dans le pays de Saint-Affrique, il est voisin de la Méditerranée ; à l’est, dans les monts de l’Ardèche, il est proche du Rhône ; au nord, vers les sources de l’Indre, il touche à la plaine de Châteauroux, que la Sologne, autre plaine, rattache à la Loire ; à l’ouest, les landes, les granits, les châtaigniers du Nontronnais, traversés par l’Isle, l’Auvezère et la Dronne, lui appartiennent encore. Il lui revient tout ou partie de 22 départements : Cantal, Puy-de-Dôme, Allier, Loire, Haute-Loire, Ardèche, Gard, Hérault, Lozère, Aveyron, Aude, Tarn, Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne, Lot, Corrèze, Creuse, Indre, Vienne, Haute-Vienne, Charente et Dordogne. De ses granits, de ses gneiss, de ses schistes, de ses calcaires, des basaltes, des laves, des trachytes, des phonolithes refroidis qu’y vomirent des volcans, découlent six de nos grandes rivières, la Loire, l’Allier, la Vienne, la Dordogne, le Lot et le Tarn ; la Loire, la Gironde et le Rhône s’y abreuvent tous trois, et de ses hautes vallées descendent les hommes qui sont la principale réserve de la nation française, l’Auvergnat propre à tout, le Limousin et le Marchois qui gâchent le mortier, l’Aveyronais et le Cévenol endurcis à la fois contre le soleil et contre la neige.

Le Plateau Central, principale forteresse de la France, est à la fois la plus haute et la plus ample protubérance de ce qu’on nomme spécialement les Monts Français, Alpes et Pyrénées à part.

Les Monts Français proprement dits prennent à la France 14 à 15 millions d’hectares ; toutes nos montagnes réunies en prennent 24 à 25 millions. Pour le pays de plaines et de collines il reste donc 27 à 28 millions d’hectares.


1o Monts Dore, Cézallier. — Le Plateau Central est le piédestal de beaucoup de montagnes. La plus élevée c’est le Puy de Sancy, père de la Dordogne, pyramide aiguë de 1 886 mètres. La neige tombe dru pendant des mois et des mois sur ce monarque des Monts Dore, sur ce souverain de tous les dômes, pics ou puys du Centre, mais elle ne l’ensevelit point sous des névés éternels, et, glissant de sa tête sur ses épaules, va s’entasser dans les précipices, à l’origine de ruisseaux que boivent la Dordogne et son sous-affluent la Trentaine. De sa cime on contemple un immense tour d’horizon, des pics, des plateaux où des lacs miroitent, des pelouses mélancoliques avec de misérables burons, cabanes sans fenêtres et sans foyer auprès desquelles un chalet suisse est un véritable palais ; on voit le cirque où court la jeune Dordogne, et partout des gorges déchirées. Par l’effet de la distance, le chaos disloqué, déhanché, sur lequel on plane, devient, à mesure que le regard atteint l’horizon, une espèce de plaine vaporeuse et bleue où se lèvent des monts éthérés, les Dôme, le Velay, le Forez, le Cantal, et quelques délinéaments des Alpes qui sont comme une vision flottante. C’est un monde grandiose, mais triste et vide. Il est nu. Chênes, frênes, hêtres, pins, sapins, le Massif central n’a plus que les lambeaux des bois qui le parèrent ; les trois ennemis des forêts, le bûcheron, le pasteur, le paysan, y ont couché plus d’arbres que n’en relèveront jamais les forestiers.

Un buron du Mont-Dore.

Parmi les lacs des Monts Dore, vieux cratères ou réservoirs arrêtés par quelque barrage de lave, le plus beau ne se voit pas du Sancy : c’est le Pavin, près de Besse, à 1 197 mètres d’altitude. Profond de 94 mètres, il dort au pied du cône de Montchal, volcan refroidi dont il reflète les sapins, les hêtres et les basaltes rougeâtres. L’homme qui vit seul avec la nature la craint autant qu’il l’aime et les pasteurs des monts, comme ceux des bruyères, sont des hommes superstitieux. Ils ont foi dans les présages, dans l’ « araignée du soir, espoir ; araignée du matin, chagrin ; » ils croient au Chasseur noir, aux ogres, au Petit-Poucet, aux sorciers, aux loups-brons, aux loups-garous, aux malheurs du Vent de bise, à la Belle au bois dormant, aux fées bonnes, aux fées méchantes, aux enchantements, à la baguette magique, aux formes adorables, à la fois blanches et bleues, qui nagent dans la profondeur sous le fluide indigo des lacs. Ainsi, les Auvergnats des Dore contaient sur le Pavin des histoires terribles : ils disaient aux gens de la plaine (et les gens de la plaine les croyaient) qu’un caillou jeté dans son eau bleue la soulevait en féroce tempête, fût-ce par le plus beau des soleils, par le plus calme des jours. Et les savants qui avaient tiré le mot Loire de Lignum gerens, et de Girus undæ le mot Gironde, faisaient venir le nom de Pavin du latin Pavens (qui fait peur) ; mais depuis qu’il n’est plus hanté par les flammes de l’abîme, Pavin, vieille chaudière ébréchée d’un côté, n’a d’effrayant que la profondeur de son gouffre et la menace de son écroulement ; il pourrait s’effondrer sur la ville de Besse et la disperser en débris sur le chemin de la rivière Allier. Ce beau lac de 1 656 mètres de long, de 1 525 de large, grand de 42 hectares, versera, lorsqu’on voudra le vider par un siphon, 3 à 4 mètres cubes d’eau par seconde à la Couse-Pavin, qui les conduira dans l’Allier. Or, l’Allier comme la Loire, a besoin de secours pendant six bons mois de l’année.

Le Puy de Sancy a pour voisins le Puy Ferrand, haut de 1 846 mètres, et le Puy Gros, haut de 1 804. Ce sont là les trois géants des Dore, et avec trois sommets du Cantal, les seuls pics des Monts Français qui s’élancent à plus de 1 800 mètres au-dessus des mers.

Les gneiss, les granits, les roches anciennes qui montrent çà et là leur dure carapace n’empêchent pas les Monts Dore d’être essentiellement volcaniques. Tout le proclame éloquemment : ce que les gazons, les fourrés, les pins, les sapins laissent voir de roche brune ou rougeâtre, et ce qu’il s’est écroulé de blocs de la cime ou du flanc des monts ; les basaltes, les trachytes, les laves d’où tombent tant de cascades ou plutôt de cascatelles, faute d’assez de flots dans les torrents que n’allaitent pas des neiges éternelles ; les lacs blottis dans de vieux cratères ; les chenaux de rivière sciés par l’eau patiente, à force de siècles, dans la masse des laves ; les « orgues » ou colonnades, surtout la Roche Tuilière ou le Repos de l’Aigle et la Roche Sanadoire, admirables rangées de prismes : ces deux phonolithes se regardent à travers un étroit vallon et un tributaire de la Sioule passe humblement entre ces piliers prodigieux, élevés de plus de 200 mètres au-dessus du torrent. Par cette rivière de Sioule et par les charmantes Couses, l’Allier partage avec la Dordogne les sources vives, les neiges hivernales, les orages des Monts Dore, et aussi ses sources minérales ou thermales, celles des Bains-du-Mont-Dore, celles de la Bourboule, celles de Saint-Nectaire et plus de deux cents autres : ces précieuses fontaines de santé sont encore un témoignage de la volcanicité des Dore. Le principal cratère a disparu ; il flambait dans un cœur de montagnes glacées dont le temps a fait un grand vide, un double cirque où passent la Dordogne naissante et la Couse de Chaudefour. Le Sancy, le Ferrand, l’Aiguiller, le Cacadogne, ont été façonnés dans la masse de ses parois.

La région des lacs au sud du Mont-Dore.

Au sud-est du Pavin et des lacs de son voisinage, le Cézallier fait pont entre les Dore et le Cantal. Son sommet majeur, le Luguet (1 555 mètres), domine le beau cirque d’Artout. Granit vêtu de vieux basaltes, le froid Cézallier n’a rien du profil aigu des sierras ; aux plateaux il ajoute les plateaux, aux mamelons les mamelons, aux croupes bossues les croupes bossues ; triste, maussade, et par les mauvais temps lugubre, il est nu, et le vent, qui n’a pas de branches à tordre, y ride quelques petits lacs et rase en sifflant des gazons et des bruyères.


2o Monts Dôme. — Au septentrion des Monts Dore, les Monts Dôme sont volcaniques aussi, mais avec des cônes bien mieux conservés. On compte 60 de ces cratères, élevés en général de 100 à 200 mètres au-dessus des granits, des gneiss, des micaschistes d’un plateau de pâturages nus qui a de 800 à 1 000 mètres d’altitude. Les chéires[1] ou courants de lave sortis des gueules flamboyantes, puis lentement refroidis sur place, cachent le sol antique sous une gaine de roches poreuses.

Ces roches légères, boursouflées, spongieuses, ces phonolithes ou pierres sonores, boivent avidement l’eau qui leur descend soit des puys, soit du ciel ; aussi n’entretiennent-elles que des pâturages secs, indignes de leur altitude. Parfois il n’y a même pas de gazon sur leurs coulées raboteuses, point d’arbres non plus, rien que la roche brûlée, carrière où l’on taille les pierres sombres dont sont faites les « villes noires » d’Auvergne, notamment Clermont, la plus grande. La pierre de Volvic, tirée d’une chéire, a bâti mainte cité. L’eau qu’ont bue les porosités des coulées n’est pas toute perdue pour le peuple des Auvergnats ; elle coule sous le plancher des laves, et quand un sous-sol étanche l’a conservée, elle revoit le jour, soit au pied de la chéire, soit par une cassure du fourreau de pierre calcinée.

Tel fleuve rouge évadé d’un volcan atteignit, en suivant le ravin qui favorisait sa pente, une vallée, un vallon auquel il barra le chemin d’aval ; alors la rivière de cette vallée, le ruisseau de ce vallon, refluèrent en lac allongé ; mais l’eau, qui a des lèvres de cristal, mord et dévore en caressant : dès que la pâte brûlante fut devenue digue froide, le flot se mit à limer l’obstacle ; or, dans les montagnes où les torrents coulent toujours, cet ouvrier-là ne dort jamais ; il abaissa tellement l’écluse, que les lacs diminuèrent, puis disparurent, et la cascade qui, du haut des laves, jetait leurs eaux dans le vallon d’en-bas, a pu devenir l’un des lieux profonds et paisibles du torrent qui les avait formés. Il ne reste guère aujourd’hui dans le pays que deux de ces lacs occasionnels : un dans les Monts Dôme, c’est le lac d’Aydat ; l’autre dans les Monts Lore, c’est le lac Chambon.

Le lac d’Aydat s’amassa derrière une lave expectorée par les puys de la Vache, de Vichâtel et de Lassola. Situé à 826 mètres au-dessus des mers, il n’a que 4 kilomètres de tour, et des profondeurs de 13 à 30 mètres. Visiblement une partie de ses eaux sort par un torrent du bassin de l’Allier ; invisiblement un ruisseau de la nuit, un petit Styx courant sous la lave, conduit le reste de ce tout petit Léman à de belles sources qui sont les affluents du déversoir à ciel ouvert. Le lac de Chambon, sinon plus grand, du moins plus gracieux que celui d’Aydat, naquit du Tartaret, parmi la fumée, la cendre, les sifflements et les flamboiements, un jour que ce cratère, dans une de ses crises, vomit une digue de lave sur la gorge où babillait librement la Couse. Son altitude est de 880 mètres : sa rivière, qui lui vient du cirque volcanique de Chaudefour, le quitte par un passage ouvert entre le Tartaret, veuf aujourd’hui de sa forêt de hêtres, et la colline de basalte d’où n’ont pas encore croûlé tous les murs du grand château de Murols. Quant au Gour de Tazanat, au nord-ouest de Riom, ce lac rond, de 40 hectares ou un peu plus, remplit un ancien cratère, le plus septentrional de la chaîne des Puys.

Parmi ces montagnes qui lancèrent tant de laves, tant de boue, de soufre, de salpêtre, de nitre, de scories, d’eau bouillante, la plus haute, la plus majestueuse, c’est le Puy de Dôme. Il n’a que 1 465 mètres, mais il commande de 550 mètres le plateau dont il surgit, de 1 100 mètres Clermont et la Limagne ; vu de la plaine, il est imposant, de certains lieux grandiose. Son cône boisé se compose de l’espèce de trachyte qui lui doit le nom de domite. Cet « assembleur de nuages » porte maintenant un observatoire, et, à côté de ce temple de la science, les ruines d’un sanctuaire gallo-romain dédié à Mercure Domien ou Mercure Auvergnat, l’un de ces dieux indigènes que Rome s’empressait d’adopter pour confisquer avec eux le peuple qui les adorait. Comme les Romains, croyant l’Empire éternel, bâtissaient pour l’éternité, le temple du Mont Dôme, si haut dans le ciel, était vaste, solide, superbe, orné de marbres somptueux fournis par Europe, l’Afrique et l’Asie ; et la statue en bronze de Mercure Arverne était un des plus grands colosses du monde grec et latin.

Chaîne des Dôme, vue de la base du Puy Chopine.

Le Puy de Pariou, voisin du Puy de Dôme, a un cratère de 94 mètres de profondeur, de 310 de diamètre, qui est de la plus harmonieuse régularité. Le Puy de Côme, le plus majestueux de tous après le Puy de Dôme, est un cône boisé de hêtres qui s’élance à plus de 500 mètres au-dessus du plateau des Puys ; son double cratère, profond de 89 mètres, rejeta jadis la chéire la plus grande en même temps que la plus crevassée et la plus bouleversée de l’Auvergne : chéire que la Sioule a dû ronger au-dessous de Pontgibaud, sans quoi cette vive rivière s’amortirait encore en un lac semblable à ceux d’Aydat et de Chambon. Le Puy de la Chaise ou de Louchadière, qui concourut à la chéire de Pontgibaud, renferme un cratère de 148 mètres de creux. Le Puy de la Nugère est l’auteur de la chéire de Volvic. Le Puy de Montchié a quatre cratères. Le Puy de Gravenoire encombra de ses laves la gorge de Royat, si fraîche, aimable et riante, depuis qu’un torrent né des plus belles sources que laisse échapper la lave d’Auvergne, la Tiretaine, jadis Scatéon, l’a creusée et façonnée de nouveau. Ce « mont rouge » des Latins, ce « sable noir » des Auvergnats méritera bientôt un autre nom, quand auront grandi les pins dont on le pare ; après avoir été fous, nous devenons sages, au moins dans le pays des Dôme, et nous y reboisons des versants misérables.

Quant à la montagne de Gergovie, sa célébrité ne vient ni de son altitude, qui est faible (744 mètres), ni de ses cratères, car elle n’en a pas, et, si elle porte des basaltes, elle les a reçus, mais ne les a point vomis ; elle n’est point belle et n’a rien de grandiose. Sa gloire est tout historique : sur son plateau s’élevait la ville gauloise que les légions de César, enthousiasmées par cent victoires, ne purent enlever aux barbares de Vercingétorix. Un village de cette montagne a récemment troqué le nom fâcheux de Merdogne contre celui de Gergovie.

Gergovie.

Les Dôme appartiennent au seul bassin de l’Allier ; toutes leurs eaux se versent dans cette grande rivière, soit directement, soit par la Sioule, torrent sinueux et rocheux.


3o Monts du Limousin et de la Marche. — Du pied des Dore et des Dôme, en allant vers l’ouest, de croupe en croupe, de gazons en herbages, d’horizon large en horizon nu, l’on arrive aux monts du Limousin, qui n’ont point de pics, mais des mamelons, point de vrais lacs enchâssés dans la roche, mais des étangs réfléchissant les prés, les bois, les brandes, les genêts, les fougères, les chênes, et les châtaigniers dont le paysan vit autant que du seigle de ses sillons.

Roches dures, gneiss et granit, terre argileuse et peu fendillée, ces plateaux bombés retiennent à la surface toutes les gouttes de pluie, tous les cristaux de neige, et l’eau y est partout, sous toutes ses formes, étangs, mares, torrents, murmures dans les rigoles, scintillements dans l’herbe de la prairie ; aussi les monts du Limousin n’ont-ils point le climat de leur latitude. Ils n’ont point non plus celui de leur altitude ; parfois le printemps y est sans clémence, l’automne pareillement ; l’hiver long, très rude, à demi scandinave, y règne sur des pelouses blanches entre de noires lisières de forêt, et les rivières sont glacées ou coulent, sombres, entre des rives de neige. Cependant aucune cime n’y atteint seulement mille mètres.

Étangs, sources, neiges fondues y font les plus jolis ruisseaux du monde, et ces ruisseaux se rassemblent en rivières très sinueuses où passent des flots frais et clairs, un peu rouges cependant : Vienne, Combade, Maulde, Taurion, Briance, Chavanon, Vézère, Corrèze, Auvézère, Isle et Dronne, Bandiat et Tardoire, tournent gracieusement dans des prés savoureux, tondus par des bêtes robustes et bien en chair.

Quoique ces monts tiennent du plateau, qu’ils soient largement ondulés, mous et ronds, qu’ils n’aient rien de chaotique, d’audacieux, de titanesque, qu’on les aime pour leur fraîcheur, leur verdure, leur grâce, leurs bruits de clochettes et non pour leur grandeur, les vallées y sont profondes, surtout vers l’aval, et les cascades n’y manquent point aux rivières : la Maulde a son Gour des Jarraux, la Vézère ses sauts de la Virolle et du Saumon, la Dronne son humble cascade du Chalard.

Le sommet culminant des monts du Limousin, le Mont Besson (984 mètres), dans la Corrèze, regarde les herbes du plateau de Millevache, plaine gauche, irrégulière, bosselée, d’où descendent la Vienne, affluent de la Loire, et la Vézère, affluent de la Dordogne ; il dépasse de 30 mètres un mamelon de ce même plateau, le mont Odouze ou Audouze, auquel nos cartes et nos livres donnaient autrefois 1 364 mètres : c’est comme si l’on attribuait 7 000 mètres de hauteur au Mont-Blanc. Au sud-ouest et non loin du plateau de Miilevache, sur la haute Vézère et la haute Corrèze, la chaîne des Monédières monte à 920 mètres.

Dans la Haute-Vienne, le mont Gargan, près de Saint-Gilles-les-Forêts, a 731 mètres. Sur les limites du Limousin et du Périgord, les monts de Chalus, hauteurs bocagères autour desquelles gazouillent les premières fontaines de l’Isle, de la Dronne, du Bandiat et de la Tardoire, s’assemblent autour d’un sommet de 546 mètres. Dans les monts d’Ambazac, entre Bellac, Limoges, Bourganeuf et Guéret, le Puy de Sauvagnac (701 mètres) domine des étangs et des vallons boisés. — Les montagnes de Blond, au sud de Bellac, ne s’élèvent qu’à 505 mètres ; mais quand on les voit d’assez loin pour qu’elles soient bleues, elles font grande figure, parce qu’elles contemplent de haut les terres qui les rattachent au plateau du Poitou, aux collines de l’Angoumois et aux monts du Limousin.

Dans la Creuse, parmi les monts de la Marche, le massif où naît la Gartempe, les puys chauves de Guéret, les montagnes nues de Toulx-Sainte-Croix, au sud de Boussac, ont des cimes de 650 à 700 mètres ; enfin, tout à fait au nord, dans le Cher, les monts de Saint-Marien, où jaillit l’Indre, ont 508 mètres d’altitude.

Les monts du Limousin et de la Marche partagent leurs eaux entre la Loire, la Charente et la Gironde.


4o Cantal. — Au midi des Dore se lève le Cantal, dans le département qui porte ce nom. Le Plomb du Cantal (1 858 mètres) est le mont principal de ce massif de volcans éteints. Il se lève près du Lioran, qu’entr’ouvrent deux tunnels, par plus de 1 100 et par moins de 1 200 mètres d’altitude, l’un pour le chemin de fer d’Arvant à Figeac, l’autre pour la route de Brioude à Aurillac. Là même, dans les roches poreuses, dans les pierres brûlées, dans la cendre que ces souterrains percent, s’évasait, on le soupçonne du moins, la grande chaudière centrale, celle qui répandit le plus de matières sur un socle de 150 kilomètres de pourtour aujourd’hui recouvert par les expectorations du Cantal, depuis la Truyère jusqu’à la Dordogne, et même au delà : car les célèbres orgues de Bort, sur la rive droite de ce dernier cours d’eau, sont bel et bien des basaltes vomis par la gueule du Lioran ou tout autre cratère du massif.

Des forêts, des sapins, des eaux brillantes, filles des neiges de six mois de l’année, des cascades, des colonnades basaltiques ou des orgues, pour se servir du mot consacré, des roches monumentales et des prairies veloutées, c’est ce qu’on admire, ce qu’on aime dans ces vallons étalés en éventail autour du noyau central de ces monts, et s’abaissant rapidement vers l’Allier, vers la Dordogne, ou vers la Truyère, qui est une branche du Lot. Mais le Cantal a perdu trop de bois. Le coureur qui mêle éternellement ses courses et qui monte aussi vite qu’il descend, l’embrouilleur et le débrouilleur des nues, le dispensateur des pluies, l’agitateur des eaux, l’âme et la voix des forêts, le vent, puisqu’il faut l’appeler par son nom, y fait moins vibrer qu’autrefois l’orchestre des rameaux verts ; il y souffle sur des calvities, des nudités, des brandes et de vastes pâtures où croissent les premiers bœufs de l’Auvergne. C’est là le sort commun des montagnes du Centre : Dore et Dôme, monts de la Marche et du Limousin sont également sortis par presque tous leurs pics et leurs dômes de la sainte obscurité des forêts. Et cependant, disait un proverbe, dans la montagne, un arbre vaut un homme. Aussi, que de pays merveilleux quand on les voit à l’horizon, bleus, célestes, éthérés, magiques, sont-ils, vus de près, laids, grisâtres, éboulés, ravinés, ébréchés, altérés, caducs. C’est comme une trahison. « La nature nous trompe, dit un poète aragonais[2] ; ce ciel, cet azur que nous voyons d’en-bas, n’est point azur, ni ciel. »

Le Plomb ne domine que de quelques mètres le Cantalou ou Petit Cantal (1 806 mètres) et le pic du Rocher, haut de 1 806 mètres également. Parmi les autres puys cantaliens plusieurs dépassent 1 700 mètres, beaucoup 1 500. Le Puy Mary (1 787 mètres) fut un de nos volcans les plus convulsifs ; on lui attribue le vêtement basaltique du plateau de la pastorale Salers. Le Puy Chavaroche (1 744 mètres), qu’on appelle aussi l’Homme de Pierre, et son voisin le Roc des Ombres (1 647 mètres) dominent d’adorables vallons, calmes dans leur profondeur, diaprés de gazons, de fleurs, de ruisseaux d’argent : nos montagnes du Centre n’ont rien de plus gracieusement intime que les rives du Chavaspre et du Chavaroche, eaux pures dont l’union forme l’Aspre ou rivière de Fontanges.

Le Puy Mary.

Les principales rivières cantaliennes sont la Maronne et la Cère, affluents de la Dordogne, et le charmant tributaire de l’Allier qui s’appelle Alagnon, et qui passe, encore tout petit torrent, au pied du colossal rocher de Bonnevie, dont les prismes, dominant Murat, n’ont pas moins de 50 mètres de hauteur.

La Planèze est une plaine, comme son nom l’indique : non pas une Beauce parfaitement horizontale, sans mamelons, sans pentes visibles, sans creusements de vallée, sans sillons de rivières, mais un plateau bosselé, de 1 000 mètres au moins d’altitude moyenne, ayant des lignes de faîte, des buttes, des coteaux isolés, des lits de torrents inclinés vers la froide Truyère. L’un de ces torrents lave le pied du haut mur de basalte couronné par Saint-Flour, qui n’est plus la capitale de la chaudronnerie ; sa célébrité n’en reste pas moins très grande parmi nous, tant ses émigrants ont porté son nom, sinon sa gloire, dans les bourgs les plus reculés de la France ; bien des paysans n’ignorent pas Saint-Flour, qui n’ont jamais entendu parler de Moscou, de Constantinople, de New-York ou du Caire. Les basaltes sur lesquels elle repose, les pierres volcaniques dont elle est bâtie, et qui l’ont fait appeler « Ville noire », lui vinrent, il y a nombre de siècles, des monts cantaliens : probablement du Plomb lui-même, car il y a toute apparence que cette montagne rejeta les pâtes volcaniques devenues en se refroidissant armure basaltique de la Planèze.

Point belle et point agréable, la Planèze est un dur séjour ; la fin de l’automne, l’hiver, les premières semaines du printemps y entassent neige sur neige, et tout l’an les vents s’y dispersent, froids et fougueux, soufflant également du Cantal, de la Margeride et des monts d’Aubrac, autrement dit de toutes les cimes de l’horizon. Mais elle est fertile et donne tant de seigle qu’on l’a surnommée le grenier de la Haute-Auvergne. Qui la traverse de l’ouest à l’est en coupant ses principaux vallons, passe des laves du Cantal aux granits de la Margeride ; qui la traverse du nord au sud en suivant ses ruisseaux, arrive à la profonde vallée de la Truyère, qui la sépare des roches ignées vomies par les monts d’Aubrac. Elle forme de la sorte un remblai volcanique entre deux massifs qui flambèrent et une chaîne qu’aucune éruption n’éclaira.


5o Margeride. — La Lozère, la Haute-Loire, le Cantal, portent cette chaîne granitique au profil tranquille, qui a plus de croupes que de dômes, et plus de dômes que de pics. Vue de loin, la Margeride ou Margerite est une longue ligne noire dans le ciel de la France centrale, une espèce de sombre muraille sans créneaux, sans tours et sans clochers.

Comme un écueil que la mer entoure et ne submerge point, ces petites Alpes du Gévaudan sont demeurées purement granitiques au milieu de l’océan de laves qui descendit des monts du Velay à l’est, du Cantal et des monts d’Aubrac à l’ouest. Contre leurs assises, le Cantal lança d’occident le flot devenu la Planèze, et d’orient les monts du Velay vomirent les basaltes qu’a sculptés, que sculpte toujours le transparent Allier ; mais ces deux courants ne remontèrent pas les versants margeridiens.

La cognée, les troupeaux, l’incendie, ont fait ici moins de ravages que dans la plupart de nos montagnes. De son arête aux plateaux ou aux vallons de sa base, la Margeride est noire de forêts, chênes, hêtres, sapins tourmentés par de longs hivers ; et dans ces bois profonds, reculés, moins troublés et violés que d’autres par l’homme, le loup parfois rôde encore en bandes quand la neige couvre le sol. Il y a cent et quelques années, une louve affamée y déclara la guerre à l’espèce humaine ; elle dévora, comme dans l’Inde un tigre. Il fallut faire marcher toute une armée contre elle ; et la bête du Gévaudan est encore célèbre sur les plateaux qu’éventre la Truyère au sud-est de Saint-Flour, là où cette rivière, la plus grande en Margeride, passe de la Lozère au Cantal et commence à se courber pour aller à la rencontre de l’Olt ou Lot, son seigneur et maître.

Le Mont de Randon, sommet culminant, a peu d’apparence : comme les autres cimes de la Margeride, il a moins l’air d’une montagne que d’une très haute colline, le socle sur lequel il repose faisant les trois quarts de sa taille. Avec ses 1 554 mètres, il ne l’emporte que de 41 mètres sur Le Truc de Fortunio, son voisin, et nombre de mamelons du plateau margeridien lui sont inférieurs de 100 à 150 mètres seulement. Il s’élève au nord de Mende, entre Saint-Amans-de-Lozère et Châteauneuf-Randon, ville dominant la triste vallée qui vit la mort de du Guesclin.


6o Monts d’Aubrac. — Pour aller de la Margeride aux monts d’Aubrac, il faut marcher sur de mornes plateaux terminés au sud par les granits du Palais-du-Roi, qu’on dirait ainsi nommé par ironie, car il ne porte que des étables et des cabanes fouettées pendant six mois de l’année par des vents mouillés de neige. Puis on franchit la sauvage Truyère ou la Colagne, affluent du Lot, Les monts d’Aubrac s’appellent ainsi d’un grand hôpital dont il ne reste que des ruines : bâtie vers l’an 1120, au pied d’un des mamelons suprêmes du massif, la maison hospitalière d’Aubrac attira longtemps par milliers les malades, les lépreux, les pélerins, les pauvres, et son nom devint celui de toute la montagne.

Le prince de ces monts volcaniques portés par des granits et des gneiss, le Pic de Mailhebiau (1 471 mètres), se dresse dans la Lozère, tout près de l’Aveyron, en vue de la forêt de hêtres d’Aubrac, au-dessus de la source du Bès, affluent de la Truyère. Quatre lacs sont blottis au nord dans des vallons tourbeux dont les premiers plissements partent de ce nœud du massif ; disons plutôt quatre laquets ou laguets, pour hasarder un diminutif mille fois nécessaire : ils sont, en effet, très petits ; le lac de Bord emplit un vieux cratère ; le lac de Saint-Andéol a 2 400 mètres de tour ou un peu moins ; le lac des Saliens verse le torrent de la cascade de la Roque ; le lac de Souvérols se nomme, et c’est tout.

Au sud, au sud-ouest, les torrents d’Aubrac, faits du ruissellement des pelouses, quittent précipitamment le silence et la paix des lieux supérieurs ; par de profondes déchirures, entre des orgues, des roches, des talus oppresseurs, ils tombent en quelques heures à la rive droite du Lot. À l’est, au nord, sur le versant de la Truyère, la pente est moindre, les sources ayant devant elles une route plus longue avant d’atteindre la ville d’Entraygues, qui est le rendez-vous de la Truyère et du Lot. De ce côté-là s’étend la Sibérie d’Aubrac : Sibérie en hiver seulement, car son herbe savoureuse fait en été les délices de 30 000 vaches et de 40 000 moutons venus du Bas-Languedoc pour demander aux prairies des montagnes le funeste épanouissement de chair qui les vouera plus vite au couteau des égorgeurs.

Sur ce versant septentrional, un nuage de vapeur plane au-dessus du vallon d’un petit torrent qui court à la Truyère ; il signale Chaudes-Aigues, en français les Eaux-Chaudes, lieu bien nommé : des sources thermales — de 57° à 81° — y jaillissent ; amenées par des canaux dans les maisons, elles y distribuent en hiver une température de 18, de 20, et même de 26 degrés ; si bien qu’il règne en ce bas-fond de l’Aubrac un air doux et mou bien supérieur au climat normal d’une ville sise en pleine montagne sous des cieux neigeux à 650 mètres d’altitude, dans un vallon tourné vers le nord.

Ces eaux ne sont pas seulement thermales, elles sont aussi minérales : elles consolent, souvent même elles guérissent des rhumatisants, des gastralgiques et autres tristes dolents ; leur renom grandit, et sans doute elles attireront des visiteurs aux monts d’Aubrac, terre inconnue, presque déserte, où il n’y a que peu de hameaux et des burons à fromages dispersés sur la croupe gazonnée où çà et là se lèvent des mégalithes.


7o Causses du Rouergue et du Quercy. — Quand des cimes des monts d’Aubrac on regarde au loin vers le sud-ouest, on voit se poursuivre jusqu’à l’horizon les plateaux du Rouergue, causses ou ségalas de 500 à 700 mètres d’altitude.

Les Ségalas, qui sont schisteux, gneissiques ou granitiques, donnent du seigle, comme le mot l’indique.

Les Causses, qui dans le Gévaudan s’appellent Cans, se désignent ainsi du latin calx, la chaux ; ils sont calcaires et donnent du blé quand leur climat le permet. Sous divers noms, ils occupent, au sud et à l’ouest, une grande portion du plateau des Monts Français.

Froids, tempérés ou chauds suivant le plus ou le moins de surrection au-dessus du niveau des mers, les causses varient beaucoup de climat ; ils diffèrent peu de sécheresse et d’aridité. Voici pourquoi :

L’orage aux larges gouttes, la pluie fine, les ruisseaux de neige fondue, les sources joyeuses, ces inestimables présents du ciel, ne sont point pour le causse, qui est fissuré, criblé, cassé, qui ne retient point les eaux ; tout ce que lui confient les fontaines, tout ce que lui verse la nue entre dans la rocaille. Et c’est bien loin, bien bas, que l’onde engloutie se décide à reparaître ; elle sort d’une grotte, au fond des gorges, au pied de ces roches droites, symétriques, monumentales, qui portent le terreplein du causse. Mais ce que le plateau n’a bu qu’en mille gorgées, la bouche de la caverne le rend souvent par un seul flot, les gouttes qui tombent du filtre s’unissant dans l’ombre en ruisseaux, puis en rivières. Aussi les sources du pied du causse sont-elles doublement des fontaines de Vaucluse : par l’abondance des eaux, par la hauteur et la sublimité des rocs de leur « bout du monde ».

Trop de soleil si le causse est bas, trop de neige s’il est élevé, toujours et partout le vent qui tord des bois chétifs, pour lac une mare et pour rivière un casse-cou, de rocheuses prairies tondues par des moutons et des brebis à laine fine, des champs caillouteux d’orge, d’avoine, de pommes de terre, rarement de blé, et dans les terres de peu d’altitude une vigne sur la pierre à fusil, le Caussenard seul peut aimer le causse ; mais tout citoyen du monde admire les vallées qui le creusent. En descendant, par des sentiers de chèvre, du plateau dans les gorges, on quitte brusquement la rocaille altérée pour les prairies murmurantes, les horizons grands et vagues pour de petits coins du ciel et de la terre. En haut, sur la table de pierre, c’était le vent, le froid, la nudité, la pauvreté, la laideur, la tristesse, le vide, car ces plateaux ont très peu d’habitants ; en bas, sur les tapis de gazon, c’est le zéphyr dans les vergers, la tiédeur, l’abondance et la gaîté. Le contraste inouï que certains causses font avec leurs cagnons[3] est une des plus rares beautés de la belle France.

Les plateaux du Rouergue comprennent des ségalas et des causses qu’on peut appeler causses de Rodez, d’après la ville dont la haute cathédrale s’aperçoit de tous les mamelons de la haute plaine.

Rodez.

Les Causses de Rodez ne se distinguent point des autres. On y voit des vallons secs, des côtes arides, des plaines maigres, des taillis malvenus, et de tous côtés les trous, les cassures, les gouffres ou, comme on dit ici, les tindouls au fond desquels s’ouvrent des grottes parcourues par les eaux dans a route obscure qui les mène des suçoirs du causse aux fontaines de la vallée : tel est, parmi les plus connus, le tindoul de la Veyssière, profond de 47 mètres, près de la route d’Aurillac à Rodez. L’Enfer de Bozouls, dont une petite ville borde le précipice, n’est pas ou n’est plus un tindoul ; il ne s’y engouffre aucun ruisseau ; une rivière, le Dourdou du Nord, le traverse avant d’entrer dans la gorge rougeâtre de Villecomtal, puis dans le défilé schisteux et noir de Conques. Et comme toujours on trouve dans les vallées ce qui manque tant au causse et au ségalas : les claires vaucluses, les eaux sinueuses, les cascades, les prés, les bocages. Un des plus merveilleux cirques de la France est comme englouti dans le causse de Rodez ; c’est le vallon de Salles-la-Source, où bondit le Craynaux, qui serait un ruisseau transparent si l’homme le laissait à ses libres allures ; mais dès sa source le manufacturier l’usurpe : à peine a-t-il jailli, bouillonnant et clair, de la fente d’un rocher, qu’on l’enlève à son destin naturel de ruisseler dans les prairies et de plonger dans de petits abîmes. On le mène à des usines accrochées au versant du mont, du premier ressaut dont il aimerait à diaprer les gazons jusqu’au fond de la vallée, dans l’espèce de gouffre d’où Ton voit comme dans le ciel les poteaux du chemin de fer de Capdenac à Rodez plantés sur l’extrême rebord du causse.

Et de ces poteaux que la locomotive partie des bords du Lot n’atteint qu’en s’époumonant, à force de courbes et de montées, on admire l’immense entonnoir du Craynaux, Salles, ses trois villages, la raideur de ses roches et les cascades que l’industriel n’a pas encore enfouies dans l’obscurité des usines. Au bas de cet échafaudage de moulins et de manufactures, le Craynaux a perdu sa transparence, mais du moins n’est-il pas fétide, noir, marbré d’ordures, comme tant de ruisseaux lucidissimes dont l’homme a fait les convoyeurs de ses immondices. Et parmi les cataractes qui lui restent il en est de charmantes, une surtout qui saute du fronton d’une caverne tandis que des perles brillantes filtrent dans un tissu de mousse et tombent goutte à goutte à l’entrée de la grotte.

Au sud le causse de Rodez se continue par les plateaux de roches compactes où le Viaur a creusé ses tortueux précipices. Ces plateaux s’appuient au Lévezou, stérile massif de gneiss qui se lève entre la vallée du Tarn et le bassin de l’Aveyron ; c’est lui qui pousse jusqu’à la rive gauche de cette dernière rivière les croupes habillées par la vaste forêt des Palanges ; sa cime la plus haute, le Pal (1 116 mètres), donne naissance au Viaur.

Les causses et ségalas du Rouergue se prolongent à l’ouest sur le territoire du Lot, où ils prennent le nom de causses du Quercy.

Sur mille Français qui voyagent, s’il en est un seul qui daigne jeter en passant un regard sur la France, beaucoup d’entre nous connaissent maintenant ces causses, que le chemin de fer de Paris à Toulouse traverse par Rocamadour, Gramat et Assier. Après Brive, la cité joyeuse, après Turenne, le nid d’aigle, on arrive au Puy d’Issolu, qui porta, croit-on, l’Uxellodunum des Cadurques. Là on traverse la Dordogne et l’on gravit à flanc de roc la rampe de Montvalent, avec la vue, plus belle à chaque détour, du cirque de Floirac, qui vaut à lui seul toute la molle Touraine. Ému par un tableau magique, on admire ce petit paradis entouré de roches vives, ses eaux pures, sa douce lumière, ses champs heureux, ses noyers, ses vergers, ses villages, quand par une seule courbe, en quelques tours de roue, on entre dans le pays de la lumière crue, de la sécheresse et des pierres.

Ce causse est un bloc de rochers, mais non pas un monolithe ; il est au contraire criblé de cloups, comme on dit en Quercy, les uns petits, d’autres très grands, abîmes ou grottes où disparaissent les ruisseaux de source et les eaux d’orage ; tels le puits de Padirac, profond de cinquante-quatre mètres ; le gouffre de Roque de Cor où plonge le ruisseau de Miers ; les trous qui boivent la Thémines et la Théminette ; le gouffre de Bède où l’on descend par une crevasse, que même on laboure avec des ânes, à l’ombre des noyers ; le Saut-de-la-Pucelle où s’enfonce le ruisseau de Rignac : le Réveillon, superbe caverne voisine de la station de Rocamadour, et qui dévore elle aussi, du moins en hiver, un petit torrent ; l’effondrement de Ligne de Biau et tant d’autres, origine des fontaines de l’Ouysse, si fraîches à côté des ardentes roches de Rocamadour.

Le squelette du causse de Quercy montre partout ses os, ses nodosités, ses vertèbres ; quand il les cache, c’est sous des traînées de cailloux, sous des terres blanches ou rouges, champs de rocaille divisés en enclos par des murs de pierre sèche : dans ce singulier humus on sème pourtant des grains, du blé noir, on plante la pomme de terre ; les arbres y vivent, ils deviendraient forêt si on les laissait faire ; et la vigne y croît, non sans quelque vigueur, par la lumière et par la rosée d’un ciel serein. Ce fut jadis un plateau anormal, mais les météores l’ont tellement usé, il s’est tellement effondré sur ses cavernes qu’il a perdu toute régularité ; ses pentes se contrarient à l’infini et souvent un tout petit enclos s’y compose de plusieurs microscopiques vallons qui ne communiquent ensemble que sous terre, ou plutôt sous roche, par la lâcheté du sol. Sur des pierres plus dures, ces fondrières prodigieusement altérées seraient un chapelet d’étangs.

Le causse du Quercy n’a que 300 à 450 mètres d’altitude ; mais au nord-est, près de la ligne qui sépare le Lot du Cantal, les gneiss de la Bastide du Haut-Mont s’élèvent à 781 mètres.

Si des causses du Rouergue on finit par atteindre ceux du Quercy en marchant vers l’ouest, on arrive en marchant vers l’est à ceux du Gévaudan. Le premier qui se présente, derrière la source de l’Aveyron, est le Causse de Sauveterre, effrayant d’aridité. Haut de 900 à 1 000 mètres, il va des défilés du Lot au cagnon du Tarn, sous les vents et les frimas ; les neiges de l’hiver y ont souvent gelé des voyageurs, et il n’y a pas ici de chiens du Saint-Bernard. Le cours supérieur des deux rivières sur lesquelles il plonge mène à la Lozère, qui fait partie des Cévennes.


8o Cévennes : Du col de Naurouze à la Lozère. — Les Cévennes ne s’appellent véritablement ainsi que dans le Gard, l’Hérault, la Lozère ; partout ailleurs, du col de Naurouze au mont Pilat, elles changent incessamment de nom.

Elles ont ceci d’admirable qu’elles séparent deux climats, deux végétations, deux natures. Au nord et à l’ouest, c’est la pluie, la neige, tous les crachats de l’hiver, le léger brouillard argenté par la lune ou l’épaisse brume que ne perce pas le soleil, et, des ruisseaux jasent dans les moindres vallons sur d’adorables pelouses ; au midi c’est le grand soleil, la chaleur, l’éclat, la sécheresse, l’aridité, la poussière, la vigne, l’olivier, les fontaines rares mais grandes et claires, les chocs de couleur, les horizons crus, plus beaux pourtant qu’au septentrion. Quel contraste, à quelques lieues de distance, entre la verdure de Mazamet et les marbres diversicolores de Caunes, entre l’Agout à la Salvetat-d’Angles et le Jaur au-dessous de Saint-Pons, entre la vallée de la Dourbie à Nant et l’Hérault à Ganges ou à Saint-Guilhem-du-Désert, entre le Tarn à Pont-de-Montvert et les gorges ensoleillées des Gardons, entre l’Allier vers la Baside et les ravins d’où descend la Cèze, entre la Loire naissante ou le Lignon du Sud et les terribles torrents de l’Ardèche qui roulent convulsivement des feuilles tombées de l’arbre de Minerve ! d’un côté c’est la Sibérie française, de l’autre c’est une Afrique où le sirocco ne brûle pas de moissons, mais le mistral y souffle, qui vaut à lui seul un petit hiver.

Entre Carcassonne et la « Rome de la Garonne », qui est Toulouse, le col de Naurouze, à 189 mètres seulement d’altitude, entaille une colline couronnée par un monument à la mémoire de Riquet, le créateur du canal des Deux-Mers. Il donne passage à une grand’route, au chemin de fer de Bordeaux à Cette et au canal du Midi : au sud le pays se relève vers les Pyrénées, au nord commencent les Cévennes.

Les Cévennes, au nord-est du col de Naurouze, s’appellent d’abord monts de Saint-Félix, de la petite ville de Saint-Félix-de-Caraman, située sur une de leurs premières collines ; elles n’ont que 500 mètres : d’altitude jusqu’à Revel et à Sorèze : c’est dans les environs de ces deux cités que Riquet prit aux naissantes Cévennes l’eau qu’il lui fallait pour les éclusées du canal des Deux-Mers. Empruntant à la fois des torrents au bassin du Tarn et au bassin de l’Aude, séparés ici par la montagne cévenole, il versa leurs flots dans une rigole qui les mène au point de partage des Pierres de Naurouze. Et pour que ces torrents fissent en tout temps leur devoir, il barra des vallons par des digues cyclopéennes : ces vaux devinrent ainsi des lacs. Le réservoir du Lampy Neuf contient 1 672 000 mètres cubes, en 23 hectares et demi ; le bassin de Saint-Ferréol, vaste de 67 hectares, renferme, en son plein, 6 374 000 mètres cubes soutenus par un mur de 32 mètres de hauteur, de 70 d’épaisseur, et de presque 800 de longueur.

Au sud-ouest, au sud, au sud-est de Mazamet, ville industrielle, les Cévennes, ici granitiques et schisteuses, s’appellent Montagne Noire, des forêts qui en brunissaient le versant septentrional, qui l’assombrissent encore. Le versant méridional, éclairé par un soleil qui fait mûrir l’olivier, fut peut-être boisé, mais il ne l’est guère aujourd’hui, et c’est pour cela que les habitants du val d’Aude le nomment la Montagne Blanche. Un mont, souvent, a deux, trois et jusqu’à quatre noms suivant la vallée dont on le contemple ; ici vert, là rouge ou jaune ou gris ou noir ; ici droit, précipitiel, nu, sec, terrible, là paisible, ombreux, arrondi, ruisselant, bocager ; et ces divers aspects peuvent aller du magnifique au banal ou au laid : car, sauf quelques pics sublimes, beaux de par tout, de loin, de près, des quatre vents du ciel, il n’est pas de cime, si haute soit-elle, qui n’ait une épaule bossue et çà et là des verrues vulgaires. L’homme n’a qu’un visage, la montagne a plusieurs faces, et, pour ainsi dire, plusieurs personnes, selon l’exposition, l’insolation, les roches ; l’aridité des flancs ou leur habit de verdure. Quant aux grandes chaînes, leurs versants diffèrent surtout lorsque, allant de l’est à l’ouest, elles séparent le nord du sud, ou lorsque, allant du sud au nord, elles se lèvent : entre un : pays de vents de mer et une région de vents continentaux. Le pic de Nore (1 210 mètres), dans la forêt de Nore, sur les frontières du Tarn et de l’Aude, est le maître sommet de la Montagne Noire.

Les Cévennes, tournant au nord-est, prennent ensuite différents noms : Saumail, Monts de l’Espinouze, Caroux, Monts de la Croix de Mounis, Marcou, Garrigues. Ici, au-dessus du Jaur et de l’Orb, le versant méridional est de grand caractère. Tout en raideur, il semble fort haut. Les siècles l’ont mis à vif ; il est plein de brèches, d’anfractuosités, de cirques lumineux, tandis que le versant du nord s’amortit en plateaux : de ce côté-là, sur les torrents qui forment l’Agout, les Monts de l’Espinouze se continuent par les mamelonnements du massif de Lacaune, où se dresse le Montalet (1 266 mètres). Les Monts de la Croix de Mounis et le Marcou ont les flancs pleins de houille[4]. Les Garrigues, dont le kermès, chêne rabougri, couvre mal la nudité, sont le rebord et le support du fameux Larzac.

Le Larzac, haut de 750 à 900 mètres, n’est pas plus gai que les Causses du Rouergue, du Quercy, du Gévaudan, dont il partage la marâtre nature, sauf dans les fonds où quelque humus s’est à la longue amassé. Il est pauvre d’eau, pauvre de sucs, pauvre d’herbes, pauvre d’arbres, froid ou chaud suivant l’heure ou le jour. Il ne garde pas non plus ses ruisseaux : ne laissant d’eux qu’un aride escalier, ils s’enfoncent dans la profondeur pour remonter en glorieuses fontaines, comme celle de la Vis, vraie mère de l’Hérault, celle de la Sorgues, vraie mère du Dourdou méridional, celle du Durzon, vraie mère de la belle et claire Dourbie. Le Larzac s’achève sur la Vis, la Dourbie, le Tarn, la Sorgues, l’Ergue, par des falaises grandioses ; il va de Lodève à Millau sur deux territoires : l’Hérault et l’Aveyron. Ses gazons secs entretiennent des moutons à laine frisée, race qu’on appelle brebis du Larzac, bien qu’elle paisse également sur les autres déserts calcaires de ce coin du monde. Son vrai nom serait brebis du causse. Ces bêtes-là, qui sont par centaines de mille, boivent peu ou point et ne s’en trouvent pas mal, ayant fini par s’adapter à l’Arabie Pétrée qu’elles broutent ; elles donnent leur lait aux fameuses fromageries de Roquefort.

Là où s’unissent le Gard, l’Aveyron, la Lozère, aux sources de l’Hérault, de l’Arre, de la Dourbie, de la Jonte, du Tarnon, — ce sont là cinq torrents translucides, — les monts du Vigan, granits, schistes, gneiss cultivés en terrasses, sont gais, ruisselants, diaprés de verdure, parés de hêtres, de châtaigniers, riches en mûriers. Ils ont pour tête l’Hort-Dieu (1 567 mètres), dôme suprême de l’Aigoual. Le mot Hort-Dieu, de patois languedocien, veut dire Jardin de Dieu, Jardin céleste.

L’Aigoual a de sombres forêts, il contemple des plateaux sévères. Il y a deux cents ans, des ours le hantaient ; il n’a plus aujourd’hui que des loups. Sur l’une de ses hautes plaines, un petit torrent heurte un chaînon calcaire, près de Saint-Sauveur-des-Pourcils ; au lieu de contourner le bloc, il le perce et pénètre sous des voûtes obscures, où, comme le dit son nom patois de Brame-Biau, il mugit ainsi qu’un taureau sur les rochers tombés des parois et des arceaux de la caverne. Près de là, le Trevezet entre aussi sous la pierre et l’on ne sait pas où il revoit le jour.

Un autre plateau bien plus grand que celui de Saint-Sauveur-des-Pourcils est également dominé de loin par l’Hort-Dieu : c’est le fameux Causse Méjean, haut de 900 à près de 1 300 mètres. Plus élevé, plus froid et plus aride encore que le causse de Sauveterre, dont le sépare l’effrayant abîme au fond duquel fuit le Tarn, il s’étend sur près de 40 000 hectares, mais il n’a que 2 000 habitants dans trois misérables villages, la Parade, Hures, Saint-Pierre-des-Tripieds. Ce n’est pas seulement sur le Tarn qu’il tombe à pic, de quatre à cinq ou six cents mètres de haut, par de prodigieux escarpements qui d’en-bas sont comme l’escalade du ciel ; il plonge avec une égale brusquerie sur les précipices de la Jonte et du Tarnon. Aussi, de quelque lieu qu’on arrive au pied de ce Labrador voisin des oliviers du Gard, il faut gravir des roches immenses avant d’entrer dans le désert du causse et d’y souffrir du froid ou du vent, au milieu de la stérilité des champs, de la pauvreté des arbres et de la tristesse des horizons. Sahara sans chaleur, sans sirocco, sans trombes de sable, sans palmiers et sans chameaux, le Causse Méjean n’a ni prairies aux herbes serrées, ni croupes forestières, ni vallées moelleuses, ni lacs, ni méandres de rivière. On n’y trouve que des arbres souffrants, des broussailles, des herbes sèches donnant à la chair des moutons une odeur aromatique ; des « tombeaux des géants », mégalithes aussi nombreux sur les plateaux calcaires de ce pays qu’ils sont rares sur les plateaux granitiques ; des avens, gouffres de l’oolithe où descendent les ruisseaux d’orage ; des lavognes, tour à tour trous boueux ou mares verdâtres devant lesquelles le Caussenard qui n’a pas encore quitté son causse ne devinera jamais la limpidité des sources et la claire beauté des eaux courantes. Les ruisseaux que ce désert, sol sans cohésion, n’a pas la force de retenir, vont rejaillir, sources superbes, dans les vallées inférieures, sur le Tarn, le Tarnon et la Jonte : la fontaine de Florac est la plus belle de toutes, ou du moins la plus célèbre.

De même que sans la gigantesque faille du Tarn le Causse Méjean ne ferait au nord qu’un seul et même plateau avec le causse de Sauveterre, de même il se continue au midi de la faille de la Jonte par le causse de Meyrueis et de Trèves appelé Causse Noir ; de même encore, en sautant par-dessus le long gouffre où luit la Dourbie, on tombe sur le causse du Larzac. De la Lozère au Quercy tous les causses forment dans leur ensemble un grand plateau penché vers l’ouest, dans la direction que suivent le Tarn et le Lot.


9o Lozère, Monts du Goulet. — De l’Aigoual à la Lozère, les Cévennes sont le filtre d’où le Tarn et les Gardons coulent. Là vivent les fils de Camisards, ces Cévenols qui bravèrent le roi Louis XIV après la révocation de l’édit de Nantes. Pendant qu’ils tuaient et qu’on les tuait dans tant de vallons idylliques, beaucoup de leurs frères, échappant aux délateurs, aux convertisseurs, aux dragons, à la maréchaussée, à tous les dangers d’une route ennemie, gagnèrent la frontière des nations protestantes. Par dizaines, voire par centaines de milliers, ils secouèrent la poussière de leurs pieds sur le sol qui les avait nourris. En Allemagne, en Prusse, en Hollande, en Angleterre, on les reçut à bras ouverts parce qu’ils étaient Huguenots et parce qu’on savait qu’ils haïraient passionnément la France. Des centaines d’entre eux franchirent la grande mer : les uns vers l’Afrique Australe, où ils prirent part à la création du peuple des Boers, pasteurs de langue hollandaise ; les autres vers l’Amérique du Sud, où ils furent les vrais fondateurs de la colonie de Surinam.

La Lozère est une masse de granits, de schistes, de micaschistes, de sables provenus de la délitescence des quartz, une chaîne pelée, une croupe en ruine, d’où divergent le Lot, le Tarn et des affluents du Rhône. Le déboisement l’a tellement ravagée avec les plateaux dont elle regarde le morne horizon, que le département qui tient d’elle son nom est moins peuplé que l’ancien Gévaudan. — Ainsi appelait-on ce territoire avant 1789, ainsi l’appellera-t-on longtemps en dehors du style administratif, fiscal et préfectoral. — Il y a cent cinquante ou deux cents ans, ce pays avait plus de villages, des villages plus grands, et des hameaux y sont devenus ruine ou maison seule, ou simple souvenir, et même oubli. Dans la Lozère et dans presque toutes les Cévennes, trois choses ont diminué ou disparu, l’humus, les prés, les sources. Jadis telle fontaine cévenole bramait, pour parler avec le patois de ces lieux, c’est-à-dire qu’elle chantait ou du moins murmurait sous un dais de feuillage ; maintenant elle est tarie, ou bien elle monte hors de l’ombre des arbres, tristement, gans ronds, sans tourbillons, sans éclat, sans chant, sans murmure, d’une prairie chauve, d’un talus désossé, d’un cailloutis, d’un roc terne sans chevelure et sans panache.

La cime de la Lozère, le mont de Finiels (1 702 mètres), s’élève au nord de la ville de Pont-de-Montvert, traversée par le Tarn naissant. Vraie muraille de divorce des eaux, ce mont alimente le Tarn, il envoie un torrent au Lot, il donne naissance à l’Allier, rivière du bassin du Rhône. De son sommet, on voit les causses du Gévaudan, la Margeride, les monts d’Aubrac, les monts de l’Ardèche, les monts du Velay, la plaine du Rhône, les Alpes dauphinoises, le Bas-Languedoc, la Méditerranée, et même, dit-on, les Pyrénées franco-catalanes. Le pic de Malpertus (1 683 mètres) dont un versant porte la source du Tarn, est à peine inférieur au mont de Finiels.

De la Lozère on descend au col de Tribes (1 175 mètres), ouvert entre le Lot, qui n’est ici qu’un ruisseau dans les pierres, et l’Altier qui, de torrent en torrent, arrive au Rhône ; de ce col on monte la Chaîne du Goulet, granits de 1 499 mètres de haut qui renferment les fontaines du Lot ; puis, du Goulet, on descend sur le Causse de Monthel : Celui-ci, granit aride, s’attache à l’ouest au Palais du Roi, à l’est à la Forêt de Mércoire[5] (1 501 mètres), source de l’Allier.

À cinq ou six lieues en ligne droite au nord-est de la forêt de Mercoire, aux sources de la vagabonde Ardèche, les Cévennes, qui déjà ne s’appellent plus ainsi, s’écartent en deux chaînes pour serrer la vallée de la Loire. La chaîne de gauche, ou monts du Velay, sépare la Loire de l’Allier ; la chaîne de droite, ou monts de l’Ardèche, sépare la Loire du Rhône.


10o Monts du Velay. — Les monts du Velay ressemblent aux monts Dôme par leurs volcans éteints, puys, ampoules, rougeâtres boursoufflures sur un plateau de 800 à 1 000 mètres d’altitude fait de gneiss, de granits, de micaschistes enveloppés aujourd’hui de laves. De 50, de 100 de 200 mètres de haut, les anciens cratères y dominent ces laves, champs féconds malgré leur climat dur et maussade, et n’ayant pour toute beauté que le spectacle de l’horizon : à l’orient le Mézenc et la sierra qui le continue, à l’occident le dos noir de la Margeride, et bien au loin, dans le nord-ouest, la frêle et fugitive et souvent douteuse image du Puy-de-Sancy. Ses ruisseaux, modestes dans leurs humbles vallons, coulent paisiblement sur la table des laves, des trachytes, des basaltes, puis, devenus tout à coup extravagants, sautent colériquement dans les précipices, en route pour la Loire ou l’Allier. Telle est la cascade de la Baume, haute de 27 mètres, et d’autres moins connues, qu’on irait voir si leur torrent était autre chose que le suintement d’une prairie ou la gouttière de deux à trois collines. Les monts du Velay donnent peu d’eau.

Jadis, sur le plateau des Vellaves, plus de cent cinquante cheminées lançaient des fumées rouges, des cendres chaudes, des flammes sanglantes, des roches tondues ; ou plutôt on y reconnaît encore 150 à 200 cratères, qui, presque tous, sont fort détériorés ; on les soupçonne, on les devine ; on ne les voit pas, comme ces chaudières des Dôme, si merveilleusement conservées, et l’on n’admire point dans leurs coupes des lacs comme celui du Pavin dans les Dore. Il y a bien sur le dos du Velay deux lacs, celui de Limagne et celui du Bouchet ; mais ils ne remplissent point, croit-on, de vieux cratères ; ils se seraient logés, disent les savants, dans le vide fait brusquement à travers les roches par une explosion de gaz souterrain. Le lac du Bouchet est cerné de collines qu’on reboise ; à près de 1 200 mètres au-dessus du niveau des mers, il sommeille dans une vasque ronde ayant 3 kilomètres de tour ; profond de 30 mètres au plus, on n’y voit entrer aucune source, on n’en voit sortir aucun ruisseau. Il se trouve à peu près à mi-route entre le Puy-en-Velay et Pradelles, ville qu’on regarde ici comme la cité la plus haute de toute la France : elle n’est pourtant qu’à 1 135 mètres ; mais chez un peuple ignorant comme les Français de ce pays, on ne se soucie guère que du prochain voisinage ; beaucoup d’hommes du Centre ne connaissent même pas de nom les Alpes, comment auraient-ils entendu parler de Briançon (1 324 mètres), de Montlouis (1 513 mètres) et de vingt bourgs de Savoie, de Dauphiné, de Cerdagne bien plus rapprochés des nues que Pradelles ?

Au nord du Puy, au-dessus d’Allègre, un mont isolé, le cône de Bar (1 167 mètres), visible de très loin, renfermait un lac, mais ce lac n’est plus, qui pouvait avoir 1 500 mètres de tour et 40 de profondeur ; en dedans et en dehors les parois de sa coupe se sont revêtues de hêtres superbes qui font un bois sonore, car les vents de l’horizon soufflent nuit et jour, été comme hiver, sur la haute forêt du cratère du Bar.

Le Bois de l’Hôpital, à quatre kilomètres au nord-ouest du lac de Bouchet, est le sommet majeur des monts du Velay ; comme il a pour assise un plateau de 1 000 à 1 200 mètres d’altitude, ce n’est en apparence qu’une haute colline, en dépit de ses 1 423 mètres. Il en est ainsi de tous ces vieux volcans ; les monts Vellaves n’ont de majesté que pour qui les fixe d’en-bas, du gouffre où passe l’Allier, du précipice où passe la Loire, et même de ces deux bas-fonds on n’aperçoit guère que des talus raides cachant la vraie montagne. Mais les gorges de cette chaîne étroite ont dix fois plus de beauté qu’il n’en faut pour faire oublier la banalité, la laideur, la nudité, la tristesse des bombements du plateau. Le Puy-en-Velay surtout est admirable : cette ville a près d’elle un volcan célèbre, la Denise, des colonnades basaltiques nommées Orgues d’Espaly et Croix de la Paille et deux géants la dominent au bord d’un affluent de la Loire. L’un porte sur le flanc une cathédrale romane et de vieilles rues tortes et grimpantes ; c’est le rocher Corneille, si haut, si puissant, que, d’en-bas, on sourit de la petitesse du bronze qui le couronne : Notre-Dame-de-France, avec son enfant Jésus dans les bras, a pourtant 24 mètres de haut, socle compris ; elle pèse 100 000 kilogrammes, et pour matière elle eut 213 canons pris aux Russes à Sébastopol, quand nous remportions encore des victoires. L’autre roc, Saint-Michel ou Rocher d’Aiguille, dyke rouge de 85 mètres, jaillit brusquement des prairies de la Borne ; une église de neuf cents ans forme le pyramidion de cet obélisque, de ce dé, qui, sans un coteau à vignes et villas, regarderait l’immense bloc de Polignac, grande ruine sur un roc rougeâtre. À dix lieues à la ronde, presque tous les mamelons du Velay contemplent cette sombre assise d’un château qu’on redoutait au loin, et dont il reste encore un donjon, des tours, des pans de murs, un puits si profond qu’on le nomme l’Abîme, et un titre de duc dans la noblesse française ; de ces débris, le panorama est grand, mais triste ; on voit des bosses qui furent des volcans, des champs bruns ou rougeâtres qui furent des épanchements de lave, des bois, des sapins épars, et l’on ne voit pas les vallons profonds, si beaux par le contraste de leur verdure avec la sombreur des pierres volcaniques.

Le rocher d’Aiguille ou dyke de Saint-Michel.


11o Monts du Forez. — Par les échappées qui s’ouvrent entre les hêtres du cratère de Bar, on aperçoit des montagnes, au nord, assez vaguement, et seulement dans les beaux jours. Ce sont les Monts du Forez, qui n’ont point reçu de manteau basaltique sur leurs anciennes roches ; mais dans la vaste plaine de la Loire, qu’ils regardent à l’Orient, flambèrent une trentaine de petits volcans, tels que celui qui porte Montbrison. Ils séparent le bassin de la Loire du bassin de l’Allier, comme le font les monts du Velay. Moins nus que ceux-ci, et même très boisés dans maint parage, ils reconnaissent pour sommet suprême le front chauve de Pierre-sur-Haute ou Pierre-sur-Autre (1 640 mètres), qui plane circulairement sur un vaste horizon : de sa cime on voit la plaine du Forez, qui fut un lac de la Loire, la plaine de la Limagne, qui fut un lac de l’Allier, le Puy de Dôme, le Cantal, le Jura, les Alpes, le Mont-Blanc.

Ce que les burons sont à l’Auvergne, les loges le sont au Forez ; devant ces cabanes de bergers, devant les jasseries ou réunions de loges, passent les eaux pures des gouttes ou ravins, sorties de la pelouse à l’ombre des sapins et des bouleaux. De ces gouttes naissent des torrents qui gagnent à l’ouest la verte Dore, affluent de l’Allier, à l’est la Loire par de petites rivières, dont l’une, le Lignon, dut, il y a deux cent cinquante ans, une immense renommée à l’Astrée, longue pastorale qui fut en son temps le plus célèbre des livres de France. Cette gloire du Lignon dure encore, mais c’est un renom vague, comme celui d’un fleuve de la mythologie ou d’un château des quatre fils Aymon.

Au nord de ce Lignon, là où les durs granits font place aux porphyres rouges, bien plus durs encore, les monts Foréziens prennent le nom de Bois-Noirs, qu’ils doivent à des sapins, à des hêtres, à des chênes pressés en sombres forêts. Là se lève, borne entre trois départements[6], le puy de Montoncel (1 292 mètres), dôme d’où s’épanche la Bèbre.

À leur tour, au nord du Montoncel, les Bois-Noirs perdent leur nom pour celui de Monts de la Madeleine, avec le Bois de l’Assise (1 165 mètres) pour cime dominante, à l’ouest de Roanne, au-dessus des gorges de la rivière de Bèbre.

Ainsi de Pierre-sur-Haute au Puy de Montoncel, du Montoncel au Bois de l’Assise, le dos forézien s’abaisse, et quand la chaîne arrive dans le pays de la Palisse, les porphyres que troue le long tunnel de Saint-Martin-d’Estréaux[7] n’ont plus que 500 mètres environ d’altitude.


12o Monts de l’Ardèche : du Mézenc au Pilat. — Comme les Cévennes entre le col de Naurouze et l’échine de la Lozère, les Monts de l’Ardèche sont une des mailles de la grande chaîne européenne entre les fleuves océaniques et les fleuves méditerranéens : ils séparent les eaux qui cherchent la rive droite de la Loire de celles qui cherchent la rive droite du Rhône.

Sous les noms de Tanargue, de Forêt de Bauzon ou Montagnes de la Chavade, de Plateau de la Champ-Raphaël, ils se répandent d’abord, avec vingt-cinq à trente sucs ou cônes volcaniques, aux sources de la Loire, de l’Ardèche et de ses affluents.

Ces sucs paraissent être les débris des immenses coulées sorties des volcans du Mézenc : volcans éteints dès la plus noire antiquité, effondrés, comblés, et dont on distingue peu ou point les cratères. L’un d’eux, le Gerbier-de-Jonc, dont le vrai nom serait Gerbier-de-Jouc, a 1 562 mètres d’altitude ; cette pyramide nue, cette quille semblable à la Dent de Jaman, célèbre montagne vaudoise, a l’honneur de donner naissance à la première source de la Loire.

Le Gerbier-de-Jonc n’est pas très éloigné du Mézenc aux trois dents, le prince des sommets français sur la ligne de faîte européenne. Le Mézenc, entre les départements de la Haute-Loire et de l’Ardèche, est un mont phonolithique, sans beaucoup de bois, presque tout en prairies, haut de 1 754 mètres. Il règne sur un chaos de croupes, d’aiguilles, de plateaux, d’abîmes, dans le petit univers boursouflé, scié, fendu, qui va de la Loire, faible encore et très éloignée de l’Atlantique, au Rhône tout-puissant et voisin de la Méditerranée. Jadis il contemplait des scènes plus terribles, quand les fleuves de roche fondue, partis sinon de son flanc, du moins des montagnes voisines, descendaient lentement à chaque crise des volcans sur les granits et les gneiss, ou sur les laves que de plus anciennes éructations des cratères avaient déjà maintes fois répandues sur le sol antérieur.

C’est d’un village de la Haute-Loire situé à 1 344 mètres qu’on fait habituellement l’ascension du Mézenc. Ce village, les Estables, nos livres et nos cartes devraient l’appeler à la française les Étables, sans qu’il en souffre auprès des délicats : à une telle hauteur, sous un pareil climat, dans de si longues neiges, l’écurie, par sa douce chaleur, est le palais des montagnards. Les Étables ont quelque célébrité dans la science, non qu’un savant y ait vu le jour, mais les barbares du lieu tuèrent au siècle dernier l’aide de Cassini qui venait mesurer le Mézenc. Comme l’Afrique centrale, la France a dévoré des explorateurs.

Les monts du Mézenc ne furent pas la seule source des roches d’abord liquides, puis figées, recouvrant maintenant les divers chaînons ardéchois qu’on rassemble parfois sous le nom de Tanargue, d’après la montagne qui se dresse au nord-ouest de Largentière, au nord de Valgorge, entre deux affluents de l’Ardèche : la Baume au sud, l’Alignon ou Lignon au nord. D’autres cratères indépendants de ce grand centre d’éruptions ont aussi bavé des matières ; il en est sorti de larges, d’épaisses coulées, qui ont bordé, barré, rempli d’antiques vallées serrées dans les granits et autres roches dures, le long de l’Ardèche, de ses tributaires et de ses sous-affluents. Ces coulées, ces basaltes qui souvent sont bleus, ces prismes de vingt mètres et plus de hauteur, le temps les a désagrégés, le flot les a rongés, et les gorges que le volcan prétendait combler à jamais sont aujourd’hui plus profondes que lorsqu’il y versait ses lourds fleuves fumants. Telle est l’œuvre du temps, « ce grand sculpteur ! » Et maintenant les vallées de l’Ardèche sont au loin célèbres par leurs colonnades de basaltes, orgues, chaussées et pavés des géants, les unes droites, intactes, architecturales, les autres ébréchées, disloquées, renversées, usées par les siècles, le froid, la chaleur, les orages, les torrents, les cascades.

De tous les cratères du sévère, noirâtre et rougeâtre Vivarais, si fier dans sa nudité, si beau dans sa rudesse, le plus vaste serait celui de la Vestide, si l’on n’avait pas lieu de croire que ce cirque a pour origine un immense effondrement du sol ; il s’ouvre aux sources de la Fontaulière, eau véhémente comme tous les torrents qui s’en vont à la verte Ardèche, et comme l’Ardèche elle-même ; dans son creux de 500 mètres, avec 4 000 mètres de pourtour au fond, un lac brilla, qu’on a vidé, qu’on remplira : cet évasement stérile redeviendra coupe d’eau vive où des champs altérés boiront. Le Ray-Pic a rejeté des laves qui vont jusqu’au pont de la Baume, sur l’Ardèche, le long du Burzet et de la Fontaulière. La Coupe d’Ayzac (892 mètres) eut un lac qu’elle a perdu ; des châtaigniers énormes ombragent ce cône qui cracha les basaltes où se démène la Volane, rivière tout en cascades blanches entre des roches noires. La Gravenne de Montpezat s’élève entre les gorges de l’Ardèche et de la Fontaulière, qu’elle inonda jadis de ses vomissements. Le Volcan de Thueyts a conduit ses matières dans la vallée de l’Ardèche, et ce torrent, à force d’éroder les laves à leur contact avec le granit, a taillé dans leur masse une colonnade basaltique de 50 mètres de hauteur, longue de 2 500 mètres ; il coute par une rive au bas de ces orgues, et par l’autre rive au pied d’un escarpement granitique : c’est un magnifique passage. La Gravenne de Soulhiol, cône rougeâtre entre l’Ardèche et le Lignon, a versé ses entrailles sur cette rivière et sur ce torrent, de même que la Coupe de Jaujac ; celle-ci, rouge au milieu de monts gris, est un cône harmonieux que les météores n’ont point dégradé, elle a gardé la pureté de sa forme ; une forêt de châtaigniers escalade ses pentes, elle envahit son cratère ; à ses pieds le Lignon coule à 50 mètres de profondeur entre un payé des géants et un mur de granit.

Un affluent de gauche de l’Ardèche, la Volane, qui est la rivière de Vals et d’Antraigues, a limé ses gorges dans les laves de la Coupe d’Ayzac ; en remontant ce torrent jusqu’à l’origine de son eau tapageuse, on arrive au plateau de la Champ-Raphaël. Là se détache, courant au sud-est, une chaîne qui de mont de granit se fait mont de calcaire, puis va tomber sur la rive droite du Rhône, à Rochemaure, après avoir séparé la vallée d’Aubenas du bassin de Privas.

C’est le Coiron, qui cache aussi ses roches primordiales sous une draperie de laves. Mais ce vêtement, qui a parfois jusqu’à 125 mètres d’épaisseur, ce manteau fait de porosités autant que de matière, le temps, les eaux endiablées des cascades, les crues tourbillonnantes, les météores l’usent ; là où il a cessé d’habiller les calcaires, ceux-ci tombent rapidement en ruines ; là où il les couvre encore, sa lave tombe à grands pans lorsque l’eau sournoise a suffisamment abaissé le socle calcaire par le délaiement et le transport des argiles et des marnes. Le Coiron, qui eut de larges épaules, devient de plus en plus une arête étroite, avec des sillons de torrents poussant des eaux rares à l’Ouvèze, au Rhône, à l’Ardèche : sillons très profonds que tout orage creuse, si bien qu’un jour, à force de ronger chacun de son côté le vieux Coiron, les ravins des versants opposés tailleront, puis agrandiront des cols, et, de siècle en siècle, feront plusieurs montagnes de ce qui fut un seul plateau.

La plus haute cime du Coiron, le Roc de Gourdon, a 1 061 mètres ; son site le plus fameux, c’est la Balme de Montbrul, colonnade basaltique de 150 mètres de hauteur avec dix-huit à vingt étages de grottes inégales, creusées jadis par nos ancêtres les habitants des cavernes.

C’est au sud-est du Mézenc que s’étalent les chaînons du Tanargue et le dos du Coiron ; c’est au nord, entre la Loire et son affluent le Lignon du sud, que se développe le Mégal.

Le Mégal, qui, vu de loin, des mamelons vellaves, a quelque chose de la dentelure des Pyrénées, est un massif gneissique couvert par la pâte refroidie des cratères. Ses cônes phonolithiques assis sur les hauts plateaux d’Yssingeaux sont peut-être faits de la dégradation d’une coulée prodigieuse qui, partant du Mézenc, aurait dépassé les lieux profonds où coule aujourd’hui la Loire et se serait enfin buttée, en même temps que les laves du Velay, contre l’obstacle des monts de la Chaise-Dieu, grand bloc granitique. Soit qu’un gigantesque fleuve de pierre fondue ait lentement voyagé de ce volcan à ces granits, soit que les cratères de l’ouest ou cratères vellaves aient eu part, comme ceux de l’est, Mézenc ou Mégal, à la formation des levées de basalte en avant du Puy, toujours est-il que la Loire perce deux fois la pierre volcanique par de superbes défilés : d’abord de Peyredeyre à la Voûte ; puis à Chamalières, entre le Miaune et le Gerbizon ; ici, à Chamalières, les gorges du fleuve, qui n’est, du moins en été, qu’un clair torrent, ont été sciées à 500 mètres de profondeur dans la lave et les roches plus dures que cette lave cachait à la lumière.

Autant que les orgues, les dykes et les roches sombres ou rougeâtres du Velay, les épanchements du Mégal, tels que le temps les a faits, contribuent à la beauté singulière de la Loire supérieure dans le bassin du Puy-en-Velay. Le principal pic de cette chaîne est le Mégal ou Testoaire (1 438 mètres) ; son unique lac est le lac de Saint-Front ou d’Arcône, à l’ouest de Fay-le-Froid, au nord des Estables, à 1 239 mètres d’altitude ; dans sa rondeur presque parfaite, il a 50 hectares, avec 8 ou 10 mètres seulement de profondeur : la Gagne en sort, affluent de la Loire en amont du Puy.

Toujours à ce même Mézenc se nouent au nord les Boutières, qui vont vers le nord-est, sur la frontière commune à la Haute-Loire et à l’Ardèche. Granits et gneiss, elles s’enflent en chaînons tordus, abrupts entre des gorges dont les torrents font l’Érieux, le Doux, l’Ay, la Cance ; leur principale cime, le Grand Felletin, au sud-ouest d’Annonay, offre un repos à l’aigle à 1 390 mètres au-dessus des mers.

Les Boutières se terminent par le Mont Pilat, dont le plus haut sommet est le Crêt de la Perdrix (1 434 mètres). Deux fois plus près du Rhône que de la Loire, le Pilat touche au fleuve lyonnais par le pied de quelques avant-monts. En bas forêt, pâturage en haut, sources cristallines et bonds de torrents, ce belvédère de granit, de gneiss, de quartz, de micaschiste, regarde à la fois le Cantal et le Mont-Blanc. Les Cévennes y finissent en même temps que les Boutières. Malgré l’humilité de sa taille, il n’a point de rival au nord sur le toit des eaux qui continue l’arête cévenole d’entre les deux mers ; et jusqu’aux Vosges il n’a pas d’égal. Plus haut dans le ciel que tous ses voisins, c’est un vrai « pilier des tempêtes » ; il appelle et concentre les flocons de l’air ; quand la brume cache son front, c’est qu’il va pleuvoir : « Pilat prend son chapeau, prends ton manteau, » dit le peuple des vallées où il est le roi de l’horizon. Ainsi, dans l’autre France, « Quand le Tessala met son bonnet de nuit, Sidi-bel-Abbès est dans la joie. »

Ses bois, sa calme pelouse, envoient leur eau claire à des villes turbulentes qui les corrompent de leur ordure et de leurs industries, à d’énormes assemblées d’usines qui crachent des fumées noires : au nord-ouest, c’est la cité de la houille, du fer et des rubans, Saint-Étienne, et les grands bourgs d’industrie qui la continuent jusqu’à la Loire le long du Furens ; au nord, c’est le val du Gier, qui n’est qu’une longue rue sous différents noms, une fumeuse avenue de houillères, de cheminées, de fourneaux, de forges, d’ateliers, tout le long du Gier, jusqu’au Rhône ; au sud-est c’est Annonay, la mère du papier, l’ouvrière en cuirs.

Comme ses fontaines, si nombreuses qu’elles soient, ne donnent à la fin des grandes chaleurs que 39 000 mètres cubes par jour, elles ne peuvent suffire à toutes les roues, à toutes les cuves, à toutes les fosses de ces ateliers immenses. On a donc barré ses gorges : derrière des digues puissantes, les réservoirs de Rochetaillée (ou du Gouffre d’Enfer) et du Pas de Riot, sur le Furens, retiennent ensemble plus de 3 millions de mètres cubes à l’usage de Saint-Étienne ; le réservoir du Ternay rassemble 3 500 000 mètres cubes pour le service d’Annonay ; le Gier a 2 millions de mètres cubes en réserve dans le bassin du Janon ; le réservoir du Couzon suspend sur le vallon d’un affluent de droite du Gier 1 500 000 mètres cubes pour les éclusées du canal de Givers.


13o Du Pilat aux Vosges. — Du mont Pilat aux Vosges, la grande ligne de faîte n’a que trois cimes atteignant ou dépassant 1 000 mètres.

Dans les Monts du Lyonnais, d’ossature granitique, peu de sommets atteignent 900 mètres ; leur tête la plus haute n’en a que 937, près de Saint-André-la-Côte. Au nord de Lyon, les collines du Mont d’Or ne se dressent qu’à 625 mètres, mais elles contemplent une superbe vallée, celle de la Saône, et au delà de cette rivière le plateau de la Dombes où luisent des centaines d’étangs, et plus loin que la Dombes, une ligne droite est tracée dans le ciel par le fronton du Jura. À Lyon même, les collines de Vaise, de Fourvière, de Saint-Irénée, de Sainte-Foy, chargées et couronnées de palais et d’églises, sont des contreforts des monts du Lyonnais.

Au sud-ouest de Tarare, ville de fabriques sur un torrent du versant de la Saône, le mont Boussièvre (1 004 mètres) se lève sur la frontière entre le Rhône et la Loire : c’est le plus haut renflement du Massif de Tarare, monts arrondis, mous, nus.

Ainsi nommés de ce qu’ils couvrent la contrée dont la capitale était Beaujeu, les monts du Beaujolais sont faits de porphyre, de vieux grès, de calcaires. Ils entrent dans la région de l’air supérieure à 1 000 mètres par le Saint-Rigaud (1 012 mètres), d’où coule une des branches de la Grosne ; du Monné (1 000 mètres), proche voisin du Saint-Rigaud, descendent les fontaines de l’Azergues, affluent de la Saône.

Dans les monts du Charolais (774 mètres, à la Chapelle-Saint-Cyr), agrestes, arrondis, boisés, de vifs ruisseaux mouillent des prairies que paissent des bœufs de renom. Ces monts, noyau de granit qu’entourent des calcaires, sont séparés du Morvan par la dépression riche en houille qu’emploie le canal du Centre, au sud-est du Creuzot. Ce passage commode entre les bassins du Rhône et de la Loire n’a guère plus de 300 mètres au-dessus des mers.

Au Morvan quatre départements ont part : Saône-et-Loire, la Côte-d’Or, l’Yonne, et surtout la Nièvre. Dômes de granit et de porphyre, forêts de hêtres, de chênes et de châtaigniers, grandes prairies, ouches, autrement dit bassins où de grands étangs reçoivent des ruisseaux et renvoient des rivières, le Morvan s’honore de la saveur de ses herbes et de la pétulance de ses eaux. De lui l’on peut dire, comme du Limousin, qu’il ne périra jamais par sécheresse. Ses rivières, ses ruisseaux, qui çà et là se déchirent en cascades, font un double travail : ils arrosent les prés, ils portent les ramures que le bûcheron enlève tous les ans aux forêts morvandelles, et qui vont en bateaux ou par radeaux à Paris sur la Cure, l’Yonne et la Seine : bûches, cotrets, fagots et charbon, la grande ville se chauffe aux dépens du Morvan. Dans l’ellipse de plus de 80 kilomètres de longueur que ces monts embrassent, il ne se dresse pas un seul dôme de 1 000 mètres : le Haut-Folin, entre Autun et Château-Chinon, n’a que 902 mètres ; le Prénelay, aux sources de l’Yonne, en a 850 ; le Beuvray, 810. Ce dernier, sur son plateau terminal, porte des ruines confuses, des bosses de terre, des levées, des apparences de rues et de maisons où l’on a trouvé l’antique Bibracte, cette illustre cité gauloise que les archéologues cherchaient à Autun. L’Yonne, la Cure, l’Arroux, sont les principales rivières morvandelles : grandes en hiver, grandes aux neiges fondantes, grandes après les orages, elles diminuent beaucoup pendant les sécheresses. Ainsi se comportent, par tout pays, les courants descendus des terres fortes, des structures compactes.

Les monts du Charolais se continuent par la Côte d’or, chaîne de taille médiocre, mais non sans quelques beautés, car elle a des forêts, des gorges coupées dans le calcaire, des sources lucides, et avant tout des vins généreux, honneur de la Bourgogne. La Seine en descend, la Saône y grandit. Le chaînon qui s’appelle plus spécialement Côte d’Or s’élève au sud-ouest de Dijon ; il commande la rive droite de l’Ouche. Le Bois-Janson, à l’ouest de Nuits, en est le soulèvement le plus haut : il n’a pourtant que 636 mètres.

À la Côte d’Or succède le plateau de Langres, également calcaire (car il est fait de lias et d’oolithe), également déchiré, plein de bois et de fontaines qui donnent naissance, à l’Aube, à la Marne, à la Meuse. Son altitude est faible ; cependant beaucoup de gens du Nord et du Nord-Est croient de bonne foi que la froide et maussade ville forte dont il a le nom, Langres, à 473 mètres seulement au-dessus des océans, est le séjour le plus haut perché de la France. De rares coteaux y atteignent 500 mètres : tels sont le Haut-du-Sec (516 mètres), à l’est d’Auberive, au sud-ouest de Langres ; et le mont Saule (512 mètres), à la source de l’Aube.

Les monts Faucilles, craies, calcaires et trias, continuent le plateau de Langres vers l’est ; ils ont de vastes bois, de pures fontaines ; ils donnent à la Saône ses premiers filets d’eau. Un de leurs monts, si c’est là des monts, a 472 mètres ; il domine de 76 mètres, si c’est là dominer, la source de la molle rivière bourguignonne. Près de Xertigny, des cimes atteignent presque 600 mètres.

Au bout des Faucilles, on trouve les Vosges.



  1. C’est le même mot que la sciarra des Siciliens Etnicoles.
  2. Leonardo Argensola.
  3. Ce mot espagnol, cañon, signifie gorge profonde entre des rocs à pic.
  4. Bassin de Graissessac.
  5. Corruption de Mercure.
  6. Allier, Loire, Puy-de-Dôme.
  7. Chemin de fer de Paris à Lyon par Roanne.