Framès/Partie I/XVII

Imprimerie Poupart-Davyl et Cie (p. 31-33).

XVII


La lèvre du chanteur se crispa, son visage
Prit une expression de colère sauvage :
Puis il baissa, la tête, et, comme un condamné
Qui connaît son arrêt, dit : « Je suis ruiné !
« C’est le dernier festin auquel je vous convie,
« Mes amis, nous avons mené joyeuse vie.

« Mais la farce est finie ; allons, de ce palais
« Sortez, où je vous fais chasser par mes valets.
« Vous êtes des faquins, des débauchés vulgaires,
« Sans cœur, sans estomac, sans esprit : pauvres hères,
« Qui souillez les amours de vos malsains baisers
« Et qui n’avez pas d’âme en vos vieux corps usés ! »
— « Ah ! comme il prêche bien : qu’on apporte une chaire,
« Il fera des sermons contre la bonne chère ! »
— « Il divague ! » — « Il est fou ! » — « Son rire me fait peur. »
— « Le diable en vieillissant se ferait-il censeur ? »
— « Bien touché, compagnon, je bois à ta franchise ! »
— « Parbleu ! le voilà gris comme un chantre d’église ! »
— « Chasse tes cauchemars, te moques-tu de nous ?
« Tes vieux vins sont exquis et nos baisers sont doux,
« Calme-toi donc, enfant ; tiens, embrasse ma joue. »
— « Arrière ! » dit Framès. « arrière, âme de boue !

 « Allons, ferme ! riez, raillez, vieux corrompus,
« Fronts où rien ne germa, cœurs qui ne battez plus :
« Riez jusques à l’heure où la mort, lourd squelette,
« De son pas solennel troublera votre fête…
« Ô roses des jardins ! gazouillis des ruisseaux,
« Frais ombrages des bois où chantaient les oiseaux,
« Tendres ressouvenirs d’une folâtre enfance,
« Venez-vous m’apporter le rameau d’espérance ?
« Non. — vous accourez tous, au bruit de ma douleur.
« Pour danser, spectres noirs, dans la nuit de mon cœur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Framès, les yeux voilés de sinistres nuées,
Chancela, puis tomba sous le bruit des huées ;
Et l’orgie, apaisée un instant, reparut
Avec des grondements de bête fauve en rut.