Imprimerie Poupart-Davyl et Cie (p. 51-54).


Alma parens.


I


Le mont est un Protée énorme, au front changeant.
Là, ce sont des forêts où croit le pin géant :
Ici, parmi les fleurs, une eau claire murmure,
Et les bouvreuils joyeux sifflent sous la ramure.
C’est un pays de fée, un Éden enchanté.
L’isard léger bondit sur le pic argenté,

Au loin, avec fracas, une cascade tombe,
Et dans l’azur où fuit la timide palombe,
L’aile étendue on voit un grand aigle glisser :
Décrire le tableau, c’est le rapetisser.
Pour le peindre, il faudrait la palette puissante
Du Lorrain, à la fois sévère et caressante.
Sur ce mont vivait seul, Framès. Lion blessé,
Traînant le plomb fatal dans les chairs enfoncé,
Il errait, il fuyait effaré vers les cimes.
Son âme s’enivrait de spectacles sublimes.
Ses regards, inondés de célestes clartés.
Se perdaient éblouis dans les immensités
Son esprit voyageait sur la croupe des nues,
Ivre de voluptés jusqu’alors inconnues.
Les splendeurs du couchant, l’aurore au front vermeil,
Les coteaux parsemés et d’ombre et de soleil,

Des scintillantes nuits le vague et doux murmure,
Tout l’emplissait de joie. — Ô nature ! ô nature !
Toi qui portes la vie en tes robustes seins,
Seule tu peux charmer ces vieux enfants malsains
Mordus par les remords, chargés de lourdes haines,
Qu’énervèrent trop tôt les passions humaines.
Loin des plaisirs trompeurs d’un monde sensuel,
Nature, auprès de toi l’on est plus près du ciel.


II


Parmi les genêts d’or où le ramier se pose,
Sous les gramens fleuris Framès en paix repose.

Le vieux pâtre naïf, de peau de bouc couvert,
Évite avec terreur ce coin de bois désert ;
Et parfois s’il entend à travers les ténèbres,
Lorsque le vent géant, de longs soupirs funèbres,
Il dit crédulement, en se signant au front :
« C’est le sombre étranger qui revient sur le mont. »