Framès/Partie I/XVI

Imprimerie Poupart-Davyl et Cie (p. 28-31).

XVI


Framès, était-ce lui ? se dressa comme une ombre,
Pâle, égaré, le front fatal, la face sombre,
Et vidant d’un seul trait sa coupe, l’œil moqueur,
Il entonna ce chant que répéta le chœur :


J’aime les rauques orgies,
Qui sur les nappes rougies

À la flamme des bougies
S’accoudent avec fracas.
Tu m’importunes, sagesse !
Rien n’est vrai que la jeunesse,
L’amour, le vin, la liesse,
Le reste ne compte pas.


Allons, ivresse, flamboie,
Gronde, pétille, foudroie :
Que les éclairs de ta joie
Illuminent mes refrains.
Narguant de Dieu le tonnerre,
Don Juan, lève ton verre.
Car jamais l’homme de pierre
Ne vient troubler nos festins.


Des battements de mains, un long vivat sonore,
Accueillirent ce chant. « Nymphes, qu’on le décore
« De guirlandes de fleurs, » glapit un libertin ;
« Bravo, Framès, bravo ! c’est charmant, c’est divin ! »
Dans leurs bras parfumés les femmes l’enlacèrent,
Et, l’ayant couronné de roses, l’embrassèrent.
Mais lui, d’un geste brusque et fier les repoussant,
Avec force entonna ce couplet menaçant :


Saigne, mon cœur, lèvre, raille ;
Bouffon, que ta gorge braille,
Jusqu’à ce qu’elle s’éraille,
Des couplets désespérés :

Mais bientôt reprends ta lyre.
Poète, et dans ton délire
Crache l’anathème et l’ire
Sur ces fronts dégénérés.