François le Champi/Chapitre 17

◄  XVI.
XVIII.  ►

XVII.

Je disais donc que François avait une tentation de dire bonjour à la grosse Catherine et de s’en faire reconnaître ; mais comme, par la même secousse de temps, il avait envie de pleurer, il eut honte de faire le sot, et il ne releva pas seulement la tête. Mais la Catherine, qui s’était baissée sur le fouger, avisa ses grand’jambes et se retira tout épeurée.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? dit-elle à la Mariette en marmottant dans le coin de la chambre. D’où sort ce chrétien ?

— Demande-le-moi, répondit la fillette, est-ce que je sais ? Je ne l’ai jamais vu. Il est entré céans comme dans une auberge, sans dire bonjour ni bonsoir. Il a demandé les portements de ma belle-sœur, comme s’il en était parent ou héritier ; et le voilà assis au feu, comme tu vois. Parle-lui, moi je ne m’en soucie pas. C’est peut-être un homme qui n’est pas bien.

— Comment ! vous pensez qu’il aurait l’esprit dérangé ? Il n’a pourtant pas l’air méchant, autant que je peux le voir, car on dirait qu’il se cache la figure.

— Et s’il avait mauvaise idée, pourtant ?

— N’ayez peur, Mariette, je suis là pour le tenir. S’il nous ennuie, je lui jette une chaudronnée d’eau bouillante dans les jambes et un landier à la tête.

Du temps qu’elles caquetaient en cette manière, François pensait à Madeleine. « Cette pauvre femme, se disait-il, qui n’a jamais eu que du chagrin et du dommage à endurer de son mari, est là, malade, à force de l’avoir secouru et réconforté jusqu’à l’heure de la mort. Et voilà cette jeunesse qui est la sœur et l’enfant gâté du défunt, à ce que j’ai ouï dire, qui ne montre pas grand souci sur ses joues. Si elle a été fatiguée et si elle a pleuré, il n’y paraît guère, car elle a l’œil serein et clair comme un soleil. »

Il ne pouvait pas s’empêcher de la regarder en dessous de son chapeau, car il n’avait encore jamais vu si fraîche et si gaillarde beauté. Mais si elle lui chatouillait un peu la vue, elle ne lui entrait pas pour cela dans le cœur.

— Allons, allons, dit Catherine en chuchotant toujours avec sa jeune maîtresse, je vas lui parler. Il faut savoir ce qu’il en retourne.

— Parle-lui honnêtement, dit la Mariette. Il ne faudrait point le fâcher : nous sommes seules à la maison, Jeannie est peut-être loin et ne nous entendrait crier.

— Jeannie ? fit François, qui de tout ce qu’elle babillait n’entendit que le nom de son ancien ami. Où est-il donc, Jeannie, que je ne le vois point ? Est-il bien grand, bien beau, bien fort ?

— Tiens, tiens, pensa Catherine, il demande ça parce qu’il a de mauvaises intentions peut-être. Qui, Dieu permis, sera cet homme-là ? Je ne le connais ni à la voix, ni à la taille ; je veux en avoir le cœur net et regarder sa figure.

Et comme elle n’était pas femme à reculer devant le diable, étant corporée comme un laboureur et hardie comme un soldat, elle s’avança tout auprès de lui, décidée qu’elle était à lui faire ôter ou tomber son chapeau pour voir si c’était un loup-garou ou un homme baptisé. Elle allait à l’assaut du champi, bien éloignée de penser que ce fût lui : car, outre qu’il était dans son humeur de ne penser guère à la veille plus qu’au lendemain, et qu’elle avait comme mis le champi depuis longtemps en oubliance entière, il était pour sa part si amendé et de si belle venue qu’elle l’aurait regardé à trois fois avant de le remettre ; mais dans le même temps qu’elle allait le pousser et le tabuster peut-être en paroles, voilà que Madeleine se réveilla et appela Catherine, en disant d’une voix si faible qu’on ne l’entendait quasi point, qu’elle était brûlée de soif.

François se leva si vite qu’il aurait couru le premier auprès d’elle, n’était la crainte de lui causer trop d’émoi. Il se contenta de présenter bien vivement la tisane à Catherine, qui la prit et se hâta de la porter à sa maîtresse, oubliant de s’enquérir pour le moment d’autre chose que de son état.

La Mariette se rendit aussi à son devoir en soulevant Madeleine dans ses bras pour la faire boire, et ce n’était pas malaisé, car Madeleine était devenue si chétive et fluette que c’était pitié. — Et comment vous sentez-vous, ma sœur ? lui dit Mariette.

— Bien ! Bien ! mon enfant, répondit Madeleine du ton d’une personne qui va mourir, car elle ne se plaignait jamais, pour ne pas affliger les autres.

— Mais, dit-elle en regardant le champi, ce n’est pas Jeannie qui est là ? Qui est, mon enfant, si je ne rêve, ce grand homme auprès de la cheminée ?

Et la Catherine répondit :

— Nous ne savons pas, notre maîtresse ; il ne parle pas, et il est là comme un essoti.

Et le champi fit un petit mouvement en regardant Madeleine, car il avait toujours peur de la surprendre trop vite, et si, il mourait d’envie de lui parler. La Catherine le vit dans ce moment-là, mais elle ne le connaissait point comme il était venu depuis trois ans, et elle dit, pensant que Madeleine en avait peur : Ne vous en souciez pas, notre maîtresse ; j’allais le faire sortir quand vous m’avez appelée.

— Ne le faites point sortir, dit Madeleine avec une voix un peu renforcée, et en écartant davantage son rideau ; car je le connais, moi, et il a bien agi en venant me voir. Approche, approche, mon fils ; je demandais tous les jours au bon Dieu la grâce de te donner ma bénédiction.

Et le champi d’accourir et de se jeter à deux genoux devant son lit, et de pleurer de peine et de joie qu’il en était comme suffoqué. Madeleine lui prit ses deux mains et puis sa tête, et l’embrassa en disant : — Appelez Jeannie ; Catherine, appelle Jeannie, pour qu’il soit bien content aussi. Ah ! je remercie le bon Dieu, François, et je veux bien mourir à présent si c’est sa volonté, car voilà tous mes enfants élevés, et j’aurai pu leur dire adieu.